ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"404"> vient de le dire, on remplit une des chaudieres avec de l'eau nouvelle, jusqu'à une certaine hauteur; on met sur cette eau une partie des premiers métiers, & l'on acheve de remplir la chaudiere pour la seconde trempe: on fait de nouveau feu dessous la chaudiere, & on l'entretient jusqu'à ce qu'elle commence à bouillir. Le reste des métiers est déposé dans une autre chaudiere.

Lorsque la matiere de la seconde trempe, ou l'eau mêlée avec les premiers métiers commence à bouillir, on jette cette seconde trempe comme la premiere, avec la gouttiere & par la pompe à jetter trempe; on délaye avec le fourquet; on agite avec la vague, & on laisse encore reposer le fardeau environ une heure. Au bout de cette heure, on donne avoi & on reçoit la liqueur dans le reverdoir, comme à la premiere fois; on la fait passer du reverdoir dans les chaudieres, ainsi que nous l'avons dit plus haut, à l'occasion de ce vaisseau, à l'aide d'une pompe à chapelet; c'est alors qu'on met la quantité convenable de houblon: on fait du feu sous la chaudiere, & le tout cuit ensemble.

La quantité de houblon varie, selon sa force & selon celle de la bierre, ou plûtôt la quantité de grain qu'on y a employée: on peut cependant assûrer qu'il en faut depuis trois jusqu'à quatre livres par piece; & par conséquent une soixantaine de livres sur un brassin de treize à quatorze pieces. Il n'y a point de préparation à lui donner.

Mais le grain & le houblon ne sont pas les seuls ingrédiens qu'on fasse entrer dans la bierre; il y en á qui y ajoûtent la coriandre, soit en grain soit moulue. Ceux qui l'employent en grain l'enferment dans un sac qu'ils suspendent dans la cuve guilloire: ceux qui la font moudre, ou l'enferment dans un sac qu'ils suspendent dans la cuve guilloire, comme si elle étoit en grain, ou en saupoudrent la bierre quand elle est sur les bacs à décharger. Au reste on fait très bien de la bierre sans coriandre: cependant on en peut mettre une chaudronnée de dix à douze pintes sur un brassin de treize à quatorze pieces; & ce que nous avons dit, indique très - clairement le moment d'en faire usage.

De la cuisson. C'est alors que le travail de la bierre rouge & de la bierre blanche commence à devenir différent: car jusqu'ici, toute la façon a été la même pour l'une & pour l'autre, si ce n'est que l'on a fait beaucoup plus sécher le grain à la touraille pour la bierre rouge que pour la blanche.

La cuisson de la bierre rouge est beaucoup plus considérable que celle de la blanche. La cuisson de la bierre blanche se fait en trois ou quatre heures, suivant la capacité des chaudieres; & celle de la rouge en demande jusqu'à trente & quarante. Il faut avoüer aussi que la bierre blanche se cuit à bien plus grand feu que la rouge; au reste le plus ou le moins de cuisson, tant du grain sur la touraille, que de la bierre même dans les chaudieres, est la seule chose qui fasse la différence de la couleur des bierres.

Lorsque la bierre est suffisamment cuite, on vuide les chaudieres avec le jet, comme nous l'avons dit ailleurs, & cela s'appelle décharger: c'est pour lors que la bierre en sortant des bacs à jetter, qui sont sur les chaudieres, entre dans les grands bacs ou bacs de décharge, & y reste avec le houblon, jusqu'à ce qu'elle soit bonne à mettre en levain.

Du levain. On ne peut dire au juste à quel degré de tiédeur ou de chaleur il faut prendre la bierre pour la mettre en levain; attendu que ce degré varie suivant les différentes températures de l'air, & qu'on est obligé de mettre en levain à un degré beaucoup plus chaud dans l'hyver que dans l'été. Il faut dans cette derniere saison que la bierre soit presque froide; il n'y a qu'un long usage & une gran<cb-> de expérience qui puissent instruire là - dessus, ou les observations au thermometre: c'est assûrément ici une des occasions où cet instrument peut être très utile.

