ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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CENSEUR (Page 2:817)

CENSEUR, s. m. (Hist. anc.) l'un des premiers magistrats de l'ancienne Rome, qui étoit charge de faire le dénombrement du peuple, & la répartition des taxes pour chaque citoyen. Ses fonctions avoient encore pour objet la police, & la réform tion des moeurs dans tous les ordres de la république.

Le nom de censeur vient de censere, estimer, évaluer, parce que cet officier évaluoit les biens de chacun, enregistroit leurs noms, & distribuoit le peuple par centuries. Selon quelques auteurs, ce terme est dérivé de l'inspection que les censeurs avoient sur les moeurs & sur la police.

Il y avoit à Rome deux censeurs. Les premiers furent créés en 311, c'étoient Papirius & Sempronius: Le sènat qui voyoit que les consuls étoient assez oc<pb-> [p. 818] cupés du militaire, & des affaires du dehors, imagina cette nouvelle dignité pour veiller à celles du dedans, & tira de son corps ceux qui en furent revêtus: mais depuis que les plébéiens eurent été admis au consulat, ils aspirerent aussi à la censure, & parvinrent au moins à faire remplir une des deux places de censeur par un sujet tiré du corps du peuple. Il y eut sur cela une loi de portée en 414, & elle fut en vigueur jusqu'en 622, qu'on nomma deux censeurs plébéiens; ils partagerent toûjours cette charge avec les patriciens, jusqu'au tems des empereurs, qui la réunirent en leur personne.

L'autorité des censeurs étoit fort étendue, puisqu'ils avoient droit de reprendre les citoyens les plus élevés en dignité; aussi cette charge ne s'obtenoit - elle qu'après qu'on avoit passé par toutes les autres. On trouva étrange que Crassus en eût été pourvû avant que d'avoir été ni consul ni préteur. L'exercice de la censure duroit d'abord cinq ans: mais cet usage ne dura que neuf ans; le dictateur Mamercus ayant porté, l'an de Rome 420, une loi qui réduisit le tems de la censure à dix - huit mois; ce qui fut dans la suite observé à la rigueur.

Outre les fonctions des censeurs, dont on a déjà parlé, ils étoient spécialement chargés de la sur - intendance des tributs, de la défense des temples, du soin des édifices publics, de réprimer le libertinage, & de veiller à la bonne éducation de la jeunesse. Si quelque sénateur deshonoroit par ses débauches l'éclat de cet illustre corps, ils avoient droit de l'en chasser; & l'histoire fournit des exemples de cette sévérité. Ils ôtoient aux chevaliers leur cheval, & la pension que leur faisoit l'état, s'ils se comportoient d'une maniere indigne de leur rang; & quant au menu peuple, ils en faisoient descendre les membres d'une tribu distinguée dans une plus basse, les privoient du droit de suffrage, ou les condamnoient à des taxes & des amendes.

Cette autorité n'étoit pourtant pas sans bornes, puisque les censeurs eux - mêmes étoient obligés de rendre compte de leur conduite aux tribuns du peuple, & aux grands édiles. Un tribun fit mettre en prison les deux censeurs M. Furius Philus, & M. Attilius Regulus. Enfin, ils ne pouvoient pas dégrader un citoyen sans avoir préalablement exposé leurs motifs, & c'étoit au sénat & au peuple à décider de leur validité. (G)

A Lacédémone, dit l'illustre auteur de l'Esprit des Lois, tous les vieillards étoient censeurs. Le même auteur observe que ces magistrats sont plus nécessaires dans les républiques, que dans les monarchies & dans les états despotiques. La raison en est facile à appercevoir.

La corruption des moeurs détruisit la censure chez les Romains; cependant César & Auguste voyant que les citoyens ne se marioient pas, rétablirent les censeurs qui avoient l'oeil sur les mariages. (O)

Censeurs (Page 2:818)

Censeurs de livres, (Littérature.) nom que l'on donne aux gens de lettres chargés du soin d'examiner les livres qui s'impriment. Ce nom est emprunté des censeurs de l'ancienne Rome, dont une des fonctions étoit de réformer la police & les moeurs.

Ces censeurs ont été établis dans les différens états pour examiner les ouvrages littéraires, & porter leur jugement sur les livres qu'on se propose d'imprimer, afin que rien ne soit rendu public, qui puisse séduire les esprits par une fausse doctrine, ou corrompre les moeurs par des maximes dangereuses. Le droit de juger des livres concernant la religion, & la police ecclésiastique, a toûjours été attaché en France à l'autorité épiscopale: mais depuis l'établissement de la faculté de Théologie, il semble que les évêques ayent bien voulu se décharger de ce soin sur les docteurs, sans néanmoins rien diminuer de leur autorité sur ce point. Ce droit de juger des livres concernant la foi, & l'Ecriture sainte, a été plusieurs fois confirmé à la faculté de Théologie, par arrêt du parlement de Paris, & singulierement à l'occasion des hérésies de Luther & de Calvin, qui produisirent une quantité prodigieuse de livres contraires à la religion Catholique. Ce jugement devoit être porté, non par quelques docteurs en particulier, mais par la faculté assemblée. L'usage étoit de présenter à la faculté ce qu'on vouloit rendre public; elle nommoit deux docteurs pour l'examiner; & sur le rapport qu'ils en faisoient dans une assemblée, la faculté, après un mûr examen des raisons pour ou contre, donnoit son approbation à l'ouvrage, ou le rejettoit. Les prélats même n'étoient point dispensés de soûmettre leurs ouvrages à l'examen de la faculté de Théologie, qui, en 1534, refusa son approbation au commentaire du cardinal Sadolet, évêque de Carpentras, sur l'épître de saint Paul aux Romains, & qui, en 1542, censura le bréviaire du cardinal Sanguin, évêque d'Orléans. Le parlement de Paris, toûjours attentif à la conservation de la religion Catholique dans toute sa pureté, autorisa, par arrêt de la même année 1542, la faculté de Théologie à examiner les livres qui venoient des pays étrangers; cet arrêt fut occasionné par le livre de l'Institution chrétienne, que Calvin avoit fait imprimer à Bâle.

