ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"369"> pe le Bel, dit M. de Voltaire, firent alors entre eux une association par écrit, & se promirent un secours mutuel contre ceux qui voudroient les faire périr par le secours de la sorcellerie. On brûla par arrêt du parlement une sorciere qui avoit fabriqué avec le diable un acte en faveur de Robert d'Artois. La maiadie de Charles VI. fut attribué à un sortilege, & on fit venir un magicien pour le guérir.

On vit à Londres la duchesse de Glocester accusée d'avoir attenté à la vie d'Henri VI. par des sortileges. Une malheureuse devineresse, & un prêtre imbécille ou scélerat qui se disoit sorcier, furent brûlés vifs pour cette prétendue conspiration. La duchesse fut heureuse de n'être condamnée qu'à faire une amende honorable en chemise, & à une prison perpétuelle. L'esprit de lumiere & de philosophie, qui a établi depuis son empire dans cette île florissante, en étoit alors bien éloigné.

La démence des sortileges fit des nouveaux progrès en France sous Catherine de Médicis; c'étoit un des fruits de sa patrie transplantés dans ce royaume, On a cette fameuse médaille ou cette reine est représentée toute nue entre les constellations d'Aries & Taurus, le nom d'Ebullé Asmodée sur sa tête, ayant un dard dans une main, un coeur dans l'autre, & dans l'exergue le nom d'Oxiel. On fit subir la question à Côme Ruggieri florentin, accusé d'avoir attenté par des sortileges à la vie de Charles IX. En 1606 quantité de sorciers furent condamnés dans le ressort du parlement de Bordeaux. Le fameux curé Gaufrédi brûlé à Aix en 1611, avoit avoué qu'il étoit sorcier, & les juges l'avoient cru.

Enfin ce ne fut qu'à la raison naissante vers la fin du dernier siecle, qu'on dut la déclaration de Louis XIV. qui défendit en 1672, à tous les tribunaux de son royaume d'admettre les simples accusations de sorcellerie; & si depuis il y a eu de tems - en - tems quel ques accusations de maléfices, les juges n'ont condamné les accusés que comme des prophanateurs, ou quand il est arrivé que ces gens - là avoient employé le poison.

On demandoit à la Peyrere, auteur des préadamites, mais qui d'ailleurs a composé une bonne histoire de Groenlande, pourquoi l'on parloit tant de sorciers dans le nord qu'on supplicioit; c'est, disoit - il, parce que le bien de tous ces prétendus sorciers que l'on fait mourir, est en partie consisqué au profit des juges.

Personne n'ignore l'histoire de l'esclave affranchi de l'ancienne Rome, qu'on accusoit d'être sorcier, & qui par cette raison fut appellé en justice pour y être condamné par le peuple romain. La fertilité d'un petit champ que son maître lui avoit laissé, & qu'il cultiv oit avec soin, avoit attiré sur lui l'envie de ses voisins. Sûr de son innocence, sans être allarmé de la citation de l'édile Curule qui l'avoit ajourné à l'assemblée du peuple, il s'y présenta accompagné de sa fille; c'étoit une grosse paysanne bien nourrie & bien vétue, benè curatam & vestitam: il conduisit à l'assemblée ses boeufs gros & gras, une charrue bien équipée & bien entretenue, & tous ses instrumens de labour en fort bon état. Alors se tournant vers ses juges: Romains, dit - il, voilà mes sortileges, veneficia mea, quirites, hoec sunt. Les suffrages ne furent point partagés; il fut absous d'une commune voix, & fut vengé de ses ennemis par les éloges qu'il reçut. (D. J.)

SORCIERS & SORCIERES (Page 15:369)

SORCIERS & SORCIERES, (Hist. anc. & mod.) hommes & femmes qu'on prétend s'être livrés au démon, & avoir fait un pacte avec lui pour opérer par son secours des prodiges & des maléfices.

