ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"276"> l'Appennin. Agrippa séconda bien Auguste dans cette partie de l'administration. Ce fut à Lyon qu'il commenca la distribution des grands chemins dans toute la Gaule. Il y en eut quatre particulierement remarquables par leur longueur & la difficulté des lieux; l'un traversoit les montagnes de l'Auvergne & pénétroit jusqu'au fond de l'Aquitaine; un autre fut poussé jusqu'au Rhin & à l'embouchure de la Meuse, suivit pour ainsi dire le fleuve, & finit à la mer d'Allemagne; un troisieme conduit à travers la Bourgogne, la Champagne & la Picardie, s'arrêtoit à Boulogne - sur - mer; un quatrieme s'étendoit le long du Rhône, entroit dans le bas Languedoc, & finissoit à Marseille sur la Méditerranée. De ces chemins principaux, il en partoit une infinité d'autres qui se rendoient aux différentes villes dispersées sur leur voisiuage; & de ces villes à d'autres villes, entre lesquelles on distingue Treves, d'où les chemins se distribuerent fort au loin dans plusieurs provinces. L'un de ces chemins, entr'autres, alloit à Strasbourg, & de Strasbourg à Belgrade; un second conduisoit par la Baviere jusqu'à Sirmisch, distante de 425 de nos lieues.

Il y avoit aussi des chemins de communication de l'Italie aux provinces orientales de l'Europe par les Alpes & la mer de Venise. Aquilée étoit la derniere ville de ce côté: c'étoit le centre de plusieurs grands chemins, dont le principal conduisoit à Constantinople; d'autres moins importans se répandoient en Dalmatie, dans la Croatie, la Hongrie, la Macédoine, les Mésies. L'un de ces chemins s'étendoit jusqu'aux bouches du Danube, arrivoit à Tomes, & ne finissoit qu'où la terre ne paroissoit plus habitable.

Les mers ont pû couper les chemins entrepris par les Romains, mais non les arrêter; témoins la Sicile, la Sardaigne, l'Isle de Corse, l'Angleterre, l'Asie, l'Afrique, dont les chemins communiquoient, pour ainsi dire, avec ceux de l'Europe par les ports les plus commodes. De l'un & de l'autre côté d'une mer, toutes les terres étoient percées de grandes voies militaires. On comptoit plus de 600 de nos lieues de chemins pavés par les Romains dans la Sicile; près de 100 lieues dans la Sardaigne; environ 73 lieues dans la Corse; 1100 lieues dans les Isles Britanniques; 4250 lieues en Asie; 4674 lieues en Afrique. La grande communication de l'Italie avec cette partie du monde, étoit du port d'Ostie à Carthage; aussi les chemins étoient - ils plus fréquens aux environs de ce dernier endroit que dans aucun autre. Telle étoit la correspondance des routes en de - çà & en de - là du détroit de Constantinople, qu'on pouvoit aller de Rome à Milan, à Aquilée, sortir'de l'Italie, arriver à Sirmisch en Esclavonie, à Constantinople; traverser la Natolie, la Galatie, la Sourie; passer à Antioche, dans la Phénicie, la Palestine, l'Egypte, à Alexandrie; aller chercher Carthage, s'avancer jusqu'aux confins de l'Ethiopie, à Clysmos; s'arrêter à la mer Rouge, après avoir fait 2380 de nos lieues de France.

Quels travaux, à ne les considérer que par leur étendue! mais que ne deviennent - ils pas quand on embrasse sous un seul point de vùe, & cette étendue, & les difficultés qu'ils ont présentées, les forêts ouvertes, les montagnes coupées, les collines applanies, les valons comblés, les marais desséchés, les ponts élevés, &c.

Les grands chemins étoient construits selon la diversité des lieux; ici ils s'avançoient de niveau avec les terres; là ils s'enfonçoient dans les vallons; ailleurs ils s'élevoient à une grande hauteur; par - tout on les commençoit par deux sillons tracés au cordeau; ces paralelles fixoient la largeur du chemin; on creusoit l'intervalle de ces paralleles; c'étoit dans cette profondeur qu'on étendoit les couches dos matériaux du chemin. C'étoit d'abord un ciment de chaux & de sable de l'épaisseur d'un pouce; sur ce ciment, pour premiere couche des pierres larges & plates de dix pouces de hauteur, assises les unes sur les autres, & liées par un mortier des plus durs: pour seconde couche, une épaisseur de huit pouces de petites pierres rondes plus tendres que le caillou, avec des tuiles, des moilons, des platras & autres décombres d'édifice, le tout battu dans un ciment d'alliage: pour la troisieme couche, un pié d'epaisseur d'un ciment fait d'une terre grasse mêlée avec de la chaux. Ces matieres intérieures formoient depuis trois piés jusqu'à trois piés & demi d'épaisseur. La surface étoit de gravois liés par un ciment mèle de chaux; & cette croùte a pù résister jusqu'à présent en plusieurs endroits de l'Europe. Cette façon de paver avec le gravois étoit si solide, qu'on l'avoit pratiquée par - tout excepté à quelques grandes voies où l'on avoit employé de grandes pierres, mais seulement jusqu'à cinquante lieues de distance des portes de Rome. On employoit les troupes de l'etat à ces ouvrages qui endurcissoient ainsi à la fatigue les peuples conquis, dont ces occupations prévenoient les revoltes; on y employoit aussi les malfaiteurs que la dureté de ces ouvrages effrayoit plus que la mort, & à qui on faisoit expier utilement leurs crimes.

