ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"420"> me, & il ne s'arrête jamais dans cette espece d'analyse que quand il en est aux élémens, c'est - à - dire à ces corps qu'il ne sait plus décomposer. V. Phlogistique, Feu, Inflammable, Saveur, Odeur, &c.

Nous avons regardé jusqu'à présent la Chimie comme la science générale des petits corps, comme une vaste source de connoissances naturelles; l'application particuliere qu'on en a faite à différens objets, a produit les diverses branches de la Chimie & les différens arts chimiques. Les deux branches de la Chimie qui ont été cultivées le plus scientifiquement, & qui sont devenues par - là la base du travail, le vrai fonds d'expériences du chimiste philosophe, en même tems qu'elles ont été les deux premiers arts chimiques, sont l'art de préparer les médicamens, voyez Pharmacie, & celui de traiter les mines & de purifier les métaux, soit en grand soit en petit. Voyez Métallurgie, & Docimasie.

Les connoissances que la Chimie a fournies à la medecine rationnelle, peuvent faire regarder aussi la théorie medecinale tirée de ces connoissances, comme une branche de la Chimie, branche très - nécessaire au medecin dans l'état présent de la théorie de la medecine, soit pour l'admettre, soit pour la rejetter avec connoissance de cause, puisqu'elle est principalement fondée sur de prétendus changemens très chimiques des alimens & des humeurs. Nous avouerons cependant, quoiqu'à regret, que ces connoissances sont bien moins étendues, & sur - tout bien moins utiles à la medecine - pratique, que ne l'a prétendu Boerhaave (voyez Element. Chim. part. 2. usus chimi in medendo), chez qui l'on retrouve toûjours le dangereux projet de déduire toutes les vérités vraiment médicinales des connoissances physiques. Voyez Medecine.

C'est à dessein que nous ne parlons pas ici de l'Alchimie. Voyez Philosophie hermetique.

La verrerie; la manufacture de porcelaine; l'art des émaux; la peinture sur le verre, qui n'est pas un art perdu malgré l'opinion publique; la poterie; la zimotechnie, ou l'art de disposer certaines substances végétales à la fermentation, qui comprend l'art de faire les vins; l'art du brasseur, & celui du vinaigrier; la halotechnie, ou l'art de préparer les sels; la pyrotechnie, ou l'art des feux d'artifice; celui du tanneur; la manufacture du savon; l'art des vernis; celui de graver à l'eau - forte; la teinture; la préparation des cornes, des écailles, & des poils des animaux; l'art du distillateur, celui du consiseur, & celui du limonadier, qui sont proprement trois branches de la Pharmacie; l'art du boulanger, panificium; la cuisine, &c. sont des arts tout chimiques. Voyez ces articles particuliers.

Outre ces arts dont nous venons de parler, & qui s'occupent essentiellement à exécuter certaines opérations chimiques, il est d'autres arts dont les opérations fondamentales ne sont pas chimiques, mais auxquels la Chimie fournit des secours essentiels. C'est dans des produits chimiques que la méchanique trouve ses principes de mouvement les plus efficaces, la poudre à canon, dont tout le monde connoit l'emploi, la vapeur de l'eau dans la pompe à feu, &c. Les couleurs les plus éclatantes & les plus durables qu'employe la Peinture, sont des présens de la Chimie, &c.

La branche la plus curieuse & la plus magique de la magie naturelle, est celle qui opére ses prodiges par les agens & sur les sujets chimiques. Les phosphores, l'inflammation des huiles par les acides, les poudres fulminantes, les effervescences violentes, les volcans artificiels, la production, la destruction, & le changement soudain des couleurs de certaines liqueurs, les précipitations & les coagu<cb-> lations inespérées, &c. en négligeant même les prétentions apparemment chimériques sur la divine pierre, les rajeunissemens, le petit homme de Paracelse, les miracles de la palingenésie, &c. toutes ces merveilles, dis - je, peuvent, dans ce siecle éclairé même, étonner bien des gens, au moins les amuser. Voyez Récréations chimiques.

Les arts chimiques étant liés à la Chimie générale comme à un tronc commun, il se présente ici deux questions très - importantes, ce me semble. 1°. Jusqu'à quel point chacun de ces arts peut - il être corrigé & perfectionné par la science chimique? 2°. Combien la science chimique peut - elle être avancée à son tour par les connoissances particulieres puisées dans l'exercice de chacun de ces arts?

Quant à la premiere question, il est évident que le chimiste le plus éclairé, le plus instruit, dirigera, réformera, perfectionnera un art chimique quelconque, avec un avantage proportionnel à ses connoissances générales, à sa science; à condition néanmoins que sur l'objet particulier de cet art il aura acquis cette faculté de juger par sentiment, qui s'appelle coup d'il chez l'ouvrier, & que celui - ci doit à l'habitude de manier son sujet; car aucun moyen scientifique ne sauroit suppléer à cette habitude; c'est un fait, une vérité d'expérience.

