ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"651"> celui de les employer: l'art de faire les caracteres se distribue en deux autres, celui de préparer les poinçons nécessaires pour la fonte des caracteres, & l'art de fondre ces caracteres à l'aide des poinçons.

On peut donc distribuer l'art d'imprimer en trois parties: l'art de graver les poinçons, premiere partie; l'art de fondre les caracteres, seconde partie; l'art d'en faire usage, auquel nous avons restraint le nom d'Imprimerie, troisieme partie.

Nous allons exposer ici l'art de graver les poinçons, & celui de fondre les caracteres. Quant à celui d'employer les caracteres, on le trouvera à l'article Imprimerie, avec l'historique détaillé de l'art entier.

De la Gravure des poinçons. On peut regarder les Graveurs des poinçons comme les premiers auteurs de tous les caracteres mobiles, avec lesquels on a imprimé depuis l'origine de l'Imprimerie: ce sont eux qui les ont inventés, corrigés & perfectionnés par une suite de progrès longs & pénibles, & qui les ont portés dans l'état où nous les voyons.

Avant cette découverte, on gravoit le discours sur une planche de bois, dont une seule piece faisoit une page, ou une feuille entiere: mais la difficulté de corriger les fautes qui se glissoient dans les planches gravées, jointe à l'embarras de ces planches qui se multiplioient à l'infini, inspira le dessein de rendre les caracteres mobiles, & d'avoir autant de pieces séparées, qu'il y avoit de figures distinctes dans l'écriture.

Cette découverte fut faite en Allemagne vers l'an 1440; l'utilité générale qu'on lui trouva, en rendit les succès très - rapides. Plusieurs personnes s'occuperent en même tems de sa perfection; les uns s'unissant d'intérêt avec l'inventeur; d'autres volant, à ce qu'on prétend, une partie du secret pour faire société à part, & enrichir l'art naissant de leur propres expériences; de maniere qu'on ne sait pas au juste qui est le véritable auteur de l'art admirable de la Gravure des poinçons & de la Fonderie des caracteres, plusieurs personnes y ayant coopéré presqu'en même tems; cependant on en attribue plus communément l'honneur à Jean Guttemberg, gentilhomme Allemand. Voyez l'article Imprimerie.

Les Graveurs de caracteres sont peu connus dans la république des Lettres. Par une injustice dont on a des exemples plus importans, on a attribué aux Imprimeurs qui ont fait les plus belles éditions, une réputation & des éloges que devoient au moins partager avec eux les ouvriers habiles qui avoient gravé les poinçons sur lesquels les caracteres avoient été fondus; sans les difficultés de l'art typographique qui sont grandes, ce seroit comme si l'on eût donné à un Imprimeur en taille - douce la gloire d'une belle estampe, dont il auroit acheté la planche, & vendu au public des épreuves imprimées avec soin.

On a beaucoup parlé des Plantins, des Elzevirs, des Etiennes, & autres Imprimeurs, que la beauté & la netteté de leurs caracteres ont rendus célebres, sans observer qu'ils n'en étoient pas les auteurs, & qu'ils n'auroient proprement que montré l'ouvrage d'autrui, s'ils n'avoient travaillé à le faire va loir par les soins d'une impression propre & soignée.

Nous ne prétendons point ici déprimer l'art appellé proprement Typographique: il a ses regles, qui ne sont pas toutes faciles à bien observer, & sa difficulté qu'on ne parvient à vaincre que par une longue habitude du travail. Ce travail se distribue en plusieurs branches qui demandent chacune un talent particulier. Mais n'est - ce pas assez pour l'Imprimeur de la loüange qui lui revient du méchanisme de la composition, de la propreté de l'impression, de la pureté de la correction, &c. sans lui transporter encore celle qui appartient à des hommes qu'on a laissés dans l'oubli, quoiqu'on leur eût l'obligation de ce que l'Imprimerie a de plus beau? Car une chose qui doit étonner, c'est que les Écrivains qui ont fait en différens tems l'histoire de l'Imprimerie, qui en ont suivi les progrès, & qui se sont montrés les plus instruits sur cet objet, se sont fort étendus sur le mérite des Imprimeurs, sans presque dire un mot des Graveurs en caracteres; quoique l'Imprimeur ou plûtôt le Typographe ne soit au Graveur, que comme un habile chanteur est à un bon compositeur de Musique.