Les fonds pour la perfection des chemins étoient si assùrés & si considérables, qu'on ne se contentoit pas de les rendre commodes & durables; on les embellissoit encore. Il y avoit des colomnes d'un mille à un autre qui marquoient la distance des lieux; des pierres pour asseoir les gens de pié & aider les cavaliers à monter sur leurs chevaux; des ponts, des temples, des arcs de triomphe, des mausolées, les sepulchres des nobles, les jardins des grands, sur - tout dans le voisinage de Rome, au loin des hermes qui indiquoient les routes; des stations, &c. Voyez Colomne milliaire, Hermès, Voie, Stations ou Mansions. Voyez l'antiq. expliq. Voyez le traité de M. Bergier. Voyez le traité de la police de la Mare.

Telle est l'idée qu'on peut prendre en général de ce que les Romains ont fait peut - être de plus surprenant. Les siecles suivans & les autres peuples de l'univers offrent à peine quelque chose qu'on puisse opposer à ces travaux, si l'on en excepte le chemin commencé à Cusco, capitale du Pérou, & conduit par une distance de 500 lieues sur une largeur de 25 à 40 piés, jusqu'à Quito. Les pierres les plus petites dont il étoit pavé, avoient dix piés en quarré; il étoit soutenu à droite & à gauche par des murs élevés au - dessus du chemin à hauteur d'appui; deux ruisseaux couloient au pié de ces murs; & des arbres plantés sur leurs bords formoient une avenue immense.

La police des grands chemins subsista chez les Romains avec plus ou moins de vigueur, selon que l'état fut plus ou moins florissant. Elle suivit toutes les révolutions du gouvernement & de l'empire, & s'éteignit avec celui - ci. Des peuples ennemis les uns des autres, indisdiplines, mal affermis dans leurs conquêtes, ne songerent guere aux routes publiques, & l'indifférence sur cet object dura en France jusqu'au regne de Charlemagne. Cette commodité étoit trop essentielle à la conservation des conquêtes, pour que ce monarque ne s'en apperçût pas; aussi est - il le premier de nos rois qui ait fait travailler aux chemins publics. Il releva d'abord les voies militaires des Romains; il employa à ce travail & ses troupes & ses sujets. Mais l'esprit qui animoit Charlemagne s'affoiblit beaucoup dans ses successeurs; les villes resterent dépavées; les ponts & les grands chemins furent abandonnés, jusque sous Philippe - Auguste, qui fit paver la capitale pour la pre<pb-> [p. 277] miere fois en 1184, & qui nomma des officiers à l'inspection des ponts & chaussées. Ces officiers, à charge au public, disparurent peu - à - peu, & leurs fonctions passerent aux juges particuliers des lieux, qui les conserverent jusqu'en 1508. Ce fut alors que les tribunaux relatifs aux grands chemins, & même à la voirie en général, se multiplierent. Voyez grande Voirie. Il y en avoit quatre différens, lorsque Henri le Grand créa l'office de grand - voyer ou d'inspecteur des routes du royaume. M. de Sulli en fut revêtu; mais cette partie ne se ressentit pas comme les autres des vues supérieures de ce grand homme. Depuis ce tems, le gouvernement s'est réservé la direction immédiate de cet objet important; & les choses sont maintenant sur un pié à rendre les routes du royaume les plus commodes & les plus belles qu'il y ait en Europe, par les moyens les plus sûrs & les plus simples. Cet ouvrage étonnant est déjà même fort avancé. Quel que soit le côté par où l'on sorte de la capitale, on se trouve sur les chaussées les plus larges & les plus solides; elles se distribuent dans les provinces du royaume les plus éloignées, & il en part de chacune des collatérales qui établissent entre les villes mêmes les moins considérables la communication la plus avantageuse pour le commerce. Voyez à l'art. Pont et Chaussée, quelle est l'administration à laquelle nous devons ces travaux utiles, & les précautions qu'on pourroit prendre pour qu'ils le fussent davantage encore, & que les hommes qu'on y applique, tous intelligens, se servissent de leurs lumieres pour la perfection de la Géographie, de l'Hydrographie, & de presque toutes les parties de l'Histoire naturelle & de la Cosmologie.

Chemin. (Page 3:277)

Chemin. (Jurisprud.) On distingue en général deux sortes de chemins; savoir les chemins publics, & les chemins privés.

Chez les Romains, on appelloit via tout chemin public ou privé; par le terme d'iter seul, on entendoit un droit de passage particulier sur l'héritage d'autrui; & par celui d'actus, on entendoit le droit de faire passer des bêtes de charge ou une charrette ou chariot sur l'héritage d'autrui; ce qu'ils appelloient ainsi iter & actus n'etoient pas des chemins proprement dits, ce n'étoient que des droits de passage ou servitudes rurales.

