ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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CARTON (Page 2:727)

* CARTON, f. m. (Art méchaniq.) le carton est un corps qui a beaucoup de surface & peu d'épaisseur, composé par art avec des rognures de cartes, des rognures de reliures, & de mauvais papier, à l'usage d'un grand nombre d'ouvriers; mais sur - tout des Relieurs mêmes. Il y a beaucoup de ressemblance entre la manoeuvre du Papetier & celle du Cartonnier: le Papetier prend dans un moule le chison réduit en bouillie, pour en faire du papier, le Cartonnier prend dans un moule le papier même remis en bouillie, pour en faire le carton.

Pour faire du carton, il faut ramasser dans un magasin une grande quantité de rognures de Relieur & de Cartier, avec beaucoup de mauvais papier; quand on a sa provision faite de ces matieres, on en transporte ce qu'on en peut travailler relativement au nombre d'ouvriers qu'on employe, dans un attelier bien clos. Le pavé de cet attelier doit s'élever un peu vers le fond, & l'attelier doit être garni d'auges de pierre, larges & profondes, placées vers le côté opposé. Il faut qu'il y ait des trous à ces auges, & sous ces trous des pierres concaves, qui puissent conduire les eaux dans une rigole qui les évie; il seroit aussi à propos qu'il y eût un puits dans le même attelier, avec une pompe qui conduisît l'eau dans les auges, & dans tous les autres endroits de la cartonnerie où l'on en peut avoir besoin.

On jette au sortir du magasin le mêlange de papier, de rognûres de papier, & de cartes, dans les auges de l'attelier que je viens de décrire, & qu'on appelle celui du trempi; on humecte ou moitit ces matieres avec de l'eau, & de - là on les jette sur le fond de l'attelier, où l'on en forme des tas considérables. La gomme, la colle, & les autres substances qui sont dans ces matieres qu'on n'a eu garde de trop humec<cb-> ter, y élevent peu à peu la fermentation, au bout de quatre à cinq jours dans les chaleurs de l'été, & de six à sept ou huit, à l'approche de l'hyver; la fermentation est si forte, qu'on a peine à supporter la chaleur & l'odeur des tas: la quantité de papier dont ils sont formés, est beaucoup plus considérable que celle de rognures de cartes. Ce n'est pas que plus il y a de ces rognûres, plus le carton ne soit fort & bon: mais on les épargne, parce qu'elles sont cheres. Elles se vendent aujourd'hui jusqu'à sept livres dix sous le cent. Afin que le travail ne soit point interrompu dans une cartonnerie, c'est la coûtume de mettre en fermentation autant de tas qu'on en met en travail; de maniere que quand un tas est à sa fin, une autre puisse être entamé.

Quand la matiere des tas a suffisamment fermenté, ce qui la dispose à se mettre en bouillie, on en prend une quantité convenable qu'on porte dans un attelier contigu, qu'on appelle l'attelier du moulin. Cet attelier est partagé en deux parties; d'un côté sont des auges, de l'autre le moulin. Les auges de cet attelier s'appellent auges à rompre; il y a au - dessus de ces auges de gros robinets qui fournissent la quantité d'eau dont on a besoin. Avant que de jetter les matieres fermentées dans les auges, on les ouvre & on les trie, ou rejette les grosses ordures qui s'y trou vent: il seroit à souhaiter que ce triage se fît mieux; il épargneroit presqu'une manoeuvre, dont nous parlerons dans la suite, qu'on appelle l'épluchage.

