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S'il y a quelque chose de certain & d'incontestable dans les connoissances humaines, c'est cette proposition - ci: on ne peut affirmer véritablement d'un même sujet, aux mêmes égards, & en même tems, deux termes qui sont opposés; par exemple, on ne peut pas dire sans mentir, Pierre se porte bien, Pierre est fort malade. Les spinosistes ruinent cette idée, & la justifient de telle sorte, qu'on ne fait plus où ils pourront prendre le caractere de la vérité: car si de telles propositions étoient fausses, il n'y en a point qu'on pût garantir pour vraies. Montrons que cet axiome est tres - faux dans leur système, & posons d'abord pour maxime incontestable que tous les titres que l'on donne à ce sujet, pour signifier ou tout ce qu'il fait, ou tout ce qu'il souffre, conviennent proprement & physiquement à la substance, & non pas à ses accidens. Quand nous disons le fer est dur, le fer est pesant, il s'enfonce dans l'eau; nous ne prétendons point dire que sa dureté est dure, que sa pesanteur est pesante, &c. ce langage seroit très - impertinent; nous voulons dire que la substance étendue qui le compose, résiste, qu'elle pese, qu'elle descend sous l'eau. De même quand nous disons qu'un homme nie, affirme, se fâche, caresse, loue, &c. nous faisons tomber tous ces attributs sur la substance même de son ame, & non pas sur ses pensées, entant qu'elles sont des accidens ou des modifications. S'il étoit donc vrai, comme le prétend Spinosa, que les hommes fussent des modalités de Dieu, on parleroit faussement quand on diroit, Pierre nie ceci, il veut ceci, il veut cela, il affirme une telle chose: car réellement, selon ce système, c'est Dieu qui nie, qui veut, qui affirme, & par conséquent toutes les dénominations qui résultent de toutes les pensées des hommes, tombent proprement & physiquement sur la substance de Dieu: d'où il s'ensuit que Dieu hait & aime, nie & affirme les mêmes choses, en même tems, & selon toutes les conditions requises, pour faire que la regle que nous avons rapportée touchant les termes opposés, soit fausse: car on ne sauroit nier que selon toutes ces conditions prises en toute rigueur, certains hommes n'aiment & n'affirment, ce que d'autres hommes haïssent & nient. Passons plus avant: les termes contradictoires vouloir, & ne vouloir pas, conviennent, selon toutes ces conditions, en même tems, à différens hommes; il faut donc que dans le système de Spinosa, ils conviennent à cette substance unique & indivisible qu'on nomme Dieu. C'est donc Dieu qui forme en même tems l'acte de vouloir, & qui ne le forme pas à l'égard d'un même objet. On vérifie donc de lui deux termes contradictoires, ce qui est le renversement des premiers principes de la métaphysique: un cercle quarré n'est pas plus une contradiction, qu'une substance qui aime & hait en même tems le même objet: voilà ce que c'est que la fausse délicatesse. Notre homme ne pouvoit souffrir les moindres obscurités, ni du péripatétisme, ni du judaïsme, ni du christianisme, & il embrassoit de tout son coeur une hypothèse qui allie ensemble deux termes aussi opposés que la figure quarrée & la cir<cb->
4°. Mais si c'est physiquement parlant, une absurdité prodigieuse, qu'un sujet simple & unique soit modisié en même - tems par les pensées de tous les hommes, c'est une abomination exécrable quand on considere ceci du côté de la morale.
