ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"852"> sente. Les témoins ne sont assûrés du miracle de la résurrection, que parce qu'ils sont assûrés du fait naturel. Ainsi je puis dire que le miracle n'est qu'une conclusion des deux faits naturels. On peut s'assûrer des faits naturels, le sceptique l'avoue: le miracle est une simple conséquence des deux faits dont on est sûr: ainsi le miracle que le sceptique me conteste se trouve, pour ainsi dire, composé de trois choses, qu'il ne prétend point me disputer, savoir, la certitude de deux faits naturels, la mort de cet homme, & sa vie présente, & d'une conclusion métaphysique, que le sceptique ne me conteste point. Elle consiste à dire: cet homme qui vit maintenant étoit mort il y a trois jours; il a donc été rendu de la mort à la vie. Pourquoi le sceptique veut - il plûtôt s'en rapporter à son jugement qu'à tous ses sens? Ne voyons-nous pas tous les jours que sur dix hommes, il n'y en a pas un qui envisage une opinion de la même façon? Cela vient, me dira - t - on, de la bisarrerie de ces hommes, & du différent tour de leur esprit: je l'avoue: mais qu'on me fasse voir une telle bisarrerie dans les sens. Si ces dix hommes sont à portée de voir un même objet, ils le verront tous de la même façon, & on peut assûrer qu'aucune dispute ne s'élevera entr'eux sur la réalité de cet objet. Qu'on me montre quelqu'un qui puisse disputer sur la possibilité d'une chose quand il la voit. Je le veux, qu'il s'en rapporte plûtçt à son jugement qu'à ses sens: que lui dit son jugement sur la résurrection de ce mort? Que cela est possible: son jugement ne va pas plus loin; il ne contredit nullement le rapport de ses sens, pourquoi veut - il donc les opposer ensemble?

Un autre raisonnement propre à faire sentir le foible de celui de l'auteur des Pensées philosophiques, c'est qu'il compare la possibilité que tout Paris ait voulu le tromper, à l'impossibilité de la résurrection. Entre le fait & lui il y a un vuide à remplir, parce qu'il n'est pas témoin oculaire: ce vuide, ce milieu est rempli par les témoins oculaires. Il doit donc comparer d'abord la possibilité que tout Paris se soit trompé avec la possibilité de la résurrection. Il verra que ces deux possibilités sont du même ordre, comme je l'ai déjà dit. Il n'a point ensuite à raisonner sur la résurrection, mais seulement à examiner le milieu par où elle parvient jusqu'à lui. Or l'examen ne peut être autre que l'application des regles que j'ai données, moyennant lesquelles on peut s'assûrer que ceux qui vous rapportent un fait, ne vous en imposent point; car il ne s'agit ici que de vérifier le témoignage de tout Paris. On pourra donc se dire comme pour les faits naturels: les témoins n'ont ni les mêmes passions, ni les mêmes intérêts; ils ne se connoissent pas; il y en a même beaucoup qui ne se sont jamais vûs: donc il ne sauroit y avoir entr'eux aucune collusion. D'ailleurs concevra - t - on aisément comment Paris se détermineroit, supposé le complot possible, à en imposer à un homme sur un tel fait; & seroit - il possible qu'il ne transpirât rien d'un tel complot? Tous les raisonnemens que nous avons faits sur les faits naturels reviennent comme d'eux - mêmes se présenter ici, pour nous faire sentir qu'une telle imposture est impossible. J'avoue au sceptique que nous combattons, que la possibilité que tout Paris veuille le tromper, est d'un ordre différent de la possibilité de la résurrection. Mais je lui soûtiens que le complot d'une aussi grande ville que Paris, formé sans raison, sans intérêt, sans motif, entre des gens qui ne se connoissent pas, faits même par leur naissance pour ne pas se connoître, ne soit plus difficile à croire que la résurrection d'un mort. La résurrection est contre les lois du monde physique; ce complot est contre les lois du monde moral. Il faut un prodige pour l'un comme pour l'autre, avec cette différence que l'un seroit beaucoup plus grand que l'autre. Que dis - je? l'un, parce qu'il n'est établi que sur des lois arbitraires; & dès - là soûmises à un pouvoir souverain, ne répugne pas à la sagesse de Dieu; l'autre, parce qu'il est fondé sur des lois moins arbitraires, je veux dire celles par lesquelles il gouverne le monde moral, ne sauroit s'allier avec les vûes de cette sagesse suprème; & par conséquent il est impossible. Que Dieu ressuscite un mort pour manifester sa bonté, ou pour sceller quelque grande vérité; là je reconnois une puissance infinie, dirigée par une sagesse comme elle infinie: mais que Dieu bouleverse l'ordre de la société; qu'il suspende l'action des causes morales; qu'il force les hommes, par une impression miraculeuse, à violer toutes les regles de leur conduite ordinaire, & cela pour en imposer à un simple particulier, j'y reconnois à la vérité sa puissance infinie, mais je n'y vois point de sagesse qui la guide dans ses opérations: donc il est plus possible qu'un mort ressuscite, qu'il n'est possible que tout Paris m'en impose sur ce prodige.

