ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"593"> phre, que celle de ceux qui viennent à découvert dans un terrein sabloneux; car l'influence du soleil rend le camphre si volatil, qu'il se mêle facilement avec les sucs de l'arbre, & que s'élevant entre le bois & la membrane intérieure & tendre de l'écorce, il se répand si parfaitement entre les branches & dans les feuilles où il se transforme, qu'il ne se laisse plus distinguer, & que ce qui en reste n'est pas sensible.

L'odeur du canellier est admirable quand il est en fleur; & lorsque les vents favorables soufflent de terre, le parfum en est porté fort avant dans la mer, ensorte qu'au rapport de quelques voyageurs, ceux qui navigent alors dans ces contrées, sentent cette odeur suave à quelques milles de distance du rivage.

Méthode en usage pour tirer la canelle de l'arbre. La canelle des boutiques est l'écorce tirée des canelliers de trois ans: on a coûtume de l'enlever au printems & en automme, dans le tems que l'on observe une seve abondante entre l'écorce & le bois; lorsqu'on l'a enlevée, on sépare la petite écorce extérieure grise & raboteuse; ensuite on la coupe par lames, on l'expose au soleil; & là en se séchant, elle se roule d'elle - même comme nous la voyons: on choisit sur - tout le printems, & lorsque les arbres commencent à fleurir, pour enlever cette écorce. Après qu'on l'a enlevée; l'arbre reste nud pendant deux ou trois ans; enfin au bout de ce tems il se trouve revêtu d'une nouvelle écorce, & est propre à la même opération.

La canelle Portugaise ne subsiste plus. On a eu pendant quelque tems dans le commerce cette canelle, qu'on appelloit canelle sauvage, canelle grise, qui croissoit dans le royaume de Cochin, sur la côte de Malabar; les Portugais chassés par les Hollandois de Ceylan; débitoient cette canelle sauvage à la place de la véritable; mais ce debit n'a pas duré longtems: ces derniers ne virent pas sans envie le négoce de la canelle Portugaise, & l'on croit que cette jalousie fut en partie la cause qui les engagea de s'emparer en 1661 de Cochin, dont ils firent arracher toute la canelle sauvage, afin de se trouver feuls maîtres dans le monde de cette précieuse épicerie.

On demande si les anciens ont connu notre canelle, & si le cinnamome dont il est tant parlé dans les écrits des anciens, étoit la canelle de nos jours: problème qui partage tous les auteurs.

Il est d'abord certain que le kin - namom des Hébreux, mentionné dans l'Ecriture - sainte, Exode xx. 33. cantiq. iv: 14. n'est point celui des Grecs & des Romains, encore moins quelque canelle d'Amérique, ou celle des Indes orientales. Le nouveau monde n'étoit pas connu, & le commerce avec l'île de Ceylan ou de Taprobane, n'étoit pas ouvert. Dieu ordonne à Moyse de prendre du kin - namom avec divers autres aromates, & d'en composer une huile de parfum pour oindre le tabernacie. Il s'agit donc ici d'une gomme, ou d'une huile, plûtôt que d'une écorce ou d'un bois odorant.

La difficulté est bien plus grande à l'égard du cinnamome des autres peuples. Quelques - uns pensent que leur cinnamome étoit les tendres rameaux de l'arbre qui porte le clou de girofle: mais ils ne songent pas que si les anciens eussent connu cet arbre, ils n'auroient pas omis, comme ils l'ont fait, de parler de ses fruits, qui sont si remarquables par leur aromate, leur goût piquant, & leur odeur pénétrante.

Ceux qui prétendent que le cinnamomum des anciens, de Théophraste, Dioscoride, Galien, & Pline, est notre canelle moderne, s'appuient sur la ressemblance des caracteres de cet arbrisseau avec notre canellier, dans la description que ces anciens écrivains nous ont donnée de la petitesse de l'écorce, de son odeur, de son goût, de ses vertus, & de son prix: mais on combat les sectateurs de cette opinion pré<cb-> cisément par les mêmes armes qu'ils employent pour la défendre. On leur oppose que les anciens distinguant plusieurs especes de cinnamomum, une mosylitique noirâtre, d'un gris vineux, qui est la plus excellente, acre, échauffante, & salée en quelque maniere, une autre de montagne, une noire, une blanche; aucune de ces especes ne convient à notre canelle: d'où l'on conclut que les anciens Grecs & Romains ne l'ont point connue. Les curieux trouveront toutes les raisons possibles en faveur de ce dernier sentiment, rassemblées dans un ouvrage exprès de Balthasar Michacl Campi, intitulé: Spicilegio botanico, nel quale si manisesta lo sconosciuto cinnamomo delli antichi. Lucca, 1652, in - 4°.

Sans décider une question susceptible de raisons pour & contre, nous nous contenterons remarquer, que les anciens n'ayant point déterminé clairement ni unanimement ce qu'ils entendoient par leur cinnamomum, nous n'en pouvons juger qu'en aveugles; ils n'en connoissoient pas même l'histoire, comme il est aisé de le prouver.

