ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"58"> trui, peuvent le faire de deux manieres; par une société générale, ou par une commendite. Voyez Société de commerce.

Dans tous les cas la société est conduite par un nombre d'associés appellés directeurs, & d'après le résultat des assemblées générales.

La société est générale, lorsqu'un nombre fixe de particuliers s'engage solidairement par un acte public ou privé, aux risques dont on lui demandera l'assûrance; mais l'acte de société restraint le risque que l'on peut courir sur un même objet à une somme limitée & proportionnée aux facultés des associés. Ces particuliers ainsi solidairement engagés un seul pour tous, n'ont pas besoin de déposer de fonds, puisque la totalité de chaque fortune particuliere est hypothéquée à l'assûré. Cette forme n'est guere usitée que dans les villes maritimes, parce que les facultés y sont plus connues. Elle inspire plus de confiance; parce qu'il est à croire que des gens dont tout le bien est engagé dans une opération, la conduiront avec prudence: & tout crédit public dépend entr'autres causes de l'intérêt que le débiteur a de le conserver: l'opinion de la sûreté fait la sûreté même.

Il est une autre forme de société d'assûrance que l'on peut appeller en commendite. Le fonds est formé d'un nombre fixe d'actions d'une valeur certaine, & qui se paye comptant par l'acquéreur de l'action: à moins que ce ne soit dans une ville maritime où les acquéreurs de l'action sont solidaires, par les raisons que l'on vient d'expliquer, & ne font par conséquent aucun dépôt de fonds.

Le crédit de cette chambre ou de cette société dépendra sur - tout de son capital, de l'habileté des directeurs, & de l'emploi des fonds, s'il y en a de déposés. On destine le plus souvent ces fonds à des prêts à la grosse avanture (voyez Grosse avanture), ou à escomptes des papiers publics & de commerce. Un pareil emploi rend ces chambres très utiles à l'état, dans lequel elles augmentent la circulation de l'espece. Plus le crédit de l'état est établi, plus l'emploi des fonds d'une chambre d'assûrance en papiers publics, donnera de crédit à cette chambre; & la confiance qu'elle y aura, augmentera réciproquement le crédit des papiers publics. Mais pour que cette confiance soit pleine, elle doit être libre; sans cette liberté, la confiance n'est pas réelle: il faut encore qu'elle soit prudente & limitée; car le crédit public consistant en partie dans l'opinion des hommes, il peut survenir des évenemens où cette opinion chancelle & varie. Si dans cette même circonstance une chambre d'assûrance avoit besoin de fondre une partie de ses papiers publics pour un grand remboursement, cette quantité ajoûtée à celle que le discrédit en apporte nécessairement dans le commerce, augmenteroit encore le desordre; la compagnie tomberoit elle - même dans le discrédit, en proportion de ce qu'elle auroit de fonds employés dans les effets décriés.

L'un des grands avantages que les chambres d'assurance procurent à l'état, c'est d'établir la concurrence, & dès - lors le bon marché des primes ou du prix des assûrances; ce qui favorise les entreprises de commerce dans la concurrence avec les étrangers.

Le prix des assûrances dépend du risque effectif & du prix de l'argent.

Dans les ports de mer où l'argent peut sans cesse être employé utilement, son intérêt est plus cher; & les assûrances y monteroient trop haut, si la concurrence des chambres de l'intérieur n'y remédioit. De ce que le prix de l'argent influe sur celui des assûrances, il s'ensuit que la nation la plus pécunieuse, & chez qui les intérêts seront le plus modiques, fera, toutes choses égales d'ailleurs, les assûrances à meilleur compte. Le commerce maritime de cetté nation aura la supériorité dans ce point; & la balance de son commerce général augmentera de tout l'argent qu'elle gagnera en primes, sur les étrangers qui voudront profiter du bon marché de ses assûrances.

Le risque effectif dépend en tems de paix de là longueur de la navigation entreprise, de la naturé des mers & des côtes où elle s'étend, de la nature des saisons qu'elle occupe, du retard des vaisseaux, de leur construction, de leur force, de leur âge, des accidens qui peuvent y survenir, comme celui du feu; du nombre & de la qualité de l'équipage; de l'habileté ou de la probité du capitaine.

En tems de guerre, le plus grand péril absorbe le moindre: à peine calcule - t - on celui des mers, & les saisons les plus rudes sont celles qui donnent le plus d'espoir. Le risque effectif est augmenté en proportion des forces navales réciproques, de l'usage de ces forces, & des corsaires qui croisent respectivement: mais ces derniers n'ont d'influence & ne peuvent exister qu'autant qu'ils sont soûtenus par des escadres répandues en divers parages.

