ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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TOURS (Page 16:490)

TOURS, (Géog. mod.) ville de France, capitale de la Touraine, dans une agréable & fertile plaine, entre la Loire & le Cher. Elle a cinq fauxbourgs, contient environ vingt mille habitans, & est assez bien bâtie. Il y a présidial, bailliage, élection, hôtel des monnoies très - ancien, intendance & archevêchés. Long. suivant Cassini, 18. 12'. 30". latit. 47. 23'. 40".

Quelques auteurs prétendent que Tours est le Coesarodunum de Ptolomée & de la table théodosienne ou de Peutinger; mais cette opinion est peu vraissemblable, parce que tous les noms qui se terminent en dunum, indiquent des lieux situés sur une hauteur, & que Tours est située dans une plaine.

Quoi qu'il en soit, lorsque l'empire romain fut détruit en Occident, les Visigoths s'étant rendus les maîtres de toute la partie des Gaules qui est au midi de la Loire, la ville de Tours vint à leur pouvoir sous le regne d'Euric; Tours étoit encore sous leur domination l'an 506, lorsque Verus, évêque de Tours, comparut par procureur au concile d'Agde, composé des évêques & des députés des églises sujettes aux rois des Goths; mais l'année suivante 507, Clovis ayant vaincu & tué Alaric près de Poitiers, il se rendit maître de tout ce qui est entre la Loire & les Pyrenées, & il assujettit aisément la ville de Tours, où il alla en dévotion au tombeau de S. Martin, qu'on regardoit comme le saint tutélaire des Gaules.

Après la mort de Clovis, les villes de Neustrie & d'Aquitaine ayant été partagées entre ses quatre fils, Tours échut à Thierri, roi d'Austrasie; & on voit par Grégoire de Tours, que les rois qui regnerent à Metz dans la France orientale, posséderent toujours cette ville jusqu'au tems de Clotaire II. qui réunit la monarchie françoise. Depuis ce tems - là, Tours fut sujette aux rois de Neustrie, tant sous la race des Mérovingiens, que sous celle des Carlovingiens. Ceux de cette seconde race perdirent leur pouvoir & leur autotité sous Charles le simple, qui fut dégradé de la dignité royale & confiné dans une prison perpétuelle.

Ce fut dans ce tems que Thibaud surnommé le tricheur, comte de Blois & de Chartres, qui s'étoit rendu absolu dans ces pays - là, au mépris de l'autorité royale, s'empara de la ville de Tours que ses successeurs posséderent long - tems. L'an 1037 Geoffroi Martel vainquit en bataille le comte de Blois, qui fut contraint de donner Tours pour sa rançon. Geoffroi Martel laissa en mourant tous ses états à ses neveux nommés Plantegenets, à cause de Geoffroi d'Anjou qui avoit porté ce nom, & dont le petit - fils Jean sans - terre, roi d'Angleterre, fut privé par Philippe Auguste des états qu'il avoit deçà la mer. Enfin Henri III. fils de Jean, céda, entr'autres pays, Tours & la Touraine à S. Louis par le traité de l'an 1259.

Le séjour que le parlement de Paris fit à Tours, la situation de cette ville dans un pays fertile, & la commodité de la riviere de Loire donnerent lieu au dessein d'y établir une université, qui fut créée par lettres patentes d'Henri IV. données au mois de Janvier de l'an 1594; mais comme le parlement fut rétabli à Paris un mois après, cela fut cause que ces lettres n'ont point eu d'exécution.

Nos rois ont convoqué plusieurs fois les états à Tours. Louis XI. les y assembla l'an 1470, Charles VIII. en 1484, & Louis XII. en 1506, pour le mariage de madame Claude de France sa fille, avec François de Valois, duc d'Angoulème.

