ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"578"> & la gloire. Le respect & la considération sont pour ces ministres & ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit & jour pour le bonheur de l'empire ».

Observations de M. P***. Mais comment un philosophe, un législateur, un sage, a - t - il pu supposer dans le royaume une profession qui ne gagnât, qui ne méritât que de l'argent, & qui fût exclue par état de toute autre sorte de récompense? &c. &c. &c. Un financier ne sera sans doute ni recompensé, ni respecté, ni consideré comme un Turenne, un Colbert, un Seguier... Les services qu'il rend, les sacrifices qu'il fait, les vertus qu'il montre, ne sont ni de la même nature, ni du même prix; mais peut - on, mais doiton décemment, équitablement, raisonnablement en conclure qu'ils n'ont aucune sorte de valeur & de réalité? & lorsqu'un homme de finance, tel qu'on vient de le peindre, & que l'on conçoit qu'il doit être, vient justifier l'idée que l'on en donne, sa capacité ne rend elle pas à l'état des services essentiels? son désintéressement ne fait - il pas des sacrifices? & sa vertu ne donne - t - elle pas des exemples à suivre, à ceux - même qui veulent le dégrader?

Il est certain (& l'on doit en convenir en ami de la vérité), il est certain que l'on a vu dans cette profession des gens dont l'esprit, dont les moeurs, dont la conduite ont mérité qu'on répandît sur eux à pleine mains, le sel du sarcasme & de la plaisanterie; & ce qui devoit les toucher encore plus, l'amertume des reproches les mieux fondés. Mais ce corps est - il le seul qui présente des membres à retrancher? & refusera - t - on à la noblesse, au ministere, à la magistrature, les éloges, les récompenses, & les distinctions qu'ils méritent, parce qu'on a vu quelquefois en défaut dans le militaire le courage; dans le ministere les grandes vues; dans la magistrature le savoir & l'intégrité? On reclameroit avec raison contre cette injustice. La finance n'a - t - elle pas autant à se plaindre de l'Esprit des lois? & ne doit - elle pas le faire avec d'autant plus de force, que l'auteur ayant plus de mérite & de célébrité, est aussi plus dangereux pour les opinions qu'il veut accréditer. Le moindre reproche que l'on puisse faire en cette occasion à cet écrivain, dont la mémoire sera toujours chere à la nation, c'est d'avoir donné pour assertion générale, une observation personnelle & particuliere à quelques financiers, & qui n'empêche pas que le plus grand nombre ne desire, ne recherche, ne mérite, & n'obtienne la sorte de récompense & de gloire, de respect & de considération qui lui est propre.

Réponse. Quel autre lot une ame libre & vraie pouvoit - elle assigner à une profession qui ne travaille que pour amasser de l'argent, qui n'a d'autre émulation que celle de grossir sa fortune, & qui tourne toute son industrie du côté des richesses? Si les services qu'elle rend sont la levée des tributs; s'il est démontré qu'elle ne fait de sacrifices que ceux dont elle obtient un retour usuraire; si les vertus qu'elle montre consistent à exécuter fidellement ses traités, qui peut sans aveuglement lui décerner d'autre récompense que la richesse? Cette récompense est proportionnée à la nature de ses soins, elle n'a aucun titre pour en exiger d'autres; lui en assigner de différentes, ce seroit confondre les principes, malheureusement ils ne sont que trop confondus dans le fait: car les coeurs nobles sont rares, & les vils flatteurs sont communs; ils sont venus à bout de faire évanouir les distinctions. La capacité du financier ne s'exerce que pour sa propre utilité: son desintéressement est un être de raison: & sa vertu, si elle donne des exemples à suivre, est celle du particulier, & non pas celle de son état.