A mesure que les matieres sont ouvertes & triées, on les laisse tomber dans les auges à rompre; on lâche les robinets, & on laisse bien imbiber d'eau les matieres; ensuite on les remue, puis on les rompt: les rompre, c'est les battre avec des pelles de bois qu'on y plonge perpendiculairement, & qu'on tourne en rond. Des ouvriers vigoureux continuent ce travail jusqu'à ce qu'ils s'apperçoivent que les matieres sont broyées, hachées & mises en bouillie, autant qu'on peut le faire par une manoeuvre aussi grossiere; alors ils prennent des sceaux qu'ils en remplissent, & qu'ils versent dans le moulin qu'on voit Pl. du Cartonnier, vignette, fig. 1. La cuve A B, est composée de douves épaisses, étroites, & bandées par de larges cerceaux de fer. Il y a au fond de cette cuve une crapaudine qui porte la pointe en fer de l'arbre C D; l'autre extrémité de cet arbre est garnie d'un tourillon reçû dans une poutre: le milieu en est percé d'un trou quarré; ce trou reçoit le bras supérieur de la traverse d'un brancard E F G. Les parties E F du brancard assemblées perpendiculairement avec la traverse supérieure, laissent entre elles l'espace nécessaire pour recevoir un cheval qu'on y attele par son collier, percé de deux trous où l'on insere des bouts de cordes bouclés, qui pendent des extrémités des parties E F du brancard, & qu'on arrête sur le collier par deux clavettes. Le cheval se meut autour de la cuve, & fait tourner l'arbre qui est garni à sa partie inférieure de bandes de fer pliées en quarré, dont deux bouts sont scellés dans l'arbre, qui forme un des côtés du quarré, & dont un autre côté lui est parallele, ainsi qu'on voit fig. 4. C D, l'arbre; E F, ses tourillons; G H, bras du brancard; I K, L M, autres parties du brancard; n o, p q, cordes & clavettes; r s, r s, r s, r s, bandes de fer pliées qu'on appelle couteaux. Ces couteaux achevent de diviser la matiere contenue dans la cuve, & de la disposer à être employée. La matiere reste une heure & demie, deux heures, au moulin, selon que le cheval marche plus ou moins vîte.

Quand la matiere est moulue, on la passe dans un nouvel attelier, qu'on peut appeller proprement la cartonnerie. L'attelier de la cartonnerie est divisé en deux parties, le lieu de la presse, & celui de la cuve. Pour concevoir le lieu de la cuve, il faut imagi<pb-> [p. 728] ner un grand évier entre deux auges, élevées à peu près à sa hauteur; l'auge de derriere reçoit la matiere au sortir du moulin; celui de devant où travaille le cartonnier s'appelle la cuve. Le cartonnier a une table à droite, & sa presse à gauche. Voyez fig. 2. le Cartonnier travaillant; A B, est la cuve; C D, le grand évier, qu'on appelle égouttoir; G, une forme; F, le tonneau du bout, (c'est son nom), qui reçoit l'eau & la matiere qui descendent de l'égouttoir par l'ouverture E. On n'a point représenté la table à droite du cartonnier, parce qu'il est facile de l'y supposer, non plus que l'auge de derriere, qui devroit être placée en X, précisément comme on voit en A B, la cuve ou l'auge de devant.

