ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"342"> Mais comme leur fondement n'est pas plus sûr que les fondemens des autres systèmes de nomenclature, ils ne se soûtiennent pas mieux, & ils ne sont pas moins éloignés les uns que les autres du système de la nature. Voyez Méthode.

En effet, comment peut - on espérer de soûmettre la nature à des lois arbitraires? sommes - nous capables de distinguer dans un individu qu'elle nous présente, les parties principales & les parties accessoires? Nous voyons des especes de plantes, c'est - à - dire des individus qui sont parfaitement ressemblans; nous les reconnoissons avec certitude, parce que nous comparons les individus tout entiers: mais dès qu'on fait des conventions pour distinguer les especes les unes des autres, pour établir des genres & des classes, on tombe nécessairement dans l'erreur, parce qu'on perd de vûe les individus réels pour suivre un objet chimérique que l'on s'est formé. De - là viennent l'incertitude des nomenclateurs sur le nombre des especes, des genres & des classes, & la multiplicité des noms pour les plantes; par conséquent toutes les tentatives que l'on a faites pour réduire la nomenclature des plantes en corps de science, ont rendu la connoissance des plantes plus difficile & plus fautive qu'elle ne le seroit, si on ne se servoit que de ses yeux pour les reconnoître, ou si on n'employoit qu'un art de mémoire sans aucun appareil scientifique. Ces systèmes n'ont servi à l'avancement de la Botanique, que par les descriptions exactes de plusieurs parties des plantes, & par les observations que l'on a faites sur ces mêmes parties, pour établir des caracteres méthodiques.

Voilà donc à quoi ont servi toutes les méthodes que l'on a imaginées jusqu'ici dans la nomenclature des plantes. Voyons à présent ce que l'on pourroit attendre de ces mêmes méthodes, en supposant qu'elles fussent portées au point de perfection, tant desiré par les nomenclateurs. Quiconque seroit bien instruit de ce prétendu système de la nature, auroit à la vérité un moyen infaillible de reconnoitre toutes les especes de plantes, & de les distinguer les unes des autres; mais l'application de ce système paroîtroit immense dans le détail; & ce seroit vraiment un chef d'oeuvre de combinaisons & de mémoire, dont peu de personnes seroient capables, que de pouvoir rapporter sans équivoque vingt mille noms à vingt mille plantes que l'on ne connoîtroit presque pas. D'ailleurs un pareil système de nomenclature, une aussi grande connoissance de noms & de phrases, ne pourroit en aucune façon nous instruire de la culture & des propriétés des plantes; puisque ces deux parties de la Botanique demandent chacune des observations toutes différentes de celles que suppose la nomenclature. Un méthodiste observe scrupuleusement la position, le nombre, & la forme de certaines parties de chaque plante: mais il n'en peut tirer aucune conséquence pour la culture; parce que, suivant son système, le nombre, la position, & la forme de ces parties, doivent être les mêmes en quelque climat que se trouve la plante, & de quelque façon qu'elle soit cultivée. Ces mêmes observations ne peuvent donner aucune lumiere pour les propriétés des plantes. La preuve en est connue. Nous savons parfaitement que toutes les plantes que l'on rapporte au même genre, n'ont pas les mêmes propriétés: ce fait a été constaté dans tous les systèmes de nomenclature qui ont été faits jusqu'à présent; & malheureusement on peut dire d'avance qu'il sera confirmé par tous ceux que l'on pourrra faire dans la suite. Cependant les méthodistes les plus zélés pour la découverte du prétendu système de la nature, ont annoncé qu'on pourroit parvenir à indiquer les propriétés des plantes par les vrais caracteres génériques. Ils prétendent même qu'on a déjà établi plusieurs de ces vrais ca<cb-> racteres qu'ils appellent naturels, & qui se sont soûtenus dans la plûpart des méthodes. Si cela est, ce ne peut être que l'effet d'un heureux hasard: car les méthodistes ne peuvent changer les propriétés des plantes, comme l'ordre de leur nomenclature.

Il seroit bien à souhaiter qu'il fût possible d'établir un pareil système. Cette découverte seroit plus profitable au genre humain, que celle du système du monde: cependant elle ne nous dispenseroit pas de faire des expériences pour découvrir de nouvelles propriétés dans les plantes: il y auroit beaucoup de genres qui ne comprendroient que des especes dont on ne connoîtroit pas les propriétés. Quoiqu'on pût tirer quelque indication de la propriété générale attribuée à la classe, il faudroit encore acquérir de nouvelles lumieres pour assigner le degré d'efficacité des plantes d'un de ses genres: d'ailleurs toutes les especes d'un même genre seroient - elles également actives, demanderoient - elles la même préparation, &c. Je n'insisterai pas davantage sur une supposition chimérique; il me sufsira de faire observer, qu'autant la nature est indépendante de nos conventions, autant les propriétés des plantes sont indépendantes de leur nomenclature. Peut - être que les descriptions completes des plantes pourroient donner quelques indices de leurs propriétés: mais que peut - on attendre d'une description imparfaite de quelques parties? On conçoit que la description exacte d'un animal, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, peut donner quelque idée de ses qualités. Mais si l'on n'observoit que les parties de la génération, comme on prétend le faire dans les plantes, que pourroit - on conclurre de cet animal? à peine pourroit - on savoir s'il est plus ou moins fécond qu'un autre. S'il est vrai que certaines plantes, dont les parties de la fleur & du fruit sont semblables à quelques égards, ayent les mêmes propriétés, c'est un fait de hasard qui n'est point constant dans les autres plantes. Ces combinaisons fortuites peuvent arriver dans tous les systèmes des nomenclateurs: mais je pense qu'il n'est pas plus possible de trouver leur prétendu système naturel, que de juger de la qualité des fruits sans les avoir goûtés.

