ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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TOLEDE (Page 16:387)

TOLEDE, (Géog. mod.) ville d'Espagne, aujourd'hui capitale de la nouvelle Castille, sur le bord du Tage, qui l'environne des deux côtés, à 16 lieues au midi de Madrid, & à 45 au nord - est de Mérida.

La situation de Tolede sur une montagne assez rude, rend cette ville inégale, de sorte qu'il faut presque toujours monter ou descendre; les rues sont étroites, mais les places où l'on tient des marchés sont fort étendues. Le château royal, que l'on appelle Alcaçar, d'un mot retenu des Maures, est un beau & vaste bâtiment antique. L'église cathédrale est l'une des plus riches de toute l'Espagne. Le sagrario ou la principale chapelle, est un trésor en ouvrage d'or & d'argent; la custode ou le tabernacle qui sert à porter le Saint - sacrement à la Fête - Dieu, est si pesant qu'il ne faut pas moins de trente hommes pour le porter.

Si cette église est superbement ornée, elle n'est pas moins bien rentée; son archevêque est primat du royaume, conseiller d'état, grand chancelier de Castille, & jouissant du privilege de parler le premier après le roi; il possede dix - sept villes, & son revenu est au - moins d'un million de notre monnoie; les honneurs qu'il reçoit comme archevêque à son entrée dans Tolede, sont tels qu'on en rendroit à un monarque.

Le clergé de son église jouit d'enviren 400000 écus de rente. Le cardinal Ximénès, qui fut archevêque de Tolede, au commencement du seizieme siecle, a singulierement contribué à l'ornement de cette église, car on prétend que les dépenses qu'il y fit montoient à cinquante mille ducats; il employa environ cinquante mille écus à la seule impression des missels & des bréviaires mozarabes. Voyez Mozarabe, office.

On compte dans Tolede dix - sept places publiques, vingt - sept paroisses, trente - huit maisons religieuses, & plusieurs hôpitaux. Il s'y est tenu divers conciles. Son université fondée en 1475, a été fort enrichie par le cardinal Ximénès. La ville est forte d'assiette, & fait un grand commerce de soie & de laine; mais ce commerce fleuriroit bien davantage, pour peu qu'on voulût travailler à rendre le Tage navigable, afin que les bateaux arrivassent au pié de la ville.

L'air y est très - pur, mais ses environs sont secs & stériles. On nous a conservé l'inscription suivante tirée des restes d'un ancien amphithéatre découvert hors de la ville; cette inscription faite à l'honneur de l'empereur Philippe porte ces mots: Imp. Coes. M. Julio Philippo Pio. Frel. Aug. Partico. Pont. Max. Trib. Pott. P. P. Consuli Toletani Devotiss. Numini Majest. Que Ejus D. D.

Long. de Tolede, suivant de la Hire, 12d. 51'. 30". latit. 39d. 46'. & suivant Street, long. 18d. 16'. 45". latit. 39d. 54'.

La ville de Tolede a été dans l'ancien tems une colonie des Romains, dans laquelle ils tenoient la caisse du trésor. Jules César en fit sa place d'armes; Auguste y établit la chambre impériale; Léovigilde, roi des Goths, y choisit sa résidence; Bamba l'aggrandit & l'entoura de murailles. Les Maures la prirent l'an 714, lorsqu'ils entrerent en Espagne, & le roi Alphonse VI. roi de la vieille Castille, la reprit sur eux à l'instigation du Cid, fils de dom Diegue, qui s'étoit tant distingué contre les Musulmans, & qui offrit au roi Alphonse tous les chevaliers de sa banniere pour le succes de l'entreprise.

Le bruit de ce fameux siége, & la réputation du Cid, appellerent de l'Italie & de la France beaucoup de chevaliers & de princes. Raimond, comte de Toulouse, & deux princes du sang de France de la branche de Bourgogne, vinrent à ce siége. Le roi mahométan, nomme Hiaja, étoit fils d'un des plus généreux princes dont l'histoire ait conservé le nom. Almamon son pere avoit donné dans Tolede un asyle à ce même roi Alphonse, que son frere Sanche persécutoit alors. Ils avoient vécu long - tems ensemble dans une amitié peu commune, & Almamon loin de le retenir, quand après la mort de Sanche il devint roi, & par conséquent à craindre, lui avoit fait part de ses trésors; on dit même qu'ils s'étoient séparés en pleurant. Plus d'un chevalier mahométan sortit des murs pour reprocher au roi Alphonse son ingratitude envers son bienfaiteur, & il y eut plus d'un combat singulier sous les murs de Tolede.

