ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"424"> loin d'être contraire à la volonté de Dieu; « a été inspiré par le souffle immédiat de son esprit divin; & cela, non à un vilain de la tribu de Gad ou de Zabulon, mais à un noble cerveau de la tribu royale de Juda ». Non plebeio alicui Zabulonita aut Gadit; sed nobili, ex stirpe regiâ, ex Jud tribu, cerebro. Il est certainement beaucoup plus raisonnable & plus chrétien d'ennoblir son art par une considération telle que celle de l'honnête Borrichius, que de crier avec l'acariatre Hecquet, que les minéraux préparés chimiquement, & nommément le kermes minéral, sont des remedes pernicieux; parce que les opérations chimiques troublent les arrangemens introduits dans les corps par la main du Créateur, les pervertissent, les alterent, ou les changent; & qu'ainsi la Chimie est un art diabolique, qui va à mettre la créature à la place du Créateur ou de ses ouvrages.

Borrichius prend un intérêt si chaud à l'état de la Chimie antédiluvienne, qu'il se feroit un scrupule d'en avoir sur la réalité des monumens qu'il accumule: il n'a pas le moindre doute sur l'authenticité des livres de Manethon de Sebennys, prêtre d'Héliopolis, dédiées à Ptolomée Philadelphe. Il est convaincu que l'histoire de cet ancien auteur Egyptien a été dressée sur de très - bons mémoires, tels, par exemple, que les registres sacrés & les colonnes publiques. Eusebe (Eusebius Pamphili.) assûre d'après les fragmens de cet auteur, Jule Africain nous a conservés, que le premier Thoït, ou Mercure Egyptien, traça sur des colonnes l'histoire des sciences qui fleurissoient avant le déluge. Certainement la Chimie en étoit, dit Borrichius; les caracteres de Thoït furent hiéroglyphiques, & il employ a la langue sacrée; après le déluge sa doctrine fut traduite en Grec; Agathodæmon ou le second Mercure, pere de Tat, l'écrivit dans des livres, mais encore en lettres hiéroglyphiques. Les critiques ont apperçû dans ce passage une certaine bisarreric, qui le leur a fait rejetter avec mépris. Conringius & Stillingfleet ont trouvé contradictoire que Hermès eût écrit dans une certaine langue en caracteres hiéroglyphiques; parce que, selon ces auteurs, les caracteres hiéroglyphiques peignoient les choses, & non des mots. L'auteur de l'essai sur les hiéroglyphes des Egyptiens, a rétabli la leçon de ce passage, & sauvé par - là la contradiction: il a dit lettres sacrées, au lieu de caracteres hiéroglyphiques; & il a conclu de - là que toute la bisarrerie du passage ne devoit plus résider desormais que dans la grande antiquité attribuée au fait: car les lettres alphabétiques dont il s'agit, dit cet auteur, furent en usage assez tard parmi les Egyptiens; & une dialecte sacrée fut introduite encore plus tard parmi eux. Au reste, que les colonnes de Thoït ayent pû résister aux eaux du déluge, & subsister plusieurs siecles après cet évenement qui changea la face entiere de la terre, Borrichius le prouve par l'exemple des fameuses colonnes de Seth, dont une restoit encore debout dans la terre de Seriad au tems de Joseph qui en fait mention, liv. I. ch. iij. des antiq. Judaïq. Quant à la traduction, Borrichius se croit obligé d'avoüer qu'elle pourroit bien n'être pas du second Mercure pere de Tat, dont la naissance précéda, selon lui, celle de la langue Grecque; mais du cinquieme Mercure, ou du dernier de Cicéron, que personne, ajoûte fierement Borrichius, ne prouvera être mort avant la naissance de la langue Greque. Un Ursinus, & le savant Conringius, beaucoup plus connu que le premier, s'étoient déjà élevés contre les colonnes, & avoient jetté des doutes sur la bonne foi de Manethon: aussi Borrichius se met - il fort en colere contre ces incrédules, qu'il traite cependant avec une politesse qui n'étoit pas commune dans les savans de ces tems, sur - tout quand ils avoient tort. Ceux qui seront cu<cb-> rieux des détails de cette dispute importante des savans que nous venons de citer, & qui prendront quelqu'intérêt aux colonnes de Thoït, n'ont qu'à recourir à Borrichius, de ortu & progressu Chemia, & au traité d'Hermannus Conringius, de hermetici Egyptiorum vetere, & Paracelsicorum novâ doctrinâ. Au reste ce premier Thoït, ou le Mercure antédiluvien de Manethon, pourroit bien être le Seth de l'Ecriture, & l'histoire ou la fable des colonnes de Thoït & de Seth, ne regarder qu'un même fait: on le prendra aussi, si l'on veut, avec le P. Kircher, pour l'Enoch de l'Ecriture.