M. de Montesquieu étoit trop integre & trop instruit, pour avoir rejetté les exceptions; il les admet<cb-> toit telles qu'elles sont, c'est - à - dire dans le sens contraire à celui que son contradicteur indique: son principe, loin d'en être affoibli, en recevoit une nouvelle force: il y comprenoit, dans l'exception, non des gens dépravés, ineptes & méprisables, mais des hommes éclairés, justes, & bienfaisans; ce qui est conforme à l'opinion générale, & à celle que les éditeurs de l'Encyclopédie ont établie dans la note qu'ils ont mise à la fin de cet article. La différence des autres corps à celui des financiers est sensible: dans les premiers, quelques membres isolés manquent à leur devoir & sont flétris; dans l'autre c'est le petit nombre seul qui mérite l'estime; & cela, parce que là l'esprit général est celui de l'honneur, & qu'ici l'esprit général est celui de la vexation. Il y a plus; dans l'espece présente, la nature même de la chose résiste à une meilleure constitution. M. P * * * en peignant le financier tel qu'il devoit être selon ses principes, s'est attaché à une chimere, qu'aucun effort de la part du ministere ne pourroit réaliser: la grande sortune est le fléau de la vertu, & ne la souffre point avec elle? « Comment seriez - vous homme de bien, vous qui n'ayant pas eu de bien de votre pere, possédez de si grands trésors »? Cette question d'un romain à Sylla, ne peut dans l'application souffrir de replique. Quel est l'homme qui ait la tête assez froide & le coeur assez pur, pour conjurer la séduction des richesses? Elles énervent le courage, avilissent l'ame, concentrent dans l'individu l'affection qu'il auroit étendue sur ses semblables. Le coeur endurci, les moeurs sont bien - tôt corrompues; le vice infecte également l'extrème misere, comme l'extrème opulence: le pauvre a par - tout sur le riche l'inestimable avantage de ne pouvoir faire le mal avec la même facilité.

Considérations sur la finance. Qu'il soit permis de terminer l'examen que nous venons de faire, par quelques réflexions qui y sont analogues. Elles seront peu nombreuses, parce qu'il est difficile de présenter des idées neuves sur une matiere agitée depuis quelque tems par tant d'écrivains, & qu'il est rebutant de ne prendre la plume, que pour transcrire des volumes qui ont jusqu'ici causé plus d'ennui que de réforme.

I. Ce n'est point une médiocre preuve & une petite utilité de cet esprit philosophique qui doit son progrès à la persécution, que la quantité d'ouvrages sur l'Agriculture, le Commerce, & la Finance; mémoires, journaux, feuilles hebdomadaires, gazettes, livres de toute espece; on feroit aujourd'hui un recueil immense de tout ce qui s'imprime sur l'administration politique. Plusieurs moralistes se sont élevés contre le françois que l'amour de la nouveauté & la manie de l'imitation jettent tout d'un côté, & qui n'a pas un goût qui ne se tourne en passion. Mais ils ne comprennent pas que pour qu'il y ait assez dans de certains genres, il faut qu'il y ait trop; qu'il n'y a presque pas de mauvais écrit qui ne renferme quelque vue saine, quelque répétition qui ne grave un objet important dans la mémoire, & quelque paradoxe qui ne force à réfléchir. Les faiseurs de systèmes ont engagé les vrais observateurs à tenter des expériences: enfin, il est heureux qu'on discoure sur les choses utiles, parce qu'à force d'en dire, on s'excite à en faire.

Il. N'ya - t - il pas dans l'abbé de Saint - Pierre & dans M. de M. . . . ces deux grands rêveurs, des idées excellentes? J ai déjà dit ce que je pensois du dernier: mais, ce que je n'ai point remarqué, c'est que son intention bien reconnue étant d'encourager l'Agriculture, il n'en charge pas moins son produit de tout le fardeau des impositions: sa taxe porte sur les besoins réels qu'il veut favoriser, & l'exemption sur [p. 579] les besoins d'opinion qu'il veut proscrire (e). Ce qu'il y a encore de plus singulier, c'est que son adversaire qui devoit faire valoir uniquement une contradiction si srappante, l'a négligée. De la seule exposition qu'il en eût faite, dérivoient des conséquences si opposées aux principes de l'ami des hommes, que la théorie de l'impôt étoit ruinée. Il est vrai que cela n'auroit pas fait un livre; mais une note qui détruit une erreur, vaut bien trois cens pages de déclamation.

