ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"576"> à portée de soulager le peuple & d'encourager la nation, &c.

Réponses. Il ne s'agit pas ici de sçavoir par quels moyens on parvient à la remise d'une partie des tributs: il est encore moins nécessaire d'établir qu'en accordant d'un côté, il faut reprendre d'un autre. Mais j'examine si le souverain, quand il peut & qu'il veut retarder la levée de l'impôt, est plus en état de le faire dans la régie, que dans la ferme; je me décide pour l'affirmative. En effet, s'il juge à - propos d'accorder des modérations en affermant, il faut qu'il revienne sur un arrangement consommé, qu'il change des dispositions arrêtées, qu'il renonce à la destination déja faite de revenus fixes, & qu'enfin, il intervertisse l'ordre qu'il avoit établi: ce qui exige ainsi des opérations contraires à celles qui ont été faites découle naturellement d'une régie qu'on presse ou qu'on retient conformement aux circonstances.

Troisieme principe de M. de Montesquieu. « Par la régie, le prince épargne à l'état les profits immenses des fermiers qui l'appauvrissent d'une infinité de manieres ».

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la régie le perd en frais; ensorte que ce que l'état dans le dernier cas gagne d'un côté, il le perd de l'autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n'a pas tout vû, n'a pas bien vû: il faut l'envisager sous toutes les faces. On verra que le sermier n'exigera trop, que parce qu'il ne sera pas surveillé; que le régisseur ne fera des frais immenses, que parce qu'il ne sera point arrêté. Mais l'un ne peut - il pas être excité, ne peut - on pas contenir l'autre? C'est aux hommes d'état à juger des obstacles & des facilités, des inconvéniens & des avantages qui peuvent se trouver dans l'une & dans l'autre des ces opérations: mais on ne voit pas les raisons de se décider en faveur de la régie aussi promptement, aussi positivement, que le fait l'auteur de l'Esprit des lois.

Réponses. C'est sûrement ne pas tout voir, ne pas bien voir, que d'assurer que la régie perd en frais, ce que la serme absorbe en profits. Il a été démontré plus haut que le régisseur fait peu de frais, parce qu'il n'a aucun intérêt au produit que rendent ces frais: à lumieres égales, son administration sera donc plus douce & moins chere que celle du fermier. Que sera - ce si l'on veut comparer ce que coûtent à l'état les profits de celui - ci, avec le montant des appointemens de l'autre? Si c'est aux hommes d'état qu'il appartient de décider sur cet objet, personne n'en contestera, je crois, le droit à M. de Montesquieu. Dans cette occasion il ne falloit que calculer; il le sit, & il prononça.

Quatrieme principe de M. de Montesquieu. « Par la régie, le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l'afflige ».

Observations. C'est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu'il faut épargner au peuple, que l'appauvrissement des provinces entieres. Ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l'étonnent & qui l'affligent, que les moyens d'y parvenir & les abus que l'on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, & l'on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chûte qui tient moins du malheur que de l'humiliation. Ce ne sont point là des raisons de louer ou de blâmer, de rejetter ou d'admettre la régie ou la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais louable & renfermée dans les bornes de la justice & de l'humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables. La négligence & le défaut d'économie rendent le régisseur d'autant plus coupable de l'affoiblissement de la recette & de l'augmentation de la dépense, que l'on ne peut alors remplir le vuide de l'une, & pour<cb-> voir à l'excédent de l'autre, qu'en chargeant le peuple de nouvelles impositions; au lieu que l'enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence & leur crédit.

Réponses. Les fortunes excessives de quelques particuliers n'attristent pas par elles - mêmes, ce sont les images qu'elles présentent avec elles, la disette du peuple & la dépopulation des provinces, les fondemens sur lesquels elles sont élevées, les matériaux dont elles sont construites, les moyens qui les conservent & les augmentent; voilà ce qui porte le désespoir dans le coeur des sujets. « La matiere des troubles, dit Bacon, est dans la misere publique & dans le mécontentement universel ». Les émigrations, les terres en friche, le germe de l'état desséché; telles sont les conséquences de ces richesses. Elles doivent donc inspirer l'effroi: le ridicule suffit - il alors pour punir des abus aussi violens? Les riches sont - ils susceptibles d'une punition que tout le monde leur inflige au loin, mais que personne ne leur denonce? Ce maux ne se trouvent que dans la ferme. M. de Montesquieu les a considérés sous le même point de vûe que le roi qui nous gouverne. « Les fortunes immenses & précipitées des gens d'affaires (édit de 1716) l'excès de leur luxe & de leur faste, qui semble insulter à la misere de nos autres sujets, sont par avance une preuve de leurs malversations, & il n'est pas étonnant qu'ils dissipent avec profusion, ce qu'ils ont acquis avec injustice: les richesses qu'ils possedent sont les dépouilles de nos provinces, la substance de nos peuples & le patrimoine de l'état, &c». L'auteur de l'Esprit des lois ne s'est pas, à beaucoup près, exprimé avec tant de sévérité, mais ses maximes étoient celles de l'édit. A l'égard de cette ressource qui consiste à mettre les riches à contribution, il semble qu'elle n'ait été employée jusqu'ici, que pour donner lieu à des gains plus rapides, & pour faire passer dans les mains de quelques - uns, les débris de la véxation. Pour le crédit, qui est - ce qui ignore à quelles conditions onéreuses ils l'ont procuré?

