ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"846"> gle est égal à la somme des quarrés des deux côtés, est une proposition certaine & non évidente par elle - même, parce qu'il faut plusieurs propositions intermédiaires & consécutives pour en appercevoir la vérité. Dans ce cas, on peut dire que la certitude résulte d'un nombre plus ou moins grand de propositions évidentes qui se suivent immédiatement, mais que l'esprit ne peut embrasser toutes à la fois, & qu'il est obligé d'envisager & de détailler successivement.

D'où il s'ensuit 1°. que le nombre des propositions pourroit être si grand, même en une démonstration géométrique, qu'elles en feroient un labyrinthe, dans lequel le meilleur esprit venant à s'égarer, ne seroit point conduit à la certitude. Si les propriétés de la spirale n'avoient pu se démontrer autrement que par la voie tortueuse qu'Archimede a suivie, un des meilleurs Géomètres du siecle passé n'eût jamais été certain de la découverte de ces proprietés. J'ai lù plusieurs fois, disoit - il, cet endroit d'Archimede, & je n'ai pas mémoire d'en avoir jamais senti toute la force: Et memini me nunquam vim illius percepisse totam.

2°. De là il s'ensuit encore que la certitude en Mathématique, naît toûjours de l'évidence, puisqu'elle vient de la liaison apperçûe successivement entre plusieurs idées consécutives & voisines.

Chambers dit que l'évidence est proprement dans la liaison que l'esprit apperçoit entre les idées, & la certitude dans le jugement qu'il porte sur ces idées: mais il me semble que c'est - là se joüer un peu des mots; car voir la liaison de deux idées, & juger, c'est la même chose.

On pourroit encore, comme on l'a fait dans le Discours préliminaire, distinguer l'évidence de la certitude, en disant que l'évidence appartient aux vérités purement spéculatives de Métaphysique & de Mathématique; & la certitude aux objets Physiques, & aux faits que l'on observe dans la nature, & dont la connoissance nous vient par les sens. Dans ce sens, il seroit évident que le quarré de l'hypoténuse est égal aux quarrés des deux côtés dans un triangle rectangle; & il seroit certain que l'aimant attire le fer.

On distingue dans l'Ecole deux sortes de certitude; l'une de spéculation, laquelle naît de l'évidence de la chose; l'autre d'adhésion, qui naît de l'importance de la chose. Les Scholastiques appliquent cette derniere aux matieres de foi. Cette distinction paroît assez frivole: car l'adhésion ne naît point de l'importance de la chose, mais de l'évidence; d'ailleurs la certitude de spéculation & l'adhésion sont proprement un seul & même acte de l'esprit.

On distingue encore, mais avec plus de raison, les trois especes suivantes de certitude, par rapport aux trois degrés d'évidence qui la font naître.

La certitude métaphysique est celle qui vient de l'évidence métaphysique. Telle est celle qu'un Géometre a de cette proposition, que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, parce qu'il est métaphysiquement, c'est - à - dire, absolument aussi impossible que cela ne soit pas, qu'il l'est qu'un triangle soit quarré.

La certitude physique est celle qui vient de l'évidence physique: telle est celle qu'a une personne, qu'il y a du feu sur sa main, quand elle le voit, & qu'elle se sent brùler; parce qu'il est physiquement impossible que cela ne soit pas, quoiqu'absolument & rigoureusement parlant, cela pût ne pas être.

La certitude morale, est celle qui est fondée sur l'évidence morale: telle est celle qu'une personne a du gain ou de la perte de son procès, quand son Procureur ou ses amis le lui mandent, ou qu'on lui envoye copie du jugement; parce qu'il est moralement impossible que tant de personnes se réunissent pour en tromper une autre à qui elles prennent intérêt, quoique cela ne soit pas rigoureusement & absolument impossible.

On trouve dans les Transactions Philosophiques, un calcul algébrique des degrés de la certitude morale, qui provient des témoignages des hommes dans tous les cas possibles.