Quant à la seconde, la nécessité de se rendre familiers tous les procédés, toutes les opérations, toutes les manoeuvres des arts chimiques, selon le conseil & l'exemple du grand Stahl; elle nous paroît absolument indispensable pour le chimiste qui aspire à embrasser son art avec quelque étendue; car non - seulement c'est un spectacle très - curieux, très - philosophique, que d'examiner combien les moyens chimiques sont variés & combinés dans leur application à des usages particuliers, & sous quelle forme le génie se présente chez les ouvriers, où il ne s'appelle que bon sens; mais encore les leçons de ce bon sens, & l'industrie, l'aisance, l'expérience de l'ouvrier, sont des biens qu'il ne doit pas négliger. En un mot, il faut être artiste, artiste exercé, rompu, ne fût - ce que pour exécuter, ou pour diriger les opérations avec cette facilité, cette abondance de ressources, cette promptitude, qui en font un jeu, un délassement, un spectacle qui attache, & non pas un exercice long & pénible, qui rebute & qui décourage nécessairement par les nouveaux obstacles qui arrêtent à chaque pas, & sur - tout par l'incertitude des succès. Tous ces phénomenes isolés, ces prétendues bisarreries des opérations, ces variétés des produits, toutes ces singularités dans les résultats des expériences, que les demi - chimistes mettent sur le compte de l'art, ou des propriétés inconnues des matieres qu'ils employent, peuvent être attribuées assez généralement à l'inexpérience de l'artiste, & elles se présentent peu aux yeux du Chimiste exercé. Il n'arrivera que très - rarement à celui - ci, peut - être même ne lui arrivera - t - il jamais d'obtenir un certain produit, & de ne pouvoir jamais parvenir à le retirer une seconde fois des mêmes matieres. L'artiste dont nous parlons ne s'avisera jamais d'estimer les degrés de chaleur qu'il employe par le moyen des thermometres, ou la succession des gouttes dans une distillation, par la pendule à secondes; il aura, comme disent très - sensément les ouvriers, son thermometre au bout des doigts, & son horloge dans la tête; en un mot, il se dirigera dans toutes les manoeuvres ordinaires, dans les opérations journalieres, sur des indices grossiers & sensibles, qui sont toûjours préférables à cause de leur commodité, tant qu'ils sont suffisans: or on parvient par l'habitude à estimer avec beaucoup de précision, par leur seul secours, la plûpart des phénomenes chimiques; & toutes les mesures artificielles qu'on [p. 421] voudroit leur substituer, sont d'un emploi très - difficile, pour ne pas dire impossible, & notamment les thermometres, aussi ridicules dans le tablier d'un chimiste manoeuvrant, que dans la poche d'un medecin visitant ses malades. Mais ce n'est pas à cet avantage que se borne l'utilité de l'habitude du travail, c'est dans les phénomenes qui en naissent à chaque pas, que le chimiste qui sait voir puise les connoissances les plus lumineuses, & souvent même les plus vastes; c'est - là qu'on trouvera de ces phénomenes dont parle le chancelier Bacon, qui ne sont rien en eux - mêmes & pour eux - mêmes, mais qui peuvent servir de fondement, ou de germe, de point de partance à une théorie importante; exciter le génie du chimiste, comme la chûte d'une poire détermina la méditation de Newton, qui produisit son magnifique système de la gravitation universelle. Au reste, ce n'est que pour ceux qui n'ont jamais mis la main à l'oeuvre, ou qui n'ont jamais sû évaluer le mérite du chimiste, formé par l'exercice, par les actes répetés, qu'il est nécessaire de célebrer les avantages de l'expérience; car quiconque a vécu six mois parmi les fourneaux, ou qui sachant ce que c'est que la Chimie, a été à portée d'entendre discourir sur l'art, le plus profond spéculatif & l'artiste expérimenté ne sauroit se méprendre à la supériorité absolue du dernier.

C'est la nécessité de toutes ces connoissances pratiques, les longueurs des expériences chimiques, l'assiduité du travail & de l'observation qu'elles exigent, les dépenses qu'elles occasionnent, les dangers auxquels elles exposent, l'acharnement même à ce genre d'occupation qu'on risque toûjours de contracter, qui ont fait dire aux Chimistes les plus sensés, que le goût de la Chimie étoit une passion de fou. Becher appelle les Chimistes: Certum quoddam genus hominum excentricum, heteroclitum, heterogeneum, anomalum; qui posséde en propre un goût fort singulier, quo sanitas, pecunia, tempus & vita perduntur. Mais en prenant l'utilité absolue des sciences pour une donnée, d'après laquelle l'opinion générale nous autorise à raisonner, ces difficultés & ces inconvéniens - là même doivent faire regarder les savans qui ont assez de courage pour les braver, comme des citoyens qui mérirent toute notre reconnoissance.

Mais cette passion, quelqu'idée qu'il faille en avoir, les hommes en ont - ils été tourmentés de bonne heure? A quel tems faut - il rapporter la naissance de la Chimie? C'est un fait qu'il ne sera pas aussi facile de déterminer, que le degré de considération qu'elle mérite.

