ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"285"> les conclusions, l'impossibilité de se passer de quelque loi positive, universelle, qui servît de base à l'édifice, & ce fut la matiere d'un second cours qu'il entreprit à la sollicitation de quelques personnes qui avoient suivi le premier. Son pere vivoit encore, & l'autorité dont il jouissoit, suspendoit l'éclat des haines sourdes que Thomasius se faisoit de jour en jour par sa liberté de penser; mais bientôt il perdit le repos avec cet appui.

Il s'étoit contenté d'enseigner avec Puffendorf que la sociabilité de l'homme étoit le fondement de la moralité de ses actions; il l'écrivit; cet ouvrage fut suivi d'un autre où il exerça une satyre peu menagée sur différens auteurs, & les cris commencerent à s'élever. On invoqua contre lui l'autorité ecclésiastique & séculiere. Les défenseurs d'Aristote pour lequel il affectoit le plus grand mépris, se joignirent aux jurisconsultes, & cette affaire auroit eu les suites les plus sérieuses, si Thomasius ne les eût arrêtées en fléchissant devant ses ennemis. Ils l'accusoient de mépriser la religion & ses ministres, d'insulter à ses maîtres, de calomnier l'église, de douter de l'existence de Dieu; il se défendit, il ferma la bouche à ses adversaires, & il conserva son franc - parler.

Il parut alors un ouvrage sous ce titre, interesse principum circa religionem evangelicam. Un professeur en théologie, appellé Hector Godefroi Masius, en étoit l'auteur. Thomasius publia ses observations sur ce traité; il y comparoit le lutheranisme avec les autres opinions des sectaires, & cette comparaison n'étoit pas toujours à l'avantage de Masius. La querelle s'engagea entre ces deux hommes. Le roi de Da nemarck fut appellé dans une discussion où il s'agissoit entr'autres choses de savoir si les rois tenoient de Dieu immédiatement leur autorité; & sans rien prononcer sur le fond, sa majesté danoise se contenta d'ordonner l'examen le plus attentif aux ouvrages que Thomasius publieroit dans la suite.

Il eut l'imprudence de se mêler dans l'affaire des Pietistes, d'écrire en faveur du mariage entre des personnes de religions différentes, d'entreprendre l'apologie de Michel Montanus accusé d'athéisme, & de mecontenter tant d'hommes à la sois, que pour échapper au danger qui menaçoit sa liberté, il fut obligé de se sauver à Berlin, laissant en arriere sa bibliotheque & tous ses effets qu'il eut beaucoup de peine à recouvrer.

Il ouvrit une école à Hales sous la protection de l'électeur; il continua son ouvrage périodique, & l'on se doute bien qu'animé par le ressentiment & jouissant de la liberté d'écrire tout ce qu'il lui plaisoit, il ne ménagea guere ses ennemis. Il adressa à Masius même les premieres feuilles qu'il publia. Elles furent brûlées par la main du bourreau; & cette exécution nous valut un petit ouvrage de Thomasius, où sous le nom de Attila Frédéric Frommolohius, il examine ce qu'il convient à un homme de bien de faire, lorsqu'il arrive à un souverain étranger de flétrir ses productions.

L'école de Hales devint nombreuse. L'électeur y appella d'autres personnages célebres, & Thomasius fut mis à leur tête. Il ne dépendoit que de lui d'avoir la tranquillité au milieu des honneurs; mais on n'agitoit aucune question importante qu'il ne s'en mêlât; & ses disputes se multiplioient de jour en jour. Il se trouva embarrassé dans la question du concubinage, dans celle de la magie, des sortileges, des vénéfices, des apparitions, des spectres, des pactes, des démons. Or je demande comment il est possible à un philosophe de toucher à ces sujet, s sans s'exposer au soupçon d'irréligion?

Thomasius avoit observé que rien n'étoit plus opposé aux progrès de nos connoissances que l'attachement opiniatre à quelque secte. Pour encourager ses compatriotes à secouer le joug & avancer le projet de réformer la philosophie, apres avoir publié son ouvrage de prudentia cogitandi & ratiocinandi, il donna un abrégé historique des écoles de la Grece; passant de - là au cartésianisme qui commençoit à entraîner les esprits, il exposa à sa maniere ce qu'il y voyoit de répréhensible, & il invita à la méthode éclectique. Ces ouvrages, excellens d'ailleurs, sont tachés par quelques inexactitudes.

Il traita fort au long dans le livre qu'il intitula, de l'introduction à la philosophie rationelle, de l'érudition en général & de son étendue, de l'érudition logicale, des actes de l'entendement, des termes techniques de la dialectique, de la vérité, de la vérité premiere & indémontrable, des démonstrations de la vérité, de l'inconnu, du vraissemblable, des erreurs, de leurs sources, de la recherche des vérités nouvelles, de la maniere de les découvrir; il s'attacha surtout à ces derniers objets dans sa pratique de la philosophie rationelle. Il étoit ennemi mortel de la methode syllogistique.