Le siege dura une année; enfin Tolede capitula en 1085, mais à condition qu'il traiteroit les Musulmans comme il en avoit usé avec les Chrétiens, qu'on leur laisseroit leur religion & leurs lois, promesse qu'on tint d'abord, & que le tems fit violer. Toute la Castille neuve se rendit ensuite au Cid, qui en prit possession au nom d'Alphonse; & Madrid, petite place qui devoit être un jour la capitale de l'Espagne, fut pour la premiere fois au pouvoir des Chrétiens.

Plusieurs familles vinrent de France s'établir dans Tolede: on leur donna des privileges qu'on appelle même encore en Espagne franchises. Le roi Alphonse fit aussi - tôt une assemblée de prélats, laquelle sans le concours du peuple autrefois nécessaire, élut pour évêque de Tolede un prêtre nommé Bernard, à qui le pape Grégoire VII. conféra la primatie d'Espagne à la priere du roi.

La conquête fut presque toute pour l'Eglise; mais le primat eut l'imprudence d'en abuser, en violant les conditions que le roi avoit jurées aux Maures. La plus grande mosquée devoit rester aux Mahométans. L'archevêque pendant l'absence du roi en fit une églïse, & excita contre lui une sédition. Alphonse revint à Tolede, irrité contre l'indiscretion du prélat; il appaisa le soulevement en rendant la mosquée [p. 388] aux Arabes; & en menaçant de punir l'archevêque, il engagea les Musulmans à lui demander eux - mêmes la grace du prélat chrétien, & ils furent contens & soumis. Je dois ce détail à M. de Voltaire.

Alphonse VIII. donna à Tolede, l'an 1135, les armes qu'elle porte encore aujourd'hui; c'est un empereur assis sur son trône, l'épée à la main droite, & dans la gauche un globe avec la couronne impériale; on voit bien que ce sont - là des armes espagnoles.

Dans la foule d'écrivains dont Tolede est la patrie, je ne connois guere depuis la renaissance des lettres, que le rabbin Abraham Ben Meir, le jésuite de la Cerda, le Jurisconsulte Covarruvias, & le poëte de la Vega, qui méritent d'être nommés dans cet ouvrage.

Le fameux rabbin Abraham Ben Meir, appellé communément Aben - Ezra, naquit à Tolede, selon Bartolocci, & fleurissoit dans le douzieme siecle; c'étoit un homme de génie, & qui pour augmenter ses connoissances, voyagea dans plusieurs pays du monde: il entendoit aussi plusieurs langues, & particulierement l'arabe. Il cultiva la Grammaire, la Philosophie, la Médecine, & la Poësie; mais il se distingua sur - tout en qualité de commentateur de l'Ecriture. Après avoir vû l'Angleterre, la France, l'Italie, la Grece, & diverses autres contrées, il mourut à Rhodes, dans sa soixante & quinzieme année, l'an de Jesus - Christ 1165, selon M. Simon, & 1174, selon M. Basnage.

Il a mis au jour un grand nombre de livres, entre lesquels on a raison d'estimer ses Commentaires sur l'Ecriture, qu'il explique d'une maniere fort littérale & très - judicieuse; on peut seulement lui reprocher d'être quelquefois obscur, par un style trop concis: il n'osoit entierement rejetter la cabale, quoiqu'il sût très - bien le peu de fonds de cette méthode, qui ne consiste qu'en des jeux d'esprit sur les lettres de l'alphabet hébreu, sur les nombres, & sur les mots qu'on coupe d'une certaine façon, méthode aussi vaine que ridicule, & qui semble avoir passé de l'école des Platoniciens dans celle des Juifs. Aben - Ezra craignit de montrer tout le mépris qu'il en faisoit, de peur de s'attirer la haine de ses contemporains, & celle du peuple qui y étoit fort attaché; il se contente de dire simplement, que cette maniere d'expliquer l'Ecriture n'étoit pas sure; & que s'il falloit avoir égard à la cabale des peres juifs, il n'étoit pas convenable d'y ajouter de nouvelles explications, ni d'abandonner les saintes Ecritures aux caprices des hommes.

Ce beau génie examine aussi quelques autres manieres d'interpreter l'Ecriture. Il y a, dit - il, des auteurs qui s'étendent fort au long sur chaque mot, & qui font une infinité de digressions, employant dans leurs commentaires tout ce qu'ils savent d'arts & de sciences. Il rappoite pour exemple un certain rabbin, Isaac, qui avoit composé deux volumes sur le premier chapitre de la Genèse; il en cite aussi d'autres, qui, à l'occasion d'un seul mot, ont fait des traités entiers de Physique, de Mathématiques, de Cabale, &c. Aben - Ezra déclare que cette méthode n'est que le fruit de la vanité; qu'il faut s'attacher simplement à l'interprétation des paroles du texte, & que ce qui appartient aux arts & aux sciences, doit être traité dans des livres séparés.