Les payens ont reconnu qu'il y avoit des magiciens ou enchanteurs malfaisans, qui par leur commerce avec les mauvais génies ne se proposoient que de nuire aux hommes, & les Grecs les appelloient goétiques. Ils donnoient à l'enchanteur le nom d'EPAWIDA, au devin celui de MANTIS2. Par FARMAKEUS2 ils désignoient celui qui se servoit de poisons, & par GONS2, celui qui trompoit les yeux par des prestiges. Les Latins leur ont aussi donné différens noms, comme ceux d'empoisonneurs, venenarii & venefici, parce qu'en effet ils savoient préparer les poisons, & en faisoient usage: Thessaliens & Chaldéens, Thessali & Chaldoei, du nom des pays d'où sortoient ces magiciens: généthliaques & mathématiciens, genethliaci & mathematici, parce qu'ils tiroient des horoscopes, & employoient le calcul pour prédire l'avenir: devins, augures, aruspices, &c. arioli, augures, aruspices, &c. des différens genres de divination auxquels ils s'adonnoient. Ils appelloient les magiciennes lamies, lamioe, du nom d'une nymphe cruelle & forcenée, qu'on seignoit dévorer tous les enfans: sagoe, terme qui dans l'origine signifioit une personne prévoyante, mais qui devint ensuite odieux, & affecté aux femmes qui faisoient profession de prédire l'avenir: striges, qui veut dire proprement des oiseaux nocturnes & de mauvais augure, nom qu'on appliquoit par métaphore aux magiciennes, qui, disoit - on, ne faisoient leurs enchantemens que pendant la nuit. On les trouve encore appellées dans les auteurs de la bonne latinité veratrices, veraculoe, simulatrices, fictrices. Dans les loix des Lombards elles sont nommées mascoe, à cause de leur figure hideuse & semblable à des masques, dit Delrio. Enfin on trouve dans Hincmar, & depuis fréquemment dans les auteurs qui ont traité de la magie, les mots sortiarii & sortiarioe, que nous avons rendus par ceux de sorciers & de sorcieres.

Les anciens ne paroissent pas avoir révoqué en doute l'existence des sorciers, ni regardé leurs maléfices comme de simples prestiges. Si l'on ne consultoit que les poëtes, on admettroit sans examen cette multitude d'enchantemens opérés par les Circés, les Médées, & autres semblables prodiges par lesquels ils ont prétendu répandre du merveilleux dans leurs ouvrages. Mais il paroit difficile de recuser le témoignage de plusieurs historiens d'ailleurs véridiques, de Tacite, de Suétone, d'Ammien Marcellin, qu'on n'accusera pas d'avoir adopté aveuglément, & faute de bon sens, ce qu'ils racontent des opérations magiques. D'ailleurs pourquoi tant de lois séveres de la part du sénat & des empereurs contre les magiciens, si ce n'eussent été que des imposteurs & des charlatans propres tout au plus à duper la multitude, mais incapables de causer aucun mal réel & physique?