Quoi donc! l'être infini, l'être nécessaire, souverainement parfait, ne sera point serme, constant, & immuable? que dis - je, immuable? il ne sera pas un moment le même; ses pensées se succéderont les unes aux autrès, sans sin & sans cesse; la même bigarrure de passions & de sentimens ne se verra pas deux fois: celà est dur à digérer. Voici bien pis: cette mobilité continuelle gardera beaucoup d'uniformités en ce sens, que toujours pour une bonne pensée, l'être infini en aura mille de sortes, d'extravagantes, d'impures, d'abominables; il produira en lui - même toutes les solies, toutes les réveries, toutes les saletés, toutes les iniquités du genre humain; il en sera non - seulement la cause efficiente, mais aussi le sujet passif; il se joindra avec elles par l'union la plus intime que l'on puisse concevoir: car c'est une unson pénétrable, ou plutôt c'est une vraie identité, puisque le mode n'est point distinct réellement de la substance modisiée. Plusieurs grands philosophes ne pouvant comprendre qu'il soit compatible avec l'être souverainement bon, de souffrir que l'homme soit si méchant & si malheureux, ont supposé deux principes, l'un bon, & l'autre mauvais: & voici un philosophe qui trouve bon que Dieu soit bien lui - même & l'agent & le patient de tous les crimes, & de toutes les miseres de l'homme. Que les hommes se haissent les uns les autres, qu'ils s'entr'assassinent au coin d'un bois, qu'ils s'assemblent en corps d'armee pour s'entretuer, que les vainqueurs mangent quelquefois les vaincus: cela se comprend, parce qu'ils sont distincts les uns des autres; mais que les hommes, n'étant que la modification du même être, n'y ayant par conséquent que Dieu qui agisse, & le même Dieu en nombre, qui se modifie en ture, en se modifiant en hongrois, il y ait des guerres & des batailles; c'est ce qui surpasse tous les monstres & tous les déreglemens chimériques des plus folles têtes qu'on ait jamais enfermées dans les petites - maisons. Ainsi dans le système de Spinosa, tous ceux qui disent, les Allemands ont tué dix mille Turcs, parlent mal & faussement, à moins qu'ils n'entendent, Dieu modifié en Allemand, a tué Dieu modifié en dix mille Turcs; & ainsi toutes les phrases par lesquelles on exprime ce que font les hommes les uns contre les autres, n'ont point d'autre sens véritable que celui - ci, Dieu se hait lui - même, il se demande des graces à lui - même, & se les refuse, il se persécute, il se tue, il se mange, il se calomnie, il s'envoie sur l'échafaut. Cela seroit moins inconcevable, si Spinosa s'étoit représenté Dieu comme un assemblage de plusieurs parties distinctes; mais il l'a réduit à la plus parfaite simplicité, à l'unité de substance, à l'indivisibilité. II débite donc les plus infâmes & les plus furieuses extravagances, & infiniment plus ridicules que celles des poëtes touchant les dieux du paganisme.
5°. Encore deux objections. Il y a eu des philosophes assez impies pour nier qu'il y eût un Dieu, mais ils n'ont point poussé leur extravagance jusqu'à dire, que s'il existoit, il ne seroit point une nature parfaitement heureuse. Les plus grands Sceptiques de l'antiquité ont dit que tous les hommes ont une [p. 466]
Les raisons très - fortes qui combattent la doctrine que nos ames sont une portion de Dieu, ont encore plus de solidité contre Spinosa. On objecte à Pythagoras dans un ouvrage de Cicéron, qu'il résulte de cette doctrine trois faussetés évidentes; 1°. que la nature divine seroit déchirée en pieces; 2°. qu'elle seroit malheureuse autant de fois que les hommes; 3°. que l'esprit humain n'ignoreroit aucune chose, puisqu'il seroit Dieu.