Nous connoissons à présent la regle de vérité qui peut servir aux contemporains, pour s'assûrer des faits qu'ils se communiquent entre eux de quelque nature qu'ils soient, ou naturels, ou surnaturels. Cela ne suffit pas: il faut encore que tout abysmés qu'ils sont dans la profondeur des âges, ils soient présens aux yeux de la postérité même la plus reculée. C'est ce que nous allons maintenant examiner.

Ce que nous avons dit jusqu'ici, tend à prouver qu'un fait a toute la certitude dont il est susceptible, lorsqu'il se trouve attesté par un grand nombre de témoins, & en même tems lié avec un certain concours d'apparences & de phénomenes qui le supposent comme la seule cause qui les explique. Mais si ce fait est ancien, & qu'il se perde pour ainsi dire, dans l'éloignement des siecles, qui nous assûrera qu'il soit revêtu des deux caracteres ci - dessus énoncés, lesquels par leur union portent un fait au plus haut degré de certitude? Comment saurons - nous qu'il fut autrefois attesté par une foule de témoins oculaires, & que ces monumens qui subsistent encore aujourd'hui, ainsi que ces autres traces répandues dans la suite des siecles, s'incorporent avec lui plûtôt qu'avec tout autre? L'histoire & la tradition nous tiennent lieu de ces témoins oculaires qu'on paroît regretter. Ce sont ces deux canaux qui nous transmettent une connoissance certaine des faits les plus reculés; c'est par eux que les témoins oculaires sont comme reproduits à nos yeux, & nous rendent en quelque sorte contemporains de ces faits. Ces marbres, ces médailles, ces colonnes, ces pyramides, ces arcs de triomphe, sont comme animés par l'histoire & la tradition, & nous confirment comme à l'envi ce que celles - là nous ont déjà appris. Comment, nous dit le sceptique, l'histoire & la tradition, peuvent - elles nous transmettre un fait dans toute sa pureté? Ne sont - elles point comme ces fleuves qui grossissent & perdent jusqu'à leur nom à mesure qu'ils s'éloignent de leur source? Nous allons satisfaire à ce qu'on nous demande ici: nous coencerons d'abord par la tradition orale; de - là nous passerons à la tradition écrite ou à l'histoire, & nous finirons par la tradition des monumens. Il n'est pas possible qu'un fait qui se trouve comme lié & enchaîné par ces trois sortes de traditions, puisse jamais se perdre, & même souffrir quelque altération dans l'immensité des siecles.

