ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"471"> la substance des individus sortis de ses mains.

Les axiomes de Spinosa ne sont pas moins faux & captieux que ses définitions: choisissons ces deux qui sont les principaux: La connoissance de l'effet dépend de la connoissance de la cause, & la renferme nécessairement: Des choses qui n'ont rien de commun entre elles, ne peuvent servir à se faire connoître mutuellement. On sent tout - d'un - coup le captieux de ces deux axiomes; & pour commencer par le premier, voici comme je raisonne. On pent considérer l'effet de deux manieres, en - tant qu'il est formellement un effet, ou matériellement, c'est - à - dire, tout simplement, entant qu'il est en lui - même. Il est vrai que l'effet considéré formellement comme effet, ne peut être connu séparément de la cause, selon cet axiome des écoles, correlata sunt simul cognitione. Mais si vous prenez l'effet en lui - même, il peut être connu par lui - même. L'axiome de Spinosa est donc captieux, en ce qu'il ne distingue pas entre les différentes manieres dont on peut envisager l'effet. D'ailleurs, quand Spinosa dit que la connoissance de l'effet dépend de la connoissance de la cause & qu'elle la renferme; veut - il dire que la connoissance de l'effet entraîne nécessairement une connoissance parfaite de la cause? Mais en ce sens, l'axiome est très - faux, puisque l'effet ne contient pas toutes les perfections de la cause, qu'il peut avoir une nature très - différente de la sienne: savoir si la cause agit par sa seule volonté; car tel sera l'effet qu'il plaira à la volonté de le produire. Mais si Spinosa prétend seulement que l'idée de l'effet est relative à l'idée de la cause, l'axiome de Spinosa est vrai alors, mais inutile au but qu'il se propose; car, en partant de ce principe, il ne trouvera jamais qu'une substance n'en puisse produire une autre dont la nature & les attributs seront différens. Je dis plus: de ce que l'idée de l'effet est relative à l'idée de la cause, il s'ensuit dans les principes de Spinosa, qu'une substance douée d'attributs différens peut être la cause d'une autre substance. Car Spinosa reconnoît que deux choses dont l'une est cause de l'autre, servent mutuellement à se faire connoître: or, si l'idée de l'effet est relative à l'idée de la cause, il est évident que deux substances de différent attribut pourront se faire connoître réciproquement, pourvu que l'une soit la cause de l'autre, non pas qu'elles aient une même nature & les mêmes attributs, puisqu'on les suppose différens; mais par le rapport qu'il y a de la cause à l'effet. Pour l'autre axiome, il n'est pas moins faux que le précédent: car, quand Spinosa dit, que les choses qui n'ont rien de commun entre elles, ne peuvent servir à se faire connoître réciproquement; par le mot de commun, il entend une même nature spécifique. Or l'axiome pris en ce sens, est très - faux; puisque, soit les attributs géneriques, soit la relation de la cause à l'effet, peuvent les faire connoître les uns par les autres.

Examinons maintenant les principales propositions qui forment le systême de Spinosa. Il dit dans sa seconde, que deux substances ayant des attributs différens, n'ont rien de commun entr'elles. Dans la démonstration de cette proposition, il n'allegue d'autre preuve que la définition qu'il a donnée de la substance, laquelle étant fausse, on n'en peut rien légitimement conclure, & par conséquent cette proposition est nulle. Mais afin d'en faire mieux comprendre le faux, il n'y a qu'à considéter l'existence & l'essence d'une chose pour découvrir ce sophisme. Car, puisque Spinosa convient qu'il y a deux sortes d'existence, l'une nécessaire & l'autre qui ne l'est pas; il s'ensuit que deux substances qui auront différens attributs, comme l'étendue & la pensée, conviendront entr'elles dans une existence de même espece, c'est - à - dire, qu'elles seront semblables en ce que l'une & l'autre n'existeront pas nécessairement, mais seulement par la vertu d'une cause qui les aura produites. Deux essences ou deux substances parfaitement semblables dans leurs propriétés essentielles, seront différentes, en ce que l'existence de l'une aura précédé celle de l'autre, ou en ce que l'une n'est pas l'autre. Quand Pierre seroit semblable à Jean en toutes choses, ils sont différens, en ce que Pierre n'est pas Jean, & que Jean n'est pas Pierre. Si Spinosa dit quelque chose de concevable, cela ne peut avoir de fondement & de vraissemblance, que par rapport à des idées métaphysiques qui ne mettent rien de réel dans la nature. Tantôt Spinosa confond l'espece avec l'individu, & tantôt l'individu avec l'espece.