Le risque effectif a deux effets: celui de la perte totale, & celui des avaries. Voyez Avaries. Ce dernier est le plus commun en tems de paix, & se multiplie dans certaines saisons au point qu'il est plus à charge aux assûrances que le premier. Les reglemens qu'il occasionne, sont une des matieres des plus épineuses des assûrances: ils ne peuvent raisonnablement être faits que sur les lieux mêmes, ou au premier port que gagne le vaisseau; & comme ils sont susceptibles d'une infinité de contestations, la bonne foi réciproque doit en être la base. La facilité que les chambres d'assûrances y apportent, contribue beaucoup à leur réputation.

Par un dépouillement des registres de la marine, on a évalué pendant dix - huit années de paix, la perte par an à un vaisseau sur chaque nombre de cent quatre - vingts. On peut évaluer les avaries à deux pertes sur ce nombre, & le risque général de notre navigation à 1 2/3 pour cent en tems de paix.

Très - peu de particuliers sont en état de courir les risques d'une grande entreprise de commerce, & cette réflexion seule prouve combien celui des assûreurs est recommandable. La loi leur donne partout la préférence; moins cependant pour cette raison, que parce qu'ils sont continuellement exposés à être trompés, sans pouvoir jamais tromper.

La concurrence des chambres d'assûrances est encore à d'autres égards très - précieuse à l'état: elle divise les risques du commerce sur un plus grand nombre de sujets, & rend les pertes insensibles dans les conjonctures dangereuses. Comme tout risque doit être accompagné d'un profit, c'est une voie par laquelle chaque particulier peut sans embarras participer à l'utilité du commerce; elle retient par conséquent la portion de gain que les étrangers retireroient de celui de la nation: & même dans des circonstances critiques, elle leur dérobe la connoissance, toûjours dangereuse, des expéditions & de la richesse du commerce.

Le commerce des assûrances fut inventé en 1182 par les Juifs chassés de France; mais son usage n'a été connu un peu généralement parmi nous, qu'au moment où notre industrie sortit des ténebres epaisses qui l'environnoient: aussi se borna - t - elle longtems aux villes maritimes.

J. Loccenius, dans son traité de jure maritimo, prétend que les anciens ont connu les assûrances: il se fonde sur un passage de Tite - Live, liv. XXIII. nomb. xljx. On y voit que le thrésor public se chargea du risque des vaisseaux qui portoient des blés à [p. 59] l'armée d'Eipagne. Ce fut un encouragement accordé par l'état en faveur des circonstances, & non pas un contrat. C'est dans le même sens qu'on doit entendre un autre passage de Suétone, qu'il cite dans la vie de l'empereur Claude, nomb. xjx. On voit que ce prince prit sur lui le risque des blés qui s'apportoient à Rome par mer, afin que le profit de ce commerce étant plus certain, un plus grand nombre de marchands l'entreprît, & que leur concurrence y entretînt l'abondance.

Les Anglois prétendent que c'est chez eux que le commerce des assûrances a pris naissance, ou du moins que son usage courant s'est établi d'abord; que les habitans d'Oléron en ayant eu connoissance, en firent une loi parmi eux, & que la coûtume s'introduisit de là dans nos villes maritimes.

Quoi qu'il en soit, un peu avant l'an 1668, il y avoit à Paris quelques assemblées d'assúreurs, qui furent autorisés par un édit du roi du 5 Juin 1668, avec le titre de chambre des assûrances & grosses avantures, établie par le roi. Le réglement ne fut té que le 4 Décembre 1671, dans une assemb générale tenue rue Quincampoix, & souscrit par quarante - trois associés principaux.

Il paroît par ce réglement, que cette chambre n'étoit proprement qu'une assemblée d'assûreurs particuliers, qui, pour la commodité publique & la leur, étoient convenus de faire leurs assûrances dans le même lieu.

Le nom des assûreurs étoit inscrit sur un tableau, avec le risque que chacun entendoit prendre sur un même vaisseau.

Les particuliers qui vouloient se faire assûrer, étoient libres de choisir les assûreurs qui leur converoient: un greffier commun écrivoit en conséquence cette police en leur nom, & en donnoit lecture aux parties, ensuite elle étoit enregistrée.

Le greffier tenoit la correspondance générale avec les villes maritimes, & les avis qui en venoient étoient communs: il étoit chargé de tous les frais, moyennant 1/12 de p , qui lui étoient adjugés sur la somme assûrée; & un droit de vingt sous pour chaque police ou copie de police qu'il délivroit. Le droit sur tous les autres actes quelconques, en fait d'assùrance, étoit de cinq sous.

Il est étonnant que l'on ait oublié parmi nous une forme d'association aussi simple, & qui sans exiger de dépôt de fonds, offre au public toute la solidité & la commodité que l'on peut desirer; supposé que le tableau ne contînt que des noms connus, comme cela devroit être.