La tradition orale consiste dans une chaîne de témoignages rendus par des personnes qui se sont succédées les unes aux autres dans toute la durée des siecles, à commencer au tems où un fait s'est passé. Cette tradition n'est sûre & fidele que lorsqu'on peut remonter facilement à sa source, & qu'à - travers une suite non interrompue de témoins irreprochables, on [p. 853] arrive aux premiers témoins qui sont contemporains des faits: car si l'on ne peut s'assûrer que cette tradition, dont nous tenons un bout, remonte effectivement jusqu'à l'époque assignée à de certains faits, & qu'il n'y a point eu, fort en deçà de cette époque, quelque imposteur qui se soit plû à les inventer pour abuser la postérité; la chaîne des témoignages, quelque bien liée qu'elle soit, ne tenant à rien, ne nous conduira qu'au mensonge. Or comment parvenir à cette assûrance? Voilà ce que les Pyrrhoniens ne peuvent concevoir, & surquoi ils ne croyent pas qu'il soit possible d'établir des regles, à l'aide desquelles on puisse discerner les vraies traditions d'avec les fausses. Je ne veux que leur opposer la suivante.

On m'avouera d'abord que la déposition d'un grand nombre de témoins oculaires, ne peut avoir que la vérité pour centre: nous en avons déjà exposé les raisons. Or je dis que la tradition, dont je touche actuellement un des bouts, peut me conduire infailliblement à ce cercle de témoignages rendus par une foule de témoins oculaires. Voici comment: plusieurs de ceux qui ont vécu du tems que ce fait est arrivé, & qui l'ayant appris de la bouche des témoins oculaires, ne peuvent en douter, passent dans l'âge suivant, & portent avec eux cette certitude. Ils racontent ce fait à ceux de ce second âge, qui peuvent faire le même raisonnement que firent ces contemporains, lorsqu'ils examinerent s'ils devoient ajoûter foi aux témoins oculaires, qui le leur rapportoient. Tous ces témoins, peuvent - ils se dire, étant contemporains d'un tel fait, n'ont pû être trompés sur ce fait. Mais peut - être ont - ils voulu nous tromper: c'est ce qu'il faut maintenant examiner, dira quelqu'un des hommes du second âge, ainsi nommé relativement au fait en question. J'observe d'abord, doit dire notre contemplatif, que le complot de ces contemporains pour nous en imposer, auroit trouvé mille obstacles dans la diversité de passions, de préjugés, & d'intérêts qui partagent l'esprit des peuples & les particuliers d'une même nation. Les hommes du second âge s'assûreront en un mot que les contemporains ne leur en imposent point, comme ceux - ci s'étoient assûrés de la fidélité des témoins oculaires: car par - tout où l'on suppose une grande multitude d'hommes, on trouvera une diversité prodigieuse de génies & de caracteres, de passions & d'intérêts; & par conséquent on pourra s'assûrer aisément que tout complot parmi eux est impossible. Et si les hommes sont séparés les uns des autres par l'interposition des mers & des montagnes, pourront - ils se rencontrer à imaginer un même fait, & à le faire servir de fondement à la fable dont ils veulent amuser la postérité? Les hommes d'autrefois étoient ce que nous sommes aujourd'hui. En jugeant d'eux par nous - mêmes, nous imitons la nature, qui agit d'une maniere uniforme dans la production des hommes de tous les tems. Je sai qu'on distingue un siecle de l'autre à une certaine tournure d'esprit, & à des moeurs même différentes; ensorte que si on pouvoit faire reparoître un homme de chaque siecle, ceux qui seroient au fait de l'histoire, en les voyant, les rangeroient dans une ligne, chacun tenant la place de son siecle sans se tromper. Mais une chose en quoi tous les siecles sont uniformes, c'est la diversité qui regne entre les hommes du même tems: ce qui suffit pour ce que nous demandons, & pour assûrer ceux du second âge, que les contemporains n'ont pû convenir entre eux pour leur en imposer. Or ceux du troisieme âge pourront faire, par rapport à ceux du second âge qui leur rapporteront ce fait, le même raisonnement que ceux - ci ont fait par rapport aux contemporains qui le leur ont appris: ainsi on traversera facilement tous les siecles.

