RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
SORT (Page 15:376)
SORT, (Jurisprud.) On entend par ce terme,
le hasard produit dans les partages; après avoir formé
les lots, ils se distribuent ou par choix ou par
convention, ou enfin on les tire au sort. Dans ce dernier
cas, on fait autant de petits billets qu'il y a de
lots, & l'on écrit sur l'un premier lot, & sur l'autre
second lot, & ainsi des autres. On mêle ensuite ces
billets après les avoir pliés ou roulés, & on les fait
tirer l'un après l'autre, un pour chaque héritier,
suivant l'ordre de progéniture; & selon le billet qui
échet, on écrit dans le partage que le premier lot est
advenu à un tel, le second à un tel. voyez
Sort (Page 15:376)
Mais la maniere de tirer le sort chez les Juifs, n'est pas marquée fort distinctement dans l'Ecriture; & nous n'en voyons qu'une sorte exprimée dans Salomon. On jettoit les sorts (apparemment des billets) dans le pan d'une robe, d'où, après les avoir bien mêlés, on les tiroit pour la décision.
Le mot sort désigne encore dans l'Ecriture l'effet du sort, le partage. La méchante femme doit être le partage des pécheurs, sors peccatorum, Ecclés. xxv. 26. c'est - à - dire, que le pécheur mérite de souffrir la mauvaise humeur d'une méchante femme plutôt que l'homme vertueux; mais malheureusement le sort ne le décide pas toujours ainsi. (D. J.)
Sorts (Page 15:376)
Les sorts étoient le plus souvent des espece de dés, sur lesquels étoient gravés quelques caracteres ou quelques mots dont on alloit chercher l'explication dans des tables faites expres. Les usages étoient différens sur les sorts. Dans quelques temples on les jettoit soi - même; dans d'autres on les fassoit sortir d'une urne, d'où est venue cette maniere de parler si ordinaire aux Grecs, le sort est tombé.
Ce jeu de dés étoit toujours précédé de sacrifices & de beaucoup de cérémonies; apparemment les prêtres savoient manier les dés; mais s'ils ne vouloient pas prendre cette peine, ils n'avoient qu'à les laisser aller; ils étoient toujours maîtres de l'explication.
Les Lacédémoniens allerent un jour consulter les sorts de Dodone, sur quelque guerre qu'ils entreprenoient; car outre les chênes parlans, & les colombes & les bassins & l'oracle, il y avoit encore des sorts à Dodone. Après toutes les cérémonies faites, sur le point qu'on alloit jetter les sorts avec beaucoup de respect & de vénération, voilà un singe du roi des Molosses, qui étant entré dans le temple, renverse les sorts & l'urne. La prêtresse effrayée dit aux Lacédémoniens qu'ils ne devoient pas songer à vaincre, mais seulement à se sauver; & tous les écrivains assurent que jamais Lacédémone ne reçut un présage plus funeste.
Les plus célébres entre les sorts étoient à Préneste
& à Antium, deux petites villes d'Italie. A Préneste
étoit la fortune, & à Antium les fortunes. Voy.
Les fortunes d'Antium avoient cela de remarquable, que c'étoient des statues qui se remuoient d'elles - mêmes, selon le témoignage de Macrobe, l. I. c. xxiij. & dont les mouvemens différens, ou servoient de réponse, ou marquoient si l'on pouvoit consulter les sorts.
Un passage de Ciceron, au liv. II. de la divination, où il dit que l'on consultoit les sorts de Préneste par le consentement de la fortune, peut faire croire que cette fortune savoit aussi remuer la tête, ou donner quelqu'autre signe de ses volontés.
Nous trouvons encore quelques statues qui avoient cette même propriété. Diodore de Sicile & Quint - Curce disent que Jupiter - Ammon étoit porté par quatre - vingt prêtres dans une espece de gondole d'or, d'où pendoient des coupes d'argent; qu'il étoit suivi d'un grand nombre de femmes & de filles qui chantoient des hymnes en langue du pays, & que ce dieu porté par ses prêtres, les conduisoit en leur marquant par quelques mouvemens où il vouloit aller.
