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TRANSFUSION (Page 16:547)
TRANSFUSION, s. f. (Méd. Thérapeut. Chirurg.) opération célebre qui consiste à faire passer du sang des vaisseaux d'un animal, immédiatement dans ceux d'un autre. Cette opération fit beaucoup de bruit dans le monde médecin, vers le milieu du siecle passé, environ les années 1664 & les suivantes, jusqu'en 1668; sa célebrité commença en Angleterre, & fut, suivant l'opinion la plus reçue, l'ouvrage du docteur Wren, fameux médecin anglois; elle se répandit delà en Allemagne par les écrits de Major, professeur en médecine à Kiel; la transfusion ne fut connue & essayée en France qu'en 1666; M M. Denys & Emmerets furent les premiers qui la pratiquerent à Paris; elle excita d'abord dans cette ville des rumeurs considerables, devint un sujet de discorde parmi les médecins, & la principale matiere de leurs entretiens & de leurs écrits; il se forma à l'instant deux partis opposés, dont l'un étoit contraire & l'autre favorable à cette opération; ceux - ci, avant même qu'on l'eût essayée, prouvoient par des argumens de l'école que c'étoit un remede universel; ils en célebroient d'avance les succès, & en vantoient l'efficacité; ceuxlà opposoient les mêmes armes, trouvoient des passages dans les différens auteurs, qui démontroient qu'on ne pouvoit pas guérir par cette méthode, & ils en concluoient que la transfusion étoit toujours ou du - moins devoit être inutile, quelquefois dangereuse, & même mortelle; on se battit quelque tems avec des raisons aussi frivoles de part & d'autre; & si l'on s'en fût tenu là, cette dispute ne fût point sortie de l'enceinte obscure des écoles; mais bientôt on ensanglanta la scène; le sang coula, non pas celui des combattans, mais celui des animaux & des hommes qui furent soumis à cette opération; les expériences devoient naturellement decider cette question devenue importante, mais l'on ne fut pas plus avancé après les avoir faites; chacun déguisa, suivant son opinion, le succès des expériences; en même tems que les uns disoient qu'un malade qui avoit subi l'opération étoit gueri de sa folie, & paroissoit en différens endroits; les autres assuroient que ce même malade étoit mort entre les mains des opérateurs, & avoit été enterré secretement. Enfin, les esprits aigris par la dispute, finirent par s'injurier réciproquement; le verbeux la Martiniere, l'athlete des anti - transfuseurs, écrivoit aux ministres, aux magistrats, à des prêtres, à des dames, à des médecins, à toutl'univers, que la transfusion étoit une opération barbare sortie de la boutique de satan, que ceux qui l'exerçoient étoient des bourreaux, qui méritoient d'être renvoyés parmi les Chichimeques, les Cannibales, les Topinamboux, les Parabons, &c. que Denis entr'autres surpassoit en extravagance tous ceux qu'il avoit connus, & lui reprochoit d'avoir fait jouer les marionettes à la foire; d'un autre côté Denis à la tête des transfuseurs, ap<cb->
La cour & la ville prirent bientôt parti dans cette querelle, & cette question devenue la nouvelle du jour fut agitée dans les cercles avec autant de feu, aussi peu de bon sens, & moins de connoissance que dans les écoles de l'art & les cabinets des savans; la dispute commença à tomber vers la fin de l'année 1668 par les mauvais effets mieux connus de la transfusion, & à la suite d'une sentence rendue au Châtelet, le 17 Avril 1668, qui défend, sous peine de prison, de faire la transfusion sur aucun corps humain que la proposition n'ait été reçue & approuvée par les médecins de la faculté de Paris; & cette illustre compagnie, qu'on a vu souvent opposée avec tant de zele contre des innovations quelquefois utiles, ayant gardé le silence sur cette question, elle est tombée, faute d'être agitée, dans l'oubli où elle est encore aujourd'hui; à peine saurions - nous qu'elle a occupé les médecins, si quelques curieux n'avoit pris soin de nous conserver les ouvrages qu'elle excita dans le tems où elle étoit en vogue, & qui, comme tous les écrits polémiques cessent d'être lus & recherchés dès que la dispute est finie. M. Falconet, possesseur d'une immense bibliotheque qu'il ouvre avec plaisir à tous ceux que le desir de s'instruire y amene, m'a communiqué une collection de seize ou dix - sept pieces sur la transfusion, où l'on trouve tout ce qui s'est passé de remarquable à ce sujet; j'en ai tiré quelques éclaircissemens sur l'origine & la découverte de cette opération, les raisons qui servent à l'établir ou la détruire, les cas où on la croit principalement utile, & la maniere dont on la pratique.
