ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"670"> & de vénération que lui attiroit l'éclat de ses victoires, jouissoit dans une oisiveté dange reuse, de son crédit & de sa réputation. Mais César plus habile & plus caché que tous les deux, jettoit sourdement les fondemens de sa propre grandeur, sur le trop de sécurité de l'un & de l'autre. Il n'oublioit rien pour entretenir leur confiance, pendant qu'à force de présens il tâchoit de gagner les sénateurs qui leur étoient les plus dévoués. Les amis de Pompée & de Crassus devinrent sans s'en appercevoir les créatures de César; pour être averti de tout ce qui se passoit dans leurs maisons, il séduisit jusqu'à leurs affranchis, qui ne purent résister à ses libéralités. Il employa contre Pompée en particulier, les forces qu'il lui avoit données, & ses artifices mêmes; il troubla la ville par ses emissaires, & se rendit maître des élections; consuls, préteurs, tribuns, furent achetés au prix qu'ils mirent eux - mêmes.

Etant consul, il fit partager les terres de la Campanie, entre vingt mille familles romaines. Ce furent dans la suite autant de cliens, que leur intérêt engagea à maintenir tout ce qui s'étoit fait pendant son consulat. Pour prévenir ce que ses successeurs dans cette dignité pourroient entreprendre contre la disposition de cette loi, il en fit passer une seconde, qui obligeoit le sénat entier, & tous ceux qui parviendroient à quelque magistrature, de faire serment de ne jamais rien proposer au préjudice de ce qui avoit été arrêté dans les assemblées du peuple pendant son consulat. Ce fut par cette habile précaution qu'il sut rendre les fondemens de sa fortune si sûrs & si durables, que dix années d'absence, les tentatives des bons citoyens, & tous les mauvais offices de ses envieux & de ses ennemis, ne la purent jamais ébranler.

Cimentation de ce triumvirat. Mais comme il craignoit toujours que Pompée ne lui échappât, & qu'il fût regagné par le parti des republicains zélés, il lui donna sa fille Julie en mariage, comme un nouveau gage de leur union. Pompée donna la sienne à Servilius, & César épousa Calpurnie, fille de Pison, qu'il fit désigner consul pour l'année suivante. Il prit en même tems le gouvernement des Gaules avec celui de l'Illyrie, pour cinq ans. On décerna depuis celui de la Syrie à Crassus, qui le demandoit dans l'espérance d'y acquérir de nouvelles richesses, en quoi il réussit, car il doubla les trente millions qu'il possédoit. Pompée obtint l'une & l'autre Espagne, qu'il gouverna toujours par ses lieutenans, pour ne pas quitter les délices de Rome.

Ils firent comprendre ces différentes dispositions dans le même décret qui autorisoit le partage des terres, afin d'en intéresser les propriétaires à la conservation de leur propre autorité. Ces trois hommes partagerent ainsi le monde entier. Voila la ligue qu'on nomma le premier triumvirat, dont l'union, quoique momentanée, perdit la république. Rome se trouvoit en ce malheureux état, qu'elle étoit moins accablée par les guerres civiles que par la paix, qui réunissant les vues & les intérêts des principaux, ne faisoit plus qu'une tyrannie.

L'usage donnoit un gouvernement aux consuls à l'issue du consulat, & César de concert avec Pompée & Crassus, s'étoit fait déferer celui de la Gaule Cis - Alpine, qui n'étoit pas éloigné de Rome. Vatinius, tribun du peuple, & créature de César, y fit ajouter celui de l'Illyrie, avec la Gaule Trans - Alpine; c'est - à - dire la Provence, une partie du Dauphiné & du Languedoc, que César souhaitoit avec passion, pour pouvoir porter ses armes plus loin, & que le sénat même lui accorda, parce qu'il ne se sentoit pas assez puissant pour le lui refuser.

