ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"924"> Tartars, que cette partie de la nation turque qui obéissoit à Mogull, ou Mungul - Chan, & à son frere Tartar - Chan, prit anciennement. C'est aussi la verirable dérivation du nom d'Usbecks que les Tartares de la grande Bucharie & du pays de Charassin, portent en mémoire d'Usbeck - Chan. Les Mungales de l'est ont adopté le nom de Mansueurs, de Moensueu - Chan, empereur de la Chine. Semblablement les Callmoucks - Dsongari, sujets de Contaisch, ou grand chan des Callmoucks, ont pris le nom de Contaischi, pour témoigner leur attachement à ce souverain.

Tous les Tartares, même ceux qui ont des habitations fixes, emportent avec eux dans leurs voyages, leurs effets de prix, non - seulement quand ils changent de demeure, mais même en allant à la guerre. De - là vient que lorsqu'il leur arrive de perdre une bataille, une partie de leur bagage reste ordinairement en proie au vainqueur; mais ils sont en quelque maniere nécessités d'emporter leurs effets avec eux, parce qu'ils laisseroient autrement leurs biens & leurs familles en proie aux autres Tartares leurs voisins, qui ne manqueroient pas de profiter de leur absence pour les enlever.

On remarque que presque tous les Tartares conservent non - seulement les mêmes usages en général, mais aussi la même façon de bâtir leurs cabanes; car soit qu'ils habitent dans des huttes, ou qu'ils aient des demeures fixes, ils laissent toujours une ouverture au milieu du toît, qui leur sert de fenêtre & de cheminée. Toutes leurs habitations, soit fixes soit mouvantes, ont leurs portes tournées au midi, pour être à l'abri des vents du nord, qui sont fort pénétrans dans la grande Tartarie.

Les Tartares devroient être libres, & cependant ils se trouvent tous dans l'esclavage politique. L'auteur de l'esprit des lois en donne d'excellentes raisons, que personne n'avoit développées avant lui.

Les Tartares, dit ce beau génie, n'ont point de villes, ils n'ont point de forêts; leurs rivieres sont presque toujours glacées; ils habitent une immense plaine; ils ont des pâturages & des troupeaux, & par conséquent des biens: mais ils n'ont aucune espece de retraite, ni de défense. Sitôt qu'un kan est vaincu, on lui coupe la tête, & ses sujets appartiennent au vainqueur: on ne les condamne pas à un esclavage civil, ils seroient à charge à une nation qui n'a point de terres à cultiver, & n'a besoin d'aucun service domestique; ils augmentent donc la nation; mais au - lieu de l'esclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire.

En effet, dans un pays où les diverses hordes se font continuellement la guerre, & se conquiérent sans cesse les unes les autres; dans un pays où par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue est toujours détruit, la nation en général ne peut guere être libre: car il n'y en a pas une seule partie, qui ne doive avoir été un très - grand nombre de fois subjuguée.

Les peuples vaincus peuvent conserver quelque liberté, lorsque par la force de leur situation, ils sont en état de faire des traités après leur défaite: mais les Tartares, toujours sans défense, vaincus une fois, n'ont jamais pu faire des conditions.

D'ailleurs, le peuple Tartare en conquérant le midi de l'Asie, & formant des empires, doit demeurer dans l'esclavage politique, parce que la partie de la nation qui reste dans le pays, se trouve soumise à un grand maître qui, despotique dans le midi, veut encore l'être dans le nord; & avec un pouvoir arbitraire sur les sujets conquis, le prétend encore sur les sujets conquérans. Cela se voit bien aujourd'hui dans ce vaste pays qu'on appelle la Tartarie chinoise, que l'empereur gouverne presque aussi despotiquement que la Chine même.