Lorsque la bierre est prête à être mise en levain, on en fait couler dans la cuve, qu'on appelle cuve guilloire, par le moyen des robinets qui sont aux bacs; on en fait couler, dis - je, une certaine quantité, dans laquelle on jette de la levure de bierre, plus ou moins suivant la quantité de bierre qu'on a à mettre en levain. La levure est la cause & l'effet de la fermentation; desorte que celle que l'on met dans la bierre y occasionnant la fermentation, engendre de nouvelle levure & ainsi successivement; il faut environ la production de levure de quatre à cinq pieces, pour en mettre en levain la quantité de trente pieces.

La levure étant mise dans la quantité de bierre que l'on a fait passer des bacs à décharger dans la cuve guilloire; on a ce qu'on appelle le pié de levain: on ferme les robinets, & on laisse le pié de levain environ une heure ou deux dans cet état; pendant ce tems, le principe de la fermentation s'établit. On connoît que ce principe est suffisamment établi, aux crevasses qui se font à la mousse, en différens endroits de la surface de la cuve; ces crevasses représentent assez au naturel une pate d'oie: pour lors il faut de nouveau faire couler de la bierre des bacs à décharger dans la cuve guilloire, afin d'entretenir la fermentation, observant néanmoins de ne pas lâcher les robinets d'abord à plein canal; car on s'exposeroit à fatiguer, & peut - être à noyer le pié de levain: au lieu que si l'on modere les avois pendant quelques tems, la fermentation se conserve vigoureuse, & il vient un moment où l'on peut en sûreté ouvrir les robinets entierement.

Quand toute la bierre a passé des bacs à décharger dans la cuve guilloire, la fermentation continue; elle augmente jusqu'à un certain point de force ou de maturité, auquel on peut entonner la bierre. On connoît que le levain est mûr, lorsque les rochers de mousse que la fermentation a engendrés commencent à s'affaisser & à fondre sous eux - mêmes, & ne se reproduisent plus; & qu'on ne remarque plus à la superficie du levain qu'une grosse écume extrèmement dilatée: pour lors il faut frapper sur cette écume avec une longue perche, & la faire rentrer dans la liqueur; & c'est ce qu'on appelle battre la guilloire.

Lorsque la guilloire est battue, on entonne la bierre dans des tonneaux rangés à côté les uns des autres sur des chantiers, sous lesquels sont des bacquets, ou moitiés de tonneau; c'est dans ces vaisseaux que tombe la levure au sortir des tonneaux. L'endroit de la brasserie où sont rangés les tonneaux s'appelle l'entonnerie. Voyez Pl. V. de Brasserie, une entonnerie.

De la levure. La levure ne se forme pas aussi - tôt que la piece est entonnée, quoique la fermentation, selon toute apparence, n'ait pas cessé; il ne sort d'abord que de la mousse qui se fond promptement en bierre: ce n'est guere qu'au bout de trois ou quatre heures, que la levure commence à se former. On distingue facilement le changement; alors la mousse ne sort plus si promptement: elle devient plus grasse & plus épaisse; mais bien - tôt après la fermentation se rallentit, pour lors on pure le bacquet, c'est - à - dire, qu'on en retire la bierre provenue de la fonte des mousses, & on en remplit les tonneaux. Mais comme le produit des bacquets ne suffit pas pour le remplissage, on a recours à de la bierre du même brassin mise en réserve pour cet effet.

Les tonneaux ainsi remplis recommencent à fermenter avec plus de vivacité que jamais, & jettent pour lors de la vraie levure. On a soin de soûtenir & de cultiver la fermentation, en remplissant de tems en tems les tonneaux; c'est - à - dire que deux heures [p. 405] après qu'on a fait le premier remplissage, on en fait un second, mais sans purer les bacquets. Les bacquets ne se purent qu'une fois; après deux autres heures, on fait un troisieme remplissage: au bout d'une heure le quatrieme, & à peu près à même distance de tems, le cinquieme & dernier.