Il avoit choisi le gouvernement de ces provinces comme un champ de bataille propre à lui faire un grand nom. Il envisagea la conquête entiere des Gaules, comme un objet digne de son courage & de sa valeur, & il se flatta en même tems d'y amasser de grandes richesses, encore plus nécessaires pour soutenir son crédit à Rome, que pour fournir aux frais de la guerre. Il partit pour la conquête des Gaules, à la tête de quatre légions, & Pompée lui en prêta depuis une autre, qu'il détacha de l'armée qui étoit sous ses ordres, en qualité de gouverneur de l'Espagne & de la Lybie.

Les guerres de César, ses combats, ses victoires, ne sont ignorés de personne. On sait qu'en moins de dix ans, il triompha des Helvétiens, & les força de se renfermer dans leurs montagnes qu'il attaqua; & qu'il vainquit Arioviste, roi des Germains, auquel il fit la guerre, quoique ce prince eût été reçu au nombre des alliés de l'état; qu'il soumit depuis les Belges à ses lois; qu'il conquit toutes les Gaules, & que les Romains sous sa conduite, passerent la mer, & arborerent pour la premiere fois les aigles dans la Grande - Bretagne.

On prétend qu'il emporta de force, ou qu'il réduisit par la terreur de ses armes, huit cens villes; qu'il subjugua trois cens peuples ou nations; qu'il défit en différens combats trois millions d'hommes, dont il y en eut un million qui furent tués dans les batailles, & un autre million faits prisonniers; détail qui nous paroîtroit éxagéré, s'il n'étoit rapporté sur la foi de Plutarque, & des autres historiens romains.

Ambition & conduite de César. Il est certain que la république n'avoit point encore eu un plus grand capitaine, si on examine sa conduite dans le commandement des armées, sa rare valeur dans les combats, & sa modération dans la victoire. Mais ces qualités étoient obscurcies par une ambition démesurée, & par une avidité insatiable d'amasser de l'argent, qu'il regardoit comme l'instrument le plus sûr pour faire réussir ses grands desseins. Depuis qu'il fut arrivé dans les Gaules, tout fut vénal dans son camp; charges, gouvernemens, guerres, alliances, il trafiquoit de tout. Il pilla les temples des Dieux, & les terres des alliés. Tout ce qui servoit à augmenter sa puissance, lui paroissoit juste & honnête; & Cicéron rapporte qu'il avoit souvent dans la bouche ces mots d'Euripide: « s'il faut violer le droit, il ne le faut violer que pour régner; mais dans des affaires de moindre conséquence, on ne peut avoir trop d'égards pour la justice ».

Le sénat attentif sur sa conduite, vouloit lui en faire rendre compte, & il envoya des commissaires jusques dans les Gaules, pour informer des plaintes des alliés. Caton au retour de ces commissaires, proposa de le livrer à Arioviste, comme un désaveu que la république faisoit de l'injustice de ses armes, & pour détourner sur sa tête seule, la vengeance céleste de la foi violée. Mais l'éclat de ses victoires, l'affection du peuple, & l'argent qu'il savoit répandre dans le sénat, tournerent insensiblement les plaintes en éloges. On attribua ses brigandages à des vûes politiques; on décerna des actions de graces aux dieux pour ses sacrileges; & de grands crimes couronnés de la réussite, passerent pour de grandes vertus.