Lorsque la cuve A B est pleine de matiere préparée, comme nous venons de l'expliquer, l'ouvrier prend une forme; on entend par une forme, un instrument tel que celui que tient l'ouvrier de la fig. 2. dans la vignette, ou qu'on voit en G posé sur l'égouttoir. Ce sont quatre morceaux de bois équarris & assemblés, renfermant un espace de la grandeur du carton qu'on veut faire. Le fond est traversé de plusieurs tringles, qui fortifient l'assemblage de celles des côtés; ces côtés ont été percés de trous, & on y a travaillé un tissu ou crible fort serré de fils de laiton; on apperçoit bien ce tissu ou treillis de fils de laiton longitudinaux & transversaux à la forme G. On applique sur cette forme un chassis de bois qui l'embrasse exactement. On plonge dans la cuve la forme garnie de son chassis, qui lui fait un rebord plus ou moins haut à discrétion. La matiere couvre le treillis de laiton, & y est retenue par le chassis. L'ouvrier pose la forme couverte de matiere jusqu'à la hauteur des bords du chassis, sur les barres qui traversent l'égouttoir. L'eau mêlée à la matiere, ou plûtôt la partie la plus fluide de la matiere, s'échappe par les petits trous du treillis, tombe dans l'égouttoir, & se rend dans le tonneau du bout. La partie la plus épaisse & la plus grossiere est arrêtée, & se dépose sur le grillage. Pendant que cette forme égoutte, l'ouvrier en plonge une autre dans la cuve qu'il met ensuite sur l'égouttoir, puis il reprend la premiere, en enleve le chassis, & renverse la matiere déposée sur le grillage, ou plûtôt la feuille de carton, car c'est elle - même, sur un morceau de molleton de sa largeur, placé sur le fond du plateau de la presse. On voit en L H K I, ce plateau chargé en partie. Il étend un nouveau molleton sur cette feuille; puis il remplit sa forme après avoir remis son chassis, & la met égoutter; pendant qu'elle égoutte, il reprend celle qui est égouttée, ôte son chassis, & la renverse sur le molleton, qui couvre la premiere feuille de carton. Il couvre cette seconde feuille d'un molleton, & il continue ainsi son travail, versant une forme, tandis qu'une autre s'égoutte, & enfermant les feuilles de carton entre des morceaux de molleton, qui forment sur le plateau de la presse K L, une pille H I, qu'on appelle une pressée, quand elle contient environ cent vingt feuilles doubles, ou deux cents trente feuilles simples, telles que celles dont il s'agit ici. Il faut seulement observer que le cartonnier peut fort bien travailler à deux formes avec un seul chassis; & qu'il y a même à cela une épargne de manoeuvre & de tems. Quand une feuille est égouttée, il peut, en la laissant sur l'égouttoir, ôter son chassis, & le placer fur une autre forme, qu'il remplira, & mettra pareillement égoutter; tandis que celle - ci égouttera, il renversera la premiere sur le molleton. Le tems qu'il mettra à renverser suffira pour que la seconde forme soit assez égouttée, & puisse se passer de son chassis, qu'il mettra sur celle qui est vuide qu'il remplira & mettra à égoutter. Pendant que cette derniere égouttera, il renversera sur le molleton celle qui est restée sur l'égouttoir sans chassis, & ainsi de suite. Il faut encore observer que le cartonnier a soin de remuer sa cuve, & de la rebrouiller de trois en trois formes, ce qui s'appelle cocher. L'instrument avec lequel on coche, est une espece de rateau àgriffe de fer, qu'on voit, fig. 5. l'ouvrier le prend par son manche, & le promene cinq ou six fois d'un bout de sa cuve à l'autre, afin de ramener à la surface la matiere qui se sera déposée au fond. On se doute bien qu'il n'a garde de jetter les matieres qui se rendent de l'égouttoir dans le tonneau F. c'est proprement la gomme & la colle dissoutes, & par conséquent les parties les plus propres à lier celles du carton, & à le fortifier: aussi le cartonnier verse - t - il dans sa cuve avec un seau la matiere qui se rend dans ce tonneau, lorsqu'il en est trop plein.

L'épaisseur de la feuille de carton dépend de deux choses; de l'éaisseur de la matiere, & de la hauteur du chassis: plus la matiere sera épaisse, le chassis restant le même, plus il y aura de matiere contenue sur la forme: plus le chassis sera haut, la matiere restant la même, plus on en puisera à la fois.

La grandeur de la feuille dépend de la grandeur de la forme; cela est évident: mais il est bon de savoir qu'avec une grande forme capable, par exemple, de former un carton de l'étendue de la feuille in - folio de papier, on fait aisément à la fois & sans augmenter la manoeuvre, deux feuilles de carton égales à la demi - feuille. Pour cet effet, on se sert d'un chassis, divisé du haut en bas par une tringle de bois qui entre & se fixe par ses extrémités dans les côtés d'en - haut & d'en - bas de la forme; de maniere qu'il ne s'en manque presque rien qu'elle ne s'applique exactement sur le grillage. Qu'arrive - t - il de là? c'est que la matiere puisée dans la cuve se trouve partagée sur la forme en deux espaces différens, dont chacun donne une feuille qui n'est que la moitié de ce que seroit la feuille totale, sans la tringle qui divise la forme, ou plûtôt le chassis de haut en bas, & qui s'applique presque sur le grillage.