Ce qu'il venoit d'exécuter sur la logique, il l'entreprit sur la morale; il exposa dans son introduction à la philosophie morale ce qu'il pensoit en genéral du bien & du mal, de la connoissance que l'homme en a, du bonheur, de Dieu, de la bienveillance, de l'amour du prochain, de l'amour de soi, &c. d'où il passa dans la partie pratique aux causes du malheur en général, aux passions, aux affections, à leur nature, à la haine, à l'amour, à la moralité des actions, aux tempéramens, aux vertus, à la volupté, à l'ambition, à l'avarice, aux caracteres, à l'oisiveté, &c. . . Il s'efforce dans un chapitre particulier à démontrer que la volonté est une faculté aveugle soumise à l'entendement, principe qui ne fut pas goûté généralement.

Il avoit surtout insisté sur la nature & le mêlange des tempéramens; ses réflexions sur cet objet le conduisirent à de vues nouvelles sur la maniere de découvrir les pensées les plus secrettes des hommes par le commerce journalier.

Après avoir posé les fondemens de la réformation de la logique & de la morale, il tenta la même chose sur la jurisprudence naturelle. Son travail ne resta pas sans approbateurs & sans critiques; on y lut avec quelque surprise que les habitudes théorétiques pures appartiennent à la folie, lors même qu'elles conduisent à la vérité: que la loi n'est point dictée par la raison, mais qu'elle est une suite de la volonté & du pouvoir de celui qui commande: que la distinction de la justice en distributive & commutative est vaine: que la sagesse consiste à connoître l'homme, la nature, l'esprit & Dieu: que toutes les actions sont indifférentes dans l'état d'intégrité: que le mariage peut être momentané: qu'on ne peut démontrer par la raison que le concubinage, la bestialité, &c. soient illicites &c. . .

Il se proposa dans ce dernier écrit de marquer les limites de la nature & de la grace, de la raison & de la révélation.

Quelque tems après il fit réimprimer les livres de Poiret de l'érudition vraie, fausse & superficielle.

Il devint théosophe, & c'est sous cette forme qu'on le voit dans sa pneumatologie physique.

Il fit connoissance avec le médecin célebre Frédéric Hoffman, & il prit quelques leçons de cet habile médecin, sur la physique méchanique, chimique & expérimentale; mais il ne goûta pas un genre d'étude qui, selon lui, ne rendoit pas des vérités en proportion du travail & des dépenses qu'il exigeoit.

Laissant - là tous les instrumens de la physique, il tenta de concilier entr'elles les idées mosaïques, cabalistiques & chrétiennes, & il composa son tentamen de naturâ & essentiâ spiritûs. Avec quel éton<pb-> [p. 286] nement ne voit - on pas un homme de grand sens, d'une érudition profonde, & qui avoit employé la plus grande partie de sa vie à charger de ridicules l'incertitude & la variété des systèmes de la philosophie sectaire, entêté d'opinions mille fois plus extravagantes. Mais Newton, après avoir donné son admirable ouvrage des principes de la philosophie naturelle, publia bien un commentaire sur l'apocalypse.

Thomasius termina son cours de philosophie par la pratique de la philosophie politique, dont il fait sentir la liaison avec des connoissances trop souvent négligées par les hommes qui s'occupent de cette science.

Il est difficile d'exposer le système général de la philosophie de Thomasius, parce qu'il changea souvent d'opinions.

Du reste ce fut un homme aussi estimable par ses moeurs que par ses talens. Sa vie fut innocente, il ne connut ni l'orgueil ni l'avarice; il aima tendrement ses amis; il fut bon époux; il s'occupa beaucoup de l'éducation de ses enfans; il chérit ses disciples qui ne demeurerent pas en reste avec lui; il eut l'esprit droit & le coeur juste; & son commerce fut instructif & agréable.

On lui reproche son penchant à la satyre, au scepticisme, au naturalisme, & c'est avec juste raison.

Principes généraux de la philosophie de Thomasius.

Tout être est quelque chose.

L'ame de l'homme a deux facultés, l'entendement & la volonté.

Elles consistent l'une & l'autre en passions & en actions.

La passion de l'entendement s'appelle sensation; la passion de la volonté, inclination. L'action de l'entendement s'appelle méditation; l'action de la volonté, impulsion.

Les passions de l'entendement & de la volonté précedent toujours les actions; & ces actions sont comme mortes sans les passions.