S. Gatien fut le premier évêque de Tours, & mourut vers la fin du iij. siecle. S. Martin eut cet évêché l'an 371, & décéda l'an 397; on le regardoit de son tems comme le maître des évêques. Aujourd'hui l'archovêque de Tours a pour suffragans les évêques du Mans, d'Angers & les neuf de Bretagne, conformément à la décision du pape Innocent III. Le revenu de cet archevêque est d'environ quarante - cinq mille liv. Son diocèse est composé de 300 paroisses, de 12 chapitres, de 17 abbayes, &c. Le chapitre de la cathédrale de Tours est un des plus illustres du royaume. Celui de S. Martin est aussi nombreux que riche. Son abbé est le roi même, comme successeur de Hugues Capet.

Mais ceux qui aiment les historiens d'église de provinces, peuvent lire l'histoire latine de l'église de Tours par Jean Maau; elle est imprimée à Paris en 1667 in - fol. & s'étend depuis l'an de J. C. 251, jusqu'à l'année 1655. Au reste cette ville est la patrie de S. Odon, d'un illustre prélat de l'église gallicane & de quelques hommes de lettres. S. Odon naquit en 879; après avoir été élevé par Foulques, comte d'Anjou, il fut nommé chanoine de S. Martin de Tours en 898, & second abbé de Clugny en 927. Il mourut en 942, & laissa plusieurs ouvrages qui ont été imprimés avec sa vie dans la bibliotheque de Clugny.

L'illustre prélat de l'église gallicane dont je veux parler, est Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, né en 1527, l'un des plus éloquens & des plus savans prélats de son tems; mais ce qui le distingue davantage, est qu'il n'abandonna point, comme firent tant d'autres ecclésiastiques, les lois du royaume à l'égard de la succession à la couronne. Il soutint toujours qu'encore que le roi de Navarre fût hérétique, c'étoit à lui que le royaume de France appartenoit légitimement après la mort de Henri III. Il déploya aux conférences de Surène tout ce que le droit & l'écriture pouvoient fournir de plus fort à l'appui de son sentiment. Il donna à ce prince l'absolution dans l'église de S. Denis, & proposa au clergé dans l'assemblée de Mantes, de créer un patriarche en France, ou, ce qui revient au même, de défleurdéliser la couronne pontificale. Ces deux choses le rendirent si odieux à la cour de Rome qu'elle lui refusa longtems ses bulles pour l'archeveché de Sens, auquel il avoit été nommé en 1596. Enfin le cardinal d'Ossat y travailla si puissamment, qu'il les obtint en [p. 491] 1602. Renaud de Beaune devint bientôt après grandaumonier de France & commandeur des ordres du roi. Il mourut à Paris en 1606 à 79 ans.

M. de Thou dit une chose singuliere de ce prélat, c'est qu'il étoit pour ainsi dire attaqué d'une faim canine, sans que cet état ait nui à sa santé. A peine avoit - il dormi quatre heures que la faim le contraignoit de se lever pour déjeûner: c'est ce qu'il faisoit réglément à une heure après minuit; il se reposoit cinq heures, & puis il se mettoit à table; il faisoit la même chose à huit heures; il dinoit & collationnoit quatre heures après; il soupoit amplement à l'heure ordinaire. Il étoit volontiers une heure à table; c'est pour cela qu'il n'aimoit point à manger hors de chez lui; & lorsqu'un grand prince qui l'avoit invité souvent, sans l'avoir jamais trouvé désarmé d'excuses, lui demanda la raison de ce refus, il eut pour réponse: vos repas sont trop courts, & vos services se suivent de trop près.

Le plus étrange, c'est que malgré cette prodigieuse quantité d'alimens qu'il prenoit, il n'en étoit pas moins disposé au travail d'esprit; car pour celui du corps, il s'en gardoit bien, n'osant en user de peur d'irriter son appétit: nunquam, dit l'historien, somnolentior visus, nullâ gravedine, aut dolore capitis tenebatur, semper oeque sui compos & ad omnia paratus; extrà negotia quietem & confabulationem sectabatur.

Je passe aux simples hommes de lettres natifs de Tours, & je trouve d'abord MM. (Jean & Julien) Brodeau issus d'une famille illustre & féconde engens de mérite. Jean Brodeau, célebre écrivain du xvj. siecle, mourut dans sa patrie où il étoit chanoine de S. Martin, l'an 1563, âgé de 63 ans. Il publia divers ouvrages de littérature qui sont estimés des savans. On fait surtout cas de ses dix livres de Miscellanées, de ses commentaires sur les épigrammes greques, de ses notes sur Euripide, sur Martial, sur Oppian & sur Appien.