Je dis, qui s'applique presque sur be grillage: c'est qu'en effet la tringle, ou ne s'applique pas exactement sur le grillage; ou le grillage fléchissant un peu sous le poids de la matiere dont il est chargé, se sépare de la tringle, & laisse échapper entre la tringle & lui, un peu de matiere qui lie les deux feuilles, & n'en forme qu'une apparente: mais la jointure est si mince, c'est une pellicule de carton si déliée, qu'on la rompt facilement; elle se rompt même en partie, tout en renversant la forme sur le lange.

Mais ce qu'on pourroit regarder comme un inconvénient, devient par hasard une espece d'avantage: cette pellicule de carton qui ne joint pas assez les deux feuilles pour n'en faire qu'une, suffit pourtant pour qu'elles se séparent en même tems de la forme quand on les renverse sur le lange. Les langes sont les mêmes, soit qu'on fasse une seule feuille à la fois, soit qu'on en fasse deux.

Quand on ne veut pas que la feuille se trouve séparée en deux parties égales, mais qu'on souhaite que la feuille soit de toute la grandeur de la forme, il n'y a d'autre chose à faire qu'ôter du chassis la tringle qu'on y avoit arrêtée.

Quand le cartonnier a fait sa pressée, il met des morceaux de bois sur les bords de la presse, & fait monter son plateau par ce plan incliné, entre les montans, comme on le voit en A B. C'est pour cet effet qu'on a mis au plateau K L des anneaux. Lorsque la pressée est entre les montans, on la couvre de planches de chêne; on place sur ces planches une rangée de madriers; sur ces madriers des planches; sur ces planches une autre rangée de madriers plus forts que les précédens; & sur ces derniers madriers s'applique l'ais supérieur de la presse qui en fait partie, qui se meut à coulisse le long de ses montans, & qui agit également sur toute la pressée par le moyen [p. 729] de la vis, de l'écrou, & de la lanterne. On passe un levier dans les fuseaux de la lanterne; on met une corde à l'extrémité de ce levier: cette corde va s'enrouler sur un arbre; cet arbre est tourné par un bras de levier auquel un homme s'applique. L'écrou étant attaché fixement, la vis fait par bas l'effort le plus violent contre la pressée. En conséquence de cet effort, les feuilles prises entre les molletons s'étendent, leurs pàrties lâches & molles se serrent, s'approchent, & s'essuient. On reçoit dans un baquet l'eau qui s'en échappe par une ouverture pratiquée au plateau: on conçoit aisément que cette eau n'est pas d'une qualité inférieure à celle du tonneau du bout; aussi la conserve - t - on. Je ne doute pas même qu'étant extrèmement chargée de farine, de gomme, de colle, si on s'en servoit dans les trempis, elle n'en rendît la fermentation beaucoup plus vigoureuse & plus forte. On voit l'opération de la presse si clairement, fig. 3. & elle est si simple, qu'il est inutile de la détailler davantage. Cette presse n'a rien de particulier, que son plateau, ses madriers, & la grosseur de toutes ses parties.

Le carton ne reste pas long - tems sous la presse: la pressée, quand elle ne rend plus rien par le plateau, est envoyée dans un autre attelier.

Cet attelier s'appelle l'épluchoir: là des filles, qu'on appelle éplucheuses, s'occupent à tirer les feuilles de carton d'entre les molletons que les ouvriers appellent langes, & à les visiter les unes après les autres pour en arracher les grosses ordures. Ces grosses ordures se sentent facilement à travers la feuille molle, quand on ne les voit pas. On les ôte; on presse avec le doigt l'endroit déchiré, & il n'y paroît plus qu'à l'inégalité d'épaisseur. L'endroit reprend; il est seulement plus mince.

Ou ces feuilles épluchées sont destinées à rester simples comme elles sont, ou à former un carton plus épais dont elles seront parties: si elles sont destinées à rester simples, on les rapporte dans l'attelier de la presse, sous laquelle on les remet, & on les équarrit. Equarrir, c'est en enlever les bords & les rendre plus quarrées; ce qui s'exécute avec une ratissoire tranchante. On conçoit bien qu'alors les feuilles ne sont pas entre les langes.