Les livres s'étant considérablement multipliés au commencement de l'année 1600, le nombre des docteurs chargé de les examiner fut augmenté; il en résulta différens abus, ces docteurs se dispenserent du rapport qu'ils étoient obligés de faire à la faculté assemblée, & approuverent des livres qu'elle trouva repréhensibles. Pour remédier à cette espece de desordre, la faculté publia un decret par lequel elle défendit à tous docteurs de donner inconsidérément leur approbation, sous peine de perdre pendant six mois l'honoraire & les priviléges attachés au doctorat, & pendant quatre ans le droit d'approuver les livres: elle fit encore plusieurs autres reglemens, mais qui ne firent qu'aigrir les esprits. Enfin en 1623 l'harmonie cessa tout - à - fait dans la faculté à l'occasion d'une question de Théologie, qui partagea tous les docteurs; il s'agissoit de décider si l'autorité du pape est supérieure ou inférieure à celle des conciles. Chacun prit parti dans cette affaire, chacun écrivit pour soûtenir son opinion; le docteur Duval, chef de l'un des deux partis, craignant de se voir accabler par les écrits multipliés de ses adversaires, obtint du roi des lettres patentes, en 1624, qui lui attribuerent, & à trois de ses confreres, à l'exclusion de tous autres, le droit d'approuver les livres, avec une pension de 2000 livres à partager entr'eux. Ces lettres de création chagrinerent la faculté, qui se voyoit dépouiller d'un droit qu'elle croyoit devoir lui appartenir toûjours. La pension d'ailleurs accordée aux quatre nouveaux censeurs, lui parut deshonorante pour des gens consacrés par état au maintien de la saine doctrine. Elle fit remontrances sur remontrances, & ne cessa de demander avec instance la révocation de ces lettres: mais elle ne put l'obtenir; le roi au contraire les confirma par de nouvelles, dans lesquelles il étoit dit que par la suite ces quatre censeurs créés par lettres patentes, seroient pris dans la maison de Sorbone, & élûs à la pluralité des voix dans une assemblée à laquelle seroient appellés deux docteurs de la maison de Navarre. Cette espece d'adoucissement ne satisfit pas encore la faculté; elle continua, mais inutilement, les sollicitations. La discorde régna plus que jamais parmi les docteurs, & pendant plus de trois ans, les nouveaux censeurs essuyerent tant de desagrémens de la part de leurs confreres, que Duval, en 1626, prit enfin le parti de se démettre en pleine assemblée de ses fonc<pb-> [p. 819] tions de censeur. On ne sait pas bien positivement si après cette démission de Duval, les lettres patentes qui avoient été données singulierement en sa faveur, furent supprimées ou non: mais il paroît par différens decrets des années 1628, 1631 & 1642, que la faculté recommença, comme par le passé, à charger des docteurs de l'examen des livres, & qu'elle prit les précautions les plus sages pour empêcher les approbations inconsidérées. Son honneur & ses intérêts le demandoient: cependant tous ses soins furent inutiles; il s'éleva dans l'Eglise des disputes sur la grace, qui donnerent naissance à une prodigieuse quantité d'écrits de part & d'autre: chacune des deux partis fit approuver ses livres par les docteurs qui lui étoient favorables, & ces docteurs donnerent leurs approbations sans avoir été commis par la faculté. Ces irrégularités durerent jusqu'en 1653. Pour y mettre fin, M. le chancelier Seguier se détermina à ôter encore une fois à la faculté le droit d'approuver les livres; il créa quatre nouveaux censeurs, mais sans lettres patentes, & sans autre titre que la seule volonté du roi, avec chacun 600 livres de pension. Depuis ce tems, le nombre des censeurs a été considérablement augmenté; il y en a pour les différentes matieres que l'on peut traiter: le droit de les nommer appartient à M. le chancelier, à qui ils rendent compte des livres dont il leur confie l'examen, & sur leur approbation est accordé le privilége de les imprimer. Il arrive quelquefois que le grand nombre de livres qu'ils sont chargés d'examiner, ou d'autres raisons, les mettent dans la desagréable nécessité de réduire les auteurs ou les libraires qui attendent leur jugement, à l'état de ces pauvres ames errantes sur les bords du Styx, qui prioient longtems Caron de les passer.

Stabant orantes primi transmittere cursum, Tendebantque manus ripoe ulterioris amore. Navita sed tristis nunc hos nunc accipit illos: Ast alios longe summotos arcet arena.

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