III. Un peuple ne doit s'attendre à aucun soulagement, quand ses intérêts sont dirigés par une ame paresseuse & timide, qui redoute les travaux qu'exige toute réforme, & qui s'effraye des dangers qu'elle présente. Il faut renoncer aux changemens, si on a résolu de n'admettre que ceux qui ne sont susceptibles d'aucun abus: il est simplement question de considérer si l'abus qu'on fait naitre est passager, particulier, & foible; & si celui qu'on supprime est permanent, général, & considérable: alors il n'y a point à balancer: un mal léger & momentané pour un bien solide & durable. Tel devroit être la maxime d'un ministre éclairé, laborieux, & hardi.

IV. On a demandé si dans une monarchie il pouvoit exister un bon ministre (f), c'est - à - dire un homme, qui ayant les moyens de faire le plus grand bien de l'état, en auroit aussi la volonté. Ceux qui ont proposé cette question, sont convenus qu'on découvriroit peut - être un génie rare, éclairé par l'étude, formé par la méditation, mûri par les voyages, & qui auroit rassemblé, discuté, & combiné une assez grande quantité de faits politiques, pour avoir acquis dans la vigueur de l'age une expérience consommée. Mais ils ont nié qu'un tel sujet voulût porter ses connoissances & ses talens dans l'administration. Dans un royaume, ont - ils dit, la prospérité de l'état n'est jamais liée à la fortune du particulier; celle - ci ne peut même se faire tres - souvent qu'aux dépens de l'autre, le ministre réformateur n'obtiendra rien pour lui, ni pour les siens; car il sera traversé par une cour sur laquelle porteront les premiers efforts de son économie, & il ne plaira point à un maitre qu'il ne servira qu'au préjudice de ses savoris (g). Il y a plus; les innovations qu'il entreprendra ne devant produire qu'un avantage éloigné, il sera d'abord détesté du peuple: il faudra qu'il sacrifie sa réputation actuelle, la seule dont il puisse jouir, à la justice de la postérité, qui ne s'élevera que sur son tombeau. Enfin, il ne tiendra qu'à lui de pressentir que la rage de la multitude profanera ses cendres (h). Quel homme après ces considérations aura assez d'intrépidité pour immoler au bien public tout ce qu'il a de plus cher, & tout ce qui doit lui être le plus sacré? Je ne sais que répondre à des objections de cette nature; tout ce que je sais, c'est qu'il faudroit avoir la folie de la vertu pour braver des peines si ameres (i). Mais je suis persuadé, qu'un roi qui ne laisseroit à son ministre d'autre ressource pour augmenter sa fortune & satisfaire son ambition, que de travailler au bonheur de ses sujets, qui le soutiendroit contre ses ennemis, qui le consoleroit par une confiance entiere, de la haine aveugle; je suis, dis - je, persuadé qu'un tel prince auroit un ministre qui ressembleroit beaucoup à un ministre patriote (k).

V. Il est des tems malheureux où l'homme le plus sage est forcé de recourir à des expédiens qu'il condamne, pour subvenir à des dépenses urgentes & inévitables. Mais si cet homme connoissoit mieux qu'aucun autre la finance de son pays & celle des deux états qui font sur cette partie la destinée des deux mondes par leur banque, leur commerce, & leur crédit; il faudroit bien se garder de céder à des cris stupides & à l'orage du moment, en le privant d'une place qu'il peut remplir dignement, qui dans le fait est la plus importante du royaume, & qui, quand elle est mal occupée, enleve à la guerre sa gloire, à la marine son utilité, & toute considération aux affaires étrangeres.