Mais, dira - t - on, Spinosa parle de la substance précisément, & considérée en elle - même. Suivons donc Spinosa. Je rapporte la définition de la substance à l'existence; & je dis, si cette substance n'existe pas, ce n'est qu'une idée, une définition qui ne met rien dans l'être des choses; si elle existe, alors l'esprit & le corps conviennent en substance & en existence. Mais, selon Spinosa, qui dit une substance, dit une chose qui existe nécessairement. Je réponds que cela n'est pas vrai, & que l'existence n'est pas plus renfermée dans la définition de la substance en général que dans la définition de l'homme. Enfin, on dit, & c'est ici le dernier retranchement, que la substance est un être qui subsiste par lui - même. Voici donc où est l'équivoque; car puisque le système de Spinosa n'est fondé uniquement que sur cette définition, avant qu'il puisse argumenter & tirer des conséquences de cette définition, il faut préalablement convenir avec moi du sens de la définition. Or, quand je définis la substance un être qui subsiste par lui - même, ce n'est pas pour dire qu'il existe nécessairement, je n'en ai pas la pensée; c'est uniquement pour la distinguer des accidens qui ne peuvent exister que dans la substance & par la vertu de la substance. On voit donc que tout ce système de Spinosa, cette fastueuse démonstration n'est fondée que sur une équivoque frivole & facile à dissiper.

La troisieme proposition de Spinosa est que dans les choses qui n'ont rien de commun entr'elles, l'une ne peut être la cause de l'autre. Cette proposition, à l'expliquer précisément, est aussi fausse; ou dans le seul sens véritable qu'elle peut avoir; on n'en peut rien conclure. Elle est fausse dans toutes les causes morales & occasionnelles. Le son du nom de Dieu n'a rien de commun avec l'idée du créateur qu'il produit dans mon esprit. Un malheur arrivé à mon ami n'a rien de commun avec la tristesse que j'en reçois. Elle est fausse encore cette proposition, lorsque la cause est beaucoup plus excellente que l'effet qu'elle produit. Quand je remue mon bras par l'acte de ma volonté, le mouvement n'a rien de commun de sa nature avec l'acte de ma volonté, ils sont très - différens. Je ne suis pas un triangle; cependant je m'en forme une idée, & j'examine les propriétés d'un triangle. Spinosa a cru qu'il n'y avoit point de substance spirituelle, tout est corps selon lui. Combien de fois cependant Spinosa a - t - il été contraint de se représenter une substance spirituelle, afin de s'efforcer d'en détruire l'existence? Il y a donc des causes qui produisent des effets, avec lesquels elles n'ont rien de commun, parce qu'elles ne les produisent pas par une émanation de leur essence, ni dans toute l'étendue de leurs forces.

La quatrieme proposition de Spinosa ne nous arrêtera pas beaucoup: Deux ou plusieurs choses distinctes sont distinguées entr'elles, ou par la diversité des attributs des substances, ou par la diversité de leurs accidens qu'il appelle des affections. Spinosa confond ici la diversité avec la distinction. La diversité vient [p. 472] à la vérité de la diversité spécifique des attributs & des affections. Ainsi il y a diversité d'essence, quand l'une est conçue & définie autrement que l'autre; ce qui fait l'espece, comme on parle dans l'école. Ainsi un cheval n'est pas un homme, un cercle n'est pas un triangle; car on définit toutes ces choses diversement, mais la distinction vient de la distinction numérique des attributs. Le triangle A, par exemple, n'est pas le triangle B. Titius n'est pas Maevius, Davus n'est pas OEdipe. Cette proposition ainsi expliquée, la suivante n'aura pas plus de difficultés.

C'est la cinquieme conçûe en ces termes: il ne peut y avoir dans l'univers deux ou plusieurs substances de même nature ou de même attribut. Si Spinosa ne parle que de l'essence des choses ou de leur définition, il ne dit rien; car ce qu'il dit, ne signifie autre chose, sinon qu'il ne peut y avoir dans l'univers deux essences différentes, qui aient une même essence: qui en doute? Mais si Spinosa entend qu'il ne peut y avoir une essence qui se trouve en plusieurs sujets singuliers, de même que l'essence de triangle se trouve dans le triangle A & dans le triangle B; ou comme l'idée de l'essence de la substance se peut trouver dans l'être qui pense & dans l'être étendu, il dit une chose manifestement fausse, & qu'il n'entreprend pas même de prouver.

Nous voici enfin arrivés à la sixieme proposition que Spinosa a abordée par les détours & les chemins couverts que nous avons vûs. Une substance, ditil, ne peut - être produite par une autre substance. Comment le démontre - t - il? Par la proposition précédente, par la seconde & par la troisieme; mais puisque nous les avons réfutées, celle - ci tombe & se détruit sans autre examen. On comprend aisément que Spinosa ayant mal défini la substance, cette proposition qui en est la conclusion, doit être nécessairement fausse. Car au fond, la substance de Spinosa ne signifie autre chose, que la définition de la substance ou l'idée de son essence. Or, il est certain qu'une définition n'en produit pas une autre. Mais comme tous ces degrés métaphysiques de l'être ne subsistent & ne sont distingués que par l'entendement, & que dans la nature ils n'ont d'être réel & effectif qu'en vertu de l'existence; il faut parler de la substance, comme existante, quand on veut considérer la réalité de ses effets. Or dans un tel rocher, être existant, être substance, être pierre, c'est la même chose; il faut donc en parler comme d'une substance existante, quand on le considere comme étant actuellement dans l'être des choses, & par conséquent comme substance existante, pour exister nécessairement & par elle - même ou par la vertu d'autrui; il s'ensuit qu'une substance peut être produite par une autre substance; car qui dit une substance qui existe par la vertu d'autrui, dit une substance qui a été produite, & qui a reçu son être d'une autre substance.