C'est pour rendre à ces Artistes la gloire qui leur est dûe, que M. Fournier le jeune, lui - même habile Fondeur & Graveur en caracteres à Paris, en a fait mention dans un livre de modeles de caracteres d'Imprimerie, qu'il a publié en 1742. Il a mis au nombre de ceux qui se sont distingués dans l'art de graver les caracteres, Simon de Colines, né dans le village de Gentilly près Paris; il gravoit en 1480 des caracteres romains, tels que ceux que nous avons aujourd'hui. Alde Manuce faisoit la même chose & dans le même tems à Venise. Claude Garamond, natif de Paris, parut en 1510, & porta ce travail au plus haut point de perfection qu'il ait jamais acquis, soit par la figure des caracteres, soit par la justesse & la précision avec lesquelles il les exécuta.

Vers le commencement de ce siecle on a perfectionné quelques lettres, mais on n'a rien ajoûté à l'exactitude & à l'uniformité que Garamond avoit introduites dans son art. Ce fut lui qui exécuta par ordre de François I. les caracteres qui ont tant fait d'honneur à Robert Etienne. Robert Granjean aussi de Paris, fils de Jean Granjean, Imprimeur & Libraire, grava de très - beaux caracteres grecs & latins; il excella dans les caracteres italiques. Il passa à Lyon en 1570; il y travailla huit ans, au bout desquels il alla à Rome où le pape Gregoire XIII. l'avoit appellé.

Les caracteres de ce Graveur ont été plus estimés que ceux d'aucun de ses contemporains: ils étoient dans le même goût, mais plus finis. Les frappes ou matrices s'en sont fort répandues en Europe, & elles servent encore en beaucoup d'endroits.

Le goût de ces italiques a commencé à passer vers le commencement du dix - huitieme siecle: cette espece de révolution typographique fut amenée par les sieurs Granjean & Alexandre, Graveurs du roi, dont les caracteres servent à l'Imprimerie royale. En 1742, M. Fournier le jeune que nous avons déja cité avec éloge, les approcha davantage de notre maniere d'écrire, par la figure, les pleins & les déliés qu'il leur donna. Voyez l'article Italique.

Guillaume le Bé, né à Troies en Champagne vers l'an 1525, grava plusieurs caracteres, & s'appliqua principalement aux hébreux & rabbiniques: il travailla d'abord à Paris; de - là il alla à Venise, à Rome, &c. Il revint à Paris où il mourut. Robert Etienne a beaucoup employé de ses caracteres dans ses éditions hébraïques.

Jacques de Sanlecque, né à Cauleu, dans le Boulonois en Picardie, commença dès son extrème jeunesse, à cultiver la Gravure en caracteres. Il travailloit vers l'an 1558; il y a bien réussi.

Jacques de Sanlecque son fils, né à Paris, commença par étudier les Lettres; il y fit des progrès, & se rendit aussi digne successeur de son pere dans la Gravure. Sanlecque pere & fils étoient, en 1614, les seuls Graveurs qu'on eût à Paris. Le fils exécuta de très - belles notes de Plein - Chant & de Musique, plusieurs beaux caracteres, entre lesquels on peut nommer le plus petit qu'on connût alors à Paris, & que nous appellons la Pariscenne. Voyez Parisienne.