Souvent une partie de la nation Tartare qui a conquis, est chassée elle - même, & elle rapporte dans ses déserts un esprit de servitude, qu'elle a acquis dans le climat de l'esclavage. L'histoire de la Chine nous en fournit des exemples, & notre histoire ancienne aussi. Les Tartares détruisant l'empire grec, établirent dans les pays conquis, la servitude & le despotisme. Les Goths, conquérant l'empire romain, fonderent la monarchie & la liberté.

A moins que toute la grande. Tartarie ne soit entre les mains d'un seul prince, comme elle l'étoit du tems de Genghis - Chan, il est impossible que le commerce y fleurisse jamais: car maintenant que ce pays est partagé entre plusieurs princes, quelque porté que puisse être l'un ou l'autre d'entr'eux à favoriser le commerce, il ne peut y parvenir si ses voisins se trouvent dans des sentimens opposés. Il n'y a même que du côté de la Sibérie, de la Chine, & des Indes, où les marchands peuvent aborder d'ordinaire en toute liberté, parce que les Callmoucks & Moungales négocient paisiblement avec les sujets des états voisins, qui ne leur font pas la guerre.

Disons un mot du droit des gens des Tartares. Ils paroissent entr'eux doux & humains, & ils sont des conquérans très - cruels: ils passent au fil de l'épée les habitans des villes qu'ils prennent; ils croient leur faire grace lorsqu'ils les vendent, ou les distribueut à leurs soldats. Ils ont détruit l'Asie depuis les Indes jusqu'à la Méditerranée; tout le pays qui forme l'orient de la Perse, en est resté désert. Voici ce qui paroît avoir produit un pareil droit des gens.

Ces peuples n'avoient point de villes; toutes leurs guerres se faisoient avec promptitude & avec impétuosité; quand ils esperoient de vaincre, ils combattoient; ils augmentoient l'armée des plus forts, quand ils ne l'esperoient pas. Avec de pareilles coutumes, ils trouvoient qu'il étoit contre leur droit des gens, qu'une ville qui ne pouvoit leur résister, les arrêtât: ils ne regardoient pas les villes comme une assemblée d'habitans, mais comme des lieux propres à se soustraire à leur puissance. Ils n'avoient aucun art pour les assiéger, & ils s'exposoient beaucoup en les assiégeant; ils vengeoient par le sang tout celui qu'ils venoient de répandre.

L'idée naturelle aux peuples policés qui cultivent les terres, & qui habitent dans des maisons, a été de bâtir à Dieu une maison où ils pussent l'adorer; mais les peuples qui n'ont pas de maisons eux - mêmes, n'ont point songé à bâtir un temple à la divinité. C'est ce qui fit que Genghis - Chan marqua le plus grand mépris pour les mosquées, ne pouvant comprendre qu'il fallût adorer Dieu dans un bâtiment couvert. Comme les Tartares n'habitent point de maisons, ils n'élevent point de temples.

Les peuples qui n'ont point de temples, ont un léger attachement à leur religion. Voilà pourquoi les Tartares se font peu de peine de passer du paganisme au mahométisme, ou à la religion grecque. Voilà pourquoi les Japonois, qui tirent leur origine des Tartares, permirent de prêcher dans leur pays la religion chrétienne. Voilà pourquoi les peuples barbares, qui conquirent l'empire romain, ne balancerent pas un moment à embrasser le christianisme. Voilà pourquoi les Sauvages de l'Amérique sont si peu attachés à leur propre religion; enfin, voilà pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bâtir au Paraguai des églises, ils sont devenus zelés pour la nôtre.

Mais l'immensité des pays conquis par les Tartares, étonne, & confond notre imagination. Il est humiliant pour la nature humaine, que ces peuples barbares ayent subjugué presque tout notre hémisphère, jusqu'au mont Atlas. Ce peuple, si vilain de figure, est le dominateur de l'univers: il est également [p. 925] le fondateur & le destructeur des empires. Dans tous les tems, il a donné sur la terre des marques de sa puissance: dans tous les âges il a été le fleau des nations. Les Tartares dominent sur les vastes pays qui forment l'empire du Mogol: maîtres de la Perse, ils vinrent s'asseoir sur le trône de Cyrus, & d'Hystaspes: & pour parler de tems moins reculés, c'est d'eux que sont sortis la plûpart des peuples qui renverserent l'empire romain, s'emparerent de l'Espagne, & de ce que les Romains possedoient en Afrique.

