ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"394"> sont ou trois textes ou trois copies d'un premier original; ces copies varient entre elles sur la chronologie des premiers âges du monde: le texte Hébreu de la massore abrege les tems; il ne compte qu'environ quatre mille ans depuis Adam jusqu'à J. C. le texte Samaritain donne plus d'étendue à l'intervalle de ces époques; mais on le prétend moins correct: les Septante font remonter la création du monde jusqu'à six mille ans avant J. C. il y a selon le texte Hébreu 1656 ans depuis Adam au déluge; 1307, selon le Samaritain; & 2242, selon Eusebe & les Septante; ou 2256, selon Josephe & les Septante; ou 2262, selon Jule Africain, S. Epiphane, le pere Petau, & les Septante.

Si les Chronologistes sont divisés, & sur le choix des textes, & sur les tems écoulés, pour l'intervalle de la création au déluge, ils ne le sont pas moins pour les tems postérieurs au déluge, & sur les intervalles des époques de ces tems. Voyez seulement Marsham & Pezron.

          Système de Marsham.
Du déluge à la vocation d'Abraham,     426 ans.
De la vocation d'Abraham à la sortie
   d'Egypte,                          430.
De l'exode à la fondation du temple,   480.
La durée du temple,                    400.
La captivité,                           70.
          Système de Pezron.
Du déluge à la vocation d'Abraham,    1257.
De la vocation d'Abraham à la sortie
   d'Egypte,                          430.
De la sortie d'Egypte à la fondation
   du temple,                         873.
De la fondation du temple à sa
   destruction,                       470.
La captivité,                           70.

Les différences sont plus ou moins fortes entre les autres systèmes, pour lesquels nous renvoyons à leurs auteurs.

Tant de diversités, tant entre les textes qu'entre leurs commentateurs, suggéra à M. l'abbé de Prades, bachelier de Sorbonne, une opinion qui a fait beaucoup de bruit, & dont nous allons rendre compte, d'autant plus volontiers que nous l'avons combattue de tout tems, & que son exposition ne suppose aucun calcul.

M. l'abbé de Prades se demande à lui - même comment il a pû se faire que Moyse ait écrit une chronologie, & qu'elle se trouve si altérée qu'il ne soit plus possible, des trois différentes chronologies qu'on lit dans les différens textes, de discerner laquelle est de Moyse, ou même s'il y en a une de cet auteur. Il remarque que cette contradiction des chronologies a donné naissance à une infinité de systèmes différens: que les auteurs de ces systèmes n'ont rien épargné pour détruire l'autorité des textes qu'ils ne suivoient pas; témoin le pere Morin de l'Oratoire, à qui il n'a pas tenu que le texte Samaritain ne s'élevât sur les ruines du texte Hébreu: que les différentes chronologies ont suivi la fortune des différens textes, en Orient, en Occident, & dans les autres églises: que les Chronologues n'en ont adopté aucune scrupuleusement: que les additions, corrections, retranchemens qu'ils ont jugé à propos d'y faire, prouvent bien qu'à leur avis même il n'y en a aucune d'absolument correcte: que la nation Chinoise n'a jamais entré dans aucun de ces plans chronologiques: qu'on ne peut cependant rejetter en doute les époques Chinoises, sans se jetter dans un Pirrhonisme historique: que cet oubli fournissoit une grande difficulté aux impies contre le récit de Moyse, qui faisoit descendre tous les hommes de Noé, tandis qu'il se trouvoit un peuple dont les annales remontoient au - delà du déluge: qu'en répondant à cette difficulté des impies par la chronologie des Septante, qui n'embrasse pas encore les époques Chinoises les plus reculées, telles que le regne de Fohi, on leur donnoit occasion d'en proposer une autre sur l'altération des livres saints, où le tems avoit pû insérer des chronologies différentes, & troubler même celles qui y avoient été insérées: que la conformité sur les faits ne répondoit pas à la diversité sur les chronologies: que le P. Tournemine sensible à cette difficulté, a tout mis en oeuvre pour accorder les chronologies; mais que son système a des défauts considérables, comme de ne pas expliquer pourquoi le centenaire n'est pas omis partout dans le texte hébreu, ou ajoûté par - tout dans les Septante; & qu'occupé de ces difficultés, elle se grossissoit d'autant plus, qu'il se prévenoit davantage que Moyse avoit écrit une chronologie. Voilà ce qui a paru à M. l'abbé de Prades.