M. Fournier le jeune, juge très compétent, par la connoissance qu'il a & de son Art & de l'Histoire de cet Art, prononce séverement que depuis Sanlecque fils, jusqu'au commencement du dix - huitieme sie<pb-> [p. 652] cle, il ne s'est trouvé en France aucun Graveur en caracteres tant soit peu recommandable. Lorsqu'il fut queftion de distinguer les i & les u consonnes & voyelles, il ne se trouva pas un seul ouvrier en état d'en graver passablement les poinçons; ceux de ces anciens poinçons qu'on retrouve de tems en tems, montrent combien l'art avoit dégénéré. Il en sera ainsi de plusieurs Arts, toutes les fois que ceux qui les professent seront rarement employés; on fond rarement des statues équestres; les poinçons des caracteres Typographiques sont presqu'éternels: il est donc nécessaire que la maniere de s'y prendre & d'exceller dans ces ouvrages, s'oublie en grande partie.

La Gravûre des caracteres est proprement le secret de l'Imprimerie; c'est cet Art qu'il a fallu inventer pour pouvoir multiplier les lettres à l'infini, & rendre par - là l'Imprimerie en état de varier les compositions autant qu'une langue a de mots, ou que l'imagination peut concevoir d'idées, & les hommes inventer de signes d'écriture pour les désigner.

Cette gravûre se fait en relief sur un des bouts d'un morceau d'acier, d'environ deux pouces géométriques de long, & de grosseur proportionnée à la grandeur de l'objet qu'on y veut former, & qui doit y être taillé le plus parfaitement qu'il est possible, suivant les regles de l'Art & les proportions relatives à chaque lettre; car c'est de la perfection du poinçon, que dépendra la perfection des caracteres qui en émaneront.

On fait les poinçons du meilleur acier qu'on peut choisir. On commence par arrêter le dessein de la lettre: c'est une affaire de goût; & l'on a vû en différens tems les lettres varier, non dans leur forme essentielle, mais dans les rapports des différentes parties de cette forme entr'elles. Soit le dessein arrêté d'une lettre majuscule B, que nous prendrons ici pour exemple, cette lettre est composée de parties blanches & de parties noires. Les premieres sont creuses, & les secondes sont saillantes.

Pour former les parties creuses, on travaille un contre - poinçon d'acier de la forme des parties blanches. Voyez Planch. III. de la Gravûre, fig. 52. le contre - poinçon de la lettre B; ce contre - poinçon étant bien formé, trempé dur, & un peu revenu ou recuit, afin qu'il ne s'égraine pas, sera tout prêt à servir.

Le contre - poinçon fait, il s'agit de faire le poinçon: pour cela on prend de bon acier; on en dresse un morceau de grosseur convenable, que l'on fait rougir au feu pour le ramollir; on le coupe par tronçons de la longueur dont nous avons dit plus haut. On arrondit un des bouts qui doit servir de tête, & l'on dresse bien à la lime l'autre bout; ensorte que la face soit bien perpendiculaire à l'axe du poinçon; ce dont on s'assûrera en le passant dans l'équerre à dresser sur la pierre à l'huile, ainsi qu'il sera expliqué ci - après. On observe encore de bien dresser deux des longues faces latérales du poinçon, celles qui doivent s'appliquer contre les parois internes de l'équerre à dresser. On fait une marque de repaire sur une de ces faces; cette marque sert à deux fins: 1°. à faire connoître le haut ou le bas de la lettre, selon le côté du poinçon sur lequel elle est tracée; 2°. à faire que les mêmes faces du poinçon regardent à chaque fois qu'on le remet dans l'équerre, les faces de l'équerre contre lesquelles elles étoient appliquées la premiere fois. Cette précaution est très essentielle; sans elle on ne parviendroit jamais à bien dresser la petite face du poinçon, sur laquelle la lettre doit être pour ainsi dire découpée.

Lorsqu'on a préparé le poinçon, comme nous venons de le prescrire, on le fait rougir au feu, quand il est très - gros; quand il ne l'est point, il suffit que l'acier soit recuit, pour recevoir l'empreinte du con<cb-> tre - poinçon; on le serre dans un tas dans lequel il y a une ouverture propre à le recevoir. On l'y affermit par deux vis, la face perpendiculaire à l'axe tournée en haut; on présente à cette face le contre - poinçon qu'on enfonce à coup de masse, d'une ligne ou environ, dans le corps du poinçon, qui reçoit ainsi l'empreinte des parties creuses de la lettre.