Cinquieme principe de M. de Montesquieu. « Par la régie l'argent levé passe par peu de mains; il va directement au prince, & par conséquent revient plus promptement au peuple ».

Observations. L'auteur de l'Esprit des lois appuie tout ce qu'il dit sur la supposition que le régisseur qui n'est que trop communément avare de peines & prodigue de frais, gagne & produit à l'état autant que le fermier, qu'un intérêt personnel & des engagemens considérables excitent sans cesse à suivre de près la perception; mais cette présomption est - elle bien fondée? est - elle bien conforme à la connoissance que l'on a du coeur & de l'esprit humain? est - il bien vrai d'ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation? tout ne prouve - t - il pas le contraire?

Réponse. M. de Montesquieu ne suppose pas (ce qui seroit absurde relativement à son axiome), que le régisseur retire du peuple autant d'argent que le fermier: il dit simplement, ce qui est très - vrai, qu'il en remet davantage au trésor royal. Son idée, pour être entendue, n'avoit pas besoin de cet éclaircissement. Ce seul moyen paroît d'abord bien efficace pour moins intercepter la circulation: il n'est pas douteux qu'elle est bien plus vive quand le prince a l'argent qu'il est forcé de répandre promptement jusqu'aux extrémités de son royaume, que lorsque des fermiers l'enfouissent dans leurs coffres, ou le prodiguent dans la capitale.

Sixieme principe de M. de Montesquieu. « Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois, qu'exige de lui l'avarice toujours importune des fermiers, qui montre un avantage pré<pb-> [p. 577] sent pour des reglemens funestes pour l'avenir ».

Observations. On ne connoît en finances, comme en d'autres matieres, que deux sortes de lois; les lois faites, & les lois à faire: il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être reservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables, mais conviennent - ils à la régie plus qu'à la ferme? le fermier va, dit - on, trop loin sur les lois à faire; mais le régisseur ne se relâche - t - il pas trop sur les lois qui sont faites? on craint que l'ennemi ne s'introduise par la breche, & l'on ne s'apperçoit pas que l'on a laissé la porte ouverte.

Réponses. Il a déja été prouvé que l'inéxactitude à faire observer les lois anciennes ne peut, dans aucun cas, être aussi funeste que l'avarice, qui chaque jour en obtient de nouvelles. Le fermier abuse également des unes & des autres: il interprete cruellement celles qui sont faites, il en propose sans cesse d'analogues à son avidité, de façon qu'il corrompt tout, le passé & le présent.

Septieme principe de M. de Montesquieu. « Comme celui qui a l'argent est toujours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même; il n'est pas législateur, mais il le force à donner des lois ».

Observations. Le prince a tout l'argent qu'il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable & bien entendu. Il laissera sans doute aux fermiers qui se chargent d'une somme considérable, fixe, indépendante des événemens par rapport au roi, un profit proportionné aux fruits qu'ils doivent équitablement attendre & recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques & de leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n'a point de réalité: la dénomination du traitant manque de justesse; on s'est fait illusion sur l'espece de crédit dont il jouit effectivement, il a celui des ressources, & le gouvernement sait en profiter; il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois, mais il reconnoîtra toujours un maître, quand il s'agira de venir au secours de la nation, avec la fortune même qu'il aura acquise légitimement:

Réponses. Peut - on parler des risques que court le fermier, & des travaux qu'il essuie? Ne le voit - on pas au moindre danger solliciter une indemnité? estce là se charger des événemens? Pour son travail, il le remet à des commis, & son opulence est d'autant plus scandaleuse, qu'elle est le prix de l'oisiveté: ses avances, au moyen de l'intérêt qu'elles lui valent, sont plutôt une charge ruineuse, qu'une ressource réelle pour l'état.