Si on les destine à former un carton plus épais, il y a des ouvriers qui ne les épluchent point, de peur qu'elles ne se sechent trop; elles passent de dessous la presse où on les a mises entre les langes pour la premiere fois, au côté droit de l'ouvrier sur une table: alors l'ouvrier remet proche de lui son plateau vuide; ôte de dessus la pressée mise sur sa table, le premier lange qui la couvre, & l'étend au fond de son plateau; il enleve pareillement la premiere feuille simple qui se présente: mais comme elle est mollette, pour ne la point déchirer, il prend le lange, sur lequel elle est posée, par les deux coins d'en - bas; il corne ces deux coins; puis il roule le reste de la main droite en allant vers la gauche, & de la gauche en allant vers la droite. Il porte en cet état la feuille roulée en deux parties avec le lange, sur le fond de son plateau. L'endroit des coins étant plus épais que le reste, fait dérouler; & la feuille, & sous cette feuille le lange, sont étendus en un moment sur le fond du plateau. Cela fait, ou plûtôt pendant cette manoeuvre, une forme de matiere s'égoutte sur l'égouttoir; le cartonnier en ôte aussitôt le chassis, le met sur une seconde forme; remplit celle - ci, la met égoutter, & renverse la premiere sur celle qu'il a étendue sur le plateau.

Puis il retourne à la cuve; ôte à la forme qui égouttoit, son chassis; le met à la forme vuide; la remplit, & la met égoutter. Pendant qu'elle égoutte, il s'avance vers sa table; enleve de la pressée une autre feuille avec la même précaution que ci - dessus, c'est<cb-> à - dire roulée dans son lange, & étend ce lange & cette feuille sur son plateau; puis il prend de ces deux formes la premiere égouttée, celle qui n'a point de chassis, & la renverse sur son plateau, ou plûtôt sur la feuille de pressée.

Il retourne à sa cuve; ôtè à la forme qui égoutte son chassis; remplit la forme qu'il tient, après lui avoir mis le chassis qu'il a ôté à l'autre, & la pose sur l'égouttoir. Tandis qu'elle égoutte, il enleve de la pressée une feuille roulée dans son lange, l'étend sur le plateau avec son lange dessous; puis il prend des deux formes qui égouttoient, celle qui n'a point de chassis, & la renverse sur le plateau, ou plûtôt sur la feuille de pressée. Il retourne ensuite à la cuve, & réitere toute la manoeuvre que nous venons d'expliquer, jusqu'à ce qu'il ait formé une nouvelle pressée, qui ne differera de la premiere qu'en ce que entre chaque lange il ne se trouvoit qu'une feuille; au lieu qu'ici il y en a deux, la feuille de la nouvelle fabrique, & celle de la précédente.

Quand cette pressée est faite, on remet le plateau sous la presse, & l'on presse. L'effet de la manoeuvre précédente & de celle - ci, est d'unir si bien la premiere feuille faite avec la seconde, qu'elles n'en fassent qu'une à peu - près double en épaisseur, ce qui ne manque jamais de réussir; la premiere feuille n'étant pas seche, la seconde étant toute molle & fluide, il se fait entr'elles une distribution égale d'humidité: la feuille de dessous reçoit, pompe même ce que la feuille de dessus en a de plus qu'elle; de maniere que l'action de la presse les identifie sans peine. D'où il arrive que quand ces nouvelles feuilles passent à l'attelier des éplucheuses, elles sont réellement doubles d'épaisseur, & c'est tout: mais leur corps & leur consistance, sont aussi parfaitement uns que si elles avoient été moulées tout d'un coup.

Quand on veut avoir des cartons de moulage très forts, on peut en appliquer trois feuilles l'une sur l'autre entre les mêmes langes, & n'en faire qu'une de trois: mais cela ne va point jusqu'à quatre. Comme il faut que chacune soit moulée & pressée en particulier, l'humidité a le tems de s'échapper pendant ces opérations réitérées; la feuille se seche; & cette feuille composée déjà de trois autres, ou n'est plus assez molle pour pomper l'humidité d'une quatrieme qu'on lui appliqueroit, ou cette quatrieme, qui est simple, n'a pas assez d'humidité pour arroser & amollir celle qui est composée de trois, sur laquelle on l'étend: ainsi il arrive qu'elles ne peuvent plus se lier & faire corps.