L'on est peu d'accord sur l'origine de cette opération;
plusieurs auteurs en fixent l'époque au siecle
passé, d'autres la font remonter jusqu'aux tems les
plus reculés, & prétendent en trouverdes descriptions
dans des ouvrages très - anciens; la Martiniere aussi jaloux
d'en prouver l'ancienneté que l'inhumanité cite
pour appuyer son sentiment, 1°. l'histoire des anciens
Egyptiens, où l'on voit que ces peuples la pratiquoient
pour la guerison de leurs princes; & que l'un d'eux
ayant conçu de l'horreur de voir mourir entre ses
bras une créature humaine, & jugeant que le sang d'un
homme agonisant se corrompt, fit cesser cette opération,
& voulut qu'on y substituât le bain de sang
humain, comme le plus analogue à la nature de l'homme
& le plus propre à dissiper ses maladies. 2°. Le
livre de la sagesse de Tanaquila, femme de Tarquin
l'ancien, par lequel il paroît qu'elle a mis en usage
la transfusion. 3°. Le traité d'anatomie d'Hérophile,
où il en est parlé assez clairement. 4°. Un recueil d'un
ancien écrivain juif, qui lui fut montré par Ben Israël
Manassé, rabin des juifs d'Amsterdam, où étoient
les paroles suivantes:
La question sur l'ancienneté de cette opération paroît assez décidée par ce grand nombre de témoignages, dont on ne sauroit contester l'authenticité, du - moins quant à la plus grande partie; le défaut de quelques ouvrages que la Martiniere cite, m'a empêché de vérifier plusieurs de ses citations, il doit être garant de leur justesse. Cependant je remarquerai que Marsil Ficin, qu'il donne comme transfuseur, ne parle que des bains ou de la succion de sang humain, & non de la transfusion; que dans le livre de la sibylle Amalthée sur les souffrances des gladiateurs, qu'il cite aussi, il n'y est dit autre chose, sinon que leur sang pourra servir de remede, ce qui certainement ne sauroit s'appliquer à la transfusion, parce que le sang d'un homme mort n'est point propre à cette opération.
Cette découverte étant enlevée avec raison aux médecins du siecle passé, il reste à savoir à qui on en doit le renouvellement, plusieurs personnes se l'attribuent; les Anglois & les François s'en disputent ce qu'ils appellent l'honneur; & chacun de son côté apporte des preuves, sur lesquelles il est difficile & très - superflu de décider. On convient assez généralement que les premieres expériences en furent faites en Angleterre, & la premiere transfusion bien avérée y fut tentée par Handsham en 1658. Quelques allemands, Sturmius fameux mathématicien d'Altorf, Vehrius professeur à Francfort, ont prétendu que Maurice Hoffman en étoit le premier auteur, c'est - à - dire le renovateur; mais leur prétention n'est point adoptée: c'est aussi le sentiment de M. Manfredi, que la transfusion a été imaginée en Allemagne, publiée en Angleterre & perfectionnée en France. Quoique les François avouent que les Anglois & les Allemands ont sur eux l'avantage d'avoir essayé les premiers la transfusion, ils ne cedent pas pour cela les droits qu'ils croient avoir à la découverte, ou au renouvellement de cette opération; ils prétendent être les premiers qui l'ont proposée, & ils fondent leurs prétentions sur un discours qui fut prononcé à Paris au mois de Juillet 1658, dans une assemblée des savans qui se tenoit chez M. de Montmor, par dom Robert de Galats, religieux bénédictin: le sujet du discours est la transfusion du sang, & le but de l'auteur est d'y prouver la possibilité, la sécurité & les avantages de cette opération. Comme ces assemblées étoient fréquentées par des savans