Les passions de l'entendement & de la volonté sont des perceptions de l'ame.

Les êtres réels s'apperçoivent ou par la sensation & l'entendement, ou par l'inclination & la volonté.

La perception de la volonté est plus subtile que la perception de l'entendement; la premiere s'étend aux visibles & aux invisibles.

La perceptibilité est une affection de tout être, sans laquelle il n'y a point de connoissance vraie de son essence & de sa réalité.

L'essence est dans l'être la qualité sans laquelle l'ame ne s'apperçoit pas.

Il y a des choses qui sont apperçues par la sensation; il y en a qui le sont par l'inclination, & d'autres par l'un & l'autre moyen.

Etre quelque part, c'est être dedans ou dehors une chose.

Il y a entre être en un lieu déterminé, & être quelque part, la différence de ce qui contient à ce qui est contenu.

L'amplitude est le concept d'une chose en tant que longue ou large, abstraction faite de la profondeur.

L'amplitude est ou l'espace où la chose est ou mue ou étendue, ou le mu ou l'étendu dans l'espace, ou l'extension active, ou l'étendu passif, ou la matiere active, ou la chose mue passivement.

Il y a une étendue finie & passive. Il y en a une infinie & active.

Il y a de la différence entre l'espace & la chose étendue, entre l'extension & l'étendue.

On peut considérer sous différens aspects une chose ou prise comme espace, ou comme chose étendue.

L'espace infini n'est que l'extension active où tout se meut, & qui ne se meut en rien.

Il est nécessaire qu'il y ait quelqu'étendu fini, dans lequel, comme dans l'espace, un autre étendu ne se meuve pas.

Dieu & la créature sont réellement distingués; c'est - à - dire que l'un des deux peut au - moins exister sans l'autre.

Le premier concept de Dieu est d'être de lui - même, & que tout le reste sort de lui.

Mais ce qui est d'un autre est postérieur à ce dont il est; donc les créatures ne sont pas co - éternelles à Dieu.

Les créatures s'apperçoivent par la sensation; alors naît l'inclination, qui cependant ne suppose pas nécessairement ni toujours la sensation.

L'homme ne peut méditer des créatures qu'il n'apperçoit point, & qu'il n'a pas apperçues par la sensation.

La méditation sur les créatures finit, si de nouvelles sensations ne la réveille.

Dieu ne s'apperçoit point par la sensation.

Donc l'entendement n'apperçoit point que Dieu vive, & toute sa méditation sur cet être est morte. Elle se borne à connoître que Dieu est autre chose que la créature, & ne s'étend point à ce qu'il est.

Dieu s'apperçoit par l'inclination du coeur qui est une passion.

Il est nécessaire que Dieu mesure le coeur de l'homme.

La passion de l'entendement est dans le cerveau; celle de la volonté est dans le coeur.

Les créatures meuvent l'entendement; Dieu meut le coeur.

La passion de la volonté est d'un ordre supérieur, plus noble & meilleure que la passion de l'entendement. Elle est de l'essence de l'homme; c'est elle qui le distingue de la bête.

L'homme est une créature aimante & pensante; toute inclination de l'homme est amour.

L'intellect ne peut exciter en lui l'amour de Dieu; c'est l'amour de Dieu qui l'excite.

Plus nous aimons Dieu, plus nous le connoissons.

Dieu est en lui - même; toutes les créatures sont en Dieu; hors de Dieu il n'y a rien.

Tout tient son origine de lui, & tout est en lui.

Quelque chose peut opérer par lui, mais non hors de lui, ce qui s'opere, s'opere en lui.

Les créatures ont toutes été faites de rien, hors de Dieu.

L'amplitude de Dieu est infinie; celle de la créature est finie.

L'entendement de l'homme, fini, ne peut comprendre exactement toutes les créatures.

Mais la volonté inclinée par un être infini, est infinie.

Rien n'étend Dieu; mais il étend & développe tout.

Toutes les créatures sont étendues; & aucune n'en étend une autre par une vertu qui soit d'elle.

Etre étendu n'est pas la même chose que d'avoir des parties.

Toute extension est mouvement.

Toute matiere se meut; Dieu meut tout, & cependant il est immobile.

Il y a deux sortes de mouvement, du non être à l'être, ou de l'espace à l'espace, ou dans l'espace.

L'essence de Dieu étoit une amplitude enveloppée avant qu'il étendît les créatures.

Alors les créatures étoient cachées en lui.

La création est un développement de Dieu, ou un acte, parce qu'il a produit de rien, en s'étendant, les créatures qui étoient cachées en lui.

N'être rien ou être caché en Dieu, c'est une même chose.

La création est une manifestation de Dieu, par la créature produite hors de lui.

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