Voilà le précis des preuves sur lesquelles on établit la grande ancienneté de la Chimie: il est affez indifférent de les admettre ou de les rejetter; & nous n'en parlerions pas davantage, si elles ne nous sug géroient une observation plus dans notre genre, & plus du goût général de notre siècle, que la critique historique que nous en serions: c'est qu'il faut bien distinguer dans tout ce qui précede, les faits, des inductions; le positif, du raisonnement. Convenons, avec Borrichius, qu'on a travaillé les métaux avant le déluge; mais n'allons pas en conclure que ces premiers Métallurgistes fussent des chimistes. Le panificium est certainement du ressort de la Chimie (Voyez Fermentation); la cuisine est une espece de Chimie domestique: cependant Adam eût été plus avancé dans ces arts que nos meilleurs boulangers & que nos plus parfaits cuisiniers, que je ne lui donnerois pas le titre de chimiste. Rien n'est plus taux que toute invention soit le résultat d'une vraie science; quelque disposition que nous ayons à faire honneur aux savans des découvertes utiles, nous sommes forcés de convenir qu'on les doit presque toutes à designorans: & pour tirer nos exemples de la Chimie, ce n'est point un Chimiste réfléchissant scientifiquement sur les propriétés des corps, qui a découvert la Teinture, la Verrerie, la poudre - à - canon, le bleu de Prusse, l'imitation des pierres précieuses, &c. ces inventions nous viennent de manoeuvres non chimistes, ou de chimistes manoeuvrans. Combien d'autres procédés curieux sont dans les mains de simples ouvriers, & resteront peut - être toujours ignorés des grands maîtres Les Chimistes profonds, les hommes de génie, sont écartés par une espece de fatalité de toute recherche immédiatement applicable aux arts utiles; la chaîne scientifique des vérités les entraîne à leur insû: occupés à en rapprocher les chaînons, ils restent indifférens & froids sur les objets moins intellectuels, & sur les recherches isolées; & ce sont ces recherches qui produisent des arts: elles demeurent en partage à des têtes heureusement étroites, que le sensible seul touche & satisfait. Le transcendant, le curieux, l'outré, le sublime, l'abus de la science en un mot, est seul capable de satisfaire le goût malade de ces génies presque supérieurs à l'humanité: tant pis sans doute pour une sociétè d'hommes, tant pis même pour leur propre bonheur; mais quoi qu'il en soit, le fait est tel, & l'expérience est pour moi.

Ce qui constate, selon les historiens de la Chimie, le renouvellement ou plûtôt la naissance de la Chimie peu de tems après le déluge, c'est qu'on trouve dèslors des arts chimiques existans; qu'il est parlé dans quelques auteurs de l'art de tranfmuer les métaux; que d'autres en ont écrit expressément; & qu'on apperçoit dans plusieurs ouvrages des vestiges épars des connoissances alchimiques.