L'auteur prétend, que si un récit passe avant que & parvenir jusqu'à nous par douze personnes successives, dont chacune lui donne 5/6 de certitude, il n'aura plus que 1/2 de certitude après ces douze récits; de façon qu'il y aura autant à parier pour la vérité que pour la fausseté de la chose en question: que si la proportion de la certitude est de 100/106, elle ne tombera alors à 1/2 qu'au soixante - dixieme rapport; & que si elle n'est que 100/1001, elle ne tombera alors à 1/2 qu'au six cents quatre - vingts - quinzieme rapport.

En général, soit a/b la fraction qui exprime la certitude que chacun donne au récit, ce récit passant par deux témoins, n'aura plus, selon l'auteur dont nous parlons, que aa/bb de certitude; & passant par n témoins, la certitude sera an/bn. Cela est aisé à prouver par les regles des combinaisons. Supposons, comme ci - dessus, la certitude = 5/6 & deux témoins successifs; il y a donc, pour ainsi dire, un cas où le premier trompera, cinq où il dira vrai; un cas où le second trompera, & cinq où il dira vrai. Il y a donc trente - six cas en tout, & vingt - cinq cas où ils diront vrai tous deux: donc la certitude est 25/30 = (5/6)2, & ainsi des autres. Voyez Combinaison & Dés.

Quant aux témoignages qui concourent, si deux personnes rapportent un sait, & qu'ils lui donnent chacun en particulier 5/6 de certitude, le fait aura alors par ce double témoignage 35/36 de certitude, c'est - à - dire, sa probabilité sera à sa non - probabilité dans le rapport de trente - cinq à un. Si trois témoignages se réunissent, la certitude sera de 215/216. Le concours du témoignage de dix personnes qui donnent chacune /2 de certitude, produira 1023/1024 de certitude par la même raison. Cela est évident: car il y a trente - six cas en tout, & il n'y a qu'un cas où elles trompent toutes les deux. Les cas où l'une des deux tromperoit, doivent être comptés pour ceux qui donnent la certitude: car il n'en est pas ici comme du cas précédent, où les deux témoins sont successifs, & où l'un reçoit la tradition de l'autre. Ici les deux témoins sont supposés voir le fait & le connoitre indépendamment l'un de l'autre: il suffit donc que l'un des deux ne trompe pas; au lieu que dans le premier cas, la tromperie du premier rend le second trompeur, même quand il croit ne tromper pas, & qu'il a intension de dire la vérité.

L'auteur calcule ensuite la certitude de la tradition orale, écrite & transmise successivement, & confirmée par plusieurs rapports successifs. V. l'art. Probabilité, & sur - tout la suite de celui - ci, où la valeur de ces calculs & des raisonnemens absurdes sur lesquels ils sont fondés, est appréciée ce qu'elle vaut. C'est une dissertation de M. l'abbé de Prades, destinée à servir de discours préliminaire à un ouvrage important sur la vérité de la religion. Nous l'eussions peut - être analysée, si nous n'avions craint d'en altérer la force. L'objet d'ailleurs en est si grand; les idées si neuves & si belles; le ton si noble; les preuves si bien exposées, que nous avons mieux aimé la rapporter toute entiere. Nous espérons que ceux à qui l'intérêt de la religion est à coeur nous en sauront gré, & qu'elle sera très - utile aux autres. Au reste, nous pouvons assûrer que si la fonction d'éditeur de l'Encyclopédie nous a jamais été agréable, c'est particulierement dans ce moment. Mais il est tems de laisser parler l'auteur lui - même: son ouvrage le louera mieux que tout ce que nous pourrions ajoûter.

