ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"482"> chapitre de l'Exode. Il y a là une vérité assez sensible; c'est que la miséricorde est celle qui récompense les fideles, & que la justice punit les impénitens.

Il me semble que la clé du mystere consiste en ceci: les Cabalistes regardant Dieu comme une essence infinie qui ne peut être pénétrée, & qui ne peut se communiquer immédiatement à la créature, ont imaginé qu'elle se faisoit connoître, & qu'elle agissoit par les perfections qui émanoient de lui, comme les perfections de l'ame & son essence se manifestent, & se font connoître par les actes de raison & de vertu qu'elle produit, & sans lesquels ces perfections seroient cachées

Ils appellent ces attributs les habits de Dieu, parce qu'il se rend plus sensible par leur moyen. Il semble, à la vérité, que Dieu se cache par - là, au lieu de se revéler, comme un homme qui s'enveloppe d'un manteau ne veut pas être vû: mais la différence est grande, parce que l'homme est fini & borné; au lieu que l'essence de la divinité est imperceptible sans le secours de quelque opération; ainsi on ne peut voir le soleil, parce que son éclat nous ébloüit; mais on le regarde derriere un nuage, ou au - travers de quelque corps diaphane.

Ils disent aussi que c'étoient les instrumens dont le souverain architecte se servoit: mais de peur qu'on ne s'y trompe, ils ont ajoûté (Abrahami patriarchoe liber Jezirah, cap. j. sect. 2. pag. 175.) que ces nombres sont sortis de l'essence de Dieu même, & que si on les considere comme des instrumens, ce seroit pourtant une erreur grossiere, que de croire que Dieu peut les quitter & les reprendre selon les besoins qu'il en a; comme l'artisan quitte les outils, lorsque l'ouvrage est fini, ou qu'il veut se reposer; & les reprend, lorsqu'il recommence son travail. Cela ne se peut; car les instrumens ne sont pas attachés à la main du Charpentier: mais les nombres, les lumieres resplendissantes sortent de l'essence de l'infini, & lui sont toûjours unies, comme la flamme au charbon. En effet, comme le charbon découvre par la flamme sa force & sa vertu, qui étoit cachée auparavant; Dieu revele sa grandeur & sa puissance par les lumieres resplendissantes dont nous parlons.

Enfin les Cabalistes disent que ce ne sont pas - là seulement des nombres, comme Morus l'a crû; mais des émanations qui sortent de l'essence divine, comme les rayons sortent du soleil, & comme la chaleur naît par le feu sans en être séparée. La divinité n'a souffert ni trouble, ni douleur, ni diminution, en leur donnant l'exiscence, comme un flambeau ne perd pas sa lumiere, & ne souffre aucune violence, lorsqu'on s'en sert pour en allumer un autre qui étoit éteint, ou qui n'a jamais éclairé. Cette comparaison n'est pas tout - à - fait juste; car le flambeau qu'on allume, subsiste indépendamment de celui qui lui a communiqué sa lumiere; mais l'intention de ceux qui l'ont imaginée étoit seulement de prouver que Dieu ne souffre aucune altération par l'émanation de ses perfections, & qu'elles subsistent toûjours dans son essence.

L'ensoph qu'on met au - dessus de l'arbre séphirotique, ou des splendeurs divines, est l'infini. On l'appelle tantôt l'être, & tantôt le non - être: c'est un être, puisque toutes choses tirent de lui leur existence; c'est le non - être, parce qu'il est impossible à l'homme de pénétrer son essence & sa nature. Il s'enveloppe d'une lumiere inaccessible; il est caché dans une majesté impénétrable: d'ailleurs il n'y a dans la nature aucun objet qu'on puisse lui comparer, & qui le représente tel qu'il est. C'est en ce sens que Denys l'Aréopagite a osé dire, que Dieu n'étoit rien, ou que c'étoit le néant. On fait entendre par - là que Dieu est une essence infinie, qu'on ne peut ni la sonder ni la connoître; qu'il possede toutes choses d'une maniere plus noble & plus parfaite que les créatures, & que c'est de lui qu'elles tirent toutes leur existence & leurs qualités, par le moyen de ses perfections, qui sont comme autant de canaux par lesquels l'être souverain communique ses faveurs.

