ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"580"> liere; si après avoir forcé la population par l'abondance, il doit porter ses vues sur le commerce intérieur & extérieur, en favoriser la branche avantageuse, gêner l'inutile, supprimer la plus dangereuse; s'il doit garnir les manufactures sans dépeupler la campagne; si dans les échanges, les traités, les retours, il fait pancher la balance du côté de sa nation; si débarrassant l'exportation de toutes ses entraves, il tire parti de l'importation & de la réexportation; s'il place utilement ses colonies; s'il les entretient avec soin, & qu'il ne les applique qu'à la culture la plus fructueuse à la métropole; s'il découvre lequel est le plus sage, de détruire la compagnie des Indes, ou de lui donner une meilleure direction; s'il ne paye que des gens qui rendent plus qu'ils ne coûtent; s'il a, sur toutes les parties de l'administration, des notions claires & précises; s'il possede ce tact fin & prompt, qui distingue la liberté de la licence, qui apperçoit où confine l'usage & où commence l'abus; s'il ne se méprend pas sur les cas qui sollicitent des gratifications, & sur ceux qui exigent des prohibitions; certainement ce ministre assurera le bonheur du gouvernement auquel il présidera.

IX. Un auteur célebre (l), qui voit presque toujours si philosophiquement, dit que ceux qui attribuerent dans les tems malheureux de Louis XIV, l'affoiblissement des sources de l'abondance aux profusions que ce roi fit en tous genres, ne savent pas que les dépenses qui encouragent l'industrie, enrichissent l'état. Comment cet écrivain ignore - t - il que la richesse que procure à l'état la dépense de son souverain, ne tombe d'abord que sur un petit nombre, & sur ce petit nombre déja opulent, qui n'a point de relation immédiate avec les denrées de premiere nécessité? Comment n'a - t - il pas vu que la circulation toujours lente ne vivifie le général de la nation des produits de la dépense royale, que long tems après qu'elle est faite? L'argent reste même souvent enfoui dans les coffres de quelques particuliers. Or, dans des guerres ruineuses où le secours est indispensable, comment le demander à ceux qui n'ont pas une seule partie des profusions du monarque? Comment retirer d'une bourse ce qui n'y est point entré? Comment reprendre en un jour ce qui n'a été acquis qu'à force de peines & de tems, & ce qui a été détourné par différens emplois? Dailleurs, il faut que l'argent reste bien des années à la disposition du peuple, pour que la population, l'agriculture & le commerce en rapportent l'intérêt. Enfin, il n'est que trop bien démontré par les faits, qui sont les seules conséquences qui puissent, quand il est question de gouvernement, appuyer un principe, que lorsqu'une sage économie ne préside pas au fisc, l'état est oberé, que les sujets sont foulés, qu'on est contraint de renoncer aux opérations fermes, pour s'attacher à des expédiens funestes, qu'on ne peut réformer aucun abus, qu'on est enfin l'esclave & la victime de ceux qui ont l'argent, & qu'on réussit aussi mal à se relever pendant la paix, qu'à se défendre pendant la guerre. Les regnes de Charles V. de Henri IV. de Louis XIV. lui - même dans ses plus beaux momens, opposés aux exemples qu'il n'est que trop aisé d'accumuler, prouvent ce que j'avance.

X. M. de V. dit encore (m) que « le roi de France eut en 1756 tout l'argent dont il avoit besoin pour se venger des déprédations de l'Angleterre, par une des promptes ressources, qu'on ne peut connoître que dans un royaume aussi opulent que la France: vingt places nouvelles de fermiers généraux, & quelques emprunts suffirent pour soutenir les premieres années de la guerre, tandis

(l) Essai sur l'histoire générale, vol. VII. p. 190. (m) Essai sur l'histoire générale, vol. VIII. p. 275.
que la grande - Bretagne s'épuisoit en taxes exor bitantes ». M. de V. se trompe ici dans tous les points. D'abord, ces vingt places de fermiers généraux ne produisirent aucun avantage, même passager, & elles causerent un mal à la circulation: leur création fut la suite de la suppression des sou fermes, dont la continuation auroit rendu sûrement autant, & peut - être plus, que les nouvelles places: le ministre qui fit en 1756 le bail des fermes, livra à vingt personnes les profits qui se partageoient entre cinq cens particuliers. Voilà le resultat de son opération, directement contraire à cette maxime qui établit, que dans une monarchie, les fortunes divisées valent mieux que les fortunes réunies.

Secondement, quelques emprunts ne suffirent pas, puisqu'il y eut un nouveau vingtieme en 1756, un doublement de capitation en 1760, précédé d'un troisieme vingtieme imposé en 1759. Ne sont - ce pas - là des taxes exorbitantes, & ne faut - il pas convenir que la guerre a été aussi ruineuse à la France qu'à l'Angleterre?