Le dieu d'Héliopolis de Syrie, selon Macrobe, en faisoit autant: toute la différence étoit qu'il vouloit être porté par les gens les plus qualifiés de la province, qui eussent long - tems auparavant vécu en continence, & qui se fussent fait raser la tête. [p. 377]
Lucien, dans le traité de la déesse de Syrie, dit qu'il a vu un Apollon encore plus miraculeux; car étant porté sur les épaules de ses prêtres, il s'avisa de les laisser là, & de se promener par les airs, & cela aux yeux d'un homme tel que Lucien, ce qui est considérable.
Dans l'Orient les sorts étoient des fleches, & aujourd'hui encore les Turcs & les Arabes s'en servent de la même maniere. Ezéchiel dit que Nabuchodonosor mêla ses fleches contre Ammon & Jérusalem, & que la fleche sortit contre Jérusalem. C'étoit - là une belle maniere de résoudre auquel de ces deux peuples il feroit la guerre.
Dans la Grece & dans l'Italie on tiroit souvent les
sorts de quelque poëte célebre, comme Homere ou
Eurypide; ce qui se présentoit à l'ouverture du livre,
étoit l'arrêt du ciel. L'histoire en fournit mille
exemples. Voyez
On voit même que quelques 200 ans apres la
mort de Virgile, on faisoit déja assez de cas de ses
vers pour les croire prophétiques, & pour les mettre
en la place des sorts qui avoient été à Préneste;
car Alexandre Severe encore particulier, & dans le
tems que l'empereur Héliogabale ne lui vouloit pas
de bien, reçut pour réponse dans le temple de Préneste cet endroit de Virgile dont le sens est:
Les sobts passerent jusque dans le christianisme; on les prit dans les livres sacrés, au - lieu que les payens les prenoient dans leurs poetes. S. Augustin, dans l'épître cxix. à Januarius, paroît ne desapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siecle. Grégoire de Tours nous apprend lui - même quelle étoit sa pratique; il passoit plusieurs jours dans le jeune & dans la priere; ensuite il alloit au tombeau de saint Martin, où il ouvroit tel livre de l'Ecriture qu'il vouloit, & il prenoit pour la réponse de Dieu le premier passage qui s'offroit à ses yeux. Si ce passage ne faisoit rien au sujet, il ouvroit un autre livre de l'Ecriture.
D'autres prenoient pour sort divin la premiere
chose qu'ils entendoient chanter en entrant dans
l'église. Voyez
Mais qui croiroit qu'Héraclius délibérant en quel lieu il feroit passer l'hyver à son armée, se détermina par cette espece de sort? Il fit purifier son armée pendant trois jours; ensuite il ouvrit le livre des évangiles, & trouva que son quartier d'hyver lui étoit marqué dans l'Albanie. Etoit - ce là une assaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l'Ecriture?
L'Eglise est enfin venue à - bout d'exterminer cette superstition; mais il lui a fallu du tems. Du moment que l'erreur est en possession des esprits, c'est une merveille, si elle ne s'y maintient toujours. (D. J.)
Sorts (Page 15:377)
L'antiquité payenne semble avoir regardé ceux qui avoient le talent supérieur de la poésie, comme des hommes inspirés; ils se donnoient pour tels; ils assuroient qu'ils parloient le langage des dieux, & les peuples les ont cru sur leur parole. L'Iliade & l'Odyssée sont remplis d'un si grand nombre de traits de religion & de morale; ils contiennent dans leur étendue une si prodigieuse variété d'événemens,
Ce n'étoit point - là un de ces préjuges qui ne regnent que sur le vulgaire; de grands personnages de l'antiquité, ceux principalement qui aspiroient à gouverner les autres, n'ont pas été exempts de cette chimere. Mais ce ne fut point par cette idée superstitieuse que Socrate dans sa prison, entendant réciter ces vers qu'Homere met dans la bouche d'Achille; j'arriverai le troisieme jour à la fertile Phthie,
Valere - Maxime raconte que Brutus eut le triste
présage du sort qui l'attendoit à la bataille de Philippe. Le hasard lui ayant offert cet endroit de l'Iliade, où Patrocle se plaint que
Si l'on en croit Lampride, l'empereur Macrin ourieux
d'apprendre dans le même poëte, si son regne
seroit long & heureux, romba sur ces vers qu'on peut
rendre ainsi.