César devoit ses succès à sa rare valeur, & à la passion que ses soldats avoient pour lui. Il en étoit adoré, ils le suivoient dans les plus grands périls, avec une confiance bien honorable pour un général. Ceux qui sous d'autres capitaines n'auroient combattu que foiblement, montroient sous ses ordres un courage invincible, & devenoient par son exemple d'autres césars. Il les avoit attachés à sa personne & à sa fortune, par le soin infini qu'il prenoit de leur subsistance, & par des récompenses magnifiques. Il doubla leur solde; & le blé qu'on ne leur distribuoit que par rations réglées, leur fut donné sans mesure. [p. 671] Il assigna aux vétérans des terres & des possessions. Il sembloit qu'il ne sût que le dépositaire des richesses immenses qu'il accumuloit tous les jours, & qu'il ne les conservoit que pour en faire le prix de la valeur, & la récompense du mérite. Il payoit même les dettes de ses principaux officiers, & il laissoit entrevoir à ceux qui étoient engagés pour des sommes excessives, qu'ils n'auroient jamais rien à craindre de la poursuite de leurs créanciers, tant qu'ils combattroient sous ses enseignes. Soldats & officiers, chacun fondoit l'espérance de sa fortune, sur la libéralité & la protection du général. Par - là les soldats de la république devinrent insensiblement les soldats de César.

Son attention n'étoit pas bornée à s'assurer seulement de son armée. Du fond des Gaules il portoit ses vûes sur la disposition des affaires, & jusque dans les comices, & les assemblées du peuple, il ne s'y passoit rien sans sa participation. Son crédit influoit jusque dans la plupart des délibérations du sénat. Il avoit dans l'un & l'autre corps des amis puissans, & des créatures dévouées à ses intérêts. Il leur fournissoit de l'argent en abondance, soit pour payer leurs dettes, ou pour s'élever aux principales charges de la république. C'étoit de cet argent qu'il achetoit leurs suffrages, & leur propre liberté. Emilius Paulus étant consul, en tira neuf cent mille écus, seulement pour ne s'opposer point à ses desseins pendant son consulat. Il en donna encore davantage à Scribonius Curion, tribun du peuple, homme factieux, habile, éloquent, qui lui avoit vendu sa foi, & qui pour le servir plus utilement, affectoit de n'agir que pour l'intérét du peuple.

Rupture de Pompée avec César. Pompée ouvrit enfin les yeux, & résolut de ruiner la fortune de César. La jalousie du gouvernement, & une émulation réciproque de gloire, les firent bientôt apper cevoir qu'ils étoient ennemis, quoiqu'ils conservassent encore toutes les apparences de leur ancienne liaison. Mais Crassus qui par son crédit & ses richesses immenses, balançoit l'autorité de l'un & de l'autre, ayant été tué dans la guerre des Parthes, ils se virent en liberté de faire éclater leurs sentimens. Enfin la mort de Julie fille de César, qui arriva peu de tems après, acheva de rompre ce qui restoit de correspondance entre le beau - pere & le gendre.

César demanda qu'on lui continuât son gouvernement, comme on avoit fait à Pompée, ou qu'il lui fût permis, sans être dans Rome, de poursuivre le consulat. Il ajouta dans la même lettre, que si Pompée prétendoit retenir le commandement, il sauroit bien se maintenir de son côté à la tête de son armée; & qu'en ce cas, il seroit dans peu de jours à Rome pour y vanger ses propres injures, & celles qu'on faisoit à la patrie. Ces dernieres paroles remplies de menaces, parurent au sénat une vraie déclaration de guerre. Lucius Domitius fut nommé sur le champ pour son successeur, & on lui donna quatre mille hommes de troupes, pour aller prendre possession de son gouvernement; mais César dont les vûes & l'activité étoient incomparables, avoit déja prévenu ce decret, par la hardiesse & la promptitude de sa marche.

César usurpe la tyrannie par les armes. La même frayeur qu'Annibal porta dans Rome après la bataille de Cannes, César l'y répandit lorsqu'il passa le Rubicon. Pompée éperdu, ne vit dans les premiers momens de la guerre, de parti à prendre que celui qui reste dans les affaires désespérées: il ne sut que céder & que fuir; il sortit de Rome, y laissa le trésor public; il ne put nulle part retarder le vainqueur; il abandonna une partie de ses troupes, toute l'Italie, & passa la mer.

