ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"850"> sur notre esprit. On vient m'apprendre qu'un homme célebre vient d'opérer un prodige; ce récit se trouve revêtu de toutes les marques de vérité les plus frappantes, telles, en un mot, que je n'hésiterois pas un instant à y ajoûter foi si c'étoit un fait naturel; elles ne peuvent pourtant servir qu'à me faire douter de la réalité du prodige. Prétendre, continuerat - on, que par - là je dépouille ces marques de vérité de toute la force qu'elles doivent avoir sur notre esprit, ce seroit dire que de deux poids égaux mis dans deux balances différentes, l'un ne peseroit pas autant que l'autre, parce qu'il n'emporteroit pas également le côté qui lui est opposé, sans examiner si tous les deux n'ont que les mêmes obstacles à vaincre. Ce qui vous paroît être un paradoxe va se développer clairement à vos yeux. Les marques de vérité ont la même force pour les deux faits: mais dans l'un il y a un obstacle à surmonter, & dans l'autre il n'y en a point; dans le fait surnaturel je vois l'impossibilité physique qui s'oppose à l'impression que feroient sur moi ces marques de vérité; elle agit si fortement sur mon esprit qu'elle le laisse en suspens; il se trouve comme entre deux forces qui se combattent: il ne peut le nier, les marques de vérité dont il est revêtu ne le lui permettent pas; il ne peut y ajoûter foi, l'impossibilité physique qu'il voit l'arrête. Ainsi, en accordant aux caracteres de vérité que vous avez assignés, toute la force que vous leur donnez, ils ne suffisent pas pour me déterminer à croire un miracle.

Ce raisonnement frappera sans doute tout homme qui le lira rapidement sans l'approfondir: mais le plus léger examen suffit pour en faire appercevoir tout le faux; semblable à ces phantômes qui paroissent durant la nuit, & se dissipent à notre approche. Descendez jusques dans les abysmes du néant, vous y verrez les faits naturels & surnaturels confondus ensemble, ne tenir pas plus à l'être les uns que les autres. Leur degré de possibilité, pour sortir de ce gouffre & paroître au jour, est précisément le même; car il est aussi facile à Dieu de rendre la vie à un mort, que de la conserver à un vivant. Profitons maintenant de tout ce qu'on nous accorde. Les marques de vérité que nous avons assignées sont, dit - on, bonnes, & ne permettent pas de douter d'un fait naturel qui s'en trouve revêtu. Ces caracteres de vérité peuvent même convenir aux faits surnaturels; desorte que s'il n'y avoit aucun obstacle à surmonter, point de raisons à combattre, nous serions aussi assûrés d'un fait miraculeux que d'un fait naturel. Il ne s'agit donc plus que de savoir, s'il y a des raisons dans un fait surnaturel qui s'opposent à l'impression que ces marques devroient faire. Or j'ose avancer qu'il en est précisément de même d'un fait surnaturel que d'un fait naturel; c'est à tort qu'on s'imagine toûjours voir l'impossibilité physique d'un fait miraculeux combattre toutes les raisons qui concourent à nous en démontrer la réalité. Car qu'est - ce que l'impossibilité physique? C'est l'impuissance des causes naturelles à produire un tel effet; cette impossibilité ne vient point du côté du fait même, qui n'est pas plus impossible que le fait naturel le plus simple. Lorsqu'on vient vous apprendre un fait miraculeux, on ne prétend pas vous dire qu'il a été produit par les seules forces des causes naturelles; j'avoue qu'alors les raisons qui prouveroient ce fait, seroient non - seulement combattues, mais même détruites; non par l'impossibilité physique, mais par une impossibilité absolue: car il est absolument impossible qu'une cause naturelle avec ses seules forces produise un fait surnaturel. Vous devez donc, lorsqu'on vous apprend un fait miraculeux, joindre la cause qui peut le produire avec le fait même; & alors l'impossibilité physique ne pourra nullement s'opposer aux raisons que vous aurez de croire ce fait. Si plusieurs personnes vous disent qu'elles vien nent de voir une pendule remarquable par l'exactitude avec laquelle elle marque jusques aux tierces; douterez - vous du fait, parce que tous les serruriers que vous connoissez ne sauroient l'avoir faite, & qu'ils sont dans une espece d'impossibilité physique d'exécuter un tel ouvrage? Cette question vous surprend sans doute, & avec raison: pourquoi donc, quand on vous apprend un fait miraculeux, voulez - vous en douter, parce qu'une cause naturelle n'a pû le produire? L'impossibilité physique, où se trouve la créature pour un fait surnaturel, doit - elle faire plus d'impression que l'impossibilité physique où se trouve ce serrurier d'exécuter cette admirable pendule? Je ne vois d'autres raisons que celles qui naissent d'une impossibilité métaphysique, qui puissent s'opposer à la preuve d'un fait; ce raisonnement sera toû jours invincible. Le fait que je vous propose à croire ne présente rien à l'esprit d'absurde & de contradictoire: cessez donc de parler avec moi de sa possibilité ou de son impossibilité, & venons à la preuve du fait.

