ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"484"> sieurs mondes, & que ces mondes sont sortis de Dieu par voie d'émanation. Ils sont composés de lumiere. Cette lumiere divine étoit fort subtile dans sa source: mais elle s'est épaissie peu - à - peu à proportion qu'elle s'est éloignée de l'Être souverain, auquel elle étoit originairement attachée.

Dieu voulant donc créer l'univers, il y trouva deux grandes difficultés. Premierement tout étoit plein, car la lumiere éclatante & subtile (Introduct. ad lib. Zohar. sect. I. Cab. denud. tom. III.) qui émanoit de l'Essence divine, remplissoit toutes choses: il falloit donc former un vuide pour placer les émanations & l'univers. Pour cet effet, Dieu pressa un peu la lumiere qui l'environnoit, & cette lumiere comprimée se retira aux côtés, & laissa au milieu un grand cercle vuide, dans lequel on pouvoit situer le monde. On explique cela par la comparaison d'un homme qui se trouvant chargé d'une robe longue la retrousse. On allegue l'exemple de Dieu qui changea de figure, ou la maniere de sa présence sur le mont Sinai, & dans le buisson ardent. Mais toutes ces comparaisons n'empêchent pas qu'il ne reste une idée de substance sensible en Dieu. Il n'y a que les corps qui puissent remplir un lieu, & qui puissent être comprimés.

On ajoûte que ce fut pour l'amour des justes & du peuple saint, que Dieu fit ce resserrement de lumiere. Ils n'étoient pas encore nés, mais Dieu ne laissoit pas de les avoir dans son idée. Cette idee le réjoüissoit; & ils comparent la joie de Dieu qui produisit les points, & ensuite les lettres de l'alphabet, & enfin les récompenses & les peines, au mouvement d'un homme qui rit de joie.

La lumiere qui émanoit de l'Essence divine, faisoit une autre difficulté, car elle étoit trop abondante & trop subtile pour former les créatures. Afin de prévenir ce m l, Dieu tira une longue ligne, qui descendant dans les parties basses, tantôt d'une maniere droite, & tantôt en se recourbant, pour faire dix cercledix séphirots, servit de canal à la lumiere. Elle se cmuniqua d'une maniere moins abondante; & s'épaississant à proportion qu'elle s'éloignoit de son centre, & descendant par le canal, elle devenoit plus propre à former les esprits & les corps.

La premiere émanation, plus parfaite que les autres, s'appelle Adam Kadmon, le premier de tout ce qui a été créé au commencement. Son nom est tiré de la Genese, où Dieu dit: faisons l'homme ou Adam à notre image; & on lui a donné ce nom, parce que comme l'Adam terrestre est un petit monde, celui du ciel est un grand monde; comme l'homme tient le premier rang sur la terre, l'Adam céleste l'occupe dans le ciel; comme c'est pour l'homme que Dieu a créé toutes choses, l'Eternel a possedé l'autre dès le commencement, avant qu'il fit aucune de ses oeuvres, & dès les n anciens. (Prov. ch. viij. vers. 22.) Enfin, au lieu qu'en commençant par l'homme (Abraham Cohen Iriroe philosoph. Cab. dissert. VI. cap. vij.) on remonte par degrés aux intelligences supérieures jusqu'à Dieu; au contraire, en commençant par l'Adam céleste qui est souverainement élevé, on descend jusqu'aux créatures les plus viles & les plus basses. On le représente comme un homme qui a un crane, un cerveau, des yeux, & des mains; & chacune de ses parties renferme des mysteres profonds. La sagesse (Apparatus in lib. Zohar. figurâ primâ, pag. 195.) est le crane du premier Adam, & s'étend jusqu'aux oreilles; l'intelligence est son oreille droite; la prudence fait son oreille gauche; ses piés ne s'allongent pas au - delà d'un certain monde inférieur, de peur que s'ils s'étendoient jusqu'au dernier ils ne touchassent à l'infini, & qu'il ne devînt lui - même in fini. Sur son diaphragme est un amas de lumiere qu'il y a condensée: mais une autre partie s'est échappée par les yeux & par les oreilles. La ligne qui a servi de canal à la lumiere, lui a communiqué avec l'intelligence & la bonté, le pouvoir de produire d'autres mondes. Le monde de cet Adam premier est plus grand que tous les autres; ils reçoivent de lui leurs influences, & en dépendent. Les cercles qui forment sa couronne, marquent sa vie & sa durée, que Plotin & les Egyptiens ont représentée par un cercle, ou par une couronne.