Les trois premieres splendeurs sont beaucoup plus excellentes que les autres. Les Cabalistes les distinguent: ils les approchent beaucoup plus près de l'infini, auquel elles sont étroitement unies; & la plûpart en font le chariot d'Ezéchiel ou le mercava, qu'on ne doit expliquer qu'aux initiés. Les Chrétiens (Kirch. OEdip. AEgypt. Gymnas. Hyerog. ciass. 4. §. 2.) profitent de cet avantage, & soûtiennent qu'on a indiqué par là les trois personnes de la Trinité dans une seule & même essence qui est infinie. Ils se plaignent même de l'ignorance & de l'aveuglement des Cabalistes modernes, qui regardent ces trois splendeurs comme autant d'attributs de la Divinité: mais ces Cabalistes sont les plus sages. En effet, on a beau citer les Cabalistes qui disent, que celui qui est un a fait émaner les lumieres, qu'il a fait trois ordres d'émanations, & que ces nombres prouvent la trinité du roi pendant toute l'éternité; ces expressions vagues d'Isachor Beer (Isachor Beer, fil. Mosis, Pesahc. lib. imve Beriah.) sont expliquées un moment après: tout le mystere consiste dans l'émanation de quatre mondes; l'Archetipe, l'Angélique, celui des Etoiles, & l'Elémenta. Cependant ces quatre mondes n'ont rien de commun avec la Trinité: c'est ainsi que Siméon Jochaides trouvoit dans le nom de Jehovah le Pere, le Fils, la Fille, & la Mere; avec un peu de subtilité on trouveroit le saint - Esprit dans la Fille de la Voix, & la Mere pourroit être regardée comme l'Essence divine, ou l'Eglise Chrétienne. Cependant on voit bien que ce n'étoit point l'intention de ce Cabaliste: le Jod, disoit - il, est le Pere; l'h, ou la seconde lettre du nom ineffable, est la Mere; l'u est le Fils; & la derniere h est la Fille: & qu'entend - il par là? l'Esprit, le Verbe, la voix, & l'ouvrage. On cite Maimonides, qui dit: « que la couronne est l'esprit original des dieux vivans; que la sagesse est l'esprit de l'Esprit; & que l'intelligence est l'eau qui coule de l'esprit: que s'il y a quelque distinction entre les effets de la sagesse, de l'intelligence, & de la science, cependant il n'y a aucune différence entr'elles; car la fin est liée avec le commencement, & le commencement avec la fin ». Mais il s'explique lui - même, en comparant cela au féu ou à la flamme qui jette au - dehors plusieurs couleurs différentes, comme autant d'émanations qui ont toutes leur principe & leur racine dans le feu. On ne conçoit pas les personnes de la Trinité, comme le bleu, le violet, & le blanc qu'on voit dans la flamme: cependant les Cabalistes soûtiennent que les splendeurs émanent de la Divinité, comme les couleurs sortent de la flamme, ou plûtôt du feu. Il ne faut donc pas s'arrêter aux éloges que les docteurs font des trois premiers séphirots comme si c'étoient les personnes de la Trinité, d'autant plus qu'ils unissent tous les séphirots à l'essence de Dieu; & dès le moment qu'on regarde les trois premiers comme autant de personnes de l'Essence divine, il faudra les multiplier jusqu'à dix, puisqu'ils subsistent tous de la même maniere, quoiqu'il y ait quelque différence d'ordre.