étrangers, & qu'il y avoit entr'autres quelques gentilshommes anglois qui y étoient très - assidus, il n'est pas fort difficile à concevoir, disent les François, comment l'idée de la transfusion aura passé par leur moyen dans les pays les plus éloignés. Tardy, médecin de Paris, prétend en avoir eu la premiere idée, & d'autres assûrent que M. l'abbé Bourdelot, médecin, en avoit parlé long - tems auparavant dans des conférences qui se faisoient chez lui. Il est d'ailleurs certain, par le témoignage unanime des auteurs de différentes nations, que les François ont les premiers osé en faire des expériences sur les hommes; mais en cela méritent - ils plus d'éloges que de blâme? Les succes ne déposent pas en leur faveur; mais il faut présumer que l'intérêt public & l'espérance de guérir plus promptement des maladies opiniâtres, furent
Les auteurs qui pratiquoient dans les commencemens
la transfusion sur les animaux, ne cherchoient
par cette opération qu'à confirmer la fameuse découverte
pour - lors récente de la circulation du sang,
mais les preuves qui en résulterent étoient assez inutiles,
& d'ailleurs peu concluantes, quoi qu'en dise
Boerhaave. Si on les avoit opposées aux anciens, ils
n'auroient pas manqué d'y répondre que le sang étoit
reçu dans les veines sans circuler, ou qu'il y étoit
agité par le mouvement de flux & reflux qu'ils admettoient,
que les modernes ont nié, & qui paroît
cependant confirmé par quelques expériences; mais,
comme le remarque judicieusement l'immortel auteur
du traité du coeur,
Denis croyant avoir repoussé les traits de ses adversaires, emprunta à son tour le raisonnement pour soutenir la thèse qu'il avoit avancée. En premier lieu, il étaya son opinion par l'exemple de la nature, qui ne pouvant nourrir le foetus dans la matrice par la bouche, fait, suivant lui, une transfusion continuelle du sang de la mere dans la veine umbilicale de l'enfant. 2°. Il prétendit que la transfusion n'étoit qu'un chemin plus abrégé pour faire parvenir dans le sang la matiere de la nutrition, & que par ce moyen on évitoit à la machine tout le travail de la digestion, de la chylification & de la sanguification, & qu'on suppléoit très - bien aux vices qui pouvoient se trouver dans quelqu'une des parties destinées à ces fonctions. 3°. Il fit valoir l'idée de la plûpart des médecins de son tems, qui déduisoient presque toutes les maladies de l'intempérie & de la corruption du sang, & qui n'y apportoient d'autres remedes que la saignée ou les boissons rafraîchissantes; il proposa la transfusion comme remplissant les indications qui se présentoient, mieux que ces secours, & comme une voie d'accommodement entre les médecins partisans des saignées & ceux qui en étoient les ennemis, disant aux premiers que la transfusion exigeoit qu'on évacuât auparavant le sang vieux & corrompu avant d'y en substituer un nouveau; & rassûrant les autres que la foiblesse & les autres accidens qui suivent les saignées éloignoient de ce secours, en leur faisant voir que la tranfusion remédie à ces inconvéniens, parce que le nouveau sang répare bien au - delà les forces abattues par l'évacuation du mauvais. 4°. Enfin il fit observer que plusieurs personnes meurent d'hémorrhagie qu'on ne peut arrêter, qu'il y en a beaucoup qui sont épuisés, & dont la vieillesse s'avance plutôt qu'elle ne devroit par une disette de sang & de chaleur vitale; il ne balance point à décider que la transfusion d'un sang doux & louable ne pût prévenir la mort des uns & prolonger les jours des autres.