Comme cet empereur étoit déja avancé en âge, lorsqu'il parvint à la souveraine puissance, qu'il ne régna que quatorze mois, & que Héliogable n'étoit âgé que d'un pareil nombre d'années, lorsqu'il lui ôta la vie avec l'empire; on trouva dans ces paroles une prédiction de la mort tragique de Macrin.
Au reste, Homere ne fut pas le seul dont les vers eussent le privilege d'être regardés comme renfermant des oracles; les Grecs firent quelquefois le même honneur à ceux d'Eurypide; il paroît par un endroit d'Hérodote, qu'on croyoit que les poésies de Musée contenoient aussi des présages. Cet historien raconte qu'Onomacrite qui faisoit profession d'interpréter ou de développer ces sortes de prédictions, fut banni d'Athenes par Hipparque, fils de Pisistrate, pour avoir altéré les écrits de ce poëte & y avoir inséré un vers qui portoit, que les îles adjacentes à celles de Lemnos, seroient submergées.
Enfin, Virgile eut la gloire de succéder aux poëtes
grecs, & de partager avec eux l'art de prédire
les événemens. Voyez
Sorts de Préneste (Page 15:377)
Ciceron, liv. I I. de la divination, sect. 41. nous [p. 378]
Plutarque prétend qu'on tiroit plusieurs petits morceaux
de bois du coffre, & que les caracters gravés
sur chacun étant rassemblés composoient la prophétie;
mais outre que Ciceron dit le contraire, il
paroît clairement par un passage de Tite - Live, que
chacun de ces sorts contenoit toute la prophétie;
voici les propres termes de l'historien, au commencement
du liv. XXII. Faleriis coelum fendi visum velut
magno hiatu quaque patuerit ingens lumen effulsisse,
sortes sua sponte attenuatas, unamque excidisse ità scriptam,
Mars telum suum concutit.
Les prêtres se servirent habilement de ces sorts pour se procurer du profit & du crédit. Tota res est inventa fallaciis, aut ad quoestum, aut ad superstitionem, dit Ciceron.
Mais que signifient ces mêmes sorts dont parle Tite - Live, qui diminuerent & s'appetisserent d'eux - mêmes, sortes suâ sponte attenuatas? Peut - être que ces sorts étoient doubles, je veux dire, qu'il y en avoit de grands & de petits, tous semblables, & que les prêtres faisoient tirer les uns ou les autres, selon qu'ils vouloient effrayer ou encourager les consultans. Il est certain qu'en matiere de prodiges, on prenoit à bonne augure les choses qui paroissoient plus grandes que de coutume; & au contraire, on tenoit à mauvais présage les choses qui paroissoient plus petites qu'elles ne sont naturellement, comme Saumaise l'a prouvé dans ses commentaires sur Solin. Il suit de - là que les sorts appetissés, sortes extenuatoe, pronostiquoient par eux - mêmes un événement sinistre; mais j'aime à voir ce que les Philosophes pensoient des sorts en général, & ce que devinrent ceux de Préneste en particulier; Ciceron m'en éclaircit lui - même.
Q'est - ce à votre avis, que les sorts, disoit - il à un stoïcien? C'est à - peu - près, comme de jouer au nombre, en haussant & en fermant les doigts, ou de jouer aux osselets & aux dez; en quoi le hasard, & peut - être une mauvaise subtilité, peuvent avoir quelque part, mais où la sagesse & la raison n'en ont aucune. Les sorts sont donc pleins de tromperie, & c'est une invention, ou de la superstition, ou de l'avidité du gain. La divination par les sorts est désormais entierement décriée. La beauté & l'antiquité du temple de Préneste a véritablement conservé le nom des sorts de Preneste, mais parmi le peuple uniquement; car y a - t - il quelque magistrat, quelqu'Homme un peu considérable qui y ait le moindre recours? Par - tout ailleurs on n'en parle plus, & c'est ce qui faisoit dire à Carnéade, qu'il n'avoit jamais vû la fortune plus fortunée qu'à Préneste.
Cependant, il s'en fallut peu qu'ils ne revinssent en crédit du tems de Tibere. Suøtone nous apprend, que cet empereur ayant formé le projet de ruiner tous les oracles voisins de Rome, ceux d'Antium, de Coerès, de Tibur & de Préneste, en fut détourné par la majesté de ces derniers, car s'étant fait remettre le coffre bien formé & bien cacheté, les sorts ne s'y trouverent point, mais ce coffre ne fut pas plutôt reporté dans le temple de Préneste, que les sorts s'y trouverent comme de coutume.