Il rejette également la méthode des interpretes allégoristes, parce qu'il est difficile qu'en la suivant on ne s'éloigne entierement du sens littéral: il ne nie point cependant qu'il n'y ait des endroits dans l'Ecriture qui ont un sens plus sublime que le littéral, comme lorsqu'il est parlé de la circoncision du coeur; mais alors ce sens plus sublime est littéral, & le véritable sens.

Aben - Ezra s'est donc borné en interprétant l'Ecri<cb-> ture à rechercher avec soin la signification propre de chaque mot, & à expliquer les passages en conséquence. Au - lieu de suivre la route ordinaire de ceux qui l'avoient précédé, il étudia le sens grammatical des auteurs sacrés, & il le développa avec tant de pénétration & de jugement, que les Chrétiens même le préférent à la plûpart de leurs interpretes.

Au reste, c'est lui qui a montré le chemin aux critiques qui soutiennent aujourd'hui, que le peuple d'Ilraël ne passa point au - travers de la mer Rouge; mais qu'il y fit un cercle pendant que l'eau étoit basse, afin d'engager Pharaon à les suivre, & que ce prince fut submergé par le montant.

Cerda (Jean - Louis de la), entra dans la société des jésuites en 1574. Il a publié des adversaria sacra, des commentaires sur une partie des livres de Tertullien, & en particulier sur le traité de pallio, du même pere de l'Eglise. Enfin, il a écrit trois volumes in - fol. de commentaires sur Virgile, imprimés à Paris en 1624, en 1630, & en 1641. Les ouvrages de ce jésuite n'ont pas fait fortune; ils sont également longs & ennuyeux, parce qu'il explique les choses les plus claires pour étaler son érudition, & parce que d'ailleurs il s'écarte sans cesse de son sujet.

Covarruvias (Diego), l'un des plus savans hommes de son siecle, dans le droit civil & canon, naquit en 1512. Il joignit à la science du droit la connoissance des belles - lettres, des langues, & de la théologie. Philippe II. le nomma évêque de Ciudad - Rodrigo, & il assista en cette qualité au concile de Trente. A son retour il fut fait évêque de Ségovie, en 1564, président du conseil de Castille en 1572, & cinq ans après évêque de Cuença; mais il mourut à Madrid en 1577, à 66 ans, avant que d'avoir pris possession de ce dernier évêché. Ses ouvrages ont été recueillis en deux volumes in - folio; on en fait grand cas, & on les réimprime toujours à Lyon & à Genêve; on estime sur - tout celui qui a pour titre, variarum resolutionum libri tres: Covarruvias est non seulement un jurisconsulte de grand jugement, mais il passe encore pour le plus subtil interprete du droit que l'Espagne ait produit.

Garcias - Lasso de la Vega, un des célebres poëtes espagnols, étoit de grande naissance, & fut élevé aupres de l'empereur Charles - Quint. Il suivit ce prince en Allemagne, en Afrique, & en Provence: il commandoit un bataillon dans cette derniere expédition, où il fut blessé; on le transporta à Nice, & l'empereur qui le considéroit lui fit donner tous les soins possibles; mais il mourut de ses blessures vingt jours après, en 1536, à la fleur de son âge, à 36 ans.

Ses poésies ont été souvent réimprimées avec des notes de divers auteurs; il ne faut pas s'en étonner. Garcias est un de ceux à qui la poésie espagnole a le plus d'obligation, non - seulement parce qu'il l'a fait sortir de ses premieres bornes, mais encore pour lui avoir procuré diverses beautés empruntées des étrangers: il étoit le premier des poëtes espagnols de son tems, & il réussissoit même assez bien en vers latins.

Il employa l'art à cultiver le naturel qu'il avoit pour la poésie; il s'appliqua à la lecture des meilleurs d'entre les poëtes latins & Italiens, & il se forma sur leur modele. Ayant remarqué que Jean Boscan avoit réussi à faire passer la mesure & la rime des Italiens dans les vers espagnols, il abandonna cette sorte de poésie qu'on appelle ancienne, & qui est propre à la nation espagnole, pour embrasser la nouvelle, qui est imitée des Italiens: il quitta donc les complets & les rondelets (complat y redondillas), qui répondent à nos stances françoises, sans vouloir même retenir les vers de douze syllabes, ou d'onze, quand l'accent est sur la derniere du vers. [p. 389]

Il renonça même aux villanelles, qui répondent à nos ballades, aux romances, aux séguedilles, & aux gloses, pour faire des hendécasyllabes à l'italienne, qui consistent en des octaves, des rimes tierces, des sonnets, des chansons, & des vers libres. Il réussit en toutes ces sortes de rimes nouvelles, mais particulierement en rimes tierces, qui sont, 1°. des stances de trois vers, dont le premier rime au troisieme, le second au premier de la stance suivante, & ainsi jusqu'à la fin, où on ajoute un vers de plus dans la derniere stance, pour servir de derniere rime; 2°. des stances dont le premier vers est libre, & les deux autres riment ensemble.