Quand la nouvelle pressée, soit simple, soit double, soit triple, sort de dessous la presse, on l'épluche; on la rapporte sous la presse; on l'équarrit, & on l'envoye aux étendoirs.

Les étendoirs sont de grands greniers; les plus airés sont les plus propres; par la raison contraire les caves seroient les meilleurs endroits qu'on pût choisir pour les trempis. Comme il n'y a plus de langes entre les feuilles de carton quand on les équarrit, il est évident qu'on en équarrit beaucoup plus à la fois qu'on n'en presse. La quantité qu'on équarrit à la fois s'appelle une réglée: la réglée est faite d'une trentaine de poignées; & la poignée d'une dixaine de cartons doubles. On peut apprécier là - dessus les réglées & poignées des autres sortes: elles contiennent d'autant moins de feuilles, que les feuilles sont plus fortes.

Les réglées trouvent dans les étendoirs des mains toutes prêtes à les employer: chacun se place devant sa réglée, le poinçon à la main. Cet instrument n'est autre chose qu'une espece de pointe de fer, aiguë, d'une ligne & demie de diametre au plus par le bas, de quatre à cinq pouces de long, & emmanchée comme une alêne de Sellier. On enfonce cet instrument [p. 730] au bord de la réglée, à la profondeur de trois ou quatre pouces; ce qui s'appelle piquer. On enleve les feuilles piquées ou une à une, ou deux à deux, ou trois à trois: une à une, si elles sont fort épaisses; deux à deux, si elles le sont moins; & trois à trois, si elles sont simples: cela dépend aussi un peu & de la saison qu'il fait, & de l'espace qu'on a pour tendre. Il est évident qu'il y a de l'avantage à étendre, quand on le peut, les feuilles une à une; exposant plus de surface à l'air, elles en secheront beaucoup plus vîte. Quand on a piqué & séparé les feuilles comme il convient, on a des bouts de fil d'archal, qu'on recourbe en S, de deux pouces de long ou environ; on passe un des crochets de l'S dans le trou de la feuille piquée, & on la suspend par l'autre crochet aux lattes du toict, qui forment des especes d'échelons en - dedans des greniers, comme tout le monde sait. Les feuilles de carton restent dix jours, douze, quinze, trois semaines étendues, selon la saison, & leur épaisseur. Quand elles sont seches, on abat. Abattre, c'est détendre & ôter les aiguilles.

De ces feuilles ainsi préparées, les unes sont vendues aux relieurs, qui les achetent dans cet état brut; & les autres destinées à d'autres usages, sont partagées en deux portions, dont l'une revient de l'étendoir dans l'attelier des lisseurs, & l'autre est portée dans l'attelier des colleurs.

Celles qui passent dans l'attelier des lisseurs, y sont travaillées à la lissoire. La lissoire des cartonniers se meut précisément comme celle des cartiers, par un gros bâton appliqué par son extrémité supérieure à une planche attachée par un bout à une poutre, & qui fait ressort par l'autre bout, celui auquel le bâton de la lissoire est appliqué: ce bâton est fendu par son extrémité inférieure; cette extrémité est encore arrondie circulairement. La langue L de la boîte de la lissoire, fig. 6. entre dans la fente du bâton; & les extrémités arrondies du bâton se placent dans les échancrures concaves M. Cette boîte se meut de bas en haut, & de haut en bas de la feuille de carton, par le moyen des mains N, N. Les feuilles ou sont placées les unes sur les autres en pile, ou sur un bloc, & sont applanies par le cylindre O O, placé sous la lissoire où l'on a pratiqué un canal concave qui le reçoit à moitié. Ce cylindre est de fer poli; & il se meut sur deux tourillons reçûs dans deux pattes de fer, fixées aux deux bouts de la boîte de la lissoire, comme on voit. Au sortir de la lissoire, on peut les vendre. Il faut observer que celles des feuilles qui viennent de l'étendoir pour être lissées, ne doivent pas être bien seches; sans quoi elles ne se lisseroient pas, & il faudroit les humecter.