Il n'est pas difficile de recon~oître ici l'adresse des
prêtres, qui voulurent relever le crédit de leur ancien
oracle; mais son tems étoit passé, personne ne
se rendit sur les lieux pour y avoir recours; & ce
qu'il y a de bien singulier, les sorts de Virgile n'ayant
pour eux aucun apparat de religio>, emporterent la
balance, & succéderent à ceux de Préneste. Voyez
Sorts de Virgile (Page 15:378)
Le tems ayant insensiblement donné de l'autorité aux poésies de Virgile, les Latins s'accoutumerent de même à les consulter dans les occasions où il leur étoit important de connoître la volonté du ciel. L'histoire des empereurs Romains, sur - tout depuis Trajan, en fournit plusieurs exemples. Le premier dont nous ayons connoissance est celui d'Adrien: inquiet de savoir quels étoient les dispositions de Trajan à son égard, & s'il le désigneroit pour son successeur à l'empire, il prit l'Enéide de Virgile, l'ouvrit au hasard, & y lut ces vers du VI. livre.
Quis procul ille autem ramis insignis olivoe Sacra ferens! nosco crines incanaque menta Regis Romani; primus qui legibus urbem Fundabit, curibus parvis & paupere terra Missus in imperium magnum.....
Comme on ne se rend pas difficile sur les choses qui flattent les desirs, quelques legeres convenances qu'Adrien trouva dans ces vers avec son caractere, ses inclinations, le goût qu'il avoit pour la philosophie & pour les cérémonies religieuses, le rassurerent; & si l'on ajoute foi à Spartien, le fortifierent dans l'espérance qu'il avoit de parvenir à l'empire.
Lampride rapporte qu'Alexandre Severe qui devoit pour lors être très - jeune, puisqu'il n'avoit que treize ans lorsqu'il fut nommé empereur, s'appliquant avec ardeur à l'étude de la Philosophie & de la Musique; Mammée sa mere lui conseilla de faire plutôt son occupation des Arts & des Sciences nécessaires à ceux qui sont destinés à gouverner les hommes, & qu'Alexandre se conforma d'autant plus volontiers à cet avis, qu'ayant consulté Virgile sur le sort qui lui étoit réservé, il crut y trouver un présage assuré de son élévation à l'empire dans ces fameux vers:
Excudent alii spirantia mollius oera, Credo equidem, &c. Tu regere imperio populos, Romane, memento; Hoe tibi erunt artes. Claude le Gothique voulant savoir quelle seroit la durée de son regne, consulta Virgile à l'ouverture du livre, & lut ce vers.
Tertia dum latio regnantem viderit oestas. alors il tira la conclusion, qu'il n'avoit au plus que trois ans à vivre; l'auteur qui nous a conservé ce fait, assure que Claude ne survécut en effet que deux ans à cette espece de prédiction; & que celles qu'il crut de même avoir trouvées dans Virgile sur ce qui [p. 379]
On rencontre dans les auteurs plusieurs exemples de cette espece; Bullengerus en a recueilli une partie dans le traité qu'il a composé sur ce sujet; mais ceux que l'on vient de rapporter suffisent pour montrer jusqu'où peut aller la superstition humaine. (D. J.)
Sorts des saints (Page 15:379)
Elle consistoit à ouvrir au hasard les livres sacrés, dans l'espérance d'y trouver quelques lumieres sur le parti qu'ils avoient à suivre dans telles & telles circonstances; d'y apprendre, si le succès des événemens qui les intéressoient, seroit heureux ou malheureux, & ce qu'ils devoient craindre ou espérer du caractere, de la conduite, & du gouvernement des personnes auxquelles ils étoient soumis.
L'usage avoit établi deux manieres de consulter la volonté de Dieu par cette voie: la premiere étoit, comme on vient de le dire, d'ouvrir au hasard quelques livres de l'Ecriture - sainte, après avoir imploré auparavant le secours du ciel par des jeûnes, des prieres, & d'autres pratiques religieuses. Dans la seconde qui étoit beaucoup plus simple, on se contentoit de regarder comme un conseil sur ce qu'on avoit à faire, ou comme un présage du bon ou du mauvais succès de l'entreprise qu'on méditoit, les premieres paroles du livre de l'Ecriture, qu'on chantoit dans le moment où celui qui se proposoit d'interroger le ciel par cette maniere, entroit dans une église.
