ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"346"> de la terre est un air épais, pesant, grossier, qui forme le corps & ses humeurs, & s'appelle pe, corps ou cadavre.

28. La mort n'est autre chose que la séparation de hoen & de pe; chacune de ces entités retourne à sa source; hoen au ciel, pe à la terre.

29. Il ne reste après la mort que l'entité du ciel & l'entité de la terre: l'homme n'a point d'autre immortalité; il n'y a proprement d'immortel que li.

On convient assez de l'exactitude de cette exposition; mais chacun y voit ou l'athéisme, ou le déisme, ou le polithéisme, ou l'idolatrie, selon le sens qu'il attache aux mots. Ceux qui veulent que le li des Chinois ne soit autre chose que notre Dieu, sont bien embarrassés quand on leur objecte que ce li est rond: mais de quoi ne se tire - t - on pas avec des distinctions? Pour disculper les lettrés de la Chine du reproche d'athéisme & d'idolatrie, l'obscurité de la langue prêtoit assez; il n'étoit pas nécessaire de perdre à cela tout l'esprit que Leibnitz y a mis.

Si ce système est aussi ancien qu'on le prétend, on ne peut être trop étonné de la multitude surprcnante d'expressions abstraites & générales dans lesquelles il est conçû. Il faut convenir que ces expressions qui ont rendu l'ouvrage de Spinosa si long - tems inintelligible parmi nous, n'auroient guere arrêté les Chinois il y a six ou sept cents ans: la langue effrayante de notre athée moderne est précisément celle qu'ils parloient dans leurs écoles.

Voilà les progrès qu'ils avoient faits dans le monde intellectuel, lorsque nous leur portâmes nos connoissances. Cet événement est l'époque de la philosophie moderne des Chinois. L'estime singuliere dont ils honorerent les premiers Européens qui débarquerent dans leurs contrées, ne nous donne pas une haute idée des connoissances qu'ils avoient en Méchanique, en Astronomie, & dans les autres parties des Mathématiques. Ces Européens n'étoient, mê me dans leur corps, que des hommes ordinaires: s'ils avoient quelques qualités qui les rendissent particulierement recommandables, c'étoit le zele avec lequel ils couroient annoncer la vérité dans des régions inconnues, au hazard de les arroser de leur propre sang, comme cela est si souvent arrivé depuis à leurs successeurs. Cependant ils furent accueillis; la superstition si communément ombrageuse s'assoupit devant eux; ils se firent écouter; ils ouvrirent des écoles; on y accourut; on admira leur savoir. L'empereur Cham - hy, sur la fin du dernier siecle, les admit à sa cour, s'instruisit de nos sciences, apprit d'eux notre Philosophie, étudia les Mathématiques, l'Anatomie, l'Astronomie, les Méchaniques, &c. Son fils Yong - Tching ne lui ressembla pas; il relégua à Canton & à Macao les virtuoses Européens, excepté ceux qui résidoient à Pékin, qui y resterent. Kien - Long fils de Yong - Tching fut un peu plus indulgent pour eux: il défendit cependant la religion Chrétienne, & persécuta même ceux de ses soldats qui l'avoient embrassée; mais il souffrit les Jésuites, qui continuerent d'enseigner à Pékin.

Il nous reste maintenant à faire connoître la Philosophie pratique des Chinois: pour cet effet nous allons donner quelques - unes des sentences morales de ce Confucius, dont un homme qui aspire à la réputation de lettré & de philosophe doit savoir au moins quelques ouvrages entiers par coeur.

1. L'éthique politique a deux objets principaux; la culture de la nature intelligente, l'institution du peuple.

2. L'un de ces objets demande que l'entendement soit orné de la science des choses, afin qu'il discerne le bien & le mal, le vrai & le faux; que les passions soient modérées; que l'amour de la vérité & de la vertu se fortifient dans le coeur; & que la con<cb-> duite envers les autres soit déconte & honnête.

3. L'autre objet, que le citoyen sache se conduire lui - même, gouverner sa famille, remplir sa charge, commander une partie de la nation, posséder l'empire.

4. Le philosophe est celui qui a une connoissance profonde des choses & des livres, qui pese tout, qui se soûmet à la raison, & qui marche d'un pas assûré dans les voies de la vérité & de la justice.

5. Quand on aura consommé la force intellectuelle à approfondir les choses, l'intention & la volonté s'épureront, les mauvaises affections s'éloigneront de l'ame, le corps se conservera sain, le domestique sera bien ordonné, la charge bien remplie, le gouvernement particulier bien administré, l'empire bien régi; il joüira de la paix.

6. Qu'est - ce que l'homme tient du ciel? la nature intelligente: la conformité à cette nature constitue la regle; l'attention à vérifier la regle & à s'y assujettir est l'exercice du sage.

7. Il est une certaine raison ou droiture céleste donnée à tous: il y a un supplément humain à ce don quand on l'a perdu. La raison céleste est du saint; le supplément est du sage.

8. Il n'y a qu'un seul principe de conduite; c'est de porter en tout de la sincérité, & de se conformer de toute son ame & de toutes ses forces à la mesure universelle: ne fais point à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse.

