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Lucien, dans le traité de la déesse de Syrie, dit qu'il a vu un Apollon encore plus miraculeux; car étant porté sur les épaules de ses prêtres, il s'avisa de les laisser là, & de se promener par les airs, & cela aux yeux d'un homme tel que Lucien, ce qui est considérable.
Dans l'Orient les sorts étoient des fleches, & aujourd'hui encore les Turcs & les Arabes s'en servent de la même maniere. Ezéchiel dit que Nabuchodonosor mêla ses fleches contre Ammon & Jérusalem, & que la fleche sortit contre Jérusalem. C'étoit - là une belle maniere de résoudre auquel de ces deux peuples il feroit la guerre.
Dans la Grece & dans l'Italie on tiroit souvent les
sorts de quelque poëte célebre, comme Homere ou
Eurypide; ce qui se présentoit à l'ouverture du livre,
étoit l'arrêt du ciel. L'histoire en fournit mille
exemples. Voyez
On voit même que quelques 200 ans apres la
mort de Virgile, on faisoit déja assez de cas de ses
vers pour les croire prophétiques, & pour les mettre
en la place des sorts qui avoient été à Préneste;
car Alexandre Severe encore particulier, & dans le
tems que l'empereur Héliogabale ne lui vouloit pas
de bien, reçut pour réponse dans le temple de Préneste cet endroit de Virgile dont le sens est:
Les sobts passerent jusque dans le christianisme; on les prit dans les livres sacrés, au - lieu que les payens les prenoient dans leurs poetes. S. Augustin, dans l'épître cxix. à Januarius, paroît ne desapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siecle. Grégoire de Tours nous apprend lui - même quelle étoit sa pratique; il passoit plusieurs jours dans le jeune & dans la priere; ensuite il alloit au tombeau de saint Martin, où il ouvroit tel livre de l'Ecriture qu'il vouloit, & il prenoit pour la réponse de Dieu le premier passage qui s'offroit à ses yeux. Si ce passage ne faisoit rien au sujet, il ouvroit un autre livre de l'Ecriture.
D'autres prenoient pour sort divin la premiere
chose qu'ils entendoient chanter en entrant dans
l'église. Voyez
Mais qui croiroit qu'Héraclius délibérant en quel lieu il feroit passer l'hyver à son armée, se détermina par cette espece de sort? Il fit purifier son armée pendant trois jours; ensuite il ouvrit le livre des évangiles, & trouva que son quartier d'hyver lui étoit marqué dans l'Albanie. Etoit - ce là une assaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l'Ecriture?
L'Eglise est enfin venue à - bout d'exterminer cette superstition; mais il lui a fallu du tems. Du moment que l'erreur est en possession des esprits, c'est une merveille, si elle ne s'y maintient toujours. (D. J.)
Sorts (Page 15:377)
L'antiquité payenne semble avoir regardé ceux qui avoient le talent supérieur de la poésie, comme des hommes inspirés; ils se donnoient pour tels; ils assuroient qu'ils parloient le langage des dieux, & les peuples les ont cru sur leur parole. L'Iliade & l'Odyssée sont remplis d'un si grand nombre de traits de religion & de morale; ils contiennent dans leur étendue une si prodigieuse variété d'événemens,
Ce n'étoit point - là un de ces préjuges qui ne regnent que sur le vulgaire; de grands personnages de l'antiquité, ceux principalement qui aspiroient à gouverner les autres, n'ont pas été exempts de cette chimere. Mais ce ne fut point par cette idée superstitieuse que Socrate dans sa prison, entendant réciter ces vers qu'Homere met dans la bouche d'Achille; j'arriverai le troisieme jour à la fertile Phthie,
Valere - Maxime raconte que Brutus eut le triste
présage du sort qui l'attendoit à la bataille de Philippe. Le hasard lui ayant offert cet endroit de l'Iliade, où Patrocle se plaint que
Si l'on en croit Lampride, l'empereur Macrin ourieux
d'apprendre dans le même poëte, si son regne
seroit long & heureux, romba sur ces vers qu'on peut
rendre ainsi.
Comme cet empereur étoit déja avancé en âge, lorsqu'il parvint à la souveraine puissance, qu'il ne régna que quatorze mois, & que Héliogable n'étoit âgé que d'un pareil nombre d'années, lorsqu'il lui ôta la vie avec l'empire; on trouva dans ces paroles une prédiction de la mort tragique de Macrin.
Au reste, Homere ne fut pas le seul dont les vers eussent le privilege d'être regardés comme renfermant des oracles; les Grecs firent quelquefois le même honneur à ceux d'Eurypide; il paroît par un endroit d'Hérodote, qu'on croyoit que les poésies de Musée contenoient aussi des présages. Cet historien raconte qu'Onomacrite qui faisoit profession d'interpréter ou de développer ces sortes de prédictions, fut banni d'Athenes par Hipparque, fils de Pisistrate, pour avoir altéré les écrits de ce poëte & y avoir inséré un vers qui portoit, que les îles adjacentes à celles de Lemnos, seroient submergées.
Enfin, Virgile eut la gloire de succéder aux poëtes
grecs, & de partager avec eux l'art de prédire
les événemens. Voyez
Sorts de Préneste (Page 15:377)
Ciceron, liv. I I. de la divination, sect. 41. nous [p. 378]
Plutarque prétend qu'on tiroit plusieurs petits morceaux
de bois du coffre, & que les caracters gravés
sur chacun étant rassemblés composoient la prophétie;
mais outre que Ciceron dit le contraire, il
paroît clairement par un passage de Tite - Live, que
chacun de ces sorts contenoit toute la prophétie;
voici les propres termes de l'historien, au commencement
du liv. XXII. Faleriis coelum fendi visum velut
magno hiatu quaque patuerit ingens lumen effulsisse,
sortes sua sponte attenuatas, unamque excidisse ità scriptam,
Mars telum suum concutit.