« Jean Brodeau, dit M. de Thou, né à Tours des premieres maisons de la ville, avoit étudié avec Pierre Danès, & ayant été en Italie grand ami de Pierre Sadolet, de Pierre Bembo, tous deux cardinaux, de Baptiste Egnace, de Paul Manuce & d'un grand nombre de savans; il avoit ajouté à la philosophie, en quoi il étoit habile, une grande connoissance des mathematiques & de la langue - sainte. Ensuite étant revenu en son pays, il s'abandonna à une vie tranquille, non pas toutefois oisive, comme le témoignent quantité d'ouvrages d'érudition, que cet excellent homme entierement éloigné d'ambition & de vanité, laissa publier plutôt sous le nom d'autrui que sous le sien, par un exemple de modestie d'autant plus rare, que dans le siecle où nous sommes, chacun veut tirer de la gloire, non seulement des richesses, des magistratures & des autres honneurs, mais aussi de la science & des lettres.» On a conservé dans notre pays toutes les glorioles dont parle M. de Thou, excepté la derniere à laquelle on a substitué celle qu'on tire des vices.

Brodeau (Julien) avocat au parlement de Paris, s'est distingué par des commentaires sur la coutume de cette ville, & des notes sur les arrêts de Louet. On lui doit aussi la vie de Charles du Moulin. Il est mort en 1635.

Grécourt (Jean - Baptiste Joseph Villart de), chanoine de S. Martin de Tours, & poëte françois, mourut dans sa patrie à 59 ans. Ses oeuvres ont été imprimées en 1748, & plusieurs autres fois depuis. Elles contiennent des fables, des madrigaux, des chansons, des contes, des épigrammes, &c. où l'on remarque un esprit aisé, naturel & quelquefois agréable; mais l'obscénité, la licence & le libertinage qui regnent dans la plus grande partie des poé<cb-> sies de ce chanoine, en interdisent la lecture à toute personne honnête.

Son poëme de Philotanus eut dans le tems un grand succès. « Le mérite de ces sortes d'ouvrages, dit M. de Voltaire, n'est d'ordinaire que dans le choix du sujet & dans la malignité humaine. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelques vers bien faits dans ce poëme. Le commencement en est très - heureux, mais la suite n'y répond point. Le diable n'y parle pas aussi plaisamment qu'il est amené. Le style est bas, uniforme, sans dialogue, sans graces, sans finesse, sans pureté, sans imagination dans l'expression; & ce n'est enfin qu'une histoire satyrique de la bulle Unigenitus en vers burlesques, parmi lesquels il s'en trouve de très - plaisans ».

Guyet (Charles), jésuite, né l'an 1601, & mort en 1664; il s'attacha à la connoissance des cérémonies de l'église, & fit sur les fêtes un gros livre intitulé: heortologia, sive de festis propriis locorum, à Paris, chez Sebastien Cramoisy, 1657, in - fol. C'est une entreprise plus difficile qu'utile que celle d'expliquer les fêtes de chaque lieu.

Houdry (Vincent) jésuite, connu par un grand & médiocre répertoire intitulé, la bibliotheque des prédicateurs. Il naquit en 1631, & mourut en 1729, âgé de 99 ans & trois mois.

Martin (dom Claude) bénédictin, a fait des méditations chrétiennes en deux volumes in - 4°. & d'autres ouvrages de piété. Il est mort en 1696 à 78 ans.

Mornac (Antoine), un des célebres jurisconsultes de son tems, & dont les oeuvres ont été imprimées à Paris en 1724, en quatre volumes in - fol. Il est mort en 1619 âgé d'environ 60 ans.

