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Qu'il nous soit permis de nous arrêter un moment ici sur ces accusations vagues d'irréligion, que l'on fait aujourd'hui tant de vive voix que par écrit contre les gens de Lettres. Ces imputations, toujours sérieuses par leur objet, & quelquefois par les suites qu'elles peuvent avoir, ne sont que trop souvent ridicules en elles - mêmes par les fondemens sur lesquels elles appuient. Ainsi, quoique la spiritualité de l'ame soit énoncée & prouvée en plusieurs endroits de ce Dictionnaire, on n'a pas eu honte de nous taxer de Matérialisme, pour avoir soutenu ce que toute l'Eglise a crû pendant douze siecles, que nos idées viennent des sens. On nous imputera des absurdités auxquelles nous n'avons jamais pensé. Les Lecteurs indifférens & de bonne foi iront les chercher dans l'Encyclopédie, & seront bien étonnés d'y trouver tout le contraire. On accumulera contre nous les reproches les plus graves & les plus opposés. C'est ainsi qu'un célebre Ecrivain, qui n'est ni Spinosiste ni Déiste, s'est vû accuser dans une gazette sans aveu d'être l'un & l'autre, quoiqu'il soit aussi impossible d'être tous les deux à la fois, que d'être tout ensemble Idolâtre & Juif. Le cri ou le mépris public nous dispenseront sans doute de repousser par nous - mêmes de pareilles attaques; mais à l'occasion de la feuille - hebdomadaire dont nous venons de parler, & qui nous a fait le même honneur qu'à beaucoup d'autres, nous ne pouvons nous dispenser de dévoiler à la république des Lettres les hommes foibles & dangereux dont elle a le plus à se défier, & l'espece d'adversaires contre lesquels elle doit se réunir. Ennemis apparens de la persécucution qu'ils aimeroient fort s'ils étoient les maîtres de l'exercer, las enfin d'outrager en pure perte toutes les puissances spirituelles & temporelles, ils prennent aujourd'hui le triste parti de décrier sans raison & sans mesure ce qui fait aux yeux des Etrangers la gloire de notre Nation, les Ecrivains les plus célebres, es Ouvrages les plus applaudis, & les corps littéraires les plus estimables: ils les attaquent, non par intérêt pour la Religion dont ils violent le premier précepte, celui de la vérité, de la charité, & de la justice, mais en effet pour retarder de quelques jours par le nom de leurs adversaires l'oubli où il sont prêts à romber: semblables à ces avanturiers malheureux qui ne pouvant soutenir la guerre dans leur pays, vont chercher au loin des combats & des défaites; ou plutôt semblables à une lumiere prête à s'éteindre, qui ranime encore ses foibles restes pour jetter un peu d'éclat avant que de disparoître.
Osons le dire avec sincérité, & pour l'avantage de la Philosophie, & pour celui de la Religion même. On auroit besoin d'un écrit sérieux & raisonné contre ies personnes malintentionnées & peu instruites, qui abusent souvent de la Religion pour attaquer mal - à - propos les Philosophes, c'est - à - dire pour nuire à ses intérêts en transgressant ses maximes. C'est un ouvrage qui manque à notre siecle.
Les critiques de la derniere classe, & auxquelles nous aurons le plus d'égard, consistent dans les plaintes de quelques personnes à qui nous n'aurons pas rendu justice. On nous trouvera toujours disposés à réparer promptement ce qui pourra offenser dans ce livre, non - seulement les personnes estimées dans la littérature, mais celles même qui font le moins connues, quand elles auront sujet de se plaindre (r). Nous en avons déja donné [p. xiij]
L'usage si ordinaire & si méprisable de décrier ses contemporains & ses compatriotes, ne nous empêchera pas de prouver par le détail des faits, que l'avantage n'a pas été en tout genre du côté de nos ancêtres; & que les Etrangers ont peut - être plus à nous envier, que nous à eux. Enfin nous nous attacherons autant qu'il sera possible, à inspirer aux gens de Lettres cet esprit de liberté & d'union, qui sans les rendre dangereux, les rend estimables; qui en se montrant dans leurs ouvrages, peut mettre notre siecle à couvert du reproche que faisoit Brutus à l'éloquence de Cicéron, d'être sans reins & sans vigueur; qui semble, nous le disons avec joie, faire de jour en jour de nouveaux progrès parmi nous; que néanmoins certains Mecenes voudroient faire passer pour cynique, & qui le sera si l'on veut, pourvû qu'on n'attache à ce terme aucune idée de révolte ou de licence. Cette maniere de penser, il est vrai, n'est le chemin ni de l'ambition, ni de la fortune. Mais la médiocrité des desirs est la fortune du Philosophe; & l'indépendance de tout, excepté des devoirs, est son ambition. Sensibles à l'honneur de la république des Lettres, dont nous faisons moins partie par nos talens que par notre attachement pour elle, nous avons résolu de réunir toutes nos forces, pour éloigner d'elle, autant qu'il est en nous; les périls, le dépérissement & la dégradation dont nous la voyons menacée; qu'importe de quelle voix elle se serve, pourvu que ses vrais intérêts soient connus de ceux qui la composent?
Malgré ces dispositions nous n'espérons pas à beaucoup près réunir tous les suffrages; mais devons nous le desirer? Un ouvrage tel que l'Encyclopédie a besoin de censeurs, & même d'ennemis. Il est vrai qu'elle a jusqu'ici l'avantage de ne compter parmi eux aucun des Eciivains célebres qui éclairent la Nation & qui l'honorent; & ce qu'on pourroit faire peut - être de plus glorieux pour elle, ce seroit la liste de ses partisans & de ses adversaires. Elle doit néanmoins à ces derniers plus qu'ils ne pensent, nous n'osons dire qu'ils ne voudroient. Elle leur doit les efforts & l'émulation des Auteurs; elle leur doit l'indulgence du Public, qui finit toujours & commence quelquefois par être juste, & que l'animosité blesse encore plus que la satyre n'amuse. S'il a favorisé l'exécution de cet ouvrage, ce n'est pas que les défauts lui en ayent échappé, & comment l'auroient - ils pû? Mais il a senti que le vrai moyen d'animer les Auteurs, & de contribuer ainsi par son suffrage au bien & à la perfection de ce Dictionnaire, étoit de ne pas user envers nous de cette sévérité qu'il montre quelquefois, & que le desir de lui plaire nous eût fait supporter avec courage.
L'Encyclopédie a donc des obligations très - réelles au mal qu'on a voulu lui faire. Elle
ne peut manquer sur - tout d'intéresser en général tous les gens de Lettres, qui n'ont ni préjugés
à soutenir, ni Libraires à protéger, ni compilations passées, présentes, ou furures à
faire valoir. C'est aussi à eux que nous nous adressons, en demandant pour la derniere fois
leurs lumieres & leur secours. Nous les conjurons de nouveau de se réunir avec nous pour
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