Les prêtres se servirent habilement de ces sorts pour se procurer du profit & du crédit. Tota res est inventa fallaciis, aut ad quoestum, aut ad superstitionem, dit Ciceron.
Mais que signifient ces mêmes sorts dont parle Tite - Live, qui diminuerent & s'appetisserent d'eux - mêmes, sortes suâ sponte attenuatas? Peut - être que ces sorts étoient doubles, je veux dire, qu'il y en avoit de grands & de petits, tous semblables, & que les prêtres faisoient tirer les uns ou les autres, selon qu'ils vouloient effrayer ou encourager les consultans. Il est certain qu'en matiere de prodiges, on prenoit à bonne augure les choses qui paroissoient plus grandes que de coutume; & au contraire, on tenoit à mauvais présage les choses qui paroissoient plus petites qu'elles ne sont naturellement, comme Saumaise l'a prouvé dans ses commentaires sur Solin. Il suit de - là que les sorts appetissés, sortes extenuatoe, pronostiquoient par eux - mêmes un événement sinistre; mais j'aime à voir ce que les Philosophes pensoient des sorts en général, & ce que devinrent ceux de Préneste en particulier; Ciceron m'en éclaircit lui - même.
Q'est - ce à votre avis, que les sorts, disoit - il à un stoïcien? C'est à - peu - près, comme de jouer au nombre, en haussant & en fermant les doigts, ou de jouer aux osselets & aux dez; en quoi le hasard, & peut - être une mauvaise subtilité, peuvent avoir quelque part, mais où la sagesse & la raison n'en ont aucune. Les sorts sont donc pleins de tromperie, & c'est une invention, ou de la superstition, ou de l'avidité du gain. La divination par les sorts est désormais entierement décriée. La beauté & l'antiquité du temple de Préneste a véritablement conservé le nom des sorts de Preneste, mais parmi le peuple uniquement; car y a - t - il quelque magistrat, quelqu'Homme un peu considérable qui y ait le moindre recours? Par - tout ailleurs on n'en parle plus, & c'est ce qui faisoit dire à Carnéade, qu'il n'avoit jamais vû la fortune plus fortunée qu'à Préneste.
Cependant, il s'en fallut peu qu'ils ne revinssent en crédit du tems de Tibere. Suøtone nous apprend, que cet empereur ayant formé le projet de ruiner tous les oracles voisins de Rome, ceux d'Antium, de Coerès, de Tibur & de Préneste, en fut détourné par la majesté de ces derniers, car s'étant fait remettre le coffre bien formé & bien cacheté, les sorts ne s'y trouverent point, mais ce coffre ne fut pas plutôt reporté dans le temple de Préneste, que les sorts s'y trouverent comme de coutume.
Il n'est pas difficile de recon~oître ici l'adresse des
prêtres, qui voulurent relever le crédit de leur ancien
oracle; mais son tems étoit passé, personne ne
se rendit sur les lieux pour y avoir recours; & ce
qu'il y a de bien singulier, les sorts de Virgile n'ayant
pour eux aucun apparat de religio>, emporterent la
balance, & succéderent à ceux de Préneste. Voyez
Sorts de Virgile (Page 15:378)
Le tems ayant insensiblement donné de l'autorité aux poésies de Virgile, les Latins s'accoutumerent de même à les consulter dans les occasions où il leur étoit important de connoître la volonté du ciel. L'histoire des empereurs Romains, sur - tout depuis Trajan, en fournit plusieurs exemples. Le premier dont nous ayons connoissance est celui d'Adrien: inquiet de savoir quels étoient les dispositions de Trajan à son égard, & s'il le désigneroit pour son successeur à l'empire, il prit l'Enéide de Virgile, l'ouvrit au hasard, & y lut ces vers du VI. livre.
Quis procul ille autem ramis insignis olivoe Sacra ferens! nosco crines incanaque menta Regis Romani; primus qui legibus urbem Fundabit, curibus parvis & paupere terra Missus in imperium magnum.....
Comme on ne se rend pas difficile sur les choses qui flattent les desirs, quelques legeres convenances qu'Adrien trouva dans ces vers avec son caractere, ses inclinations, le goût qu'il avoit pour la philosophie & pour les cérémonies religieuses, le rassurerent; & si l'on ajoute foi à Spartien, le fortifierent dans l'espérance qu'il avoit de parvenir à l'empire.
Lampride rapporte qu'Alexandre Severe qui devoit pour lors être très - jeune, puisqu'il n'avoit que treize ans lorsqu'il fut nommé empereur, s'appliquant avec ardeur à l'étude de la Philosophie & de la Musique; Mammée sa mere lui conseilla de faire plutôt son occupation des Arts & des Sciences nécessaires à ceux qui sont destinés à gouverner les hommes, & qu'Alexandre se conforma d'autant plus volontiers à cet avis, qu'ayant consulté Virgile sur le sort qui lui étoit réservé, il crut y trouver un présage assuré de son élévation à l'empire dans ces fameux vers:
Excudent alii spirantia mollius oera, Credo equidem, &c. Tu regere imperio populos, Romane, memento; Hoe tibi erunt artes. Claude le Gothique voulant savoir quelle seroit la durée de son regne, consulta Virgile à l'ouverture du livre, & lut ce vers.
Tertia dum latio regnantem viderit oestas.
alors il tira la conclusion, qu'il n'avoit au plus que
trois ans à vivre; l'auteur qui nous a conservé ce
fait, assure que Claude ne survécut en effet que deux
ans à cette espece de prédiction; & que celles qu'il
crut de même avoir trouvées dans Virgile sur ce qui
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