Comme tout ce qu'on dit de cet Adam premier semble convenir à une personne, quelques Chrétiens interprétant la Cabale, ont cru qu'on désignoit par là Jesus - Christ, la seconde personne de la Trinité. Ils se sont trompés; car les Cabalistes (Abraham Cohen Iriroe philosoph. Cab. dissert. IV. cap. vij.) donnent à cet Adam un commencement: ils ont même placé un espace entre lui & l'infini, pour marquer qu'il étoit d'une essence différente, & fort éloigné de la perfection de la cause qui l'avoit produit; & malgré l'empire qu'on lui attribue pour la production des autres mondes, il ne laisse pas d'approcher du néant, & d'être composé de qualités contraires: d'ailleurs les Juifs qui donnent souvent le titre de fils à leur Seir - Anpin, ne l'attribuent jamais à Adam Kadmon qu'ils éleyent beaucoup au - dessus de lui.

On distingue quatre sortes de mondes, & quatre manieres de création.

1°. Il y a une production par voie d'émanation; & ce sont les séphirots & les grandes lumieres qui ont émané de Dieu, & qui composent le monde Azileutique: c'est le nom qu'on lui donne. Ces lumieres sont sorties de l'Être infini, comme la chaleur sort du feu, la lumiere du soleil, & l'effet de la cause qui le produit. Ces émanations sont toûjours proche de Dieu, où elles conservent une lumiere plus vive & plus subtile; car la lumiere se condense & s'épaissit à proportion qu'on s'éloigne de l'Être infini.

Le second monde s'appelle Briathique, d'un terme qui signifie dehors, ou détacher. On entend par là le monde ou la création des ames qui ont été détachées de la premiere cause, qui en sont plus éloignées que les sephirots, & qui par conséquent sont plus épaisses & plus ténébreuses. On appelle ce monde le throne de la gloire, & les séphirots du monde supérieur y versent leurs influences.

Le troisieme degré de la création regarde les anges. On assûre (Philos. Cabb. diss. I. cap. xvij.) qu'ils ont été tirés du néant dans le dessein d'être placés dans des corps célestes, d'air ou de feu; c'est pourquoi on appelle leur formation Jesirah, parce que ces esprits purs ont été formés pour une substance qui leur étoit destinée. Il y avoit dix troupes de ces anges. A leur tête étoit un chef nommé Métraton, élevé au - dessus d'eux, contemplant incessamment la face de Dieu, leur distribuant tous les jours le pain de leur ordinaire. Ils tirent de lui leur vie & leurs autres avantages; c'est pourquoi tout l'ordre angélique a pris son nom.

Enfin Dieu créa les corps qui ne subsistent point par eux - mêmes comme les ames, ni dans un autre sujet, comme les anges. Ils sont composés d'une matiere divisible, changeante; ils peuvent se détruire, & c'est cette création du monde qu'ils appellent Asiah. Voilà l'idée des Cabalistes, dont le sens est que Dieu a formé différemment les ames, les anges, & les corps; car pour les émanations, ou le monde Azileutique, ce sont les attributs de la divinité qu'ils habillent en personnes créées, ou des lumieres qui découlent de l'Etre infini.