La couronne est la premiere des grandes splend eurs; parce que comme la couronne est le dernier habit qui couvre l'homme, & qu'on porte sur la tête, cette splendeur est la plus proche de l'infini, & le chef du monde Azileutique: elle est pleine de mille petits canaux, d'où coulent les effets de la bonté & de l'amour de Dieu. Toutes les troupes des Anges attendent avec impatience qu'une portion de cette splendeur descende sur eux, parce que c'est elle qui leur fournit les alimens & la nourriture. On l'appelle le non - étre; [p. 483] parce qu'elle se retire dans le sein caché de Dieu, dans un abysme inaccessible de lumiere.

On donne quelquefois le titre de couronne au royaume, qui n'est que la derniere des splendeurs: mais c'est dans un sens impropre, parce qu'il est la couronne du temple, de la foi, & du peuple d'Is ael.

La seconde émanation est la sagesse, & la troisieme est l'intelligence: mais nous serions trop longs si nous voulions expliquer ces trois grandes splendeurs, pour descendre ensuite aux sept autres. Il vaut mieux remarquer la liaison qui est entre ces splendeurs, & celle qu'elles ont avec les créatures qui composent l'univers. A chaque sephirot on attache un nom de Dieu, un des principaux anges, une des planetes, un membre du corps humain, un des commandemens de la loi; & de là dépend l'harmonie de l'univers. D'ailleurs une de ces choses fait penser à l'autre, & sert de degré pour parvenir au plus haut degré de la connoissance & de la Théologie contemplative. Enfin on apprend par là l'influence que les splendeurs ont sur les anges, sur les planetes, sur les astres, sur les parties du corps humain, &c.

Il y a donc une subordination entre toutes les choses dont cet univers est composé, & les unes ont une grande influence sur les autres; car les splendeurs influent sur les anges, les anges sur les planetes, & les planetes sur l'homme: c'est pourquoi on dit que Moyse, qui avoit étudié l'Astronomie en Egypte, eut beaucoup d'égard aux astres dans sa loi. Il ordonna qu'on sanctifiât le jour du repos, à cause de Saturne qui préside sur ce jour là, & dont les malignes influences seroient dangereuses, si on n'en détournoit pas les effets par la dévotion & par la priere. Il mit l'ordre d'honorer son pere & sa mere sous la sphere de Jupiter, qui étant plus doux, est capable d'inspirer des sentimens de respect & de soûmission. Je ne sai pourquoi Moyse qui étoit si habile, mit la défense du meurtre sous la constellation de Mars; car il est plus propre à les produire qu'à en arrêter le cours. Ce sont là les excès & les visions de la Cabale. Passons à d'autres.

En supposant la liaison des splendeurs ou perfections divines, & leur subordination, il a fallu imaginer des canaux & des conduits, par lesquels les influences de chaque perfection se communiquassent à l'autre: autrement l'harmonie auroit été renversée; & chaque splendeur agissant dans sa sphere particuliere, les mondes des anges, des astres, & des hommes terrestres, n'en auroient tiré aucun avantage. C'est pourquoi les Cabalistes ne manquent pas de dire qu'il y a vingt - deux canux, conformément au nombre des lettres de l'alphabet Hébreu, & ces vingt - deux canaux servent à la communication de tous les séphirots: car ils portent les influences de l'une à l'autre.

Il sort trois canaux de la couronne, dont l'un va se rendre à la sagesse, le second à l'intelligence, & le troisieme à la beauté. De la sagesse sort un quatrieme canal qui va se jetter dans l'intelligence: le cinquieme passe de la même source à la beauté, & le sixieme à la magnificence.

Il faut remarquer que ces lignes de communication ne remontent jamais, mais elles descendent toûjours. Tel est le cours des eaux qui ont leur source sur les montagnes, & qui viennent se épandre dans les lieux plus bas. En effet, quoique toutes les splendeurs soient unies à l'Essence divine, cependant la premiere a de la supériorité sur la seconde; du moins c'est de la premiere que sort la vertu & la force, qui fait agir la seconde; & le royaume, qui est le dernier, tire toute sa vigueur des splendeurs qui sont au - dessus de lui. Cette subordination des attributs de Dieu pourroit paroître erronée: mais les Cabalistes disent que cela ne se fait que selon notre maniere de concevoir; & qu'on range ainsi ces splendeurs, afin de les distinguer & de faciliter la connoissance exacte & pure de leurs opérations.

