ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Vers (Page 17:162)

Vers, Poésie du, (Art poëtique.) la poésie du vers est la couleur, le ton, la teinte, qui constituent la différence essentielle du vers d'avec la poésie.

On voit des vers qui ont la mesure & le nombre des piés, qui ont les figures & les tours poétiques, outre cela de la noblesse, de la force, de la grace, de l'élévation, & qui cependant n'ont point ce goût, cette saveur qu'on trouve dans ce qui est réellement vers. Nous le sentons sur tout dans la poésie françoise, dont nous sommes plus en état de juger que de toute autre. Qu'on attache des rimes & la mesure à la prose toute poétique de Télémaque, on n'a point pour cela des vers: on sent le ton prosaïque qui perce à - travers les atours de la Poésie. Il y a plus: un vers de Moliere est vers chez lui, & il sera prose dans Corneille; celui de Corneille ser vers dans le dramatique, & cessera de l'être dans l'épique.

Ce n'est point l'inversion qui constitue l'essence du vers, comme le prétend le pere du Cerceau; car si cela étoit, de trente vers de nos meilleurs poëtes, il s'en trouveroit à peine cinq qui eussent ce caractere prétendu essentiel. L'inversion n'est qu'un sel du style poétique, qui doit être jetté avec discrétion de tems - en - tems pour soutenir l'attention de i'esprit, & prévenir le dégoût. Disons donc qu'un vers est poétique, quand l'expression mesurée a une élévation, une force, un agrément dans les mots, les tours, les nombres, qu'on ne trouve point dans le même genre lorsqu'il est traité en prose; en un mot, quand elle montre la nature annoblie, enrichie, parée, élevée au - dessus d'elle - même.

La prose a des mots, des tours, de l'harmonie; la poésie du vers a tout cela, mais elle l'a dans un degré beaucoup plus parfait, toutes les sois qu'elle le peut. Dans la langue grecque, elle se fabriquoit à elle - même des mots nouveaux: elle changeoit, transformoit, étendoit, resserroit à son gré les mots d'usage: elle alloit jusqu'à dire, « les mortels parlent ainsi; mais voici comme disent les dieux ». Chez les Latins, elle oublie l'ordre & la marche de la prose; elle emprunte des tours étrangers; elle fait un composé singulier des choses qui sont communes, asin de s'élever au - dessus du ton vulgaire. Dans l'une & dans l'autre langue, elle se forge des chaînes, au milieu desquelles elle fait gloire de conserver tant d'aisance & de liberté, qu'on y reconnoît plutôt la puissance d'une divinité que les efforts de quelque mortel.

Enfin, c'est pour s'élever à cette sphere qui est au - dessus de l'humanité, que dans la langue françoise, elle s'est assujettie à des symmétries, des consonnances concertées entre l'esprit & l'oreille, qu'elle employe des mots qui ne sont qu'à elle seule, qu'elle brusque les constructions, &c. Cours de Belles - Lettres. (D. J.)

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