Pour faire sentir de plus en plus combien est pur le canal d'une tradition qui nous transmet un fait public & éclatant (car je déclare que c'est de celui - là seul dont j'entends parler, convenant d'ailleurs que sur un fait secret & nullement intéressant, une tradition ancienne & étendue peut être fausse), je n'ai que ce seul raisonnement à faire: c'est que je défie qu'on m'assigne dans cette longue suite d'âges un tems où ce fait auroit pû être supposé, & avoir par conséquent une fausse origine. Car où la trouver cette source erronée d'une tradition revêtue de pareils caracteres? sera - ce parmi les contemporains? il n'y a nulle apparence. En esset, quand auroient - ils pu tramer le complot d'en imposer aux âges suivans sur ce fait? Qu'on y prenne garde: on passe d'une maniere insensible d'un siecle à l'autre. Les âges se succedent sans qu'on puisse s'en appercevoir. Les contemporains dont il est ici question, se trouvent dans l'âge qui suit celui où ils ont appris ce fait, qu'ils pensent toujours être au milieu des témoins oculailes qui le leur avoient raconté. On ne passe pas d'un âge à l'autre, comme on seroit d'une place publique dans un palais. On peut, par exemple, tramer dans un palais le complot d'en imposer sur un prétendu fait, à tout un peuple rassemblé dans une place publique; parce qu'entre le palais & la place publique il y a comme un mur de séparation, qui rompt toute communication entre les uns & les autres. Mais on ne trouve rien dans le passage d'un âge à l'autre, qui coupe tous les canaux par où ils pourroient communiquer ensemble. Si donc dans le premier âge il se fait quelque fraude, il faut nécessairement que le second âge en soit instruit. La raison de cela, c'est qu'un grand nombre de ceux qui composent le premier âge entrent dans la composition du second âge, & de plusieurs autres suivans, & que presque tous ceux du second âge ont vû ceux du premier; par conséquent plusieurs de ceux qui seroient complices de la fraude forment le second âge. Or il n'est pas vraissemblable que ces hommes qu'on suppose être en grand nombre, & en même tems être gouvernés par des passions différentes, s'accordent tous à débiter le même mensonge, & à taire la fraude à tous ceux qui sont seulement du second âge. Si quelques - uns du premier âge, mais contemporains de ceux du second, se plaisent à entretenir chez eux l'illusion, croit - on que tous les autres qui auront vêcu dans le premier âge, & qui vivent actuellement dans le second, ne reclameront pas contre la fraude? Il faudroit pour cela supposer qu'un même intérêt les réunît tous pour le même mensonge. Or il est certain qu'un grand nombre d'hommes ne sauroient avoir le même intérêt à déguiser la vérité: donc il n'est pas possible que la fraude du premier âge passe d'une voix unanime dans le second, sans éprouver aucune contradiction. Or si le second âge est instruit de la fraude, il en instruira le troisieme, & ainsi de suite, dans toute l'étendue des siecles. Dès - là qu'aucune barriere ne sépare les âges les uns des autres, il faut nécessairement qu'ils se la transmettent tour à tour. Nul âge ne sera donc la dupe des autres, & par conséquent nulle fausse tradition ne pourra s'établir sur un fait public & éclatant.

Il n'y a pas de point fixe dans le tems qui ne renferme pour le moins soixante ou quatre - vingt générations à la fois, à commencer depuis la premiere enfance jusqu'à la vieillesse la plus avancée. Or ce mêlange perpétuel de tant de générations enchaînées les unes dans les autres, rend la fraude impossible sur un fait public & intéressant. Voulez - vous pour vous en convaincre supposer que tous les hommes âgés de quarante ans, & qui répondent à un point déterminé du tems, conspirent contre la postérité pour la féduire sur un fait? Je veux bien vous accorder ce complot possible, quoique tout m'autorise à le rejetter.

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