Je ne vois pas pourquoi la dénomination de traitant manque de justesse; elle convient à des gens qui traitent avec le roi pour ses revenus. Ce nom n'a pas par lui - même une acception odieuse; il ne la reçoit que par l'abus que ceux qui le portent font de leurs traités.

Une compagnie qui ne prête qu'à un fort intérêt, qui ne donne d'une main que pour qu'on lui laisse la liberté de saisir de l'autre des droits plus onéreux, qui répete que les moyens qu'elle fournit, dépendent du succès de ses engagemens, & que ce succès tient à tel ou tel réglement, doit forcer le prince à lui accorder toutes les lois qu'elle desire. Elle est donc bien loin de la générosité patriotique qu'on s'efforce de lui attribuer; elle est donc despotique: les expédiens qu'elle fournit, sont donc funestes à ceux qui les reçoivent, & n'ont d'utilité que celle que trouve un homme obéré, dans la bourse d'un usurier.

Huitieme principe de M. de Montesquieu. « Dans la république les revenus de l'état sont presque toujours en régie; l'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peu<cb-> ples sont infiniment plus heureux; témoins la Perse & la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer & ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitans».

Observations. Ce seroit un examen fort long, très difficile, & peut - être assez inutile à faire dans l'espece présente, que de discuter & d'approfondir la question de savoir ce qui convient mieux, de la ferme ou de la régie relativement aux différentes sortes de gouvernement. Il est certain qu'en tout tems, en tous lieux, & chez toutes les nations, il faudra dans l'établissement des impositions, se tenir extrèmement en reserve sur les nouveautés, & qu'il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre exactement dans le trésor public, ou, si l'on veut, dans celui du souverain.

Reste à savoir quel est le moyen le plus convenable, de la ferme ou de la régie, de procurer le plus sûrement & le plus doucement le plus d'argent. C'est sur quoi l'on pourroit ajouter bien des réflexions à celles qu'on vient de faire; & c'est aussi sur quoi les sentimens peuvent être partagés sans blesser en aucune façon la gloire ou les intérêts de l'état; mais ce qu'on ne peut faire sans les compromettre, ce seroit d'imaginer que l'on pût tirer d'une régie tous les avantages apparens qu'elle présente, sans la suivre, & la surveiller avec la plus grande attention: & certainement le même degré d'attention mis en usage pour les fermes, auroit la même utilité présente, sans compter pour certaines conjonctures, la ressource toujours prête que l'on trouve, & souvent à peu de frais, dans l'opulence & le crédit des citoyens enrichis.

Réponses. Il me semble qu'on ne pouvoit mieux s'y prendre pour débarrasser cette question des difficultés qui à force d'être généralisées, deviendroient insolubles, que de rassembler des faits & d'en tirer des conséquences. L'expérience est un guide sûr, les inductions qui en naissent ne trompent point; il n'étoit point inutile d'y avoir recours: cette méthode étoit nécessaire pour jetter un jour satisfaisant sur une matiere obscure. Pour détruire l'opinion de M. de M... il falloit lui opposer des résultats historiques, contraires à ceux qu'il présente, nous montrer les revenus publics affermés dans quelque état que ce fût, & ce même état redoutable au - dehors, florissant au - dedans, & ne cherchant d'autre gloire que la félicité du peuple: il falloit, en combattant un grand homme, user du scepticisme décent, qui doit être le partage de ceux qui ne pensent pas comme lui: il falloit, dans un examen qui tient au bien de sa patrie, procéder avec l'impartialité d'un citoyen: il falloit que la prévention se tût: il falloit enfin sentir que peu de mots tracés sur un objet, par un génie vigoureux, étoient le fruit d'une méditation profonde; qu'ils ne pouvoient être attaqués qu'avec un esprit patriotique, & non pas avec un esprit de finance; qu'un critique devoit user d'une extrême circonspection sur la nature des preuves, & d'une bonne foi décidée dans le choix des raisonnemens.

Les défauts que l'on remarque dans la composition de cet article, reparoissent au mot financier, où l'on poursuit encore le respectable auteur de l'Esprit des lois.

« Financier, homme qui manie les finances, c'est - à - dire les deniers du roi, qui est dans les fermes de sa majesté, quoestorius oerarii collector».

Principe de M. de Montesquieu. « Il y a un lot pour chaque profession; le lot de ceux qui levent les tributs est la richesse; & les recompenses de ces richesses, sont les richesses mêmes. La gloire & l'honneur sont pour cette noblesse qui ne connoît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien, que l'honneur

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