Et il a pensé que Moyse n'étoit auteur d'aucune des trois chronologies; que c'étoient trois systèmes inventés après coup; que les différences qui les distinguent ne peuvent être des erreurs de copistes; que si les erreurs de copistes avoient pû enfanter des chronologies différentes, il y en auroit bien plus de trois; que les trois chronologies ne différeroient entre elles que comme trois copies de la même chronologie; que si, antérieurement à la version des Septante, la chronologie du texte Hébreu sur lequel ils ont traduit avoit passé pour authentique, on ne conçoit pas comment ces respectables traducteurs auroient osé l'abandonner; qu'on ne peut supposer que les Septante ayent conservé la chronologie de l'Hébreu, & que la différence qu'on remarque à présent entre les calculs de ces deux textes vient de corruption; qu'on peut demander de quel côté vient la corruption, si c'est du côté de l'Hébreu ou du côté des Septante, ou de l'un & de l'autre côté; que, selon la derniere réponse, la seule qu'on puisse faire, il n'y a aucune de ces chronologies qui soit la vraie; qu'il est étonnant que l'ignorance des copistes n'ait commencé à se faire sentir que depuis les Septante; que l'intervalle du tems compris entre Ptolémée Philadelphe & la naissance de J. C. ait été le seul exposé à ce malheur, & que les histoires profanes n'ayent en ce point aucune conformité de sort avec les livres sacrés; que la vigilance superstitieuse des Juifs a été ici trompée bien grossierement; que les nombres étant écrits tout au long dans les textes, & non en chiffres, l'altération devient très difficile; en un mot, que quelque facile qu'elle soit, elle ne peut jamais produire des systèmes; qu'on ne peut supposer que la chronologie de Moyse est comme dispersée dans les trois textes, qu'il faut sur chaque fait en particulier les consulter, & prendre le parti qui paroîtra le plus conforme à la vérité, selon d'autres circonstances.

Selon ce système de M. l'abbé de Prades, il est évident que l'objection des impies tirée de la diversité des trois chronologies, se réduit à rien; mais n'affoiblit - il pas d'un autre côté la preuve de l'authenticité des faits qu'ils contiennent, fondée sur cette vigilance prodigieuse avec laquelle les Juifs conservoient leurs ouvrages? Que devient cette vigilance, lorsque des hommes auront pû pousser la hardiesse, soit à insérer une chronologie dans le texte, si Moyse n'en a fait aucune, soit à y en substituer une autre que la sienne? M. l'abbé de Prades prétend que ces chronologies sont trois systèmes différens; mais il prouve seulement que leur altération est fort extraordinaire: comment prendre ces chronologies pour des systèmes liés & suivis, quand on voit que [p. 395] le centenaire n'est pas omis dans tout le texte Hébreu, & qu'il n'est pas ajoûté à tous les patriarches dans le texte des Septante? Si la conformité s'est conservée dans les faits, c'est que par leur nature les faits sont moins exposés aux erreurs que des calculs chronologiques: quelque grossieres que soient ces erreurs, elles ne doivent point étonner. Rien n'empêche donc qu'on n'admette les trois textes, & qu'on ne cherche à les concilier, d'autant plus qu'on trouve dans tous les trois pris collectivement dequoi satisfaire à beaucoup de difficultés. Mais comment cette conciliation se fera - t - elle? Entre plusieurs moyens, on a l'examen des calculs mêmes & celui des circonstances: l'examen des calculs suffit seul quelquefois; cet examen joint à la combinaison des circonstances suffira très - souvent. Quant aux endroits où le concours de ces deux moyens ne donnera aucun résultat, ces endroits resteront obscurs.

Voilà notre système, qui, comme on peut s'en appercevoir, est très - différent de celui de M. l'abbé de Prades. M. de Prades nie que Moyse ait jamais fait une chronologie, nous croyons le contraire; il rejette les trois textes comme interpolés, & nous les respectons tous les trois comme contenant la chronologie de Moyse. Il a combattu notre système dans son apologie par une raison qui lui est particulierement applicable; c'est que l'examen & la combinaison des calculs ne satisferoit peut - être pas à tout: mais cet examen n'est pas le seul que nous proposions; nous y joignons celui des cOEconstances, qui determine tantôt pour un manuscrit, tantôt pour un autre, tantôt pour un résultat qui n'est proprement ni de l'un ni de l'autre, mais qui naît de la comparaon de tous les trois. D'ailleurs, quelque plausible que pût être le système de M. l'abbé de Prades, il ne seroit point permis de l'embrasser depuis que les censures de plusieurs évéques de France & de la faculté de Théologie l'ont déclare attentatoire à l'authenticité des livres saints.

Les textes variant entr'eux sur la chronologie des premiers âges du monde, si l'on accordoit en tout à chacun une égale autorité, il est évident qu'on ne sauroit à quoi s'en tenir sur le tems que les patriarches ont vécu, soit à l'égard de ceux qui ont précédé le déluge, soit à l'égard de ceux qui ne sont venus qu'après ce grand évenement. Mais le Chrétien n'imite point dans son respect pour les livres qui contiennent les fondemens de sa foi, la pusillanimité du Juif, ou le scrupule du Musulman. Il ose leur appliquer les regles de la critique, soûmettre leur chrónologie aux discussions de la raison, & chercher dans ces occasions la vérité avec toute la liberté possible, sans craindre d'encourir le reproche d'impiété.