Tous ces raisonnemens qui bien appréciés ne sont que des sophismes plus ou moins enveloppés, furent réfutés avec beaucoup de soin, & même assez solidement pour ce tems - là, dans une dissertation particuliere par M. Pierre Petit, sous le nom d'Eutyphron; nous passons sous silence les argumens dont il se sert, dont la plûpart fort éloignés des idées plus saines qu'on s'est formé de l'homme paroîtroient absurdes. En partant des principes d'anatomie & d'économie animale les plus universellement reçus aujourd'hui ou les mieux constatés, on répondroit à Denis, 1°. que sa comparaison de l'enfant nourri par une espece de transfusion du sang maternel dans ses vaisseaux, avec ce qui arriveroit à un homme dans qui l'on injecteroit du sang étranger, est fausse & inappliquable; il est démontré que le sang ne passe point de la mere au foetus, & que les vaisseaux de la matrice, qui s'abouchent avec les mamelons du placenta, ne filtrent qu'une liqueur blanchâtre fort analogue au lait, que la sanguification se fait dans les vaisseaux propres du foetus. 2°. Que le travail de la digestion n'est pas moins avantageux à la machine que les sucs qui en résultent; que le passage des alimens & leur poids
Il ne fut bientôt plus question de raisonnemens, les chocs preliminaires faits avec ces armes foibles & à deux tranchans qui pouvoient se tourner également contre les deux partis, n'avoient servi qu'à échauffer & préparer les esprits sans éclaircir la question; Denis osa enfin employer pour combattre, des armes d'une trempe plus forte, plus meurtriere, & dont les coups devoient être plus certains & plus décisifs; il en vint à ces fameuses expériences, dont le succès heureux ou malheureux sembloit devoir terminer irrévocablement la dispute, confirmer, ou détruire ses prétentions; la prudence auroit ce semble, exigé qu'il fît les premieres tentatives d'une opération si douteuse sur un criminel condamné à la mort; quelles qu'en eussent été les suites, personne n'auroit eu lieu de le plaindre; le criminel voyant une espérance d'échapper à la mort, s'y seroit soumis volontiers: c'est ainsi qu'on devroit souvent tirer parti de ces hommes que la justice immole à la sureté publique, on pourroit les soumettre à des épreuves de remedes inconnus, à des opérations nouvelles, ou essayer sur eux différentes façons d'opérer, l'on obtiendroit par - là deux avantages, la punition du crime, & la perfection de la médecine; Denis ne voulut pas prendre un parti si prudent, dans la crainte qu'un criminel déja altéré, par l'appréhension de la mort, & qui pourroit s'intimider davantage par l'appareil de l'opération, ne la considérant que comme [p. 550]
La premiere expérience se fit le 15 du mois de Juin 1667 sur un jeune homme, âgé de quinze ou seize ans, qui avoit essuyé depuis peu une fievre ardente dans le cours de laquelle les Médecins peu avares de son sang, l'avoient fait couler abondamment à vingt différentes reprises, ce qui n'avoit sans doute pas peu aidé à la rendre plus opiniâtre; cette fievre dissipée, le malade resta pendant long - tems valétudinaire & languissant, son esprit sembloit émoussé, sa mémoire auparavant heureuse, étoit presque entierement perdue, & son corps étoit pesant, engourdi, & dans un assoupissement presque continuel; Denis imagina que ces symptomes devoient être attribués à un sang épaissi & dont la quantité étoit trop petite; il crut sa conjecture vérifiée, parce que le sang qu'on lui tira avant de lui faire la transfusion, étoit si noir & si épais, qu'il ne pouvoit pas former un filet en tombant dans le plat; on lui en tira environ cinq onces, & on introduisit par la même ouverture faite au bras, trois fois autant de sang artériel d'un agneau dont on avoit préparé la carotide; après cette opération, le malade se couche & se releve, suivant le rapport de Denis, parfaitement guéri, ayant l'esprit gai, le corps léger & la mémoire bonne, & se sentant de plus très - soulagé d'une douleur qu'il avoit aux reins à la suite d'une chûte faite le jour pré<cb->
Ce succès, dit M. Denis, l'engagea à tenter une seconde fois cette opération; on choisit un homme robuste & bien portant, qui s'y soumit pour de l'argent; on lui tira dix onces de sang, & on lui en remit le double pris de l'artere crurale d'un agneau, le patient n'éprouva comme l'autre, qu'une chaleur très vive jusqu'à l'aisselle, conserva pendant l'opération sa tranquillité & sa bonne humeur, & après qu'elle fut finie, il écorcha lui - même l'agneau qui y avoit servi, alla le reste du jour employer au cabaret l'argent qu'on lui avoit donné, & ne ressentit aucune incommodité. Lettr. de Denis à M. de Montmor, &c. Paris, 25 Juin 1667.