Celles qui passent dans l'attelier des colleurs, sont ou collées les unes avec les autres, pour former du carton plus épais, ou couvertes de papier blanc auquel elles servent d'ame: d'où l'on voit qu'il y a déjà trois sortes de carton; du carton de pur moulage, du carton de moulage collé, & du carton couvert, auquel le carton de moulage sert d'ame. Il n'y a rien de particulier sur la seconde espece, celle de feuilles de carton de moulage collées ensemble. On a de la colle de farine à l'ordinaire, ou telle que celle des cartiers, voyez Cartier; on trempe une brosse dans cette colle, & l'on en enduit une feuille; on pose sur cette feuille collée deux feuilles, dont celle de dessous n'est point collée, mais celle de dessus l'est; on continue à prendre les feuilles deux à deux, & à ne coller que celle de dessus, & à en former des tas, dans lesquels les feuilles se trouvent seulement collées deux à deux; on passe ces tas sous la presse; on ôte avec une mauvaise brosse la colle que l'action de la presse fait sortir; on sépare ces feuilles qui tiennent ensemble un peu par les bords; on les porte à l'étndoir, où on les fait sécher sans les piquer, parce qu'elles sont assez fortes pour se soûtenir appuyées sans se courber.

On voit que pour faciliter le prompt collage de ces feuilles, il est bon d'en avoir préparé les tas auparavant. Cette préparation consiste à mettre les feuilles par échelle de deux en deux: pour cet effet on prend une feuille, on la met sur une table; on prend deux feuilles qu'on pose dessus cette premiere, de maniere qu'elle les déborde de quatre doigts par en bas; sur ces deux, deux autres qui correspondent à la premiere, & qui sont par conséquent débordées par en - haut de quatre doigts par les deux premieres, & ainsi de suite: on finit le tas par une seule.

Si on veut ajoûter une nouvelle feuille aux deux précédentes, pour avoir un carton d'un tiers plus épais, & composé de trois feuilles, on facilitera cette opération en prenant la même précaution; je veux dire, en mêlant les feuilles simples & les feuilles doubles deux à deux de maniere qu'elles soient en échelle, & que si deux débordent par en - haut celles qui les précedent, elles soient débordées par enbas par les deux qui les suivront, & en ne collant jamais que celle des deux qui est dessus. Il est évident qu'on formera ainsi toûjours des tas où les feuilles ne seront collées que deux à deux

On continuera la même manoe, mêlant, collant, pressant & séchant autant de fois qu'on voudra doubler les cartons: on parviendra de cette maniere à en former qui auront un pouce d'épais, & par - delà.

Quant aux cartons qu'on veut couvrir de beau papier, on ne suivra pas une autre méthode; il suffit de l'avoir indiquée.

Il y a, comme on voit, bien des sortes de carton: il y en a de trois sortes de pur moulage; du simple, du double, & du triple.

Il y en a de feuilles de moulage collées ensemble, de tant d'especes que l'on veut.

Il en est de même de celui de moulage qui est couvert de papier blanc; car on peut également couvrir & celui qui est de pur moulage, ce qui donnera trois sortes de cartons couverts; & celui qui est fait de feuilles de moulage collées, ce qui en ajoûtera un grand nombre d'autres sortes.

Outre toutes ces sortes de carton, entre lesquelles il faut observer que ceux qui sont couverts d'un seul ou des deux côtés reviennent à la lisse, & que pour les bien lisser il est souvent à propos de les savonner & chauffer auparavant, comme nous l'avons prescrit à l'article cartier (voyez Cartier); outre ces especes, dis - je, on en fait de pur collage; celui - ci est beaucoup plus fin que l'autre. On commence par lui préparer une ame de papier commun: on fait cette ame plus ou moins épaisse à discrétion, & on la couvre de beau papier. Voyez à l'article Cartier la maniere détaillée de faire ce carton; car celui dont on fait les cartes est de cette espece.