Cette opération faite, on retire le contre - poinçon; on ôte le poinçon du tas; on le dégrossit à la lime, tant à sa surface perpendiculaire à l'axe, qu'à sa surface latérale; on le dresse sur la pierre à l'huile avec l'équerre. Il y en a qui tracent quelquefois avec une pointe d'acier bien aiguë, le contour extérieur des épaisseurs des parties saillantes de la lettre: mais quand le contre - poinçon est bien fait, le Graveur n'a qu'à se laisser diriger par la forme. On enleve à la lime les parties qui sont situées hors du trait de la pointe aiguë, quand on s'en sert, ce qui arrive toûjours dans la gravûre des vignettes; on observe bien de ne pas gâter les contours de la lettre, en emportant trop. On dresse la lettre sur la pierre à huile pour enlever les rebarbes que la lime a occasionnées; on finit la lettre à la lime, & quelquefois au burin, ne laissant à cette extrémité que la lettre seule, telle qu'on voit la lettre B, fig. 50. même Planch. III. Cette figure montre le poinçon de la lettre B achevé; on voit que la lime a enlevé en talud les parties qui excédoient les contours de cette lettre.

L'équerre à dresser, qu'on voit fig. 53. est un morceau de bois ou de cuivre formé par deux parallelepipedes ABCD, ABEF, qui forment un angle droit sur la ligne A B; ensorte que, quand l'équerre est posé sur un plan, comme dans la fig. 51. cette ligne A B soit perpendiculaire au plan. La partie inférieure de l'équerre, celle qui pose sur le plan, est garnie d'une semelle d'acier ou d'autre métal, bien dressée sur la pierre à huile, qui doit être elle - même parfaitement plane. On place le poinçon dans l'angle de l'équerre; on l'y assujettit avec le pouce, & avec le reste de la main dont on tient l'équerre extérieurement, on promene le tout sur la pierre à huile sur laquelle on a soin de répandre un peu d'huile d'olive. La pierre use à la fois & la semelle de l'équerre & la partie du poinçon. Mais comme l'axe du poinçon conserve toûjours son parallélisme avec l'arrête angulaire de l'équerre A B, & que l'équerre à cause de la grande étendue de sa base, ne perd point sa direction perpendiculaire au plan de la pierre; il s'ensuit qu'il en est de même du poinçon, qu'il est dressé & que le plan de la lettre est bien perpendiculaire à l'axe du poinçon.

Quand le poinçon a reçû cette façon, on le trempe pour le durcir. On le fait ensuite un peu revenir ou recuire, afin qu'il ne s'égraine pas quand on s'en servira pour marquer les matrices; c'est de sa ferme consistance que dépend sa dureté & sa bonté. Trop dur, il se brise facilement; trop mou, les angles de sa lettre s'émoussent, & il faut revenir à la taille & à la lime.

Tous les poinçons des lettres d'un même corps doivent avoir une hauteur égale, relativement à leur figure. Les capitales doivent être toutes de même grandeur entr'elles, & de la hauteur des minuscules b, d, l, &c. & autres lettres à queue; il en est de même de p, q, par en bas. Les minuscules sont aussi égales entr'elles, mais d'un calibre plus petit, comme m, a, &c. On les égalise avec un calibre; ce calibre est un morceau de laiton plat dans lequel sont trois entailles, la plus grande pour les lettres pleines, telles que j long, Q capital, &c. la seconde pour les lettres longues qui sont les capitales, les minuscules longues, telles que d, b, p, q, &c. la troisieme pour les minuscules, comme m, a, c, e. La lettre du poinçon qu'on présente à l'une de ces entailles, doit la rem<pb->

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