Rapin (Réné) jésuite, né en 1621, s'attacha à Paris en qualité de préfet, à de jeunes gens du premier rang, ce qui le mit à portée d'acquérir l'usage du monde. Les graces de son esprit se font remarquer dans ses poésies latines, & principalement dans son poëme des jardins. Sa connoissance des belles - lettres l'engagea de mettre au jour les comparaisons de Virgile & d'Homere, de Démosthène & de Cicéron, de Platon & d'Aristote, de Thucidide & de Tite - Live. On leur fit un grand accueil dans le tems; mais on ne les lit plus guere, peut - être à cause du style, qui est recherché, froid & diffus. Tous ses autres ouvrages sont peu de chose, & en particulier ses réflexions sur la philosophie, fruit du préjugé, ne sont pas honneur à son jugement. Il mourut en 1687 à 66 ans. Une bonne édition de ses poesies latines est celle de Paris en 1723, trois volumes in - 12. (Le chevalier de Jaucourt.)

Tours (Page 16:491)

Tours, gros - de - tours riche, broché & nué. Tous les gros - de - tours ordinaires qui se travaillent à Lyon, sont montés avec quatre lisses pour faire lever la moitié de la chaîne & quatre lisses pour faire baisser ou rabattre l'autre moitié, ce qui se fait en faisant lever à chaque coup de navette que l'on passe, deux lisses, & faisant baisser les deux lisses dessous lesquelles sont passés les fils de la chaîne qui ne levent point, afin de les séparer, & que l'ouvrage soit plus net. Il faut faire attention que pour armer le métier, il est d'une nécessité absolue que si on commence à lever par la premiere lisse du côté du corps, il ne faut pas prendre la seconde, mais la troisieme pour le premier coup, & faire rabattre la seconde & la quatrieme; de même pour le second coup, il faut faire lever la seconde & la quatrieme, & faire rabattre la premiere & la troisieme.

Or comme tous les gros de - tours qui se fabriquent aujourd'hui à Lyon, ont un coup, deux & même trois de lizeré, les navettes une, deux & trois qui forment ce lizeré, doivent être passées sur la même marche, je veux dire, sur une seconde marche qui fait lever les mêmes lisses de la premiere, en obser<pb-> [p. 492] vant de ne point faire baisser de lisse de rabat, attendu que si ces lisses baissoient, elles feroient baisser la moitié du lac tiré, & ne produiroient pas plus d'effet que si on ne tiroit point de lac, ou que l'on passât ce lizeré sur la premiere marche sans tirer. On a déja dit que le lizeré est une figure qui se fait par la trame de la seconde navette, lorsqu'il n'y en a qu'un, ce qui fait qu'outre la navette du coup de fond, il en faut d'autres autant qu'il y a de lizerés. Par exemple, on passe un lizeré, cerise, rose vif & rose pâle dans des étoffes disposées pour de semblables couleurs, de même que des gros bleus, bleu vif & bleu pâle dans d'autres, des violets foncés, des lilas & des gris - de - lin dans d'autres, &c. & toujours deux ou trois couleurs en dégradation; c'est la façon de tous les gros - de - tours lizerés en général. Tous les gros - de - tours sont montés ordinairement avec quatre lisses de fond, quatre de rabat & quatre de liage, ce qui fait douze lisses. Ils travaillent ou sont travaillés avec deux marches de fond & deux de lizerés, les deux, un ou trois lizerés se passant sur la même marche, ce qui compose quatre marches & quatre de liage qui font huit.

Le gros - de - tours dont est question, est monté avec six lisses seulement, au lieu de douze, & quatre marches au lieu de huit. Les quatre lisses de rabat sont supprimées, ce qui ne pourroit se faire suivant la méthode ordinaire, attendu que les quatre lisses de rabat ne sont disposées uniquement que pour séparer les fils qui se lient avec ceux qui levent ou qui s'y trouvent attachées par quelques tenues, terme usité, lorsque deux fils ou trois se trouvent liés par quelque petite bourre de soie ou autre du remisse ou du corps; les fils qui ne levent pas, sont si aisés à suivre ceux qui levent, lorsqu'il n'y a point de rabat au premier coup, que lorsque l'ouvrier foule la marche pour passer le coup de fond, il est sensible que la moitié des fils qui levent, supportant toute l'extension de la chaîne, ceux qui ne levent pas, sont toujours moins tendus, ou tirant, ce qui est le terme, & par conséquent sont plus aisés ou faciles à suivre ceux qui levent, pour peu qu'une légere bourre les unisse: ce qui n'arrive pas lorsqu'ils sont rabattus par les deux lisses qui baissent, parce qu'elles détachent la tenue, laquelle cessant d'unir les fils, donne lieu de passer ensuite le lizeré sans aucune difficulté ni tenue, sur la seconde marche qui leve les mêmes lisses.