On les vit ensuite assujettir les califes de Babylonne. Mahmoud, qui sur la fin du onzieme siecle, conquit la Perse & l'Inde, étoit un Tartare. Il n'est presque connu aujourd'hui des peuples occidentaux, que par la réponse d'une pauvre femme qui lui demanda justice dans les Indes, du meurtre de son fils, commis dans l'Iraque persienne. Comment voulez - vous que je rende justice de si loin, dit le sultan? Pourquoi donc nous avez - vous conquis, ne pouvant nous gouverner, répondit la même mere?

Les Tartares moungales, ou mongoules, ont conquis deux fois la Chine, & la tiennent encore sous leur obéissance. Voici comme l'auteur de l'essai sur l'histoire a peint cette étrange révolution, arrivée au treizieme siecle, c'est un morceau très - intéressant.

Gassar - chan, ayeul de Genghis - chan, se trouvant à la tête des tribus mongoules, plus aguerries & mieux armées que les autres, força plusieurs de ses voisins à devenir ses vassaux, & fonda une espece de monarchie parmi des peuples errans. Son fils affermit cette domination naissante, & Genghis - chan son petit fils, l'étendit dans la plus grande partie de la terre connue.

Après avoir vaincu un rival de gloire, qui possedoit un puissant état entre les siens & ceux de la Chine, il se fit élire souverain des chans tartares, sous le nom de Genghis - chan, qui signifie le grand chan. Revêtu de cette suprème dignité, il établit dans ses troupes la plus belle discipline militaire, & entre autres lois, il en porta une toute nouvelle qui devoit faire des héros de ses soldats. Il ordonna la peine de mort contre ceux qui dans le combat, appellés au secours de leurs camarades, fuiroient au - lieu de les défendre. En même tems il mit en oeuvre un ressort qu'on a vu quelquefois employé dans l'histoire. Un prophete prédit à Genghis - chan, qu'il seroit roi de l'univers, & les vassaux du grand chan s'encouragerent à remplir la prédiction. Bientôt maître de tous les pays qui sont entre le Wolga & la muraille de la Chine, il attaqua cet ancien empire qu'on appelloit alors le Catai; prit Cambalu, que nous nommons aujourd'hui Peking, soumit tout, jusqu'au fond de la Corée, & prouva qu'il n'y a point de grand conquérant qui ne soit grand politique.

Un conquérant est un homme dont la tête se sert, avec une habileté heureuse du bras d'autrui; Genghis gouvernoit si adroitement la partie de la Chine qu'il avoit conquise, qu'elle ne se révolta point pendant qu'il couroit à d'autres triomphes; & il sçut sibien régner dans sa famille, que ses quatre fils, qu'il fit ses quatre lieutenans généraux, mirent leur jalousie à le bien servir, & furent les instrumens de ses victoires.

Mohammed Kotbeddin Kouaresm - Schah, maître de Turkestan & de presque toute la Perse, marcha contre Genghis, avec quatre cens mille combattans. Ce fut au - delà du fleuve laxartes, près de la ville Otrar, capitale du Turkestan, & dans les plaines immenses qui sont par - delà cette ville, au 43 degré de latitude, que l'armée de Mohammed rencontra l'armée tartare, sorte de sept cens mille hommes, commandée par Genghis, & par ses quatre fils: les mahométans furent taillés en pieces, & la ville d'Otrar fut prise.