Cette nouvelle forme de poésie fut trouvée si bisarre, que quelques - uns tâcherent de la ruiner, & de rétablir l'ancienne, comme étant propre à l'Espagne: c'est ce qu'entreprit de faire Christophe de Castillejo; mais ni lui ni les autres ne purent empêcher qu'elle n'eût le dessus, à la gloire de Garcias.

Ses ouvrages sont d'ailleurs animés de feu poëtique & de noblesse; c'est le jugement qu'en portent Mrs de Port - Royal dans leur nouvelle méthode espagnole. Paul Jove prétend même que les odes de Garcias ont la douceur de celles d'Horace.

Sanchez de Las - Brozas, savant grammairien espagnol, a fait des commentaires sur toutes les oeuvres de Garcias, & il a eu soin d'y remarquer les endroits imités des anciens, & d'en relever les beautés par des observations assez curieuses.

Il est bon de ne pas confondre le poëte de Tolede avec Lopès de Vega, autrement nommé Lopès - Felixde - Vega Carpio, autre poëte espagnol, chevalier de Malte, né à Madrid en 1562, & mort en 1635. Il porta les armes avec quelque réputation, & cultiva la poésie avec une fécondité sans exemple, car ses comédies composent vingt - cinq volumes, dont chacun contient douze pieces de théatre. Quoiqu'elles soient généralement fort médiocres & peu travaillées, on a fait des recueils d'éloges à la gloire de l'auteur, & c'est à sa mémoire qu'un de ses confreres a consacré cette jolie épigramme.

El aplauso en que jamas Tè podra bastar la fama, Lo mas del mundo te llama, Y aun te queda a deber mas, A los siglos que daras Por duda y desconfianza, Por castrumbre à la alabanza, A la invidia por officio, A dolor por exercizio, Por termino a la esperanza.

Enfin, il faut encore distinguer notre poëte de Tolede d'un autre auteur assez célebre, qui porte le même nom, Garcias - Lasso - de la - Vega, né à Cusco dans l'Amérique, & qui a donné en espagnol l'histoire de la Floride, & celle du Pérou & des incas, qu'on a traduites en françois.

Salmeron (Alphonse), jésuite, naquit à Tolede en 1516, & mourut à Naples en 1595, à 69 ans. Il fit connoissance à Paris avec saint Ignace de Loyola, devint son ami, son compagnon, & un des neuf qui se présenterent avec lui au pape Paul III. en 1540. Il vovagea ensuite en Italie, en Allemagne, en Pologne, dans les Pays - bas, & en Irlande. Il composa des ouvrages d'un mérite assez médiocre; il prit soin cependant de ne pas établir trop ouvertement la prétention de l'empire du pape sur le temporel des rois, en ne considérant cette puissance du pape que comme indirecte; mais cette opinion est aussi pernicieuse à l'Eglise & à l'état, aussi capable de remplir la république de séditions & de troubles, que la chimere d'une autorité directe du pontife de Rome, sur l'autorité temporelle & indubitable des rois.

Je ne dois pas oublier, dans l'article de Tolede, une des illustres & des savantes dames du seizieme siecle, Sigée (Louise), connue sous le nom d'Aloisia Sigoea. Son pere lui apprit la philosophie & les langues. On dit que c'est lui qui introduisit l'amour pour les lettres à la cour de Portugal, où il mena son aimable fille, qu'on mit auprès de l'infante Marie, qui cultivoit les sciences dans le célibat. Louise Sigée épousa Alphonse Cueva de Burgos, & mourut en 1560.

On a d'elle un poëme latin intitulé Sintra, du nom d'une montagne de l'Estramadoure, au pié de laquelle est un rocher, où on dit qu'on a vu de temsen - tems des tritons jouant de leur cornet: on lui attribue encore des épîtres & diverses pieces en vers; mais tout le monde sait que le livre infame, de arcanis amoris & Veneris, qui porte son nom, n'est point de cette dame, & qu'il est d'un moderne, qui a souillé sa plume à écrire les impuretés grossieres & honteuses dont ce livre est rempli. (Le chevalier de Jaucourt.)

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