Il faut bien faire attention que dans toutes les étoffes de gros - de - tours & taffetas, on ne doit faire lever qu'un fil, & baisser l'autre successivement, ce qui fait qu'ordinairement on fait lever la premiere & la troisieme lisse pour un coup, & la seconde & la quatrieme pour l'autre, attendu que si on faisoit lever la premiere & la deuxieme, il arriveroit que les deux fils qui leveroient, & les deux qui baisseroient, se trouvant ensemble, chaque fil surtout étant double, ils feroient une ouverture qui ne cacheroit pas la trame, & rendroient l'étoffe défectueuse.

Pour éviter les quatre lisses de rabat, on a monté le métier avec des maillons à six trous, quatre desquels sont disposés pour passer les quatre fils doubles qui sont passés dans les maillons ordinaires, ce qui tient chaque fil séparé, & empêche les tenues qui pourroient se faire entre le corps & le remisse qui en est près; les deux autres trous sont disposés l'un enhaut, pour y attacher la maille du corps qui tient à l'arcade, & celui d'en - bas pour y passer le fil ou la maille à laquelle est attachée l'aiguille qui fait baisser le maillon, & tient tout le cordage en regle; chaque fil étant séparé devant & derriere le corps, il n'est pas possible qu'il puisse passer une tenue ni entorsure dans le maillon, comme il arrive en tous les autres métiers.

Outre la suppression des quatre lisses de rabat, on évite encore les deux marches destinées à passer le lizeré, parce que tout se passe sur la même marche, ce qui est une facilité pour le travail ou pour l'ouvrier. Voilà donc quatre lisses & deux marches de moins d'un côté.

A l'égard du liage, au lieu de quatre lisses il n'y en a que deux; on ne sauroit en mettre moins.

Toutes les étoffes riches qui se fabriquent aujourd'hui à Lyon, sont composées de laine, or, argent, lié, du frisé lié de même, & d'un glacé sans liage, qui est un or ou un argent lis broché à deux bouts; toutes les nuances sont sans liage, pour qu'elles imitent la broderie.

Pour que la lame sorte mieux dans l'étoffe, on la lie par un liage droit, c'est - à - dire, que l'on fait baisser la même lisse, ce qui augmente encore de deux marches de plus, outre les quatre qui servent à lier le frisé; dans le métier on a supprimé les quatre marches de liage, & on n'a mis que deux lisses pour lier; ces deux lisses prennent le quinzieme & le seizieme fil, & comme les deux fils se joignent, ils paroissent n'en composer qu'un. Quant au frisé, comme le grain de cette espece de dorure enterre le liage, il paroît tout aussi beau, même plus, que s'il étoit lié avec les quatre lisses ordinaires.

Suivant cette disposition on supprime deux lisses de liage, même quatre, lorsqu'on veut lier la lame avec un liage droit; à observer encore qu'on ne sauroit mettre un liage droit dans une étoffe de cette espece qu'en ajoutant un poil, parce que la même lisse dans un gros - de - tours sans poil ne sauroit lier la lame qu'elle ne coupât tous les deux coups, attendu qu'il s'en trouveroit nécessairement un où le fil destiné à lier, auroit levé au coup de fond, ce qui causeroit une contrariété qui couperoit ou sépareroit le broché, comme on l'a déjà dit; on peut voir là - dessus l'article des gros - de - tours broché, & examiner pourquoi le liage doit être de quatre le cinq, & dans les taffetas de trois le quatre.