Il se présenta bien - tôt une autre occasion de pratiquer cette opération, mais où son efficacité ne fut pas aussi démontrée, de l'aveu même des transfuseurs, que dans les cas précédens; le baron Bond, fils du premier ministre du roi de Suéde, se trouvant à Paris, fut attaqué d'un flux hépatique, diurétique & bilieux, accompagné de fievre; les Médecins après avoir inutilement employé toutes sortes de remedes que la prudence leur suggéra, c'est - à - dire nombre de saignées du pié & du bras, des purgations & des lavemens, le malade fut, comme on l'imagine aisément, si affoibli qu'il ne pouvoit plus se remuer, perdit la parole & la connoissance, & un vomissement continuel se joignit à ces symptomes: les Médecins en désespérerent, on eut recours à la transfusion, comme à une derniere ressource. MM. Denis & Emmerets, ayant été mandés, après quelques légers refus, lui transfuserent environ deux palettes de sang de veau; le succès de cette operation ne fut point, selon eux, équivoque. Le malade revint à l'instant de son assoupissement, les convulsions dont il étoit tourmenté cesserent, & son pouls enfoncé & fourmillant parut se ranimer; le vomissement & le flux lientérique furent arrêtés, &c. mais après avoir demeuré environ 24 heures dans cet état, tous ces accidens reparurent avec plus de violence. La foiblesse fut plus considérable, le pouls se renfonça, & le dévoiement revenu jetta le malade dans des syncopes fréquentes. On crut qu'il étoit alors à - propos de réiterer la transfusion; après qu'on l'eut faite, le malade parut repren dre un peu de vigueur, mais le slux lientérique persista toujours, & sur le soir la mort termina tous ces accidens; les transfuseurs firent ouvrir le cadavre, & rejetterent le succès incomplet de leur opération sur la gangrene des intestins, & sur quelques autres derangemens qu'on trouva dans les différens visceres. Lettr. de Gadrogs (ou Denis) à M. l'abbé Bourdelot, médecin, &c. Paris, 8 Août 1667.
L'observation la plus remarquable, qui a fait le plus de bruit, soit dans Paris, soit dans les pays étrangers, qui a été si diversement racontée par les parties intéressées, & qui a enfin été cause que les magistrats ont défendu la transfusion, est celle d'un sou qu'on a soumis plusieurs fois à cette opération, qui en a été parfaitement guéri, suivant les uns, & que les autres assurent en être mort: voici le détail abrégé que Denis donne de sa maladie & des succès de la transfusion.
La folie de ce malade étoit périodique, revenant surtout vers la pleine lune: différens remedes qu'il avoit essayés depuis huit ans, & entr autres dix huit saignées & quarante bains, n'avoient eu aucun succès; l'on avoit même remarqué que les accès se dissipoient plus promptement lorsqu'on ne lui faisoit rien que lorsqu'on le tourmentoit par des remedes; on se proposa de lui faire la transfusion; MM. Denis & [p. 551]
Cependant le malade ne donna aucune preuve de folie, se confessa & communia pour gagner le jubilé, reçut avec beaucoup de joie & de demonstrations d'amitié sa femme contre laquelle il étoit particulierement déchaîné dans ses acces de folie; un changement si considérable fit croire à tout le monde que la guérison étoit complette. Denis n'étoit pas aussi content que les autres; il appercevoit de tems en tems encore quelques légéretés qui lui firent penser que pour perfectionner ce qu'il avoit si bien commencé, il falloit encore une troisieme dose de transfusion; il différa cependant l'exécution de ce dessein, parce qu'il vit ce malade se remettre de jour en jour, & continuer à faire des actions qui prouvoient le bon état de sa tête. Lettre de Denis à M. * * * * Paris, 12 Janvier 1668.