Le greffier étoit le seul auquel on s'adressât en cas de perte, sans qu'il fùt pour cela garant; il avertissoit les assûreurs intéressés d'apporter leurs fonds.

Dans ces tems le commerce étoit encore trop foible pour n'être pas timide; les négocians se contenterent de s'assûrer entre eux dans les villes maritimes ou dans l'étranger

Les assûreurs de Paris crurent à leur inaction qu'il manquoit quelque chose à la forme de leur établissement: ils convinrent d'un dépôt de fonds en 1686. Le roi accorda un nouvel édit en faveur de cette chambre, qui prenoit la place de l'ancienne. L'édit du 6 Juin fixoit le nombre des associés à trente, & ordonnoit un fonds de 300000 livres en soixante - quinze actions de 4000 livres chacune. Le succès ne devoit pas être plus heureux qu'il ne le fut, parce que les circonstances étoient toûjours les mêmes.

Quelque médiocre que fût cet établissement, c'est un monument respectable, dont on ne doit juger qu'en se rapprochant du tems où il fut élevé: notre commerce étoit au berceau, & il n'est pas encore à son adolescence.

L'édit n'offre d'ailleurs rien de remarquable, que l'esprit de gêne qui s'étoit alots introduit dans l'administration politique du commerce, & quil'a longterns effarouché. L'article 25 interdit tout commerce d'assûrances & de grosses avantures dans la ville de Paris, à d'autres qu'aux membres de la compagnie: c'étoit ignorer que la confiance ne peut être forcée, & que la concurrence est toûjours en faveur de l'état.

L'article 27 laisse aux négocians des villes maritimes la liberté de continuer leur commerce d'assûrances, mais seulement sur le pié qu'ils le faisoient avant la date de l'édit. Cette clause étoit contraire à la concurrence & à la liberté: peut - être même at - elle retardé dans les ports l'établissement de plusieurs chambres qui, enrichies dans ces tems à la favcur des fortes primes que l'on payoit, seroient devenues plûtôt assez puissantes pour se charger de gros risques à moindre prix, & pour nous soustraire à l'empire que les étrangers ont pris sur nous dans cette partie.

Il s'est formé en 1750 une nouvelle chambre des assûran à Paris, à laquelle le Roi a permis de prendre le titre de chambre royale des assûrances, Son fonds est de six millions, divisés en deux mille actions de trois millelivres chacune. Cet établissement utile formé par les soins du Ministre qui préside si supérieurement à la partie du commerce & des finances, répond par ses succès à la protection qu'il en a reçûe: la richesse de son capital indique les progres de la nation dans le commerce, & par le commerce.

Dans presque toutes les grandes villes maritimes de France, il y a plusieurs chambres d'assurance composées de négocians: Rouen en a sept; Nantes trois; Bordeaux, Dunkerque, La Rochelle, en ont aussi; mais ce n'est que depuis la derniere paix qu'elles sont formées.

La ville de Saint - Malo, toûjours distinguée dans les grandes entreprises, est la seule de France qui ait eu le courage de former une chambre d'assûrance pendant la derniere guerre: elle étoit composée de vingt actions de soixante mille livres chacune. Malgré le malheur des tems, elle a produit à sa résiliation à la paix quinze mille livres net par chaque action, sans avoir fait aucune avance de fonds: le profit eût été plus considérable encore, sans la réduction des primes qui fut ordonnée à la paix.

Indépendamment de ces sociétés dans nos villes maritimes, il se fait des assûrances particulieres: un négociant souscrit à un prix une police d'assùrance, pour la somme qu'il prétend assûrer; d'autres négocians continuent à la remplir aux mêmes conditions.

C'est de cette façon que se font les assûrances en Hollande: les paysans mêmes connus prennent un risque sur la police ouverte; & sans être au fait du commerce, se reglent sur le principal assûreur.

J'ai déjà parlé de la prétention qu'ont les Angleis de nous avoir enseigné l'usage des assûrances: en la leur accordant, ce ne sera qu'un hommage de plus que nous leur devrons en fait de commerce il n'est pas honteux d'apprendre, & il seroit beau d'égaler ses maîtres.

Le quarante - troisieme statut de la reine Elisabeth établissoit à I ondres un bureau public, où toutes les polices d'assûrance devoient être enregistrées: mais aujourd'hui elles se font entre particuliers, & sont de la même valeur en justice que si elles étoient enregistrées: la seule différence, c'est qu'en perdant une police non enregistrée, on perd le titre de l'assûrance.

Le même statut porte que le lord chancelier donnera pouvoir à une commission particuliere de juger toutes discussions au sujet des polices d'assûrance enregistrées. Cette commission doit être com<pb->

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.