Non - seulement la nomenclature des plantes ne peut contribuer en rien à la connoissance de leur culture, ni de leurs propriétés, mais elle y est très - préjudiciable en ce qu'elle retarde l'avancement de ces deux parties de la Botanique. La plûpart de ceux qui se sont occupés de cette science depuis le renouvellement des lettres, se sont appliqués par préférence à la nomenclature. Que de méthodes se sont détruites en se succédant les unes aux autres! que de vains efforts pour parvenir à un but imaginaire! Mais toutes ces tentatives ont marqué beaucoup de soin, de finesse, & de sagacité dans le plus grand nombre des méthodistes. Ils auroient pû s'épargner bien des fatigues, ou en faire un meilleur emploi, en s'appliquant à la culture ou aux propriétés des plantes. Une seule méthode suffisoit pour la nomenclature; il ne s'agit que de se faire une sorte de mémoire artificielle pour retenir l'idée & le nom de chaque plante, parce que leur nombre est trop grand pour se passer de ce secours: pour cela toute méthode est bonne. A présent qu'il y en a plusieurs, & que les noms des plantes se sont multipliés avec les méthodes, il seroit à souhaiter qu'on pût effacer à jamais le souvenir de tous ces noms superflus, qui font de la nomenclature des plantes une science vaine & préjudiciable aux avantages réels que nous pouvons espérer de la Botanïque par la culture & par les propriétés des plantes.

Au lieu de nous occuper d'une suite de noms vains & surabondans, appliquons - nous à multiplier un bien réel & nécessaire; tâchons de l'accroître au point d'en tirer assez de superflu pour en faire un objet de commerce. Tel est le but que nous présente la Bota - [p. 343] nique dans la seconde partie, qui est la culture des plantes. Il ne dépend pas toûjours de nous de découvrir leurs propriétés; nous ne pouvons jamais les modifier à notre gré: mais il est en notre pouvoir de multiplier le nombre des plantes utiles, & par conséquent d'accroitre la source de nos biens, & de la rendre intarissable par nos soins. Les anciens nous en ont donné l'exemple: au lieu de passer tout leur tems & d'employer tous leurs soins à des recherches vaines sur les caracteres distinctifs du froment, du seigle, de l'orge, du riz, de l'avoine, du millet, du panic, du chiendent, & des nombreuses suites d'especes que l'on prétend rapporter à chacun de ces genres, ils se sont uniquement appliqués à cultiver celles de toutes ces plantes dont ils connoissoient l'utilité. Ils sont parvenus, à force de travail & de constance, à les rendre assez abondantes pour fournir aux besoins des hommes & des animaux domestiques. C'est en perfectionnant l'art de la culture des plantes, qu'ils ont trouvé le moyen de les distribuer sur la surface de la terre dans l'ordre le plus convenable à leur multiplication & à leur accroissement. On a semé les terres qui pouvoient produire d'abondantes moissons; on a planté des vignobles dans les lieux propres à la maturité du raisin; on a fait des pâturages; on a élevé des forêts, &c. enfin on a su aider la nature, en rassemblant les plantes utiles dans les lieux les plus convenables, & en écartant de ces mêmes lieux, autant qu'il étoit possible, toutes les plantes inutiles. Voilà l'ordre le plus nécessaire, & l'arrangement le plus sage que l'on puisse mettre dans la division des plantes: aussi ç'a été le premier que les hommes ayent senti & recherché pour leur propre utilité. Voyez Agriculture.

La connoissance de la nature du terrein & de la température du climat, est le premier principe de l'Agriculture. C'est de l'inteiligence de ce principe, & du détail de ses conséquences, que dépend le succès de toutes les pratiques qui sont en usage pour la culture des plantes. Cependant on n'est guidé que par des experiences grossieres, pour reconnoître les différens terreins. Les gens de la campagne on sur ce sujet une sorte de tradition, qu'ils ont reçûe de leurs peres, & qu'ils transmettent à leurs enfans. Ils supposent chacun dans leur canton, sans aucune connoissance de cause, du moins sans aucune connoissance précise, que tel ou tel terrein convient ou ne convient pas à telle ou telle plante. Ces préjugés bien ou mal sondés, passent sans aucun examen; on ne pense seulement pas à les vérifier: l'objet est cependant assez important pour occuper les meilleurs Physiciens. N'aurons - nous jamais des systèmes raisonnes, des distributions méthodiques des terreins, des climats, relativement à leurs productions; je veux dire, de ces systèmes fondés sur l'expérience?