XI. Quand j'ai discuté l'utilité de la régie & celle de la ferme, je n'ai point entendu qu'on fût actuellement maître de préférer l'un ou l'autre parti; j'ai projetté pour l'avenir: lorsque le trésor royal est épuisé & que les choses sont venues au point, que le crédit qui n'est plus dans le corps desseché de l'état, ne repose encore que foiblement sur une compagnie opulente; alors la ferme est forcée, parce qu'il faut des avances, & qu'il n'y a lieu ni à la réforme ni à ces dispositions des revenus, qui supposent les dettes liquidées & des fonds réservés.

XII. On le voit clairement, que l'état n'a point de crédit, & que l'on redoute les propositions, les banques & les arrangemens qui viendroient de lui. Dans les contrats de prêt, à quelque titre que ce puisse être, le débiteur s'oblige à ne jamais rembourser en papiers ou effets royaux. De telles conventions sont la preuve d'un très - grand mal. Emery disoit que la foi n'étoit que pour les marchands; & que ceux qui l'alleguoient dans les affaires du roi, méritoient d'être punis. Ce discours du surintendant des finances étoit d'une férocité stupide. Les étrangers reçoivent l'alarme d'une nation qui n'a aucune confiance dans son gouvernement: ainsi, en se discréditant au - dedans, on se ruina au - dehors.

XIII. On a voulu dans ce siecle encourager l'agriculture, & on a eu raison; elle est la richesse de premiere nécessité, & la source de toutes celles de convention: mais on s'est trompé sur les moyens; les sociétés, les mémoires, les ordres des intendans, tout cela, ou contrarie l'objet, ou n'y tend qu'imparfaitement. Il est question de ramener & d'attacher les hommes à la terre; ceux qui la travaillent, en leur faisant trouver leur aisance dans leur peine; & ceux qui la possedent, ou qui sont en état d'acquérir, de défricher, d'améliorer, en leur presentant dans leur possession un revenu aussi avantageux & plus sûr que celui qu'ils pourroient chercher ailleurs. On y parviendra en baissant l'intérêt de l'argent, & en augmentant le produit des terres. Tant qu'une somme rendra 6 pour , & que l'immeuble n'en fournira que 2, on voit bien qu'on fera valoir son argent sur la place. Mais si le taux de l'argent est réduit à 3 pour , & que les terres, au moyen d'une exportation des grains non - seulement permise mais encouragée, & d'une décharge d'une partie des taxes qui absorbent près du tiers du revenu, donnent autant, ou à - peu - près autant; alors les inquiétudes & les banqueroutes qui suivent le travail de l'argent, le feront rejetter. On désirera une richesse plus douce & plus solide; elle excitera le courage & l'attention du cultivateur, comme le zele & les observations du propriétaire. Je ne parle point ici de la supériorité [p. 581] qu'une réduction réfléchie de l'intérêt donneroit à une nation sur les autres par les facilités & l'accroissement qu'elle communiqueroit à toutes les branches du commerce.

XIV. Tous les moyens de favoriser la population & l'agriculture, dit un philosophe anglois (M. Hume) sont violens ou inutiles, excepté celui qui prend sa force dans l'intérêt même du propriétaire des fonds.

XV. Le meilleur réglement qu'un souverain pourroit faire pour augmenter le commerce, seroit l'assurance d'un prêt sans intérêt de sommes considérables, à des négocians pour exécuter ou étendre des entreprises auxqueiles leurs fortunes ne suffiroient pas. Tel est le moyen avec lequel Henri VII. quoiqu'avare, jetta les fondemens de la puissance de l'Angleterre: mais pour opérer ainsi, il faut avoir des fonds. Le grand principe de l'économie se démontre donc à l'homme d'état toutes les fois qu'il veut déraciner l'abus & commencer les établissemens fructueux.

XVI. Si une compagnie établie chezune nation, exporte son argent, pour acquérir dans des climats éloignés des marchandises qu'elle revient vendre à cette seule nation, elle est certainement nuisible. Si dans un autre royaume, une compagnie de la même espece répete les achats que fait l'autre; mais que n'en limitant point la vente à ses concitoyens, elle l'étende assez pour remettre dans l'état, par son gain, la quantité d'especes qu'elle lui enleve pour l'emplette, cette compagnie est nulle. Mais, si dans une république qui possede les épiceries de l'Inde, une compagnie, au - lieu de sortir l'argent de sa patrie, lui en rapporte de toutes les parties du monde où elle trafique avec ses propres richesses; cette compagnie est utile, & on peut ajouter qu'elle est le trésor du gouvernement sous lequel elle travaille.

XVII. Je parts, pour fixer la position de l'Angleterre, du calcul de M. Davenant. Je conviens qu'elle a parmi les puissances le plus grand profit de la navigation, & que son revenu peut monter à onze cens trente millions: Si on leve un septieme de ce produit, il rendra à peu près . . . . . . 162,000,000.