Pline raconte que les marchands qui l'apportoient en Europe, faisoient un voyage si long & si périlleux, qu'ils étoient quelquefois cinq ans sans revenir; que la plûpart mouroient en chemin; & que la plus considérable partie de ce trafic se faisoit par des femmes. L'éloignement du lieu dont on tiroit la marchandise, la longueur du trajet, l'avidité du gain, le prix naturel de la chose, les diverses mains par lesquelles elle passoit; en faut - il davantage pour donner lieu à toutes les fables qu'on débitoit sur l'origine de la production végétale qu'ils nommerent cinnamomum?

Du tems de Galien elle étoit déjà si rare, qu'on n'en trouvoit plus que dans les cabinets des Empereurs. Pline ajoûte que le prix en étoit autréfois très - confidérable, & que ce prix étoit augmenté de moitié par le dégât des Barbares, qui en avoient brûlé tous les plants. Seroit - il donc hors de vraissemblance de penser que le cinnamome des anciens nous est entierement inconnu, & qu'il est présentement perdu?

Il n'en arrivera pas de même de notre canelle, ni du canellier: description exacte, planches, culture, débit, usage en Medecine, tant de préparations qu'on en tire, ou dans lesquelles elle entre; tout nous assûre son immortalité.

Du débit qui s'en fait, de ses diverses sortes, & de son choix. J'ai déjà remarqué que la compagnie des Indes orientales en Hollande étoit seule maîtresse de la canelle: mais au lieu d'en augmenter la quantité par la multiplication des arbres qui la produisent, ce qui seroit facile, la compagnie prend grand soin de faire arracher de tems en tems une partie de ceux qui croissent sans culture, ou qui ne seroient pas dans de certains districts de l'île: elle sait par une expérience de près de cent ans la quantité de canelle qu'il lui faut pour le commerce, & est persuadée qu'elle n'en débiteroit pas davantage, quand même elle la donneroit à meilleur marché.

On juge que ce que cette compagnie en apporte en Europe, peut aller à environ six cents mille livres pesant par an, & qu'elle en débité à peu - près autant dans les Indes.

Il s'en consomme une grande quantité en Améririque, particulierement au Pérou pour le chocolat, dont les Espagnols ne peuvent se passer.

Ce qu'on appelle à Ceylan le champ de la canelle, & qui appartient en entier à la compagnie Hollandoise, est depuis Négambo jusqu'à Gallieres: la meilleure canelle est celle des environs de Négambo & de Colombo.

On en distingue de trois sortes, de fine, de moyenne; & de grossiere: cette diversité procede de la va<pb-> [p. 594] riété, non - seulement des arbres dont on la tire, par rapport à leur âge, leur position, leur culture, mais encore des différentes parties de l'arbre: car la canelle d'un jeune arbre differe de celle d'un vieux arbre; l'écorce du tronc, de celle des branches; & l'écorce de la racine, de celle de l'un & de l'autre: les jeunes arbres produisent la plus fine, & toûjours de moindre qualité à mesure qu'ils acquierent plus de trois ans.

Ainsi cette canelle grossiere, connue communément dans le commerce sous le nom de canelle matte, n'est autre chose que des écorces de vieux troncs de canelliers: une telle écorce est de beaucup inférieure par son odeur, son goût, & ses vertus, à la fine canelle; aussi la doit - on rejetter en Medecine.

On demande pour le choix de la bonne canelle, qu'elle soit fine, unie, facile à rompre, mince, d'un jaune tirant sur le rouge, odorante, aromatique, d'un goût vif piquant, & cependant douçâtre & agréable: celle dont les morceaux en même tems sont petits, & les bâtons longs, ont la préférence par les connoisseurs.

Il semble que toute sa vertu consiste dans une pellicule très - fine, qui revêt intérieurement cette écorce; du moins a - t - on lieu d'en juger ainsi, si ce que dit Herman est vrai, qu'on retire plus d'huile d'une livre de cette pellicule, que de six livres de l'écorce entiere.

De ses falsifications. Il y a des gens qui pour gagner sur le débit de cette épicerie, la mêlangent avec des écorces de même grosseur & couleur; d'autres la vendent après en avoir tiré les vertus par la distillation. Ces fraudes se connoîtront aisément, tant au goût qu'à l'odorat. On dit qu'en laissant séjourner pendant long - tems des bâtons de canelle privés par la distillation de leur huile odorante, parmi de bonne canelle, ils reprennent leurs vertus. Mais, suivant la remarque de Boerhaave, si le fait est vrai, c'est aux dépens de la bonne canelle sur laquelle on les a mis; & alors il est évident qu'elle doit avoir perdu tout ce qu'ils ont recouvré. Cependant comme il n'est pas possible dans l'achat de la canelle de goûter tous les bâtons les uns après les autres, le vrai secret est de la prendre chez d'honnêtes négocians, qui méprisent les gains illicites.