Si des fausses religions nous passons à la véritable, nous trouverons qu'elle établit solidement l'existence des sorciers ou magiciens, soit par des faits incontestables, soit par les regles de conduite qu'elle prescrit à ses sectateurs. Les magiciens de Pharaon opérerent des prodiges qu'on n'attribuera jamais aux seules forces de la nature, & qui n'étoient pas non plus l'effet de la divinité, puisqu'ils avoient pour but d'en combattre les miracles. Je n'ignore pas que ces prodiges sont réduits par quelques modernes au rang des prestiges; mais outre que ce n'est pas le sentiment le plus suivi, conçoit - on bien clairement qu'il soit du ressort de la nature de fasciner les yeux de tout un peuple, de le tromper longtems par de simples apparences, de lui faire croire que des spectres d'air ou de fumée sont des animaux & des reptiles qui se meuvent? Si ce n'eussent été que des tours de charlatan, qui eût empêché Moïse sl instruit de la science des Egyptiens, d'en decouvrir l'artifice à Pharaon, à sa cour, à son peuple, & en les détrompant ainsi, de confirmer ses propres miracles? Pourquoi eût - il été obligé de recourir à de plus grandes merveilles que celles qu'il avoit opérées jusque - là, & que les màgiciens ne purent enfin imiter? Presti<pb-> [p. 370] ges pour prestiges, la production des moucherons phantastiques ne leur eût pas dû couter davantage que celle des serpens ou de grenouilles imaginaires. Dans le livre de Job, satan demande à Dieu que ce saint homme soit frappé dans tous ses biens, & Dieu les lui livre, en lui défendant seulement d'attenter à sa vie; ses troupeaux sont enlevés, ses enfans ensevelis sous les ruines d'une maison; lui - même enfin se trouve couvert d'ulceres depuis la plante des piés jusqu'au sommet de la tête. L'histoire de l'évocation de l'ombre de Samuel faite par la pythonisse, & rapportée au xxviij. chap. du second livre des Rois, ce que l'Ecriture dit ailleurs des faux prophetes d'Achab & de l'oracle, de Beelzebuth à Accaron: tous ces traits réunis prouvent qu'il y avoit des magiciens & des sorciers, c'est - à - dire des hommes qui avoient commerce avec les démons.

On n'infere pas moins clairement la même vérité des ordres réitérés que Dieu donne contre les magiciens & contre ceux qui les consultent: Vous ferez mourir, dit - il, ceux qui font des maléfices; maleficos non patieris vivere, Exod. xxij. v. 18. Même arrêt de mort contre ceux qui consultoient les magiciens & les devins: anima quoe declinaverit ad magos & ariolos & fornicata fuerit cum illis... interficiam illam de medio populi mei. Levitic. xx. v. 6. Qu'il n'y ait personne parmi vous, dit - il encore à son peuple, qui fasse des maléfices, qui soit enchanteur, ou qui consulte ceux qui ont des pythons ou esprits, & les devins, ou qui interroge les morts sur des choses cachées: nec inveniatur in te maleficus, nec incantator, nec qui pythones consulat, nec divinos, aut quoerat à mortuis veritatem, Deuteron. xviij. v. 10: précautions & sévérités qui eussent été injustes & ridicules contre de simples charlatans, & qui supposent nécessairement un commerce réel entre certains hommes & les démons.

La loi nouvelle n'est pas moins précise sur ce point que l'ancienne; tant d'énergumenes guéris par J. C. & ses apôtres, Simon & Elymas tous deux magiciens, la pythie dont il est parlé dans les actes des apôtres, enfin tant de faits relatifs à la magie attestés par les peres, ou attestés par les écrivains ecclésiastiques les plus respectables, les décisions des conciles, les ordonnances de nos rois, & entr'autres de Charles VIII. en 1490, de Charles IX. en 1560, & de Louis XIV. en 1682. Les Jurisconsultes & les Théologiens s'accordent aussi à admettre l'existence des sorciers; & sans citer sur ce point nos théologiens, nous nous contenterons de remarquer que les hommes les plus célebres que l'Angleterre ait produits depuis un siecle, c'est - à - dire, Mrs. Barrow, Tillotson, Stillingfleet, Jenkin, Prideaux, Clarke, Loke, Vossius, &c. ce dernier surtout remarque que ceux qui ne sauroient se persuader que les esprits entretiennent aucun commerce avec les hommes, ou n'ont lu les saintes Ecritures que fort négligemment, ou, quoiqu'ils se déguisent, en méprisent l'autorité. « Non possunt in animum inducere ulla esse in spiritibus commercia cum homine... sed deprehendi eos vel admodùm negligenter legisse sacras litteras, vel utcumque dissimularent, Scripturarum autoritatem parvi facere». Voss. epistol. ad.