L'expérience, dira quelqu'un, dément votre réponse; il n'est personne qui ne croye plus facilement un fait naturel qu'un miracle. Il y a donc quelque chose de plus dans le miracle que dans le fait naturel; cette difficulté à croire un fait miraculeux prouve très - bien, que la regle des faits ne sauroit faire la même impression pour le miracle que pour un fait nanurel.

Si l'on vouloit ne pas confondre la probabilité avec la certitude, cette difficulté n'auroit pas lieu. J'avoue que ceux qui peu scrupuleux sur ce qu'on leur dit n'approfondissent rien, éprouvent une certaine résistance de leur esprit à croire un fait miraculeux, ils se contentent de la plus légere probabilité pour un fait naturel; & comme un miracle est toûjours un fait intéressant, leur esprit en demande davantage. Le miracle est d'ailleurs un fait beaucoup plus rare que les faits naturels: le plus grand nombre de probabilités doit donc y suppléer; en un mot, on n'est plus difficile à croire un fait miraculeux qu'un fait naturel, que lorsqu'on se tient précisément dans la sphere des probabilités. Il a moins de vraissemblance, je l'avoue; il faut donc plus de probabilités, c'est - à - dire, que si quelqu'un ordinairement peut ajoûter foi à un fait naturel, qui demande six degrés de probabilité; il lui en faudra peut - être dix pour croire un fait miraculeux. Je ne prétens point déterminer ici exactement la proportion: mais si quittant les probabilités, vous passez dans le chemin qui mene à la certitude, tout sera égal. Je ne vois qu'une différence entre les faits naturels & les miracles: pour ceux - ci on pousse les choses à la rigueur, & on demande qu'ils puissent soûtenir l'examen le plus sévere; pour ceux - là, au contraire, on ne va pas à beaucoup près si loin. Cela est fondé en raison, parce que, comme je l'ai déjà remarqué, un miracle est toûjours un fait très - intéressant: mais cela n'empêche nullement que la regle des faits ne puisse servir pour les miracles, aussi - bien que pour les faits naturels; & si on veut examiner la difficulté présente de bien près, on verra qu'elle n'est fondée que sur ce qu'on se sert de la regle des faits pour examiner un miracle, & qu'on ne s'en sert pas ordinairement pour un fait naturel. S'il étoit arrivé un miracle dans les champs de Fontenoi, le jour que se donna la bataille de ce nom; si les deux armées avoient pû l'appercevoir aisément; si en conséquence les mêmes bouches qui publierent la nouvelle de la bataille l'avoient publié; s'il avoit été accompagné des mêmes circonstances que cette bataille, & qu'il eût eu des suites, quel seroit celui qui ajoûteroit foi à la nouvelle de la bataille, & qui douteroit du miracle? [p. 851] ici les deux faits marchent de niveau, parce qu'ils sont arrivés tous les deux à la certitude.