Des textes de l'Ecriture, que nous avons, chacun a ses prérogatives: l'Hébreu paroît écrit dans la même langue que le premier original: le Samaritain prétend au même avantage; il a de plus celui d'avoir conservé les anciens caracteres hébraïques du premier original Hebreu. La version des Septante a été faite sur l'Hébreu des anciens Juifs. L'église Chrétienne l'a adoptée; la synagogue en a reconnu l'autorité, & Josephe qui a travaillé son histoire sur les livres Hébreux de son tems, se conforme assez ordinairement aux Septante. S'il s'est glissé quelque faute dans leur version, ne peut - il pas s'en être glissé de même dans l'Hébreu? Ne peut - on pas avoir le même soupçon sur le Samaritain? Toutes les copies ne sont - elles pas sujettes à ces accidens & à beaucoup d'autres? Les copistes ne sont pas moins négligens & infideles en copiant de l'Hébreu qu'en transcrivant du Grec. C'est de leur habileté, de leur attention, & de leur bonne foi, que dépend la pureté d'un texte, & non de la langue dans laquelle il est écrit. J'ai dit de leur bonne foi, parce que les - sen<cb-> timens particuliers du copiste peuvent influer bien plus impunément sur la copie d'un manuscrit, que ceux d'un savant de nos jours sur l'édition d'un ouvrage imprimé; car si la comparaison des manuscrits est si difficile & si rare aujourd'hui même qu'ils sont rassemblés dans un petit nombre d'édifices particuliers, combien n'étoit - elle pas plus difficile & plus rare jadis, qu'ils étoient éloignés les uns des autres & dispersés dans la société, rari nantes in gurgite vasto? Je conçois que dans ces tems où la collection de quelques manuscrits étoit la marque de la plus grande opulence, il n'étoit pas impossiblc qu'un habile copiste bouleversât tout un ouvrage, & peut - être même en composât quelques - uns en entier sous des noms empruntés.

Les trois textes de l'Ecriture ayant à - peu - près les mêmes prérogatives, c'est donc de leur propre fonds qu'il s'agit de tirer des raisons de préférer l'un à l'autre dans les endroits où ils se contredisent. Il faut examiner, avec toute la sévérité de la critique, les variétés & les différentes leçons; chercher où est la faute, & ne pas décider que le texte Hébreu est infaillible, par la raison seule que c'est celui dont les Juifs se sont servis & se servent encore. Une autre sorte de prévention non moins légere, ce seroit de donner l'avantage aux Septante, & d'accuser les Juifs d'une malice qu'ils n'ont jamais eûe ni dû avoir, celle d'avoir corrompu leurs écritures de propos délibéré, comme quelques - uns l'ont avancé, soit par un excès de zele contre ce peuple, soit par une ignorance grossiere sur ce qui le regarde.

L'équité veut qu'on ne considere les trois textes que comme trois copies d'un même original, sur l'autorité plus ou moins grande desquelles il ne nous est guere permis de prendre parti, & qu'il faut tâcher de concilier en les respectant également.

Ces principes posés, nous allons, non pas donner des décisions, car rien ne seroit plus téméraire de notre part, mais proposer quelques conjectures raisonnables sur la chronologie des trois textes, la vie des anciens patriarches, & le tems de leur naissance. Je n'entends pas le tems qui a précédé le déluge. Les textes sont à la vérité remplis de contradictions sur ce point, comme on a vû plus haut; mais il importe peu d'en connoître la durée. C'est de la connoissance des tems qui ont suivi le déluge, que dépendent la division des peuples, l'établissement des empires, & la succession des princes, conduite jusqu'à nous sans autre interruption que celle qui naît du changement des familles, de la chûte des états, & des révolutions dans les gouvernemens.

Nous observerons, avant que d'entrer dans cette matiere, que l'autorité de Josephe est ici très - considérable, & qu'il ne faut point négliger cet auteur, soit pour le suivre, soit pour le corriger quand ses sentimens & sa chronologie different des textes de l'Ecriture.

Puisque ni ces textes, ni cet historien, ne sont d'accord entr'eux sur la chronologie, il faut nécessairement qu'il y ait faute: & puisqu'ils sont de même nature, sujets aux mêmes accidens, & par conséquent également fautifs, il peut y avoir faute dans tous, & il peut se faire aussi qu'il y en ait un exact. Voyons donc quel est celui qui a le préjugé en sa faveur dans la question dont il s'agit.

Premierement, il me semble que le texte Samaritain & les Septante ont eu raison d'accorder aux patriarches cent ans de plus que le texte Hébreu, & d'étendre de cet intervalle la suite de leur ordre chronologique, soit parce que des trois textes il y en a deux qui conviennent en ce point, soit parce qu'il est plus facile à un copiste d'omettre un mot ou un chiffre de son original, que d'en ajoûter un

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