Peu de tems après (le 10 Février 1668), M. Denis fit faire la transfusion à une femme paralytique sur laquelle un médecin avoit inutilement épuisé tout son savoir; il l'avoit fait saigner cinq fois du pié & des bras, & lui avoit fait prendre l'émétique & une infinité de médecines & de lavemens. La transfusion étant décidée & la malade préparée, on choisit un sang qui eût assez de chaleur & de subtilité, ce fut le sang artériel d'un agneau; on en fit passer en deux fois douze onces dans les veines de la paralytique; l'opération fut suivie du succès le plus complet; le sentiment & le mouvement revinrent dans toutes les parties
Vers la fin du mois de Janvier le fou qui avoit donné
de si grandes espérances, & qui avoit prodigieusement
enflé le courage des transfuseurs, tomba malade
(M. Denis ne marque pas le caractere de la maladie); sa femme lui ayant fait prendre quelques remedes
qui n'eurent aucun effet, s'adressa à M. Denis,
suivant ce qu'il écrit (lettre à M. Oldenburgh, secrétaire
de l'acad. royale d'Angl. Paris, 15 Mai 1668),
& le pria instamment de réitérer sur lui la transfusion. Ce ne fut qu'à force de prieres que ce médecin
si impatient quelques jours auparavant de faire cette
opération au même malade, s'y résolut alors; à peine
avoit - on ouvert la veine du pié pour lui tirer du
sang pendant qu'une canule placée entre l'artere du
veau & une veine du bras lui apportoit du nouveau
sang, que le malade fut saisi d'un tremblement de
tous les membres; les autres accidens redoublerent;
l'on fut obligé de cesser l'opération à peine commencée;
& le malade mourut dans la nuit. Denis soupçonnant
que cette mort étoit l'effet du poison que la femme
avoit donné à ce fou pour s'en délivrer, & alléguant
quelques poudres qu'elle lui avoit fait prendre, demanda
l'ouverture du cadavre, & dit ne l'avoir pas pu
obtenir; il ajoute que la femme lui raconta qu'on
lui offroit de l'argent pour soutenir que son mari
étoit mort de la transfusion, & qu'elle lui proposa de
lui en donner pour assurer le contraire; à son refus
la femme se plaignit, cria au meurtre; Denis eut recours
aux magistrats pour se justifier; & de ces contestations
résulta une sentence du Châtelet qui, comme
nous l'avons déja remarqué,
Telle fut la fin des expériences de la transfusion sur les hommes, qu'on fit à Paris, qui, quoique présentées par les transfuseurs, & par conséquent sous le jour le plus avantageux & avec les circonstances les plus favorables, ne paroissent pas bien décisives pour cette opération. On voit que, suivant eux, de cinq personnes qui l'ont éprouvée, deux malades ont été guéris, un homme sain n'en a pas été incommodé, & deux autres n'ont pu éviter la mort, & de ces deux le fou a eu à la suite divers accidens, comme soiblesse, défaillance, vomissement, excrétion d'urines noires, assoupissement, saignement de nez, &c. & l'on ne sauroit douter que les avantages de cette opération n'ayent été sûrement exagérés par ceux qui la pratiquoient & s'en disoient les inventeurs; leur honneur & leur fortune même étoient intéressés au succes de la transfusion; & c'est une regle assez sure dans la pratique, qu'on doit être d'autant plus réservé à croire des faits dont on n'a pas été témoin, qu'ils sont plus merveilleux, & que ceux qui les racontent ont plus d'intérêt à les soutenir. Les bons effets de la transfusion paroîtront encore plus douteux, si l'on consulte les relations que les antitransfuseurs, surtout la Martiniere & Lami, donnent des cures opérées par son moyen; & si l'on examine certaines circonstances sur lesquels on étoit généralement d'accord, mais que les transfuseurs supprimerent comme leur étant inutiles ou peu favorables.
On remarque en premier lieu, que le jeune homme
qui a été le sujet de la premiere expérience, étoit
domestique de Denis, & qu'on ne cite aucun témoin
de cette opération; la Martiniere ajoute que le témoignage
d'un domestique est si peu concluant, qu'il
se charge
Il est impossible de décider aujourd'hui laquelle des deux relations si différentes, de celle de Denis ou de celle de la Martiniere & Lamy, est conforme à la vérité. Il y a lieu de penser que dans l'une & l'autre l'esprit de parti y aura fait glisser des faussetés, parce que dans toutes les disputes il y a du tort des deux côtés; mais il me paroit naturel de croire que M. Denis a le plus altéré la vérité, 1°. parce qu'il étoit le plus intéressé à soutenir son opinion, 2°. parce que la transfusion a cessé d'être pratiquée non - seulement en France, mais dans les pays étrangers, preuve évidente qu'on en a reconnu les mauvais effets. L'antimoine quoique proscrit par une requête des médecins de la faculté de Paris, n'en a pas moins été employé par les médecins de Montpellier, & ensuite son usage est devenu universel, & son utilité a