De ces pays qui sont vers la Transoxane, le vainqueur s'avance à Bokharah, capitale des états de Mohammed, ville célebre dans toute l'Asie, & qu'il avoit enlevée aux Samanides, ainsi que Samarcande, l'an de J. C. 1197. Genghis s'en rendit maître l'an 1220. de J. C. Par cette nouvelle conquête, les contrées à l'orient & aumidi de la mer Caspienne, furent soumises, & le sultan Mohammed, fugitif de provinces en provinces, traînant après lui ses trésors & son infortune, mourut abandonné des siens.

Genghis pénétra jusqu'au fleuve de l'Inde, & tandis qu'une de ses armées soumettoit l'Indostan, une autre, sous un de ses fils, subjugua toutes les provinces qui sont au midi & à l'occident de la mer Caspienne, le Corassan, l'Irak, le Shirvan & l'Aran; elle passa les portes de fer, près desquelles la ville de Derbent fut bâtie, dit - on, par Alexandre. C'est l'unique passage de ce côté de la haute Asie, à travers les montagnes escarpées du Caucase. De - là, marchant le long du Volga vers Moscow, cette armée par - tout victorieuse ravagea la Russie. C'étoit prendre ou tuer des bestiaux & des esclaves; chargée de ce butin, elle repassa le Volga, & retourna vers Genghis - chan, par le nord - est de la mer Caspienne. Aucun voyageur n'avoit fait, dit - on, le tour de cette mer; & ces troupes furent les premieres qui entreprirent une telle course par des pays incultes, impraticables à d'autres hommes qu'à des Tartares, auxquels il ne falloit ni provisions ni bagages, & qui se nourrissoient de la chair de leurs chevaux.

Ainsi, dans la moitié de la Chine, & la moitié de l'Indoustan, presque toute la Perse jusqu'à l'Euphrate, les frontieres de la Russie, Casan, Astracan, toute la grande Tartarie, furent subjugués par Genghis, en près de dix - huit années. En revenant des Indes par la Perse & par l'ancienne Sogdiane, il s'arrêta dans la ville de Toncat, au nord - est du fleuve Jaxarte, comme au centre de son vaste empire. Ses fils victorieux, les généraux, & tous les princes tributaires, lui apporterent les trésors de l'Asie. Il en fit des largesses à ses soldats, qui ne connurent que par lui, cette espece d'abondance. C'est de - là que les Russes trouvent souvent des ornemens d'argent & d'or, & des monumens de luxe enterrés dans les pays sauvages de la Tartarie. C'est tout ce qui reste de tant de déprédations.

Genghis tint dans les plaines de Toncat une cour triomphale, aussi magnifique qu'avoit été guerriere celle qui autrefois lui prépara tant de triomphes. On y vit un mélange de barbarie tartare, & de luxe asiatique; tous les chans & leurs vassaux, compagnons de ses victoires, étoient sur ces anciens chariots scythes, dont l'usage subsiste encore jusque chez les Tartares de la Crimée; mais les chars étoient couverts des étoffes précieuses, de l'or, & des pierreries de tant de peuples vaincus. Un des fils de Genghis, lui fit dans cette diete, un présent de cent mille chevaux. Ce fut ici qu'il reçut les adorations de plus de cinq cens ambassadeurs des pays conquis.

De - là, il courut à Tangut royaume d'Asie, dans la Tartarie chinoise, pour remettre sous le joug ses habitans rébelles. Il se proposoit, âgé d'environ 70 ans, d'achever la conquête du grand royaume de la Chine, l'objet le plus chéri de son ambition; mais une maladie l'enleva dans son camp en 1226, lorsqu'il étoit sur la route de cet empire, à quelques lieues de la grande muraille.

Jamais ni avant, ni après lui, aucun homme n'a subjugué tant de peuples. Il avoit conquis plus de dix - huit cens lieues de l'orient au couchant, & plus de mille du septentrion au midi. Mais dans ses conquêtes, il ne fit que détruire; & si on excepte Bozharah, & deux ou trois autres villes dont il permit qu'on réparât les ruines, son empire de la frontiere

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