Le Pyrrhonisme a eu ses révolutions, ainsi que toutes les erreurs: d'abord plus hardi & plus téméraire, il prétendit tout renverser; il poussoit l'incrédulité jusqu'à se refuser aux vérités que l'évidence lui présentoit. La religion de ces premiers tems étoit trop absurde pour occuper l'esprit des philosophes: on ne s'obstine point à détruire ce qui ne pa<pb-> [p. 847] roît pas fondé; & la foiblesse de l'ennemi a souvent arrêté la vivacité des poursuites. Les faits que la religion des payens proposoit à croire, pouvoient bien satisfaire l'avide crédulité du peuple: mais ils n'étoient point dignes de l'examen sérieux des Philosophes. La religion Chrétienne parut: par les lumieres qu'elle répandit, elle fit bientôt évanouir tous ces phantômes que la superstition avoit jusque - là réalisés: ce fut sans doute un spectacle bien surprenant pour le monde entier, que la multitude des dieux qui en étoient la terreur ou l'espérance, devenus tout - à - coup son joüet & son mépris. La face de l'uninivers changée dans un si court espace de tems, attira l'attention des Philosophes: tous porterent leurs regards sur cette religion nouvelle, qui n'exigeoit pas moins leur soûmission que celle du peuple.

Ils ne furent pas long - tems à s'appercevoir qu'elle étoit principalement appuyée sur des faits, extraordinaires à la vérité, mais qui méritoient bien d'être discutés par les preuves dont ils étoient soûtenus. La dispute changea donc; les Sceptiques reconnurent les droits des vérités métaphysiques & géométriques sur notre esprit, & les Philosophes incrédules tournerent leurs armes contre les faits. Cette matiere depuis si long - tems agitée, auroit été plus éclaircie, si avant que de plaider de part & d'autre, l'on fût convenu d'un tribunal où l'on pût être jugé. Pour ne pas tomber dans cet inconvénient, nous disons aux Sceptiques: vous reconnoissez certains faits pour vrais; l'existence de la ville de Rome dont vous ne sauriez douter, suffiroit pour vous convaincre, si votre bonne foi ne nous assûroit cet aveu: il y a donc des marques qui vous font connoître la vérité d'un fait; & s'il n'y en avoit point, que seroit la société? tout y roule, pour ainsi dire, ur des faits: parcourez toutes les sciences, & vous verrez du premier coup d'oeil, qu'elles exigent qu'on puisse s'assûrer de certains faits: vous ne seriez jamais guidé par la prudence dans l'exécution de vos desseins; car qu'est - ce que la prudence, sinon cette prévoyance qui éclairant l'homme sur tout ce qui s'est passé & se passe actuellement, lui suggere les moyens les plus propres pour le succès de son entreprise, & lui fait éviter les écueils où il pourroit échoüer? La prudence, s'il est permis de parler ainsi, n'est qu'une conséquence dont le présent & le passé sont les prémisses: elle est donc appuyée sur des faits. Je ne dois point insister davantage sur une vérité que tout le monde avoue; je m'attache uniquement à fixer aux incrédules ces marques qui caractérisent un fait vrai; je dois leur faire voir qu'il y en a non - seulement pour ceux qui arrivent de nos jours, &, pour ainsi dire, sous nos yeux; mais encore pour ceux qui se passent dans des pays très - éloignés, ou qui par leur antiquité traversent l'espace immense des siecles: voilà le tribunal que nous cherchons, & qui doit décider sur tous les faits que nous présenterons.

Les faits se passent à la vûe d'une ou de plusieurs personnes: ce qui est à l'extérieur, & qui frappe les sens, appartient au fait; les conséquences qu'on en peut tirer sont du ressort du philosophe qui le suppose certain. Les yeux sont pour les témoins oculaires des juges irreprochables, dont on ne manque jamais de suivre la décision: mais si les faits se passent à mille lieues de nous, ou si ce sont des évenemens arrivés il y a plusieurs siecles, de quels moyens nous servirons - nous pour y atteindre? D'un côté, parce qu'ils ne tiennent à aucune vérité nécessaire, ils se dérobent à notre esprit; & de l'autre, soit qu'ils n'existent plus, ou qu'ils arrivent dans des contrées fort éloignées de nous, ils échapent à nos sens.