VI. C'est sans doute une opération imparfaite, que celle par laquelle voulant convertir en espece l'argent ouvragé, on n'en remet cependant qu'une partie à celui qui apporte la matiere: car quel est le but de cette opération? De faciliter les emprunts, de donner une plus grande activité au commerce, effets qui suivent l'augmentation de l'argent monnoyé. Or si on ne satisfait qu'à une partie de la remise, quelque promesse que l'on fasse de l'entier payement, on inspire la méfiance, on engage le particulier à la soustraction de son argenterie, & l'on manque le résultat qu'on s'étoit proposé.

VII. C'est encore une bien mauvaise opération, que la suspension du payement de tous les papiers sur lesquels porte le seul crédit dont jouisse une nation, parce que son commerce, qui tient à une solvabilité prompte & sûre, en est interrompu pour le présent, & diminué pour l'avenir. Le négociant est long - tems arrêté par la crainte d'un événement qui nait à ses expéditions, & qui met sa fortune à découvert. J'ajoute au sujet de cet expédient & du précédent, qu'ils prouvent qu'on est réduit aux dernieres ressources, & qu'ils peuvent ainsi dans un tems de guerre, rendre l'ennemi plus fier, & les conditions de la paix plus dures.

VIII. Mais si ces fautes sont excusées par les circonstances, si le travailleur qui les a commises a été forcé par des raisons antérieures à sa gestion; si en chargeant le luxe conformément à ses principes, & l'agriculture malgré ses maximes, il conçoit que c'est le seul moyen d'éviter à la nation la honte & le desastre d'une banqueroute, qui, en tombant sur un grand nombre de citoyens, la discréditeroit entierement chez l'étranger, on fera bien de ne rien reprocher à un tel ministre, & de s'abandonner aux soins de son intelligence. Continuant, puisque le sujet le comporte, le portrait que j'ai commencé plus haut, (article 5.) je dirai: si ce ministre joint à l'économie sévere, qui est la source de toute justice, le ressort de toute entreprise heureuse, & l'ame d'un régime vigoureux, les connoissances les plus vastes; s'il sait comment on doit encourager l'Agriculture, sans altérer la concurrence; s'il sait comment le laboureur pourra trouver l'aisance dans son travail, & ne la trouver que là; s'il peut consuiter dans la répartition de l'impôt, la fortune générale & la fortune particu<->

(e) Nous ne pouvons nous dispenser de remarquer ici que nous ne sommes point du tout de l'avis de l'auteur de ces considérations. S'il y ent jamais un besoin d'opinion, c'est la dentelle, par exemple: cependant qu'il calcule le prix enorme du chanvre manufacturé de cette maniere, le tems & le nombre des mains employées, & il verra combien ce besoin d'opinion rend à la terre. (f) On conçoit que l'on satisfait mal à la question, en citant d'Amboise, Richelieu ou Mazarin: on peut faire de grandes choses, sans être un bon ministre. Celui qui auroit vendu le royanme pour acheter la tiare, celui qui sacrifioit tout à son orgueil & à sa vengeance, celui qui faisoit servir son pouvoir à son insatiable avarice, ne méritent point le titre de bon ministre. (g) Si le bon, l'adorable Henri IV. s'aigrissoit souvent contre le vertueux Sully, quel souverain pourra se promettre d'être plus inaccessible que lui aux calomnies travaillées de mains de courtisan. (h) On sait jusqu'où la sureur du peuple poussa l'atrocité après la mort de Colbert, qu'on ne nomme aujourd hui que pour en faire l'éloge. (i) Je ne trouve dans l'histoire de France que Sully qui ait constamment voulu le bien; mais il étoit parvenu dans ces tems orageux qui forment les ames vigoureuses & sublimes: il avoit partagé les malheurs de son maitre; il étoit son ami, & il travailloit sous les yeux & pour la gloire de cet ami. (k) Si le maitre ne s'étoit point trompé dans son objet, c'est - à - dire s'il n'eût pas pris pour la gloire ce qui n'en étoit que le fantôme, Colbert auroit préféré l'utilité à la splendeur.

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