IL (Page 3:421)

IL Y A PEU D'ARTS dont les commencemens soient plus obscurs que ceux de la Chimie. Les Chimistes entêtés de son ancienneté, loin de nous instruire sur son origine & sur ses premiers progrès, par la profondeur & l'immensité de leurs recherches, ne sont parvenus qu'à rendre tous les témoignages douteux, à force d'abuser de cette critique curieusement assommante, qui consiste à enchaîner des atomes de preuves à des atomes de preuves, & à en former une masse qui vous entraîne ou qui vous effraye, & contre laquelle il ne reste que la ressource, ou de la mépriser, ou de la briser comme un verre, uno ictu, ou d'y succomber en la discutant.

Il vaudroit mieux sans doute substituer à ces énormes toiles que l'érudition a si laborieusement tissues, quelque système philosophique où l'on vît l'art sortir comme d'un germe, s'accroître & prendre toute sa grandeur. Il est au moins certain que si ce système ne nous rapprochoit pas davantage de la vérité, il nous épargneroit des recherches dont l'utilité ne frappe pas tous les yeux. Il est cependant une sorte de curiosité qui peut se faire un amusement philoso<cb-> phique des recherches de l'érudition la plus frivole, du sérieux & de l'intérêt qu'on y a mis; & ce sera dans cette vûe, autant qu'il nous sera possible d'y entrer, que nous allons exposer aux autres & nous représenter à nous - mêmes le labyrinthe des antiquités chimiques.

Nos antiquaires Chimistes ne se sont pas contentés de fouiller dans tous les recoins de l'Histoire sainte & de l'Histoire profane, ils se sont emparés des fables anciennes; & c'est une chose curieuse que les efforts prodigieux & les succès singuliers avec lesquels ils en ont quelquefois détourné le sens vers leur objet. Leurs explications sont - elles plus ridicules, plus forcées, plus arbitraires que celles des Platoniciens modernes, de Vossius, de Noel le Comte, de Bochart, de Kircher, de Marsham, de Lavaur, de Fourmont, & autres interpretes de la Mythologie, qui ont vû dans ces fables la théologie des anciens, leur astronomie, leur physique, leur agriculture, notre histoire sainte défigurée? Philon de Biblos, Eusebe, & d'après ceux - ci quelques modernes, ont - ils eu plus ou moins de raison que les premiers auteurs de prétendre que ce n'étoient que des faits historiques déguisés, & de reprocher aux Grecs leur goût pour l'allégorie? Qui sont les plus fous ou de ceux qui discernent dans des contes surrannés la vraie Théologie, la Physique, & une infinité d'autres belles choses; ou de ceux qui croyent que pour y retrouver des procédés chimiques admirables, il ne s'agit que de les développer & que de les dégager de l'alliage poétique? Sans rien décder là - dessus, je croi qu'on peut assûrer qu'en ceci, comme en beaucoup d'autres cas, nous avons fait aux anciens plus d'honneur qu'ils n'en méritoient: comme lorsque nous avons attaché à leurs lois, à leurs usages, à leurs institutions superstitieuses, des vûes politiques qu'apparemment ils n'ont guere eues. A tout moment nous leur prétons notre finesse, & nous nous félicitons ensuite de l'avoir devinée. On trouvera dans les fables anciennes tout ce qu'on y cherchera. Qu'y devoient chercher des Chimistes? des procédés; & ils y en ont découvert.

Qu'étoit - ce, à leur avis, que cette toison d'or qui occasionna le voyage des Argonautes? Un livre écrit sur des peaux, qui enseignoit la maniere de faire de l'or par le moyen de la Chimie. Suidas l'a dit; mais cette explication est plus ancienne que Suidas: on la rencontre dans le commentaire d'Eusthate sur Denis le Periegete; celui - ci la rapporte d'après un Charax, cité plusieurs fois dans un traité d'Hermolaüs de Bisance, dédié à l'empereur Justinien; & Jean François de la Mirandole prétend que le scholiaste d'Apollonius de Rhode, & Apollonius lui - même, y ont fait allusion; l'un dans cet endroit du II. liv. de ses Argonautiques; l'autre dans son commentaire,

            TO\N R(A XPU/SEION EQHXEN
        *EPMEIAS2.    Hermès la fit d'or.
Le scholiaste dit sur ce passage, LEGETAI GAR TH= T *E)RM EPAFH= TO\ DE/R)OS2 MNH)SAI XRUSN: on dit qu'Hermès la changea en or en la touchant. Conringius incrédule en antiquités chimiques, ose avancer qu'il n'est pas clair dans ces passages qu'il soit question de l'art de faire de l'or.

Si l'on a vû l'art de faire de l'or dans la fable des Argonautes, que ne pouvoit - on voir dans celles du serpent tué par Cadmus, dont les dents semées par le conseil de Pallas, produisent des hommes qui s'entre - tuent; du sacrifice à Hecate, dont parle Orphée; de Saturne qui coupe les testicules au Ciel son pere, & les jette dans la mer, dont l'écume mêlée avec le sang de ces testicules coupés, donna naissance à Vénus; du même qui dévore ses enfans à mesure qu'ils naissent, excepté le roi & la reine, Jupiter & Junon;

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