Tous ces différens remplissages faits, on laisse la bierre tranquille sur les chantiers; & ce n'est que vingt - quatre héures après le dernier remplissage qu'elle peut être bondonnée. Si on se hâtoit de bondonner, la fermentation n'étant pas achevée, on exposeroit les pieces à s'entrouvrir en quelqu'endroit.

Voilà donc la bierre faite, & en état d'être mise en cave: mais si l'on est pressé d'en faire usage, & que l'on n'ait pas le tems de la laisser éclaircir naturellement, ce qui ne s'éxécute pas trop promptement, on y remédie en la collant.

De la colle. On colle la bierre, ainsi que le vin, avec de la colle de poisson qui se prépare de la maniere suivante: prenez la colle de poisson, battez - la avec un marteau, afin de pouvoir la déchiqueter plus facilement; mettez - la en pieces les plus petites qu'il est possible; faites - la tremper dans de l'eau pendant vingt - quatre ou trente heures; renouvellez l'eau, sur - tout dans les tems chauds, pour prévenir la corruption: après que la colle aura trempé, retirez - la de l'eau; maniez - la fortement jusqu'à ce qu'elle soit devenue comme de la pâte; délayez - la ensuite dans de l'eau claire, & faites - en comme de l'orgeat trèsépais: après cette premiere préparation elle ne tarde pas à prendre une autre forme, & à devenir, de lait qu'elle sembloit être, une gélée de viande très - forte, en versant dessus une quantité suffisante de vin blanc, ou de bierre très - vieille, & remuant bien le tout ensemble: plus on remue, plus on s'apperçoit que la gelée prend de consistance: quand elle en a suffisamment, on la laisse dans cet état jusqu'à ce qu'on veuille s'en servir.

Quand on veut éclaircir la bierre par le moyen de la colle, on prend de cette gelée dont on vient de parler; on la délaye dans de l'eau; on passe ce mêlange à travers un linge: il ne faut pas qu'il y ait trop d'eau; si la colle étoit trop délayée, elle ne produiroit plus d'effet.. On prend environ une pinte de colle délayée & passée pour un demi - muid: quand on a versé la colle dans la piece, on y introduit un bâton de la longueur du bras; on agite sortement la liqueur pendant environ une ou deux minutes, & on laisse le tonneau environ douze heures sans le reboucher; cela fait avec soin, au bout de vingt - quatre heures on aura de la bierre très - claire.

Voilà tout ce qui concerne la maniere de brasser, & les instrumens du Brasseur. Un nomme intelligent pourroit, sur cette description & sur l'inspection de nos planches, lever une brasserie, & faire de la bierre: il ne lui resteroit à apprer dre que ce qu'on ne sient que de l'expérience, comme la chaleur de l'eau propre à jetter trempe, celle de la bierre pour être mise en levain, & autres circonstances pareilles. L'agrès d'une brasserie où l'on remarque particulierement de l'invention, c'est la cuve à deux fonds, que les Brasseurs appellent cuve matiere: si au lieu de faire enlever le fardeau de farine par des eaux qui le prennent en - dessous, on eût fait tomber les eaux dessus, ces eaux l'auroient pénetré, appesanti, lié, & il eût été presqu'impossible de le travailler, soit au fourquet, soit à la vague. Le faux - fond & la pompe à jetter trempe, sont une application très - ingénieuse & très - utile du principe d'action des fluides: un bon physicien n'auroit pas imaginé mieux que l'ouvrier à qui l'on doit cette invention, en vertu de laquelle la masse de farine est prise en - dessous, & portée toute entiere vers le haut de la cuve, d'où l'ouvrier n'a plus qu'à la précipiter vers le fond; ce qui lui est infiniment plus facile que d'avoir à l'élever du fond vers le haut de la cuve: d'ailleurs l'eau renfermée entre la farine & le fond, se conserve dans une chaleur presqu'égale, & la trempe en est d'autant meilleure. Les petits trous du faux fond, après avoir servi à l'exhaussement de la farine pour la vaguer, servent, après qu'elle est vaguée, à la filtration de l'eau chargée de son suc; & il y a bien de l'apparence que la nécessité de cette filtration a fait d'abord imaginer le faux fond, & qu'on a passé de - là à la pompe à jetter trempe.