Quatre choses se présentent à nous; la déposition des témoins oculaires ou contemporains, la tradition orale, l'histoire, & les monumens: les témoins oculaires ou contemporains parlent dans l'histoire; la tradition orale doit nous faire remonter jusqu'à eux; & les monumens enchaînent, s'il est permis de parler ainsi, leur témoignage. Ce sont les fondemens inébranlables de la certitude morale: par - là nous pouvons rapprocher les objets les plus éloignés, peindre, & donner une espece de corps à ce qui n'est plus visible, réaliser enfin ce qui n'existe plus.

On doit distinguer soigneusement dans la recherche de la vérité sur les faits, la probabilité d'avec le souverain degré de la certitude, & ne pas s'imaginer en ignorant que celui qui renferme la probabilité dans sa sphere, conduise au Pyrrhonisme, ou même donne la plus légere atteinte à la certitude. J'ai toûjours crû, après une mûre réflexion, que ces deux choses étoient tellement séparées, que l'une ne menoit point à l'autre. Si certains auteurs n'avoient travaillé sur cette matiere qu'après y avoir bien réfléchi, ils n'auroient pas dégradé par leurs calculs la certitude morale. Le témoignage des hommes est la seule source d'où naissent les preuves pour les faits éloignés; les différens rapports d'après lesquels vous le considérez, vous donnent ou la probabilité ou la certitude. Si vous examinez le témoin en particulier pour vous assûrer de sa probité, le fait ne vous deviendra que probable; & si vous le combinez avec plusieurs autres, avec lesquels vous le trouviez d'accord, vous parviendrez bien - tôt à la certitude. Vous me proposez à croire un fait éclatant & intéressant; vous avez plusieurs témoins qui déposent en sa faveur: vous me parlez de leur probité & de leur sincérité; vous cherchez à descendre dans leurs coeurs, pour y voir à découvert les mouvemens qui les agitent; j'approuve cet examen: mais si j'assûrois avec vous quelque chose sur ce seul fondement, je craindrois que ce ne fût plûtôt une conjecture de mon esprit, qu'une découverte réelle. Je ne crois point qu'on doive appuyer une démonstration sur la seule connoissance du coeur de tel & tel homme en particulier: j'ose dire qu'il est impossible de prouver d'une démonstration morale qui puisse équivaloir à la certitude métaphysique, que Caton eût la probité que son siecle & la postérité lui accordent: sa réputation est un fait qu'on peut démontrer; mais sur sa probité, il faut malgré nous nous livrer à nos conjectures, parce que n'étant que dans l'intérieur de son coeur, elle fuit nos sens, & nos regards ne sauroient y atteindre. Tant qu'un homme sera enveloppé dans la sphere de l'humanité, quelque véridique qu'il ait été dans tout le cours de sa vie, il ne sera que probable qu'il ne m'en impose point sur le fait qu'il rapporte. Le tableau de Caton ne vous présente donc rien qui puisse vous fixer avec une entiere certitude. Mais jettez les yeux, s'il m'est permis de parler ainsi, sur celui qui représente l'humanité en grand, voyez - y les différentes passions dont les hommes sont agités, examinez ce contraste frappant: chaque passion a son but, & présente des vûes qui lui sont propres: vous ignorez quelle est la passion qui domine celui qui vous parle; & c'est ce qui rend votre foi chancelante: mais sur un grand nombre d'hommes vous ne sauriez douter de la diversité des passions qui les animent; leurs soibles mêmes & leurs vices servent à rendre inébranlable le fondement où vous devez asseoir votre jugement. Je sais que les apologistes de la Religion chrétienne ont principalement insisté sur les caracteres de sincérité & de probité des apôtres; & je suis bien éloigné de faire ici le procès à ceux qui se contentent de cette preuve; mais comme les Sceptiques de nos jours sont très - difficiles sur ce qui constitue la certitude des faits, j'ai cru que je ne risquois rien d'être encore plus difficile qu'eux sur ce point, persuadé que les faits évangéliques sont portés à un degré de certitude qui brave les efforts du Pyrrhonisme le plus outré.

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