ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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SORT (Page 15:376)

SORT, (Jurisprud.) On entend par ce terme, le hasard produit dans les partages; après avoir formé les lots, ils se distribuent ou par choix ou par convention, ou enfin on les tire au sort. Dans ce dernier cas, on fait autant de petits billets qu'il y a de lots, & l'on écrit sur l'un premier lot, & sur l'autre second lot, & ainsi des autres. On mêle ensuite ces billets après les avoir pliés ou roulés, & on les fait tirer l'un après l'autre, un pour chaque héritier, suivant l'ordre de progéniture; & selon le billet qui échet, on écrit dans le partage que le premier lot est advenu à un tel, le second à un tel. voyez Lots & Partage. (A)

Sort (Page 15:376)

Sort, (Critiq. sacr.) maniere de décider les choses par le hasard. Cet usage est très - convenable dans plusieurs occasions, sur - tout dans celles où il n'y a aucune raison de préférence. Alors l'auteur des Proverbes a raison de dire que le sort termine toute dispute. Son usage étoit fréquent chez les Hébreux, comme cela paroît dans plusieurs endroits de l'Ecriture. La terre promise fut partagée au sort. Les Levites reçurent leur lot par le même moyen. Dans le jour de l'expiation, on jettoit le sort sur les deux boucs, pour savoir lequel des deux seroit immolé. David distribua par le sort les rangs aux vingt - quatre bandes de prêtres qui devoient servir dans les temples. Quand il fut question de remplir la place de Judas dans l'apostolat, le sort tomba sur saint Mat<cb-> thias. Enfin la robe de Jésus - Christ fut jettée au sort.

Mais la maniere de tirer le sort chez les Juifs, n'est pas marquée fort distinctement dans l'Ecriture; & nous n'en voyons qu'une sorte exprimée dans Salomon. On jettoit les sorts (apparemment des billets) dans le pan d'une robe, d'où, après les avoir bien mêlés, on les tiroit pour la décision.

Le mot sort désigne encore dans l'Ecriture l'effet du sort, le partage. La méchante femme doit être le partage des pécheurs, sors peccatorum, Ecclés. xxv. 26. c'est - à - dire, que le pécheur mérite de souffrir la mauvaise humeur d'une méchante femme plutôt que l'homme vertueux; mais malheureusement le sort ne le décide pas toujours ainsi. (D. J.)

Sorts (Page 15:376)

Sorts, (Théologie payenne) sortes. Le sort est l'effet du hasard, & comme la décision ou l'oracle de la fortune; mais les sorts sont les instrumens dont on se sert pour savoir quel|e est cette décision.

Les sorts étoient le plus souvent des espece de dés, sur lesquels étoient gravés quelques caracteres ou quelques mots dont on alloit chercher l'explication dans des tables faites expres. Les usages étoient différens sur les sorts. Dans quelques temples on les jettoit soi - même; dans d'autres on les fassoit sortir d'une urne, d'où est venue cette maniere de parler si ordinaire aux Grecs, le sort est tombé.

Ce jeu de dés étoit toujours précédé de sacrifices & de beaucoup de cérémonies; apparemment les prêtres savoient manier les dés; mais s'ils ne vouloient pas prendre cette peine, ils n'avoient qu'à les laisser aller; ils étoient toujours maîtres de l'explication.

Les Lacédémoniens allerent un jour consulter les sorts de Dodone, sur quelque guerre qu'ils entreprenoient; car outre les chênes parlans, & les colombes & les bassins & l'oracle, il y avoit encore des sorts à Dodone. Après toutes les cérémonies faites, sur le point qu'on alloit jetter les sorts avec beaucoup de respect & de vénération, voilà un singe du roi des Molosses, qui étant entré dans le temple, renverse les sorts & l'urne. La prêtresse effrayée dit aux Lacédémoniens qu'ils ne devoient pas songer à vaincre, mais seulement à se sauver; & tous les écrivains assurent que jamais Lacédémone ne reçut un présage plus funeste.