En effet dans cette matiere tout dépend de ce point décisif; dès qu'on admet les faits énoncés dans les Ecritures, on admet aussi d'autres faits semblables qui arrivent de tems en tems: faits extraordinaires, surnaturels, mais dont le surnaturel est accompagné de caracteres qui dénotent que Dieu n'en est pas l'auteur, & qu'ils arrivent par l'intervention du démon. Mais comme après une pareille autorité il seroit insensé de ne pas croire que quelquefois les démons entretiennent avec les hommes de ces commerces qu'on nomme magie; il seroit imprudent de se livrer à une imagination vive & tout - à - la - fois foible, qui ne voit par - tout que méléfices, que lutins, que phan tômes & que sorciers. Ajouter foi trop légérement à tout ce qu'on raconte en ce genre, & rejetter absolument tout ce qu'on en dit, sont deux extremes également dangereux. Examiner & peser les faits, avant que d'y accorder sa confiance, c'est le milieu qu'indique la raison.

Nous ajouterons même avec le P. Malebranche, qu'on ne sauroit être trop en garde contre les rêveries des démonographes, qui sous prétexte de prouver ce qui a rapport à leur but, adoptent & entassent sans examen tout ce qu'ils ont vû, lû, ou entendu.

« Je ne doute point, continue le même auteur, qu'il ne puisse y avoir des sorciers, des charmes, des sortileges, &c. & que le démon n'exerce quelquefois sa malice sur les hommes, par la permission de Dieu. C'est faire trop d'honneur au diable, que de rapporter serieusement des histoires, comme des marques de sa puissance, ainsi que font quelques nouveaux démonographes, puisque ces histoires le rendent redoutable aux esprits foibles. Il faut mépriser les démons, comme on méprise les bourreaux, car c'est devant Dieu seul qu'il faut trembler.... quand on méprise ses lois & son évangile.

Il s'ensuit de - là, (& c'est toujours la doctrine du P. Malebranche), que les vrais sorciers sont aussi rares, que les sorciers par imagination sont communs. Dans les lieux où l'on brûle les sorciers, on ne voit autre chose, parce que dans les lieux où on les condamne au feu, on croit véritablement qu'ils le sont, & cette croyance se fortifie par les discours qu'on en tient. Que l'on cesse de les punir, & qu'on les traite comme des fous, & l'on verra qu'avec le tems ils ne seront plus sorciers, parce que ceux qui ne le sont que par imagination, qui sont certainement le plus grand nombre, deviendront comme les autres hommes.

Il est sans doute que les vrais sorciers méritent la mort, & que ceux même qui ne le sont que par imagination, ne doivent pas être regardés comme innocens, puisque pour l'ordinaire, ces derniers ne sont tels, que parce qu'ils sont dans la disposition du coeur d'aller au sabbat, & qu'ils se sont frottés de quelque drogue pour venir à bout de leur malheureux dessein. Mais en punissant indifféremment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie; les sorciers par imagination se multiplient, & ainsi une infinité de gens se perdent & se damnent. C'est donc avec raison que plusieurs parlemens ne punissant point les sorciers»; (il faut ajouter précisément comme sorciers, mais comme empoisonneurs, & convaincus de maiéfices, ou chargés d'autres crimes, par exemple, de faire périr des bestiaux par des secrets naturels.) « Il s'en trouve beaucoup moins dans les terres de leur ressort, & l'envie, la haine, & la malice des méchans ne peuvent se servir de ce prétexte pour accabler les innocens.» Recherch. de la vérité, liv. III. chap. vj.

Il est en effet étonnant qu'on trouve dans certains démonographes une crédulité si aveugle sur le grand nombre des sorciers, après qu'eux - mêmes ont rapporté des faits qui devroient leur inspirer plus de reserve. Tel est celui que rapporte en latin Delrio, d'après Monstrelet; mais que nous transcrirons dans le vieux style de cet auteur, & qui servira à confirmer ce que dit le P. Malebranche, que l'accusation de sorcellerie est souvent un prétexte pour accabler les innocens.

« En cette année (1459), dit Monstrelet, en la la ville d'Arras ou pays d'Artois, advint un terrible cas & pitoyable, que l'en nommoit vaudoisie, ne sai pourquoi: mais l'en disoit que c'étoient au<pb->

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