Quelques bisarres que soient toutes ces imaginations, on a tâché de justifier les visionnaires qui les ont enfantées, & ce sont les Chrétiens qui se chargent souvent de ce travail pour les Juifs. Mais il faut avoüer qu'ils ne sont pas toûjours les meilleurs interpretes de la Cabale. Ils pensent toûjours à la Tri<pb-> [p. 485] nité des personnes divines; & quand il n'y auroit que ce seul article dont ils s'entêtent, ils n'entreroient jamais dans le sentiment des Cabalistes. Ils nous apprennent seulement par leur idée de la Trinité, qu'on peut trouver tout ce qu'on veur dans la Cabale. Cohen Irira, dans son livre intitulé, Philos. Cab. dissert. V. chap. viij. nous fait mieux comprendre la pensée des Cabalistes, en soûtenant, 1°. que la lumiere qui remplissoit toutes choses étoit trop subtile pour former des corps ni même des esprits. Il falloit condenser cette lumiere qui émanoit de Dieu. Voilà une premiere erreur, que le monde est forti de la divinité par voie d'émanation, & que les esprits sont sortis de la lumiere. 2°. Il remarque que Dieu ne voulant pas créer immédiatement lui - même, produisit un être qu'il revêtit d'un pouvoir suffisant pour cela, & c'est ce qu'ils appellent Adam premier, ou Adam kadmon. Ce n'est pas que Dieu ne pût créer immédiatement: mais il eut la bonté de ne le pas faire, afin que son pouvoir parût avec plus d'éclat, & que les créatures devinssent plus parfaites. 3°. Ce premier principe que Dieu produisit, asin de s'en servir pour la création de l'Univers, étoit fini & borné: Dieu lui donna les perfections qu'il a, & lui laissa les défauts qu'il n'a pas. Dieu est indépendant, & ce premier principe dépendoit de lui; Dieu est infini, & le premier principe est borné; il est immuable, & la premiere cause étoit sujette au changement.

Il faut done avoüer que ces théologiens s'éloignent des idées ordinaires, & de celles que Moyse nous a données sur la création. Ils ne parlent pas seulement un langage barbare; ils enfantent des erreurs, & les cachent sous je ne sai quelles figures. On voit évidemment par Isaac Loriia, commentateur Juif, qui suit pas à pas son maître, qu'ils ne donnent pas immédiatement la création à Dieu; ils font même consister sa bonté à avoir fait un principe inférieur à lui qui pût agir. Trouver J. C. dans ce principe, c'est non seulement s'éloigner de leur idée, mais en donner une très - fausse du Fils de Dieu, qui est infini, immuable, & indépendant.

Si on descend dans un plus grand détail, on aura bien de la peine à ne se scandaliser pas du Seir Anpin, qui est bomme & femme; de cette mere, ce pere, cette femme, ou Nucha, qu'on fait intervenir; de cette lumiere qu'on fait sortir pa le crane, par les yeux & par les oreilles du grand Anpin. Ces métaphoes sont - elles bien propres à donner une juste idée des perfections de Dieu, & de la maniere dont il a créé le monde? Il y a quelque chose de bas & de rampant dans ces figures, qui bien loin de nous faire distinguer ce qu'on doit craindre & ce qu'on doit aimer, ou de nous unir à la divinité, l'avilissent, & la rendent méprisable aux hommes.