Toutes les parties du canellier fournissent des secours à la Medecine: son écorce, sa racine, son tronc, ses tiges, ses feuilles, ses fleurs, & son fruit: on en tire des eaux distillées, des sels volatils, du camphre, du suif ou de la cire, des huiles précieuses; l'on en compose des sirops, des pastilles, des essences odoriférantes, d'autres qui convertissent en hypocras toutes sortes de vins; en un mot c'est le roi des arbres à tous ces égards. Prouvons - le en détail.

De la distillation de l'huile de canelle, & de sa nature. Newman dit que la canelle est un singulier composé de parties huileuses, salines, résineuses, gommeuses, & sur - tout terrestres, ensorte que dans une livre de canelle il y a presque les trois quarts d'une terre indissoluble, deux onces d'une substance résineuse, une once & demie d'une substance gommeuse, & près d'une dragme d'une huile essentielle.

Cette huile vient dans la distillation avec une eau blanche au fond de la quelle elle se précipite, parce qu'elle est plus pesante en pareil volume. La qualité essentielle de cette eau & de cette huile, logée dans leur esprit recteur invisible, qui n'en augmente ni n'en diminue le poids, est un phénomene bien surprenant.

Si l'on distille la canelle quand elle est récente, elle donne plus d'huile que quand elle est vieille: delà vient peut - être que quelques chimistes disent n'avoir tiré qu'une dragme d'huile, & d'autres deux, d'une livre de canelle: mais il se peut aussi que l'art de la distillation y concoure pour beaucoup, s'il est vrai qu'il y a des artistes qui savent tirer près d'une once d'huile pure d'une livre de canelle, par le moyen de l'esprit - de - vin préparé d'une certaine maniere, dont ils font un secret. C'est aux Indes même, à Ceylan, à Batavia, qu'on fait la distillation de la plus grande partie d'huile de canelle qui se débite en Europe; les Droguistes & Apothicaires Hollandois trouvant encore mieux leur compte à l'acheter de la compagnie, qu'à la tirer de la canelle par la distillation.

Mais comme cette huile est extrèmement chere, & vaut environ cinquante francs l'once, l'amour du gain a fait imaginer des ruses pour l'adultérer finement; & on y a réussi par le mêlange de l'huile de girofle, qui perdant avec le tems son odeur, ne laisle presqu'aucun moyen de découvrir la falsification.

Suivant le procédé de Boerhaave, on retire par la distillation d'une livre de canelle avec de l'eau bouillante, une liqueur laiteuse, au fond de laquelle on trouve une petite quantité d'huile limpide, rougeâtre, inflammable, brûlante, extrèmement odoriférante, & doüée au suprème degré des qualités essentielles de la canelle: il faut la garder dans une phiole étroite bien bouchée; il en est de même de la liqueur laiteuse, si recherchée par son agréable odeur, son goût vif & piquant. Cette liqueur étant gardée, dépose un peu d'huile, & devient insensiblement plus claire, & moins aromatique.

Si on conserve l'huile de canelle pendant plusieurs années dans des phioles hermétiquement bouchées, on prétend que la plus grande partie se transformera en un sel qui a les vertus de la canelle, & qui se dissout dans l'eau. Le docteur Slare assûre, dans les Transactions philosophiques, que dans l'espace de vingt ans la moitié d'une certaine quantité d'huile de canelle se changea en se

La canelle est donc remplie d'un sel essentiel, soit acide, soit urineux, qui approche du sel ammoniac, uni avec une huile essentielle aromatique, d'où son action paroît dépendre principalement. Toutes les expériences nous manquent sur ce sel.

Du camphre que donne la racine du canellier. Voici d'autres phénomenes. Par la distillation on retire de l'ecorce de la racine du canellier une huile & un sel volatil, ou plûtôt du camphre: l'huile est plus légere que l'eau, limpide, jaunâtre, subtile, & se dissipe aisément dans l'air; d'une odeur forte, vigoureuse, agréable, qui tient le milieu entre le camphre & la canelle; d'un goût fort vif: sans employer même la distillation, l'écorce de la racine du canellier rend de tems en tems du camphre en gouttes oléagineuses, qui se coagulent en forme de grains blancs.

Le camphre de la canelle est très - blanc; il surpasse de beaucoup par la douceur de son odeur le camphre ordinaire; il est très - volatil, & se dissipe fort aisément; il s'enflamme promptement, & il ne laisse point de marc après la déflagration.

L'huile que l'on tire de l'écorce de la racine du canellier, est employée extérieurement aux Indes dans les douleurs aux jointures, produites par le froid, dans les rhûmatismes & dans les paralysies; on l'y donne intérieurement broyée avec du sucre, pour exciter les sueurs, les urines, fortifier l'estomac, chasser les vents, dissiper les catarrhes. On y regarde le camphre du canellier comme le meilleur dont on puisse faire usage en Medecine: on le ramasse avec soin, & il est destiné pour les rois du pays, qui le prennent comme un cordial d'une efficacité peu commune. La blancheur de ce sel, son odeur douce, sa volatilité, sa rareté, assureroient sa fortune quelque part que ce fût. L'eau camphrée qui vient avec l'huile dans la distillation, est extrè<pb->

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