Le gros - de - tours est le seul qu'il y ait à Lyon monté de même; il est évident par la façon dont il est disposé, que l'étoffe doit se faire mieux & plus vîte, attendu que plus il y a d'embarras, soit par la quantité de lisses, soit par la quantité de marches, plus il se casse de cordages ou d'estrivieres, même plus de fils.

Damas à l'imitation de ceux de Gènes. Dans l'article concernant la façon dont les Génois fabriquent les damas pour meubles, l'on y a inséré qu'ils en faisoient de cent vingt portées, dont la lisiere, qu'ils appellent cimossa, formoit un parfait gros - de - tours, & que de dix mille fabriquans qui se trouvoient à Lyon, peut - être pourroit - on en trouver dix qui fussent en état de rendre compte de quelle façon cette lisiere étoit montée pour former le gros - de - tours dont est question, c'est ce que l'on va démontrer.

C'est un fait certain que tout les damas qui se fabriquent à Lyon sont montés sur cinq lisses de levée & cinq de rabat. La chaîne de ces damas est fixée par les réglemens anciens & nouveaux à 90 portées pour les damas meubles, il s'en fait quelques - uns de 100 portées; il y en a aussi de 75 portées toujours dans la même largeur. Or comme il est physiquement impossible de faire une lisiere gros - de - tours ou taffetas avec cinq lisses, les Génois pour parvenir à ce point, qui paroît si difficile, ont imaginé de faire des damas de 120 portées avec 8 lisses, & de passer les cordons & les cordelines de façon qu'il s'en trouve toujours la moitié levée, & l'autre baissée à chaque coup de navette que l'on passe, de façon qu'il se trouve continuellement deux coups sous le même pas, attendu qu'il faut dans tous les damas passer deux coups régulierement de la même navette, c'est - à - dire, aller & venir sous le même lac tiré. [p. 493]

La façon de passer le cordon & la cordeline dans les lisses pour faire cette lisiere mystérieuse, est la même qui a été démontrée dans l'article des satins à 8 lisses, c'est - à - dire, que du côté droit par lequel on commence à passer la navette, il faut passer un fil le premier sur la premiere lisse, sur la quatrieme, la cinquieme, & sur la huitieme; le second est passé sur la seconde, la troisieme, sur la sixieme & la septieme, en recommençant par le troisieme, comme par le premier & le quatrieme, comme le second, ainsi des autres jusqu'à la fin. Il n'en est pas de même pour le côté à gauche, là il faut commencer à passer le premier sur la troisieme, la quatrieme, la septieme & la huitieme, le second sur la premiere, la seconde, la cinquieme & la sixieme, & continuer comme dans la partie du côté droit.

Ce qui rend la façon de faire cette lisiere impossible à nos Lyonnois, est qu'ils ne sauroient penser que l'on montât des damas à 8 lisses, attendu que chacune des huit ne contiendroit que 11 portées, & un quart pour une chaîne de 90 portées, de même que sur une chaîne de 100 portées, il ne se trouveroit que 12 portées & demie sur chaque lisse, ce qui rendroit le damas trop maigre, puisque sur 100 portées à 5 lisses, elles portent chacune 20 portées. Les Génois pour parer à cet inconvénient mettent 120 portées pour les damas de cette espece, ce qui leur donne 15 portées sur chaque lisse, & fournit autant qu'il le faut la lisse; & comme la chaîne est infiniment mieux garnie, la diminution qu'on est obligé de faire sur la trame fait que le tout revient au même; au contraire, le satin dans ce genre d'étoffe est infiniment plus beau, vu la quantité supérieure d'organsin dont la chaîne est composée.

Si la façon de faire cette lisiere vient à la connoissance de nos Lyonnois par le moyen de l'Encyclopédie, ils seront surpris que la lecture de ce livre leur enseigne ce qu'ils ne devroient pas ignorer, ce qui ne sauroit flatter leur amour propre, quoiqu'ils ne doutent point ou ne doivent pas douter que les Génois fabriquent mieux le velours & le damas que nous.

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