La Métallurgie a été exercée dans les tems les plus reculés, ce fait est sûr; les monumens historiques les plus anciens parlent de cet art, & d'arts qui le supposent: l'ancienneté de l'usage des remedes tirés des substances métalliques est manifeste par les [p. 425] écrits d'Hippocrate, de Dioscoride, de Pline, &c. Les chroniques des mines d'Allemagne en font remonter les premiers travaux jusqu'aux tems fabuleux. Les mines des pays du Nord paroissent encore plus anciennes, à en juger par l'idiomede l'art, dont les mots employés aujourd'hui par les Métallurgistes Allemans, sont tirés des anciennes langues du Nord. D'ailleurs les peuples du Nord habitant des contrées peu propres à l'agriculture, il étoit naturel qu'ils se tournassent de bonne heure du côté des mines; c'est une observation de l'auteur de l'esprit des lois. L'art des embaumemens, qui est certainement très - chimique, existe chez les Egyptiens des l'antiquité la plus reculée. Agatarchis & Diodore de Sicile parlent de leurs mines. La Zimothecnie panaire & vinaire, ou les arts de faire du pain avec de la pâte levée, & de mettre en sermentation les sucs doux, sont des tems qui suivent immédiatement le déluge. Les arts de la Teinture, de la Verrerie, celui de préparer les couleurs pour la Peinture, & même d'en composer d'artificielles, tel que le bleu factice d'Egypte dont il est parlé dans Théophraste, sont très anciens. Il en est de même de la connoissance des mordans. Voici à ce sujet un passage de Pline qui est très - remarquable: Pingunt & vestes in Lgypto inter pauca miralili genere, candida vela poslquam illinentes, non coloribus, sed colorem sorbentibus medicamentis. Hoc, cum secere, non apparet in velis; sed in cortinam pigmenti serventis mersa post momentum extrahuntur picta: mirumque cum sit unus in cortina color, ex illo alius atque alius fit in veste accipientis, medieamenti qualitate mutatus; nec poslia ablui potest. Ita cortina non dublè consusura colores, si pictos acciperet, digetit ex uno, pingitque dum coquit; & adust vesles, strmiores siunt quam si non urerentur. Pline, nat. lust. lib. XXXV. cap. xj. Il est aussi fait mention dans les plus anciens auteurs d'opérations halotechniques. Aristote dit que l'extraction des sels de cendres est en usage parmi les paysans de l'Ombrie; & Varron, chez certains peuples des bords du Rhin. Pline parle d'un verre malléable offert à Néron. Le même auteur décrit assez bien la maniere de retirer l'or & l'argent des vieux habits par le nioyen de l'amalgame. Cette opération a été décrite aussi par Vitruve, &c.

Mais nous serons sur ces preuves du renouvellement de la Chimie, les mêmes réflexions que nous avons faites sur celle de son existence avant le déluge; nous dirons que ces arts ne supposent pas la science. La théorie de la Teinture est bien postérieure à l'art. On fondoit les métaux à - travers les charbons, long - tems avant que Stahl donnât l'admirable théorie de cette opération. Ce n'est pas d'après les principes de son excellente zimotechnie, qu'on a fait le premier vin. Ces spéculations, quand elles sont justes, peuvent fournir des vûes pour perfectionner les arts, & les étendre à un plus grand nombre d'objets. On corrigera les vins; on songera à mettre en fermentation des substances nouvelles. Mais quant à l'invention directe & systématique des arts, de ceux sur - tout qu'on peut regarder comme chess, loin de convenir qu'elle soit due aux sciences, c'est une question de savoir si elle peut l'être. Mais en attendant qu'on la décide, nous pouvons assûrer qu'elles ont paru tard; & qu'il y avoit des arts depuis long - tems, lorsque les progrès de la raison, ou peut - être les premieres erreurs de l'esprit combinées, ont donné naissance aux Sciences.

Quant à l'art de transmuer les métaux, ou a l'Alchimie, on peut le regarder comme ayant toûjours été accompagné de science, & ne pas séparer le système de la pratique alchimique. Le titre de philosophe, de sage, ambitionné en tout tems par les chercheurs de la pierre divine, le secret, l'étude, la manie d'écrire, &c. tout cela annonce les savans, les gens à théorie. Les plus anciens livres alchimiques de quelque autenticité, contiennent une théorie commune à la Chimie secrette ou Alchimie, & à la Chimie positive; & quelque frivole qu'on la suppose, elle n'a pû naître que chez des savans, des philosophes, des raisonneurs, &c.