6°. Je voudrois savoir à qui il en veut, quand il rejette certaines doctrines, & qu'il en propose d'autres. Veut - il apprendre des vérités? Veut - il réfuter des erreurs? Mais est - il en droit de dire qu'il y a des erreurs? Les pensées des philosophes ordinaires, celles des juifs, celles des chrétiens ne sont - elles pas des modes de l'être infini, aussi - bien que celles de son éthique? Ne sont - elles pas des réalités aussi nécessaires à la perfection de l'univers que toutes les spéculations? N'émanent - elles pas de la cause nécessaire? Comment donc ose - t - il prétendre qu'il y a là quelque chose à rectifier? En second lieu, ne prétend - il pas que la nature dont elles sont les modalités, agit nécessairement, qu'elle va toujours son grand chemin, qu'elle ne peut ni se détourner, ni s'arrêter, ni qu'étant unique dans l'univers, aucune cause extérieure ne l'arrêtera jamais, ni le redressera? Il n'y a donc rien de plus inutile que les leçons de ce philosophe? C'est bien à lui qui n'est qu'une modification de substance à prescrire à l'Etre infini, ce qu'il faut faire. Cet être l'entendra - t - il? Et s'il l'entendoit, pourroit - il en profiter? N'agit - il pas toujours selon toute l'étendue de ses forces, sans savoir ni où il va, ni ce qu'il fait? Un homme, comme
Le système de Spinosa choque si visiblement la raison,
que ses plus grands admirateurs reconnoissent
que s'il avoit enseigné les dogmes dont on l'accuse,
il seroit digne d'exécration; mais ils prétendent qu'on
ne l'a pas entendu. Leurs apologies, loin de le disculper,
font voir clairement que les adversaires de
Spinosa l'ont tellement confondu & abysmé, qu'il ne
leur reste d'autre moyen de leur répliquer que celui
dont les Jansénistes se sont servis contre les Jésuites,
qui est de dire que son sentiment n'est pas tel qu'on
le suppose: voilà à quoi se réduisent ses apologistes.
Asin donc qu'on voie que personne ne sauroit disputer
à ses adversaires l'honneur du triomphe, il suffit
de considérer qu'il a enseigné effectivement ce
qu'on lui impute, & qu'il s'est contredit grossierement
& n'a su ce qu'il vouloit. On lui fait un crime
d'avoir dit que tous les êtres particuliers sont des
modifications de Dieu. Il est manifeste que c'est sa
doctrine, puisque sa proposition 14
Il ne faut pas oublier que cet impie n'a point méconnu
les dépendances inévitables de son système, car
il s'est moqué de l'apparition des esprits, & il n'y a
point de philosophie qui ait moins droit de la nier:
il doit reconnoître que tout pense dans la nature, &
que l'homme n'est point la plus éclairée & la plus
intelligente modification de l'univers: il doit donc
admettre des démons. Quand on suppose qu'un esprit
souverainement parfait a tiré les créatures du
sein du néant, sans y être déterminé par sa nature,
mais par un choix libre de son bon plaisir, on peut
nier qu'il y ait des anges. Si vous demandez pourquoi
un tel créateur n'a point produit d'autres esprits
que l'ame de l'homme, on vous répondra, tel
a été son bon plaisir, stat pro ratione voluntas: vous
ne pourrez opposer rien de raisonnable à cette réponse,
à - moins que vous ne prouviez le fait, c'est - à - dire qu'il y a des anges. Mais quand on suppose que
le Créateur n'a point agi librement, & qu'il a épuisé
sans choix ni regle toute l'étendue de sa puissance,
& que d'ailleurs la pensée est l'un de ses attributs,
on est ridicule si l'on soutient qu'il n'y a pas des démons.
On doit croire que la pensée du Créateur s'est
modifiée non - seulement dans le corps des hommes,
mais aussi par tout l'univers, & qu'outre les animaux
que nous connoissons, il y en a une infinité que nous
ne connoissons pas, & qui nous surpassent en lumieres
& en malice, autant que nous surpassons, à cet
égard, les chiens & les boeufs. Car ce seroit la chose
du monde la moins raisonnable que d'aller s'imaginer
que l'esprit de l'homme est la modification la plus
parfaite qu'un Etre infini, agissant selon toute l'étendue
de ses forces, a pu produire. Nous ne concevons
nulle liaison naturelle entre l'entendement & le cer<pb->
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