9. On connoît l'homme en examinant ses actions, leur fin, les passions dans lesquelles il se complaît, les choses en quoi il se repose.

10. Il faut divulguer sur le champ les choses bonnes à tous: s'en reserver un usage exclusis, une application individuelle, c'est mépriser la vertu, c'est la forcer à un divorce.

11. Que le disciple apprenne les raisons des choses, qu'il les examine, qu'il raisonne, qu'il médite, qu'il pese, qu'il consulte le sage, qu'il s'éclaire, qu'il bannisse la confusion de ses pensées, & l'instabilité de sa conduite.

12. La vertu n'est pas seulement constante dans les choses extérieures.

13. Elle n'a aucun besoin de ce dont elle ne pourroit faire part à toute la terre, & elle ne pense rien qu'elle ne puisse s'avoüer à elle - même à la face du ciel.

14. Il ne faut s'appliquer à la vertu que pour être vertueux.

15. L'homme parfait ne se perd jamais de vûe.

16. Il y a trois degrés de sagesse; savoir ce que c'est que la vertu, l'aimer, la posséder.

17. La droiture de coeur est le fondement de la vertu.

18. L'univers a cinq regles; il faut de la justice entre le prince & le sujet; de la tendresse entre le pere & le fils; de la fidélité entre la femme & le mari; de la subordination entre les freres; de la concorde entre les amis. Il y a trois vertus cardinales; la prudence qui discerne, l'amour universel qui embrasse, le courage qui soûtient; la droiture de coeur les suppose.

19. Les mouvemens de l'ame sont ignorés des autres: si tu es sage, veille donc à ce qu'il n'y a que toi qui voyes.

20. La vertu est entre les extrèmes; celui qui a passé le milieu n'a pas mieux fait que celui qui ne l'a pas atteint.

21. Il n'y a qu'une chose précieuse; c'est la vertu.

22. Une nation peut plus par la vertu que par l'eau & par le feu; je n'ai jamais vû périr le peuple qui l'a prise pour appui.

23. Il faut plus d'exemples au peuple que de pré<pb-> [p. 347] ceptes; il nut se charger de lui transmettre que ce dont on sera rempli.

24. Le sage est son censeur le plus sévere; il est son témoin, son accusateur, & fon juge.

25. C'est avoir atteint l'innocence & la perfection, que de s'être surmonté, & que d'avoir recouvré cet ancien & primitif état de droiture célefte.

26. La paresse engourdie, l'ardeur inconsidérée, sont deux obstacles égaux au bien.

27. L'homme parfait ne prend point une voie détournée; il fuit le chemin ordinaire, & s'y tient ferme.

28. L'honnête homme est un homme universel.

29. La charité est cette affection constante & raisonnée qui nous immole au genre humain, comme s'il ne faisoit avec nous qu'un individu, & qui nous associe à ses malheurs & à ses prospérités.

30. Il n'y a que l'honnête homme qui ait le droit de haïr & d'aimer.

31. Compense l'injure par l'aversion, & le bienfait par la reconnoissance, car c'est la justice.

32. Tomber & ne se point relever, voilà proprement ce que c'est que faillir.

33. C'est une espece de trouble d'esprit que de souhaiter aux autres, ou ce qui n'est pas en notre puissance, ou des choses contradictoires.

34. L'homme parfait agit selon son état, & ne veut rien qui lui soit étranger

35. Celui qui étudie la sagesse a neuf qualités en vûe; la perspicacité de l'oeil, la finesse de l'oreille, la sérénité du front, la gravité du corps, la véracité du propos, l'exactitude dans l'action, le conseil dans les cas douteux, l'examen des suites dans la vengcance & dans la colere.

La morale de Confucius est, comme l'on voit, bien supérieure à sa métaphysique & à sa physique. On peut consulter Bulfinger sur les maximes qu'il a laissées du gouvernement de la famille, des fonctions de la magistrature, & de l'administration de l'empire.