C'est dans la même vûe qu'ils ont imaginé trentédeux chemins & cinquante portes qui conduisent les hommes à la connoissance de ce qu'il y a de plus secret & de plus caché. Tous les chemins sortent de la sagesse; parce que l'Ecriture dit, tu as créé le monde avec sagesse. Toutes ces routes sont tracées dans un livre qu'on attribue au patriarche Abraham; & un rabbin célebre du même nom y a ajoûté un commentaire, afin d'y conduire plus sûrement les hommes.

Les Chrétiens se divisent sur l'explication des séphirots aussi - bien que les Juifs; & il n'y rien qui puisse mieux nous convaincre de l'incertitude de la Cabale, que les différentes conjectures qu'ils ont faites: car ils y trouvent la Trinité & les autres principes de la religion Chrétienne. (Morus, epist. in Cab. denud. tom. II. Kircher, OEdip. AEgypt. Gymnas. &c. cap. ix. tom. II.) Mais si l'on se donne la peine d'examiner les choses, on trouvera que si les Cabalistes ont voulu dire quelque chose, ils ont eu dessein de parler des attributs de Dieu: Faut - il, parce qu'ils distinguent trois de ces attributs comme plus excellens, conclurre que ce sont trois personnes? Qu'on lise leurs docteurs sans préjugé, on y verra qu'ils comparent les séphirots à dix verres peints de dix couleurs différentes. La lumiere du soleil qui frappe tous ces verres est la même, quoiqu'elle fasse voir des couleurs différentes: c'est ainsi que la lumiere ou l'Essence divine est la même, quoiqu'elle se diversifie dans les splendeurs, & qu'elle y verse des influences très - différentes. On voit par cette comparaison que les séphirots ne sont point regardés par les Cabalistes comme les personnes de la Trinité que les Chrétiens adorent. Ajoûtons un autre exemple qui met la même chose dans un plus grand jour, quoiqu'on s'en serve quelquefois pour prouver le contraire.

Rabbi Schabté compare les splendeurs à un arbre, dans lequel on distingue la racine, le germe les branches. « Ces trois choses forment l'arbre la seule différence qu'on y remarque, est que la racine est cachée pendant que le tronc & les branches se produisent au - dehors. Le germe porte sa vertu dans les branches qui fructifient: mais au fond, le germe & les branches tiennent à la racine, & forment ensemble un seul & même arbre. Disons la même chose des splendeurs. La couronne est la racine cachée, impénétrable; les trois esprits, ou séphirots, ou splendeurs, sont le germe de l'arbre; & les sept autres, sont les branches unies au germe sans pouvoir en être séparées: car celui qui les sépare, fait comme un homme qui arracheroit les branches de l'arbre, qui couperoit le tronc & lui ôteroit la nourriture en le séparant de sa racine. La couronne est la racine qui unit toutes les splendeurs». (Schabté in Jezirah.)

Comment trouver là la Trinité? Si on l'y découvre, il faut que ce soit dans ces trois choses qui composent l'arbre; la racine, le germe, & les branches. Le Pere sera la racine, le germe sera le Fils, & les branches le saint - Esprit qui fructifie. Mais alors les trois premieres splendeurs cessent d'être les personnes de la Trinité; car ce sont elles qui forment le tronc & le germe de l'arbre: & que fera t - on des branches & de la racine, si l'on veut que ce trone seul, c'est - à - dire les trois premieres splendeurs soient la Trinité? D'ailleurs ne voit - on pas que comme les dix splendeurs ne font qu'un arbre, il faudroit conclurre qu'il y a dix personnes dans la Trinité, si on vouloit adopter les principes des Cabalistes?

Création du monde par voie d'émanation. Les Cabalistes ont un autre système, qui n'est pas plus intelligible que le précédent. Ils soûtiennent qu'il y a plu<pb->

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.