Il y a aussi des cartons de collage d'un grand nombre de sortes, dont la finesse se distingue par numéros. Il y en a de couverts des deux côtés, d'un seul; de lissés des deux côtés, & d'un seul, &c.

On fait en France un commerce considérable de carton. J'ai visité les atteliers des ouvriers, que je n'ai pas trouvés aussi bien entendus que celui que je viens de décrire: il m'a semblé qu'ils n'apportent pas à leur ouvrage autant d'attention & de propreté qu'ils y en pourroient mettre: ce n'est pas la seule occasion où j'ai remarqué que pourvû que les choses se fissent, on s'embarrassoit fort peu du comment. On se sert de carton pour relier les livres, faire des porte - feuilles, des étuis à chapeaux, à manchons, &c.

Ce sont les Papetiers - Merciers & les Papetiers - colleurs de feuilles, autrement dit Cartonniers, qui en [p. 731] font le négoce; avec cette différence que ces derniers fabriquent & vendent, au lieu que les premiers ne peuvent pas fabriquer.

Carton (Page 2:731)

Carton, terme d'Architecture, se dit d'un contour chantourné sur une feuille de carton ou de fer blanc, pour tracer les prosils des corniches, & pour lever les panneaux de dessus l'épure. (P)

Carton (Page 2:731)

Carton, se dit en Peinture d'un dessein qu'on fait sur de fort papier, pour le calquer ensuite sur l'enduit frais d'une muraille, où l'on veut peindre à fresque.

Carton se dit aussi d'un dessein en grand, coloré pour travailler en mosaïque, en tapisserie, &c. Voy. Tapisserie.

Les cartons que l'on conserve à Hamptoncourt en Angleterre, sont des desseins de Raphael d'Urbin, faits pour être exécutés en tapisserie. (R)

Carton (Page 2:731)

Carton; les Imprimeurs appellent ainsi une maculature bien unie, sur laquelle ils collent des hausses pour remédier à l'inégalité du foulage, qui se rencontre à presque toutes les presses. Ce carton se place entre le petit tympan & les blanchets. Chaque ouvrage doit avoir son carton particulier. Quand il est bien fait il y a peu de hausses à mettre sur le tympan; & presque toûjours la perfection ou la défectuosité d'une impression en dépendent, tant il est utile & de conséquence de le bien faire. Voyez Hausse, &c.

Carton (Page 2:731)

Carton, terme de Libraire, de brochure, & de Relieur, est un ou plusieurs feuillets détachés d'une feuille entiere. Il y a plusieurs cas où l'on est obligé de mettre des cartons dans les livres. 1°. Quand après l'impression, soit d'un manuscrit, soit d'un livre déjà imprimé, il reste de la matiere dont la quantité ne suffit pas pour faire une feuille entiere, ni même une demi - feuille, ce reste s'imprime sur un ou deux feuillets de papier séparés, & s'appelle carton. 2°. Quand pendant le cours de l'impression il s'est glissé quelques fautes grossieres dans l'ouvrage, ou quelque proposition hasardée relativement à la religion, au gouvernement, aux moeurs, ou à la réputation des particuliers, on a soin de déchirer la partie de la feuille sur laquelle se trouve ce qu'on veut supprimer, & l'on y substitue d'autres feuillets purgés de ces fautes, & ces feuillets se nomment aussi cartons.

Le public à Paris est tellement prévenu contre ces cartons, qu'on a vû des ouvrages décrédités parce qu'il y en avoit, quoiqu'ils y eussent été placés pour la plus grande perfection de ces ouvrages.

Carton (Page 2:731)

Carton, partie du métier de Rubanier; il est attaché d'une part à la barre de la poitriniere, & d'autre au premier travers de lames, au moyen de deux ficelles qui le tiennent suspendu un peu au - dessus de l'ensuple de devant: il sert à poser les navettes & sabots, lorsqu'il y en a plusieurs, pendant que l'ouvrier en fait travailler une. On le voit très - distinctement dans les fig. de passement. Voy. leur explication.

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