Saint Augustin dans son épître à Januarius, ne paroît condamner cette pratique qu'au sujet des affaires mondaines; cependant il aime encore mieux qu'on en fasse usage pour les choses de ce siecle, que de consulter les démons.
S. Grégoire évêque de Tours, nous a fait connoître d'une maniere assez particuliere les cérémonies religieuses, avec lesquelles on consultoit les sorts des saints. Les exemples qu'il en donne, & le sien propre, justifient que cette pradique étoit fort commune de son tems, & qu'il ne la desapprouvoit pas.
On en jugera par ce qu'il raconte de lui - même en
ces termes:
Ce qu'il rapporte de Meroüée fils de Chilpéric, mérite de trouver place ici, parce qu'on y voit quelles étoient les pratiques de religion auxquelles on avoit recours pour se rendre le ciel favorable, avant que de consulter les sorts des saints, & pour mieux s'assurer de la vérité de la réponse qu'on y cherchoit.
Dans cet exemple, on voit que c'est Méroüée qui sans recourir au ministere des clercs de saint Martin de Tours, pose lui - même les livres saints, & les ouvre. Dans celui que l'on va citer toujours d'après le même auteur, on fait intervenir les clercs de l'église, qui joignent leurs prieres à celles du suppliant; voici comme le même auteur expose ce fait.
Non - seulement on employoit les sorts des saints
pour se déterminer dans les occasions ordinaires de
la vie, mais même dans les élections des évêques,
lorsqu'il y avoit partage. La`vie de saint Aignan fait
soi, que c'est de cette maniere qu'il fut nommé évêque d'Orléans. Saint Euverte qui occupoit le siége
de cette ville sur la fin du iv. siecle, se trouvant accablé
de vieillesse, & voulant le désigner pour son
successeur, le clergé & le peuple s'opposerent vivement
à ce choix. Saint Euverte prit la parole, & leur
dit:
Saint Euverte fit ensuite amener un enfant qui n'avoit point encore l'usage de la parole, & lui commanda de prendre au hasard un de ces billets; l'enfant ayant obéi, il tira celui qui portoit le nom de saint Aignan, & se mit à lire à haute voix: Aignan est le pontife que Dieu vous a choisi. Mais saint Euverte, continue l'historien, pour satisfaire tout le monde, voulut encore interroger les livres saints; le [p. 380]
Les Grecs aussi - bien que les Latins, consultoient les sorts des saints dans les conjonctures critiques; Cedrenus rapporte, comme nous l'avons dit en parlant des sorts en général, que l'empereur Héraclius après avoir eu de grands avantages sur Cosroez roi des Perses, se trouvant incertain sur le lieu où il prendroit ses quartiers d'hiver, purifia son armée pendant trois jours; ce sont les termes de l'historien; qu'ensuite il ouvrit les évangiles, & qu'il trouva qu'ils lui ordonnoient d'aller hiverner en Albanie.
Depuis le huitieme siecle, les exemples de cette pratique deviennent un peu plus rares; cependant il est certain que cet usage subsista jusque dans le quatorzieme siecle, avec cette seule différence, qu'on ne se préparoit plus à cette consultation par des jeûnes & despprieres, & qu'on n'y joignoit plus cet appareil religieux, que jusqu'alors on avoit cru nécessaire pour engager le ciel à manifester ainsi ses volontés.
L'église tant grecque que latine, conserva sans cesse quelques traces de cet usage. La coutume étoit encore dans le xv. & xvj. siecle quand un évêque étoit élu, que dans la cérémonie de son sacre, immédiatement après qu'on lui avoit mis sur la tête le livre des évangiles, on l'ouvroit au hasard, & le premier verset qui se présentoit, étoit regardé comme un pronostic de ce qu'on avoit à espérer ou à craindre de son caractere, de ses moeurs, de sa conduite, & du bonheur ou du malheur qui lui étoit réfervé durant le cours de son épiscopat; les exemples en sont fréquens dans l'histoire ecclésiastique.