Voilà les principes généraux de la Cabale, que nous avons tâché d'expliquer avec clarté, quoique nous ne nous flattions pas d'y avoir réussi. Il faut avoüer qu'il y a beaucoup d'extravagance, & même de péril dans cette méthode; car si on ne dit que ce que les autres ont enseigné sur les opérations & sur les attributs de Dieu, il est inutile d'employer des allégories perpétuelles, & des métaphores outrées, qui, bien loin de rendre les vérités sensibles, ne servent qu'à les obscurcir. C'est répandre un voile sur un objet qui étoit déjà caché, & dont on ne découvroit qu'avec peine quelques traits. D'ailleurs, on renverse toute l'Ecriture, on en change le sens, & jusqu'aux mots, afin de pouvoir trouver quelque fondement & quelque appui à ses conjectures. On jette même souvent les hommes dans l'erreur, parce qu'il est impossible de suivre ces théologiens, qui entassent figures sur figures, & qui ne les choisissent pas toûjours avec jugement. Ce mêlange d'hom<cb-> mes & de femmes qu'on trouve associés dans les splendeurs, leur union conjugale, & la maniere dont elle se fait, sont des emblêmes trop puérils & trop ridicules pour représenter les opérations de Dieu, & sa fécondité. D'ailleurs, il y a souvent une profondeur si obscure dans les écrits des Cabalistes, qu'elle devient impénétrable: la raison ne dicte rien qui puisse s'accorder avec les termes, dont leurs écrits sont pleins. Après avoir cherché long - tems inutilement, on se lasse, on ferme le livre; on y revient une heure après; on croit appercevoir une petite lueur; mais elle disparoît aussitôt. Leurs principes paroissent d'abord avoir quelque liaison: mais la diversité des interpretes qui les expliquent est si grande, qu'on ne sait où se fixer. Les termes qu'on employe sont si étrangers, ou si éloignés de l'objet, qu'on ne peut les y ramener; & il y a lieu d'être étonné qu'il y ait encore des personnes entêtées, qui croyent que l'on peut découvrir, ou éclaircir, des vérités importantes, en se servant du secours de la Cabale. Il seroit difficile de les guérir: d'ailleurs, si en exposant aux yeux cette science dans son état naturel, on ne s'apperçoit pas qu'elle est creuse & vuide; & que sous des paroles obscures, souvent inintelligibles à ceux mêmes qui s'en servent, on cache peu de chose, tous les raisonnemens du mondé ne convaincroient pas. En effet, un homme de bon sens qui aura étudié à fond les séphirots, la couronne qui marque la perfection, la sagesse, ou la magnificence, en comprendra - t - il mieux que Dieu est un être infiniment parfait, & qu'il a créé le monde? Au - contraire, il faut qu'il fasse de longues spéculations avant que de parvenir là. Il faut lire les Cabalistes; écouter les différentes explications qu'ils donnent à leur; splendeurs, les suivre dans les conséquences qu'ils en tirent; peser si elles sont justes. Après tout, il faudra en revenir à Moyse; & pourquoi n'aller pas droit à lui, puisque c'est le maître qu'il faut suivre, & que le Cabaliste s'égare dès le moment qu'il l'abandonne? Les séphirots sont, comme les distinctions des scholastiques, autant de remparts, derriere lesquels un homme qui raisonne juste ne peut jamais percer un ignorant qui sait son jargon. Les écrivains sacrés ont pailé comme des hommes sages & judidicieux, qui voulant faire comprendre des vérités sublimes, se servent de termes clairs. Ils ont dû nécessairement fixer leur pensée & celle des Lecteurs, n'ayant pas eu dessein de les jetter dans un embarras perpétuel & dans des erreurs dangereuses. S'il est permis de faire dire à Dieu tout ce qu'il a pû dire, sans que ni le terme qu'il a employé, ni la liaison du discours détermine à un sens précis, on ne peut jamais convenir de rien. Les systèmes - de religion varieront à proportion de la fécondité de l'imagination de ceux qui liront l'Ecriture; & pendant que l'un s'occupera à chercher les évenemens futurs, & le sort de l'Eglise dans les expressions les plus simples, un autre y trouvera sans peine les erreurs les plus grossieres.

Mais, nous dira - t - on, puisque les Juifs sont entêtés de cette science, ne seroit - il pas avantageux de s'en servir pour les combattre plus facilement? Quel avantage! quelle gloire pour nous, lorsqu'on trouve, par la Cabale, la Trinité des personnes, qui est le grand épouvantail des Juifs, & le phantôme qui les trouble! quelle consolation, lorsqu'on découvre tous les mysteres dans une science qui semble n'être faite que pour les obscurcir!

Je réponds 1°. que c'est agir de mauvaise foi que de vouloir que le Christianisme soit enfermé dans les sephirots; car ce n'étoit point l'intention de ceux qui les ont inventés. Si on y découvre nos mysteres, afin de faire sentir le ridicule & le foible de cette méthode, à la bonne heure: mais Morus & les autres

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