Comme les mandarins & les lettrés ne font pale gros de la nation, & que l'étude des lettres ne doit pas être une occupation bien commune, la difficulté en etant là beaucoup plus grande qu'ailleurs, il semble qu'il resteroit encore bien des choses importantes à dire sur les Chinois, & cela est vrai; mais nous ne nous sommes pas proposé de faire l'abregé de leur histoire, mais celui seulement de leur philosophie. Nous observerons cependant, 1° que, quoiqu'on ne puisse accorder aux Chinois toute l'antiquité dont ils se vantent, & qui ne leur est gre disputée par leurs panégyristes, on ne peut nier toutefois que la date de leur empire ne soit très - voisine du déluge. 2°. Que plus on leur accordera d'ancienneté, plus on aura de reproches à leur faire sur l'imperfection de leur langue & de leur écriture: il est inconcevable que des peuples à qui l'on donne tant d'esprit & de sagacité, ayent multiplié à l'infini les accens au lieu de multiplier les mots, & multiplié à l'infini les caracteres, au lieu d'en combiner un petit nombre. 3°. Que l'éloquence & la poésie tenant de fort près à la perfection de la langue, ils ne sont selon toute apparence ni grands orateurs ni grands poëtes. 4°. Que leurs drames sont bien imparfaits, s'il est vrai qu'on y prenne un homme au berceau, qu'on y représente la suite de toute sa vie, & que l'action théatrale dure plusieurs mois de suite. 5°. Que dans ces contrées le peuple est très - enclin à l'idolatrie, & que son idolatrie est fort grossiere, si l'histoire suivante qu'on lit dans le P. le Comte est bien vraie. Ce missionnaire de la Chine raconte que les medecins ayant abandonné la fille d'un Nankinois, cet homme qui aimoit éperduement son enfant, ne sachant plus à qui s'adresser, s'avisa de demander sa guérison à une de ses idoles. Il n'épargna ni les sacrifices, ni les mêts, ni les parfums, ni l'argent. Il prodigua à l'idole tout ce qu'il crut lui être agréable; cependant sa fille mourut. Son zele alors & sa piété dégénererent en fureur; il résolut de se venger d'une idole quil'avoit abusé. Il porta sa plainte devant le juge, & poursuivit cette affaire comme un procès en regle qu'il gagna, malgré toute la sollicitation des bonzes, qui craignoient avec juste raison que la punition d'une idole qui n'exauçoit pas, n'eût des suites fâcheuses pour les autres idoles & pour eux. Ces idolatres ne sont pas toûjours aussi modérés, lorsqu'ils sont mécontens de leurs idoles; ils les haranguent à - peu - près dans ces termes: Crois - tu que nous ayons tort dans notre indignation Sois juge entre nous & toi; depuis long - tems nous te soignons; tu es logée dans un temple, tu es dorée de la tête aux piés; nous t'avons toûjours servi les choses les plus délicieuses; si tu n'as pas mangé, c'est ta faute. Tu ne saurois dire que tu ayes manqué d'encens; nous avons tout fait de notre part, & tu n'as rien fait de la tienne: plus nous te donnons, plus nous devenons pauvres; conviens que si nous te devons, tu nous dois aussi. Or dis - nous de quels biens tu nous as comblés. La fin de cette harangue est ordinairement d'abattre l'idole & de la traîner dans les boues. Les bonzes débauchés, hypocrites, & avares, encouragent le plus qu'ils peuvent à la superstition. Ils en sont sur - tout pour les pélerinages, & les femmes aussi qui donnent beaucoup dans cette dévotion, qui n'est pas fort du goût de maris jaloux au point que nos missionnaires ont été obligés de bâtir aux nouveaux convertis des églises séparées pour les deux sexes. Voyez le P. le Comte. 5°. Qu'il paroît que parmi les religions étrangeres tolérées, la religion Chrétienne tient le haut rang: que les Mahométans n'y sont pas nombreux, quoiqu'ils y ayent des mosquées superbes: que les Jésuites ont beaucoup mieux réussi dans ce pays que ceux qui y ont exercé en même tems ou depuis les fonctions apostoliques: que les femmes Chinoises semblent fort pieuses, s'il est vrai, comme dit le P le Comte, qu'elles voudroient se confesser tous les jours, seit goût pour le sacrement, soit tendresse de pieté, soit quelqu'autre raison qui leur est particuliere: qu'à en juger par les objections de l'empereur aux premiers missionnaires, les Chinois ne l'ont pas embrassée en aveugles. Si la connoissance de Jesus - Christ est nécessaire au salut, disoit cet empereur aux missionnaires, & que d'ailleurs Dieu nous ait voulu sincerement sauver, comment nous a - t - il laissés si long - tems dans l'erreur? Il y a plus de seize siecles que votre religion est établie dans le monde, & nous n'en avons rien sû. La Chine est - elie si peu de chose qu'elle ne mérite pas qu'on pense à elle, tandis que tant de barbares sont éclairés? C'est une difficulté qu'on propose tous les jours sur les bancs en Sorbonne. Les missionnaires, ajoûte le P. le Comte, qui rapporte cette difficulté, y répondirent, & le prince fut content; ce qui devoit être: des missionnaires seroient ou bien ignorans ou bien mal - adroits s'ils s'embarquoient pour la conversion d'un peuple un peu policé, sans avoir la réponse à cette objection commune. V. les art. Foi, Grace, Prédestination. 7°. Que les Chinois ont d'assez bonnes manufactures en étoffes & en porcelaines; mais que s'ils excellent par la matiere, ils pechent absolument par le goût & la forme; qu'ils en seront encore long - tems aux magots; qu'ils ont de belles couleurs & de mauvaises peintures; en un mot, qu'ils n'ont pas le génie d'invention & de découvertes qui brille aujourd'hui dans l'Europe: que s'ils avoient eu des hommes supérieurs, leurs lumieres auroient forcé les obstacles par la seule impossibilité de rester captives; qu'en général l'esprit d'orient est plus tranquille, plus paresseux, plus renfermé dans les besoins essentiels, plus borné à ce qu'il trouve établi, moins

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