Si l'on en croit un de ses écrivains qui a fait la vie des évêques de Liége, la mortpfuneste d'Albert évêque de cette ville, lui fut annoncée par ces paroles, que l'archevêque qui le sacroit trouva à l'ouverture du livre des évangiles: Il envoya un de ses gardes avec ordre de lui apporter la tête de Jean; & ce garde étant entré dans la prison, lui coupa la tête. L'historien ajoute, que ce prélat en fut si frappé, qu'il adressa la parole au nouvel évêque, & lui dit en le regardant avec des yeux baignés de larmes: Mon fils, en vous donnant au service de Dieu, conduisez - vous avec crainte & avec justice, & préparez votre ame à la tentation; car vous serez un jour martyr. Il fut en effet assassiné par des émissaires de l'empereur Henri VI. & l'Eglise l'honore comme martyr.
On ajoutoit tant de foi à ces sortes de pronostics; ils formoient un préjugé si favorable ou si desavantageux aux évêques, qu'on les alléguoit dans les occasions les plus importantes, & même dans celles où il étoit question de prononcer sur la canonicité de leur élection.
La même chose se pratiquoit à l'installation des abbés, & même à la réception des chanoines; cette coutume subsiste encore aujourd'hui dans la cathédrale de Boulogne, dont le diocèse aussi - bien que ceux d'Ypres & de Saint - Omer, a été formé des débris de cette ancienne église, après que la ville de Térouanne eut été détruite par Charles - Quint. Toute la différence qui s'y trouve présentement, c'est qu'à Boulogne, le nouveau chanoine tire les sorts dans le livre des pseaumes, & non dans celui des évangiles. Feu M. de Langle évêque de Boulogne,
Quant à la seconde maniere de consulter les sorts des saints, elle étoit comme on l'a dit, beaucoup plus simple, & également connue dans les deux églises grecque & latine. Cette maniere consistoit à regarder comme un bon ou un mauvais augure, ou comme une déclaration de la volonté du ciel, les premieres paroles de la sainte Ecriture, qu'on chantoit à l'église dans le moment qu'on y entroit à cette intention: les exemples en sont très - nombreux.
Saint Cyprien étoit si persuadé que Dieu manifestoit quelquefois ses volontés par cette voie, qu'il y avoit souvent recours; c'étoit pour ce pere de l'Eglise un heureux présage lorsqu'il trouvoit que les premieres paroles qu'il entendoit en mettant le pié dans l'église, avoient quelque relation avec les choses qui l'occupoient.
Il faut cependant convenir que dans le tems où cet usage de consulter les sorts à venir par l'Ecriture, étoit le plus en vogue, & souvent même accompagné d'un grave appareil d'actes de religion; on trouve différens conciles qui condamnent en particulier les sorts des saints, & en général toute divination faite par l'inspection des livres sacrés. Le concile de Vannes, par exemple, tenu sous Léon I. dans le v. siecle; le concile d'Agde assemblé l'an 506; les conciles d'Orléans & d'Auxerre, l'un de l'an 511, & l'autre de l'an 595, proscrivent les sorts des saints; & l'on trouve un capitulaire de Charlemagne publié en l'an 789, qui contient aussi la même défense. Mais les termes dans lesquels ces défenses sont conçues, donnent lieu de croire, que la superstition avoit mêlé une infinité de pratiques magiques dans les sorts des saints, & qu'il ne faut peut - être pas confondre la maniere de les consulter condamnée par ces canons, avec celle qui étoit souvent employée dans les premiers siecles de l'Eglise par des personnes éminentes en piété.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que quelques théologiens conviennent en général qu'on ne peut pas excuser les sorts des saints de superstition; que c'étoit tenter Dieu que de l'interroger ainsi; que les Ecritures ne contiennent rien dont on puisse conclure, que Dieu ait pris là - dessus aucun engagement avec les hommes, & que cette coutume bien loin d'être autorisée par aucune loi ecclésiastique, a été abrogée dans les tems éclairés; cependant ces mêmes théologiens oubliant ensuite la solidité des principes qu'ils venoient d'établir, se sont persuadés que dans certaines occasrons, plusieurs de ceux qui ont consulté les sorts des saints, y ont été portés par une secrete inspiration du ciel. (D. J.)
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.