 Profit de la douane  . . . . . . . .   11,600,000
             Total. . . . . . . . . .  173,600,000.
 Déduire pour les frais de régie  . .    5,500,000
 Reste net. . . . . . . . . . . . . .  168,100,000
 Examinons maintenant la dépense l'état, suivant
les Anglois, doit trois milliards quatre cens cinquante
millions; l'intérêt à 3 pour , monte
à . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103,500,000
 Les papiers publics reconnoissent
une dette cachée de 460,000,000.
L'intérêt . . . . . . . . . . . . . . .  13,800,000
 Liste civile, c'est - à - dire, dépense
ordinaire de l'état . . . . . . . , . .  23,000,000
 Entretien des troupes   . . . . . . .  23,000,000
 Marine    . . . . . . . . . . . . . .  17,250,000
       Total de la dépense   . . . . . 180,550,000

Donc, en tems de paix, la dépense excede la recette de plus de douze millions quatre cens cinquante mille livres; puisque j'ai compris dans la recette le profit de la douane, qui n'a lieu qu'en tems de guerre, & que l'intérêt qui se paye à 4 pour , n'a été porté qu'à 3. Donc, ce royaume, loin de pouvoir éteindre les capitaux augmentera ses emprunts pour suffire aux intérêts; donc il sera forcé à une banqueroute générale, s'il ne tire de son sein un revenu bien plus considérable par des moyens extraordinaires.

Si l'on compare à cette situation celle de la France, on verra qu'ayant un revenu de trois milliards deux cens millions, le trésor royal en reçoit un septieme qui est . . . . . . . . . . . . . . . . 457 millions

 Sur quoi déduisant les frais des régie,
qui, proportion gardée à ceux de
l'Angleterre, sont excessifs, puisqu'ils
montent au moins à  . . . . . . . . .     57
 Reste net . . . . . . . . . . . . .    400 millions
 Les besoins en tems de paix   . . .    300
 Les intérêts de quatre milliards,
à 3 pour  . . . . . . . . . . . . .   120

Ainsi la dépense excede la recette de vingt millions; & ce gouvernement n'a ni banqueroute à craindre, ni ressources violentes à mettre en oeuvre.

Un meilleur systeme d'économie suffiroit seul pour apurer en moins de quinze ans la dette nationale. Concluons encore, qu'aucune des deux nations ne peut continuer la guerre sans marcher à sa ruine, surtout si son argent passe à des mains étrangeres; comme il arrivera quelquefois à la France, & toujours à l'Angleterre, quand elle combattra sur terre (n).

XVIII. Jacques premier, dont l'ardeur pour le despotisme fut si funeste à son fils & à sa postérité, agitoit sans cesse des questions relatives à la puissance absolue. Il demandoit un jour à deux évêques qui dinoient avec lui, si un roi pouvoit, sans autre loi que sa volonté, s'emparer de tout le bien de ses sujets. L'un dit qu'il n'y avoit aucun doute, & que sa majesté pouvoit disposer de tout ce que possédoit son peuple: l'autre voulut éluder la question; mais presse d'y satisfaire, il répondit: « Je crois que votre majesté peut prendre le bien de mon confrere qui le lui offre ». C'est ainsi que la nation voudroit qu'en usât son maître à l'égard de ces gens qui, partant du même principe que l'un des deux évêques avoit la bassesse d'admettre, imaginent sans cesse de nouveaux impôts, & osent en presser l'établissement: leurs mémoires deviendroient fort rares, si on commençoit par s'emparer de leurs biens, avant de charger les peuples des taxes qu'ils ont inventées.

XIX. On pourroit juger assez surement de la bonne ou mauvaise administration d'un état, par le plus ou le moins de perfection qu'on y auroit donnée aux taxes sur les consommations du luxe. Je ne définis point ici le luxe, que je prends dans l'acception la plus générale. Le système du chevalier Deker sur cet objet, peut fournir à un ministre de très - heureuses parties. On a indiqué un projet pour remplacer à Paris la capitation & le dixieme d'industrie, impôts onéreux & arbitraires, par une taxe sur les domestiques & sur les fenêtres: mais on n'a pas suffisamment développé cette idée. Pour les domestiques, il faudroit accroître l'imposition en raison de leur nombre, de leur néceisité & de leur destination. A l'égard des fenêtres, on devroit aussi observer des proportions entre celles du devant, du premier, de la rue, du quartier; se régler sur la quantité & peut - être sur la forme. Mais comme on ne mettroit point de taxe, ou qu'il n'y en auroit qu'une très - légere pour les domestiques que la charge du maître rendroit d'une nécessité absolue, on exempteroit aussi les artisans qui ne tirent le jour que par un seul endroit. Voilà une petite branche du luxe imposée sans inconvénient, & même avec avantage, surtout la premiere qui renverroit à la culture des terres & dans les manufactures cette armée d'hommes forts ou adroits, qui surcharge insolemmenut les villes. Eh combien d'autres articles sur lesquels on pourroit détourner des impôts qui ecrasent les fonds!

(n) Quand les calculs énoncés dans cet article ne seroient pas justes, pourvu qu'ils ne s'eroigrastenc pas du vrai, de laçon à présenter des inducctions opposées, les raisonnemens que l'on fait conserveroient toujours la même force.

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