Que l'Alchimie doive sa naissance à l'Egypte cette mere commune des Sciences, & qu'elle ait été cultivée par les hiérophantes ou prétres de la nation; c'est un fait qu'on avoue unanimement. En voiciles preuves les plus fortes: 1°. l'étymologie la plus naturelle du mot Chimie, est tirée de celui que l'Egypte portoit en langue sacrée, Chemia, selon Plutarque. Des commentateurs prétendent à la vérité qu'il faut dire Chamia, terre de Cham premier fils de Noé, qui s'établit dans cette contrée après le déluge; & les Septante l'appellent Chami (psal. 105.) du mot Hébreu ham: mais on lit dans Bochart, que les Cophtes l'appellent encore aujourd'hui Chemi. 2°. Les écrivains les plus anciens que nous ayons sur la Chimie, sont originaires d'Egypte; tels que Zosime de Chemnis ou Panopolis, Dioscorus, Comarius, Olimpiodore, Etienne, Sinesius, & autres dont nous parlerons ailleurs. 3°. La maniere dont on a écrit de la Chimie, tota scribendi & docendi ratio, est entierement dans le goût Egyptien; c'est une diction tout - à - fait étrange & éloignée du tour ordinaire, un style énigmatique & annonçant par - tout des mysteres sacrés; ce sont des caracteres hiéroglyphiques, des images bisarres, des signes ignorés, & une façon de dogmatiser tout - à - fait occulte: or personne ne passe pour avoir gardé plus scrupuleusement cette circonspection que les Egyptiens. Ces peuples se sont plu partieulierement à envelopper leurs connoissances dans des voiles ténébreux; & c'est de - là qu'ils ont passé dans les ouvrages des Chimistes. L'usage des anciens auteurs de Chimie d'apostropher le lecteur comme son propre enfant, fili mi, a bien l'air de venir d'Egypte où les sciences ne se transmettoient que des peres aux enfans.

Mais quand il seroit plus clairement démontré que l'Egypte a été le berceau de la Chimie, il n'en seroit pas plus facile de fixer la date de sa naissance. L'adoption générale chez tous les Chimistes, d'Hermès pour l'inventeur & le pere de la Chimie, est tout - à - fait gratuite. L'existence même d'un Hermès Egyptien, n'est pas encore bien tirée au clair: il y a eû en Egypte dix à douze Taut, Thot, Theut, Thoyt, Thout; pour tous ces noms, les Phéniciens n'en avoient qu'un, Taaut; les Grecs, qu'Hermès; ceux d'Alexandrie, que Thoor; les Latins, que Mercure; les Gaulois, que Teautates, qui tire son origine de l'Egyptien Taautes qui étoit très - évidemment Hermès ou Mercure: car selon César, Bell. gal. lib. VII. les druides des Gaulois deum maximè Mercurium colunt, hune omnium artium autorem ferunt. Les Rabbins l'appellent Adris, les Arabes Idris, un certain Arabe Johanithon, & les Barbares (ainsi qualifiés par un Rabbin) Marcolis. Kircher sort en peine du nom d'Idris, a découvert enfin dans l'Arabe Abenephi que c'étoit le même qu'Osiris, que les Perses appellent Adras. Nous avons parlé plus haut d'Agothodemon.

Ce n'est rien que la confusion de ces noms, en comparaison de celle qui naît de la multiplicité des personnes auxquelles ils ont été appliqués. Sanchoniathon compte deux Taaut ou Hermès; la plûpart des anciens Mythologistes, trois; quelques - uns quatre; & Cïcéron cinq. Kircher observe d'après plusieurs auteurs Grecs, Juifs, & Arabes, qu'un très - ancien Hermès, qu'il regarde comme l'Enoch fils de Jared de la Genese, s'étant illustré parmi les hommes, ceux de ses successeurs qui ambitionnerent la réputation

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