Ce que j'ai dit jusques ici suffit sans doute pour repousser aisément tous les traits que lance l'auteur des Pensées Philosophiques, contre la certitude des faits surnaturels: mais le tour qu'il donne à ses pensées les présente de maniere, que je crois nécessaire de nous y arrêter. Ecoutons - le donc parler lui - même, & voyons comme il prouve qu'on ne doit point ajoûter la même foi à un fait surnaturel qu'à un fait naturel: « Je croirois sans peine, dit - il, un seul honnête homme qui m'annonceroit que Sa Majesté vient de remporter une victoire complette sur les alliés: mais tout Paris m'assûreroit qu'un mort vient de ressusciter à Passy, que je n'en croirois rien. Qu'un historien nous en impose ou que tout un peuple se trompe, ce ne sont pas des prodiges ». Détaillons ce fait. Donnons - lui toutes les circonstances dont un fait de cette nature peut être susceptible; parce que, quelques circonstances que nous supposions, le fait demeurera toûjours dans l'ordre des faits surnaturels, & par conséquent le raisonnement doit toûjours valoir, ou ne pas être bon en lui - même. C'étoit une personne publique, dont la vie intéressoit une infinité de particuliers, & à laquelle étoit en quelque façon attaché le sort du royaume. Sa maladie avoit jetté la consternation dans tous les esprits, & sa mort avoit achevé de les abattre; sa pompe funebre fut accompagnée des cris lamentables de tout un peuple, qui retrouvoit en lui un pere. Il fut mis en terre, à la face du Peuple, en présence de tous ceux qui le pleuroient; il avoit le visage découvert & déjà défiguré par les horreurs de la mort. Le roi nomme à tous ses emplois, & les donne à un homme, qui de tout tems a été l'ennemi implacable de la famille de l'illustre mort; quelques jours s'écoulent, & toutes les affaires prennent le train que cette mort devoit naturellement occasionner: voilà la premiere époque du fait. Tout Paris va l'apprendre à l'auteur des Pensées Philosophiques, & il n'en doute point; c'est un fait naturel. Quelques jours après, un homme qui se dit envoyé de Dieu, se présente, annonce quelque vérité; & pour prouver la divinité de sa légation, il assemble un peuple nombreux au tombeau de cet homme, dont ils pleurent la mort si amerement. A sa voix, le tombeau s'ouvre, la puanteur horrible qui s'exhale du cadavre, infecte les airs. Le cadavre hideux, ce même cadavre, dont la vûe les fait pâlir tous, ranime ses cendres froides, à la vûe de tout Paris, qui surpris du prodige reconnoît l'envoyé de Dieu. Une foule de témoins oculaires, qui ont manié le mort ressuscité, qui lui ont parlé plusieurs fois, attestent ce fait à notre sceptique, & lui disent que l'homme dont on lui avoit appris la mort peu de jours avant, est plein de vie. Que répond à cela notre sceptique, qui est déjà assûré de sa mort? Je ne puis ajoûter foi à cette résurrection; parce qu'il est plus possible que tout Paris se soit trompé, ou qu'il ait voulu me tromper, qu'il n'est possible que cet homme soit ressuscité.