On peut conclure de tous ces faits que la transfusion est une opération indifférente pour les animaux sains, lorsqu'elle est faite avec circonspection, & qu'on introduit dans leurs veines une très - petite quantité de sang étranger; elle devient mauvaise, pernicieuse lorsqu'on la fait à fortes doses; & elle est toujours accompagnée d'un danger plus ou moins pressant lorsqu'on y soumet des malades, sur - tout ceux qui sont affoiblis par l'effet de leur maladie, ou par quelqu'autre cause précédente, ou qui ont quelque viscere mal disposé: si elle produit quelquefois du soulagement, il n'est pour l'ordinaire que passager, & plutôt l'effet de la révolution générale dans la machine, de l'irritation particuliere dans le système sanguin, de l'augmentation du mouvement intestin du sang qu'occasionne le nouveau sang, comme feroit tout autre corps étranger; il seroit toujours très imprudent de pratiquer cette opération dans l'espérance de cet avantage incertain & léger; & d'ailleurs il peut arriver que ce trouble excité tourne désavantageusement, & tende à affaisser les ressorts de la machine au - lieu de les remonter: nous pourrions ajouter bien des raisonnemens tirés des principes mieux connus de l'économie animale, & des analyses récentes du sang, qui concourroient à inspirer de l'éloignement pour cette opération; mais outre que les faits rapportés sont suffisans, on n'est pas heureusement dans le cas d'avoir besoin d'en être détourné. Je ne dois cependant pas oublier de faire observer que cette opération est très - douloureuse. Quoiqu'on ait paru négliger cet article, il est assez important, & mérite qu'on y fasse attention. On est obligé d'abord de faire à la veine une ouverture considérable pour pouvoir y faire entrer une canulle; l'introduction de ce tuyau ne peut se faire sans une nouvelle douleur, qui doit encore augmenter au moindre mouvement que fait l'animal, & qu'on renouvelle enfin en retirant la canule. Voyez plus bas la maniere de faire cette opération. Je ne parle pas de la chaleur excessive au bras, du mal - aise général, des suffocations, des pissemens de sang, qui en sont la suite ordinaire.
On peut juger par tout ce que nous avons dit, combien sont fondées les prétentions de ceux qui avant [p. 553]
La maniere de faire la transfusion a varié dans les différens tems & les differens pays: dans les commencemens, les chirurgiens inhabiles à cette opération, la rirent avec moins de précaution & d'adresse, & par conséquent avec plus de douleur & de danger que dans la suite, où l'habitude de la pratiquer fit imaginer successivement des nouveaux moyens de la faciliter & de la rendre moins douloureuse. Les étrangers rendent aux françois le témoignage non équivoque que c'est par eux qu'elle a été perfectionnée. La méthode des Italiens étoit extrèmement cruelle. M. Manfredi rapporte que pour faire la transfusion sur les hommes, les chirurgiens de Rome marquent sur la peau avec de l'encre le chemin de Ja veine par laquelle ils veulent faire entrer le sang; ensuite ils enlevent cette peau, & font avec le rasoir une incision suivant la marque, d'environ deux pouces de long, afin de découvrir la veine & la séparer des chairs environnantes; ils passent après une aiguille enfilée par - dessous la veine pour la lier par le moyen d'un fil ciré avec la canulle que l'on doit introduire dedans pour y communiquer le sang. En suivant cette méthode, outre les douleurs longues & vives qu'on cause au malade, on est sûr d'exciter une inflammation qui peut être funeste, & on risque d'offenser l'artere, on tendon, ou d'exciter quelqu'autre accident.
La méthode suivie à Paris par M. Emmerets est beaucoup plus simple, & est à l'abri de tous ces inconveniens. Les instrumens nécessaires sont deux petits tuyaux d'argent, d'ivoire, ou de toute autre chose, recourbés par l'extrémité qui doit être dans les veines ou arteres des animaux qui servent à la transfusion, & sur qui on la fait; par l'autre bout ces tuyaux sont faits de façon à pouvoir s'adapter avec justesse & facilité; peu en peine de faire souffrir les animaux qui doivent fournir le sang qu'on veut transfuser aux hommes, le chirurgien prépare commodément leur artere, il la découvre par une incision longitudinale de deux ou trois pouces, la sépare des tégumens, & la lie en deux endroits distans d'un pouce, ayant attention que la ligature qui est du côté du coeur puisse facilement se défaire; ensuite il ouvre l'artere entre les deux ligatures, y introduit un des
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