César entra dans Rome en maître, & s'étant em<cb-> paré du trésor public, où il trouva environ cinq millions de livres de notre monnoie, il se mit en état de poursuivre Pompée & ses partisans; mais ce général du sénat qui vouloit tirer la guerre en longueur, pour avoir le tems d'amasser de plus grandes forces, passa d'Italie en Epire, & après s'être embarqué à Brindes, il aborda dans le port de Dirrachium. Cesar ne l'ayant pu joindre, se rendit maître de toute l'Italie, en moins de 60 jours.

Le détail & le succès de la guerre civile n'est point de mon sujet. On sait que l'empire ne coûta pour ainsi dire à César, qu'une heure de tems; & que la bataille de Pharsale en décida. La perte de Pompée, qui périt depuis en Egypte, entraîna celle de son parti. L'activité de César, & la rapidité de ses conquêtes, ne donnerent point le tems de traverser ses projets. La guerre le porta dans des climats différens. La victoire le suivit presque par - tout, & la gloire ne l'abandonna jamais.

On parle beaucoup de la fortune de César; mais cet homme extraordinaire avoit tant de grandes qualités, sans aucun défaut, quoiqu'il eût bien des vices, qu'il eût été difficile, que quelqu'armée qu'il eût commandée, il n'eût été vainqueur, & qu'en quelque république qu'il fût né, il ne l'eût gouvernée.

Tout plie sous sa puissance. Tout plia sous sa puissance, & deux ans après le passage du Rubicon, l'an 696, on le vit rentrer dans Rome maître de l'univers. Il pardonna à tout le monde; mais la modération que l'on montre après qu'on a tout usurpé, ne mérite pas de grandes louanges.

Le sénat à son retour, lui decerna des honneurs extraordinaires, & une autorité sans bornes, qui ne laissoit plus à la répblique qu'une ombre de liberté. On le nomma consul pour dix ans, & dictateur perpétuel. On lui donna le nom d'empereur, le titre auguste de pere de la patrie. On déclara sa personne sacrée & inviolable. C'étoit réunir & perpétuer en lui, la puissance & les privileges annuels de toutes les dignités de l'état. On ajouta à cette profusion d'honneurs, le droit d'assister à tous les jeux dans une chaire dorée, & une couronne d'or sur la tête; & il fut ordonné par le decret, que même après sa mort, on placeroit toujours cette chaire & cette couronne dans tous les spectacles, pour immortaliser sa mémoire.

Mais la plupart des sénateurs ne lui avoient décerné tous ces honneurs extraordinaires dont nous venons de parler, que pour le rendre plus odieux, & pour le pouvoir perdre plus surement. Les grands surtout qui avoient suivi la fortune de Pompée, & qui ne pouvoient pardonner à César la vie qu'il leur avoit donnée dans les plaines de Pharsale, se reprochoient secrétement ses bienfaits, comme le prix de la liberté publique; & ceux qu'il croyoit ses meilleurs amis, ne recevoient ses graces que pour approcher plus près de sa personne, & pour le faire périr plus surement.

Il en abuse & périt. Il essaya pour ainsi dire le diadème; mais voyant que le peuple cessoit ses acclamations, il n'osa hasarder d'affermir la couronne sur sa tête; cependant il cassa les tribuns du peuple, & fit encore d'autres tentatives pour le conduire à la royauté: mais on ne peut comprendre qu'il pût imaginer que les Romains pour le souffrir tyran, aimassent pour cela la tyrannie.

Il commit beaucoup d'autres fautes, en témoignant le peu d'égards qu'il avoit pour le sénat, & en choquant les cérémonies & les usages de ce corps. Il porta son mépris jusqu'à faire lui - même les sénatusconsultes, & à les souserire du nom des premiers sénateurs qui lui venoient dans l'esprit. « J'apprens quelquefois, dit Cicéron (Lettres famil. l. IX.), qu'un sénatus - consulte, passé à mon avis, a été porté en Syrie & en Arménie, avant que j'aye sçu

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