Il y a deux choses à remarquer dans la réponse de notre sceptique: 1°. la possibilité que tout Paris se soit trompé: 2°. qu'il ait voulu tromper. Quant au premier membre de la réponse, il est évident que la résurrection de ce mort n'est pas plus impossible, qu'il l'est que tout Paris se soit trompé; car l'une & l'autre impossibilités sont renfermées dans l'ordre physique. En effet, il n'est pas moins contre les lois de la nature, que tout Paris croye voir un homme qu'il ne voit point; qu'il croye l'entendre parler, & ne l'entende point; qu'il croye le toucher, & ne le touche point, qu'il l'est qu'un mort ressuscite. Oseroit - on nous dire que dans la nature il n'y a pas des lois pour les sens? & s'il y en a, comme on n'en peut douter, n'en est - ce point une pour la vûe, de voir un objet qui est à portée d'être vû? Je sai que la vûe, comme le remarque très - bien l'auteur que nous combattons, est un sens superficiel; aussi ne l'employ ons - nous que pour la superficie des corps, qui seule suffit pour les faire distinguer. Mais si à la vûe & à l'oüie nous joignons le toucher, ce sens philosophe & profond, comme le remarque encore le même auteur, pouvons nous craindre de nous tromper? Ne faudroit - il pas pour cela renverser les lois de la nature relatives à ces sens? Tout Paris a pu s'assûrer de la mort de cet homme, le sceptique l'avoue: il peut donc de même s'assûrer de sa vie, & par conséquent de sa résurrection. Je puis donc conclurre contre l'auteur des Pensées Philosophiques, que la résurrection de ce mort n'est pas plus impossible, que l'erreur de tout Paris sur cette résurrection. Est - ce un moindre miracle d'animer un phantôme, de lui donner une ressemblance qui puisse tromper tout un peuple, que de rendre la vie à un mort? Le sceptique doit donc être certain que tout Paris n'a pu se tromper. Son doute, s'il lui en reste encore, ne peut donc être fondé que sur ce que tout Paris aura pû vouloir le tromper. Or il ne sera pas plus heureaux dans cette seconde supposition.

En effet, qu'il me soit permis de lui dire: « n'avez - vous point ajoûté foi à la mort de cet homme sur le témoignage de tout Paris, qui vous l'a apprise? il étoit pourtant possible que tout Paris voulût vous tromper (du moins dans votre sentiment); cette possibilité n'a pas été capable de vous ébranler ». Je le vois, c'est moins le canal de la tradition, par où un fait passe jusqu'à nous, qui rend les déistes si défians & si soupçonneux, que le merveilleux qui y est empreint. Mais du moment que ce merveilleux est possible, leur doute ne doit point s'y arrêter, mais seulement aux apparences & aux phénomenes qui, s'incorporant avec lui, en attestent la réalité. Car voici comme je raisonne contr'eux en la personne de notre sceptique: « il est aussi impossible que tout Paris ait voulu le tromper sur un fait miraculeux, que sur un fait naturel ». Donc une possibilité ne doit pas faire plus d'impression sur lui que l'autre. Il est donc aussi mal fondé à vouloir douter de la résurrection que tout Paris lui confirme, sous prétexte que tout Paris auroit pû vouloir le tromper, qu'il le seroit à douter de la mort d'un homme, sur le témoignage unanime de cette grande ville. Il nous dira peut - être: le dernier fait n'est point impossible physiquement; qu'un homme soit mort, il n'y a rien là qui m'étonne: mais qu'un homme ait été ressuscité, voilà ce qui révolte & ce qui effarouche ma raison; en un mot voilà pourquoi la possibilité que tout Paris ait voulu me tromper sur la résurrection de cet homme, me fait une impression dont je ne saurois me défendre: au lieu que la possibilité que tout Paris ait voulu m'en imposer sur sa mort, ne me frappe nullement. Je ne lui répeterai point ce que je lui ai déjà dit, que ces deux faits étant également possibles, il ne doit s'arrêter qu'aux marques extérieures qui l'accompagnent, & qui nous guident dans la connoissance des évenemens: en sorte que si un fait surnaturel a plus de ces marques extérieures qu'un fait naturel, il me deviendra dès - lors plus probable. Mais examinons le merveilleux qui effarouche sa raison, & faisons - le disparoître à ses yeux. Ce n'est en effet qu'un fait naturel que tout Paris lui propose à croire: savoir, que cet homme est plein de vie. Il est vrai qu'étant déjà assûré de sa mort, sa vie présente suppose une résurrection. Mais s'il ne peut douter de la vie de cet homme sur le témoignage de tout Paris, puisque c'est un fait naturel, il ne sauroit donc douter de sa résurrection, l'un est lié nécessairement avec l'autre. Le miracle se trouve enfermé entre deux faits naturels, savoir, la mort de cet homme & sa vie pré<pb->

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