La convenance du climat est moins équivoque que celle du terrein, parce qu'on la détermine aisément par la maturité des fruits, ou par les effets de la gelée: mais on n'a pas assez observé combien cette convenance de température a de fréquentes vicissitudes dans un même lieu. Les deux principales causes de ces changemens sont les coupes des forêts, ou seulement des arbres épars, ce qui diminue la quantité des brouillards; & l'élévation des vallons, ou seulement des bords des rivieres & des ruisseaux, ce qui desseche le terrein & rend les inondations moins fréquentes. On conçoit aisément quels changemens ces deux causes peuvent occasionner dans la température du climat par rapport aux plantes. Il seroit trop long de suivre ce sujet dans les détails. Je me contenterai de faire observer que l'on ne doit pas renoncer à cultiver telle plante dans tel lieu, parce qu'elle n'y a pas réussi pendant quelque tems. On ne doit pas craindre de multiplier les expériences en Agriculture; le moin<cb-> dre succès dédommage abondamment de toutes les tentatives inutiles.

On peut distinguer deux principaux objets dans la culture des plantes. Le premier est de les multipier, & de leur faire prendre le plus d'accroissement qu'il est possible. Le second est de perfectionner leur nature, & de changer leur qualité.

Le premier a dû être apperçû dès qu'il y a eu des hommes qui ont vécu en nombreuse société. Les essais que l'on aura faits dans ces premiers tems, étoient sans doute fort grossiers: mais ils étoient si nécessaires, qu'on a lieu d'être surpris qu'ils n'ayent pas été suivis jusqu'à présent de plus de progrès. Nous ne savons pas combien de moyens différens ont été employés pour labourer la terre depuis que les hommes existent: mais nous ne pouvons pas douter que ceux que nous employons ne puissent encore deveni meilleurs, & même qu'il n'y en ait d'autres à trouver qui vaudroient bien mieux. Cependant la charrue est toûjours la même depuis plusieurs siecles, tandis que les modes de nos ameublemens & de nos équipages changent en peu d'années, & que nous sommes parvenus à cet égard à un point de commodité qui ne nous laisse presque rien à desirer. Que l'on compare une charrue à une chaise de poste, on verra que l'une est une machine grossiere abandonnée à des mains qui le sont encore plus; l'autre au contraire est un chef - d'oeuvre auquel tous les Arts ont concouru. Notre charrue n'est pas meilleure que celle des Grecs & des Romains: mais il a fallu bien plus d'industrie & d'invention pour faire nos chaises de poste, qu'il n'y en a jamais eu dans les chars de triomphe d'Alexandre & d'Auguste. L'art de la culture des terres a été négligé, parce qu'il n'a été exercé que par les gens de la campagne; les objets du luxe ont prévalu même en Agriculture; nous sommes parvenus à faire des boulingrins aussi beaux que des tapis, & à élever des palissades de décoration. Enfin nous connoissons l'architecture des jardins, tandis que la méchanique du laboureur n'a presque fait aucuns progrès. Cependant les moyens de multiplier les plantes & de les faire croître, semblent être à la portée de tous les hommes; & je ne doute pas qu'on ne pût arriver en peu de tems à un haut degré de perfection, si ceux qui sont capables d'instruire les autres, daignoient s'en occuper plus qu'ils ne le font.

Il paroît qu'il est plus difficile de produire des changemens dans la nature des plantes, & de leur donner de meilleurs qualités qu'elles n'en ont naturellement. On y est pourtant parvenu par le moyen de la greffe & de la taille des arbres. Cet art est connu depuis long - tems; & il a, pour ainsi dire, survécu à la plûpart de ses effets. Nous savons des anciens qu'ils avoient le secret de tirer des semences du pommier & du poirier sauvages des fruits délicieux. Ces fruits ne sont pas venus jusqu'à nous: mais nous avons sû faire des pommes & des poires, que nous ne changerions pas pour celles des Romains; parce que nous avons semé, greffé, & taillé les arbres aussi bien qu'eux. Cet art précieux est inépuisable dans ses productions. Combien ne nous reste - t - il pas d'expériences à faire, dont il peut résulter de nouveaux fruits qui seroient peut - être encore meilleurs que ceux que nous avons déjà trouvés? Ce que nous avons fait pour les arbres & les arbrisseaux ne peut - il pas aussi se faire pour les autres plantes, sur - tout depuis que nous croyons savoir comment s'opere leur génération, en substituant aux poussieres fécondantes d'une plante, des poussieres d'une autre espece? n'y auroit - il pas lieu d'espérer qu'elles produiroient dans le pistil de nouveaux germes, dont nous pourrions tirer des sortes de mulets, comme nous en avons dans les animaux; & que ces mulets de plantes auroient de nouvelles propriétés, dont nous pourrions

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