Après toutes ces équivoques & tous ces sophismes, Spinosa croyant avoir conduit son lecteur où il souhaitoit, leve le masque dans la septieme proposition. Il appartient, dit - il, à la substance d'exister. Comment le prouve - t - il? Par la proposition précédente qui est fausse. Je voudrois bien savoir, pourquoi Spinosa n'a pas agi plus franchement & plus sincérement; car si l'essence de la substance emporte nécessairement l'existence, comme il le dit ici, pourquoi ne s'en est - il pas expliqué clairement dans la définition qu'il a donnée de la substance, au lieu de se cacher sous l'équivoque fâcheuse de subsister par soi - même, ce qui n'est véritable que par rapport aux accidens & point du - tout à l'existence? Spinosa a beau faire, il ne détruira pas les idées les plus claires & les plus naturelles.

La substance ne dit autre chose qu'un être qui exis<cb-> te, sans être un accident attaché à un sujet. Or, on sait naturellement que tout ce qui existe sans être accident, n'existe pas néanmoins nécessairement, donc l'idée & l'essence de la même substance n'emportent pas nécessairement l'existence avec elles.

On n'entrera pas plus avant dans l'examen des propositions de Spinosa, parce que les fondemens étant détruits, il seroit inutile de s'appliquer davantage à renverser le bâtiment; cependant comme cette matiere est difficile à comprendre, nous la retoucherons encore d'une autre maniere; & quand ce ne seroit que des répétitions, elles ne seront pas néanmoins inutiles.

Le principe sur lequel s'appuie Spinosa est de lui - même obscur & incompréhensible. Quel est - il ce principe ou fondement de son système? C'est qu'il n'y a dans le monde qu'une seule substance. Certainement la proposition est obsoure & d'une obscurité singuliere, & nouvelle: car les hommes ont toujours été persuadés, qu'un corps humain & un muid d'eau ne sont pas la même substance, qu'un esprit & un autre esprit ne sont pas la même substance, que Dieu & moi, & les autres différentes parties de l'univers ne sont pas la même substance. Le principe étant nouveau, surprenant, contre tous les principes reçûs, & par conséquent fort obscur, il faut donc l'éclaircir & le prouver. C'est ce qu'on ne peut faire qu'avec le secours des preuves, qui soient plus claires que la chose même à prouver: la preuve n'étant qu'un plus grand jour, pour mettre en évidence ce qu'il s'agit de faire connoître & de persuader. Or quelle est, selon Spinosa, la preuve de cette proposition générale, il n'y a & il ne peut y avoir qu'une seule substance? La voici: c'est qu'une substance n'en sauroit produire une autre. Mais cette preuve n'enferme - t - elle pas toute l'obscurité & toute la difficulté du principe? N'est - elle pas également contraire au sentiment reçu dans le genre humain, qui est persuadé qu'une substance corporelle, telle qu'un arbre, produit une autre substance, telle qu'une pomme, & que la pomme produite par un arbre, dont elle est actuellement séparée, n'est pas actuellement la même substance que cet arbre? La seconde proposition qu'on apporte en preuve du principe, est donc aussi obscure pour le moins que le principe, elle ne l'éclaircit donc pas, elle ne prouve donc pas. Il est ainsi de chacune des autres preuves de Spinosa: au lieu d'être un éclaircissement, c'est une nouvelle obscurité. Par exemple, comment s'y prend - il pour prouver qu'une substance ne sauroit en produire une autre? C'est, dit - il, parce qu'elles ne peuvent se concevoir l'une par l'autre. Quel nouvel abîme d'obscurité? Car enfin, n'ai - je pas encore plus de peine à déméler, si deux substances peuvent se concevoir l'une par l'autre, qu'à juger si une substance en peut produire une autre? Avancer dans chacune des preuves de l'auteur, c'est faire autant de démarches d'une obscurité à l'autre. Par exemple, il ne peut y avoir deux substances de même attribut, & qui aient quelque chose de commun entr'elles. Cela est - il plus clair, ou s'entend - il mieux que la premiere proposition qui étoit à prouver; savoir, qu'il n'y a dans le monde qu'une seule substance.

Or, puisque le sens commun se révolte à chacune de ces propositions, aussi - bien qu'à la premiere, dont elles sont les prétendues preuves; au lieu de s'arrêter à raisonner sur chacune de ces preuves, où se perd le sens commun, on seroit en droit de dire à Spinosa, votre principe est contre le sens commun; d'un principe où le sens commun se perd, il n'en peut rien sortir où le sens commun se retrouve. Ainsi de s'amuser à vous suivre, c'est manifestement s'exposer à s'égarer avec vous, hors de la route du sens commun. Pour refuter Spinosa, il ne faut, ce me sem<pb->

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