Les uns font venir le mot brasser de brace, espece de grain dont on faisoit la bierre: les autres de bras ou de ses composés, parce que la manoeuvre la plus fatigante s'exécute à force de bras. Les brasseries sont fort anciennes à Paris; & les Brasseurs avoient des statuts en 1268, sous S. Louis. Ceux auxquels ils sont soûmis se réduisent à un petit nombre d'articles.

1°. Il y est dit que nul ne brassera & ne charriera ou fera charrier bierre, les dimanches, les fêtes solemnelles & celles de Vierge.

2°. Que nul ne pourra lever brasserie sans avoir fait cinq ans d'apprentissage, & trois ans de compagnonage, avec chef - d'oeuvre.

3°. Qu'il n'entrera dans la bierre que bons grains & houblons bien tenus & bien nettoyés, sans y mêler sarrasin, ivraie, &c. pour cet effet les houblons seront visités par les jurés, afin qu'ils ne soient employés échauffés, moisis, gâtés, mouillés, &c.

4°. Qu'il ne sera colporté par la ville aucune levure de bierre, mais qu'elle sera toute vendue dans la brasserie aux Boulangers & Pâtissiers, & non à d'autres.

5°. Que les levures de bierre apportées par les forains seront visitées par les jurés avant que d'être exposées en vente.

6°. Qu'aucun Brasseur ne pourra tenir dans la brasserie. boeuf, vache, porc, oison, canne, volaille, comme contraire à la netteté.

7°. Qu'il ne sera fait dans une brasserie qu'un brassin par jour, de quinze septiers de farine au plus. Je doute que cet article soit exécuté.

8°. Que les caques, barrils, & autres vaisseaux à contenir bierre, seront marqués de la marque du Brasseur, laquelle marque sera frappée en présence des jurés.

9°. Qu'aucun maître n'emportera des maisons qu'il fournit de bierre, que les vaisseaux qui lui appartiendront par convention.

10°. Que ceux qui vendent en détail seront soûmis à la visite des jurés.

11°. Que nul ne pourra s'associer dans le commerce d'autres qu'un maître du métier.

12°. Qu'aucun maître n'aura qu'un apprenti à la fois, & que cet apprenti ne pourra être transporté sans le consentement des jurés. Il y a exception à la premiere partie de cet article pour la derniere année: on peut avoir deux apprentis, dont l'un commence sa premiere année, & l'autre sa cinquieme.

13°. Que tout fils de maître pourra tenir ouvroir en faisant chef - d'oeuvre.

14°. Que nul ne recevra pour compagnon celui qui aura quitté son maître, outre le gré de ce maître.

15°. Qu'une veuve pourra avoir serviteurs & faire brasser, mais non prendre apprentis.

16°. Que les maîtres ne se soustrairont ni ouvriers ni apprentis les uns aux autres.

17°. Qu'ils éliront trois maîtres pour être jurés & gardes, deux desquels se changeront de 2 en 2 ans.

18°. Que ces jurés & gardes auront droit de visite dans la ville, les faubourgs & la banlieue.

La bierre est sujette à des droits; & pour que le Roi n'en soit pas frustré, le Brasseur est obligé à chaque brassin d'avertir le commis du jour & de l'heure

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