Ainsi le mot via étoit le terme propre pour exprimer un chemin public ou privé; ils se servoient cependant aussi du mot iter pour exprimer un chemin public, en y ajoûtant l'épithete publicum.

On distinguoit chez les Romains trois sortes de chemins; savoir les chemins publics, via publica, que les Grecs appelloient voies royales; & les Romains, voies prétoriennes, consulaires, ou militaires. Ces chemins aboutissoient ou à la mer, ou à quelque fleuve, ou à quelque ville, ou à quelque autre voie militaire.

Les chemins privés, via privat, qu'on appelloit aussi agraria, étoient ceux qui servoient de communication pour aller à certains héritages.

Enfin les chemins qu'ils appelloient via vicinales, étoient aussi des chemins publics, mais qui alloient seulement d'un bourg ou village à un autre. La voie, via, avoit huit piés de large; l'iter, pris seulement pour un droit de passage, n'avoit que deux piés, & le passage appellé actus en avoit quatre.

Il y a peu de chose à recueillir pour notre usage de ce qui s'observoit chez les Romains, par rapport à ces chemins publics ou privés, parce que la largeur des chemins est reglée différemment parmi nous; on peut voir néanmoins ce qui est dit dans la loi des 12 tables, tit. ij. de viarum latitudine; au code Théodosien, de itinere muniendo, & au titre, de littorum & itinerum custodia; au digeste de verborum signific. liv. CLVII. au liv. XLIII. tit. vij. de locis & itiner. public. & au même liv. tit. viij. ne quid in loco publico vel itinere slat; au tit. x. de via publica, & si quid in ea factum esse dicatur, & au tit xj. de via publica & itinere publico reficiendo; enfin au code, liv. XII. tit. lxv. de litterum & itinerum cuslodia.

Pour ce qui est des droits de passage appellés chez les Romains iter & actus, il en traité au digeste, liv. LXIII. tit. xix. & nous en parlerons aux mots Passage & Servitudes rurales.

On distingue parmi nous en général deux sortes de chemins publics; savoir les grands chemins ou chemins royaux, qui tendent d'une ville à une autre, & les chemins de traverse qui communiquent d'un grand chemin à un autre, ou d'un bourg ou village à un autre.

Il y a aussi des chemins privés qui ne servent que pour communiquer aux héritages.

Nos coûtumes ont donné divers noms aux grands chemins; les unes les appellent chemins péageaux, comme Anjou & Maine; d'autres en grand nombre les appellent grands chemins; d'autres chemins royaux.

Les chemins de traverse & les chemins privés reçoivent aussi différens noms dans nos coûtumes, nous les expliquerons chacun ci - après, suivant l'ordre alphabétique.

Les premiers réglemens faits en France au sujet des chemins se trouvent dans les capitulaires du roi Dagobert, où il distingue via publica, via convicinalis, & semita; il prononce des amendes contre ceux qui barroient les chemins.

Charlemagne est cependant regardé comme le premier de nos rois qui ait donné une forme à la police des grands chemins & des ponts. Il fit contribuer le public à cette dépense.

Louis le Débonnaire & quelques - uns de ses successeurs firent aussi quelques ordonnances à ce sujet; mais les troubles des x. xj. & xij. siecles firent perdre de vûe la police des chemins; on n'entretenoit alors que le plus nécessaire, comme les chaussées qui facilitoient l'entrée des ponts ou des grandes villes, & le passage des endroits marécageux.

Nous ne parlerons pas ici de ce qui se fit sous Philippe - Auguste, par rapport au pavé des rues de Paris, cet objet devant être renvoyé aux mots Pavés & Rues.

Mais il paroît constant que le rétablissement de la police des grands chemins eut à - peu - près la même époque que la premiere confection du pavé de Paris, qui fut en 1184, comme on l'a dit plus haut.

L'inspection des grands chemins fut confiée, comme du tems de Charlemagne & de Louis le Débonnaire, à des envoyés ou commissaires généraux appellés missi, qui étoient nommés par le roi & départis dans les provinces; ils avoient seuls la police des chemins, & n'etoient comptables de leurs fonctions qu'au roi.

Ces commissaires s'étant rendus à charge au public, ils furent rappellés au commencement du xiv. siecle, & la police des chemins fut laissée aux juges ordinaires des lieux.

Les choses resterent en cet état jusqu'en 1508 que l'on donna aux thrésoriers de France quelque part en la grande voirie. Henri II. par édit de Février 1552, autorisa les élûs à faire faire les réparations qui n'excederoient pas 20 liv. Henri III. en 1583 leur associa les officiers des eaux & forêts, ensorte qu'il y avoit alors quatre sortes de jurisdictions qui étoient en droit de connoître de ces matieres.

Henri IV. ayant reconnu la confusion que causoit cette concurrence, créa en 1599 un office de grand voyer, auquelil attribua la surintendance des grands chemins & le pouvoir de commettre des lieutenans dans les provinces.

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