Les plus célébres entre les sorts étoient à Préneste & à Antium, deux petites villes d'Italie. A Préneste étoit la fortune, & à Antium les fortunes. Voy. Sorts de Préneste.

Les fortunes d'Antium avoient cela de remarquable, que c'étoient des statues qui se remuoient d'elles - mêmes, selon le témoignage de Macrobe, l. I. c. xxiij. & dont les mouvemens différens, ou servoient de réponse, ou marquoient si l'on pouvoit consulter les sorts.

Un passage de Ciceron, au liv. II. de la divination, où il dit que l'on consultoit les sorts de Préneste par le consentement de la fortune, peut faire croire que cette fortune savoit aussi remuer la tête, ou donner quelqu'autre signe de ses volontés.

Nous trouvons encore quelques statues qui avoient cette même propriété. Diodore de Sicile & Quint - Curce disent que Jupiter - Ammon étoit porté par quatre - vingt prêtres dans une espece de gondole d'or, d'où pendoient des coupes d'argent; qu'il étoit suivi d'un grand nombre de femmes & de filles qui chantoient des hymnes en langue du pays, & que ce dieu porté par ses prêtres, les conduisoit en leur marquant par quelques mouvemens où il vouloit aller.

Le dieu d'Héliopolis de Syrie, selon Macrobe, en faisoit autant: toute la différence étoit qu'il vouloit être porté par les gens les plus qualifiés de la province, qui eussent long - tems auparavant vécu en continence, & qui se fussent fait raser la tête. [p. 377]

Lucien, dans le traité de la déesse de Syrie, dit qu'il a vu un Apollon encore plus miraculeux; car étant porté sur les épaules de ses prêtres, il s'avisa de les laisser là, & de se promener par les airs, & cela aux yeux d'un homme tel que Lucien, ce qui est considérable.

Dans l'Orient les sorts étoient des fleches, & aujourd'hui encore les Turcs & les Arabes s'en servent de la même maniere. Ezéchiel dit que Nabuchodonosor mêla ses fleches contre Ammon & Jérusalem, & que la fleche sortit contre Jérusalem. C'étoit - là une belle maniere de résoudre auquel de ces deux peuples il feroit la guerre.

Dans la Grece & dans l'Italie on tiroit souvent les sorts de quelque poëte célebre, comme Homere ou Eurypide; ce qui se présentoit à l'ouverture du livre, étoit l'arrêt du ciel. L'histoire en fournit mille exemples. Voyez Sorts d'Homere.

On voit même que quelques 200 ans apres la mort de Virgile, on faisoit déja assez de cas de ses vers pour les croire prophétiques, & pour les mettre en la place des sorts qui avoient été à Préneste; car Alexandre Severe encore particulier, & dans le tems que l'empereur Héliogabale ne lui vouloit pas de bien, reçut pour réponse dans le temple de Préneste cet endroit de Virgile dont le sens est: « Si tu peux surmonter les destins contraires, tu seras Marcellus ». Voyez Sorts de Virgile.

Les sobts passerent jusque dans le christianisme; on les prit dans les livres sacrés, au - lieu que les payens les prenoient dans leurs poetes. S. Augustin, dans l'épître cxix. à Januarius, paroît ne desapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siecle. Grégoire de Tours nous apprend lui - même quelle étoit sa pratique; il passoit plusieurs jours dans le jeune & dans la priere; ensuite il alloit au tombeau de saint Martin, où il ouvroit tel livre de l'Ecriture qu'il vouloit, & il prenoit pour la réponse de Dieu le premier passage qui s'offroit à ses yeux. Si ce passage ne faisoit rien au sujet, il ouvroit un autre livre de l'Ecriture.

D'autres prenoient pour sort divin la premiere chose qu'ils entendoient chanter en entrant dans l'église. Voyez Sorts des Saints.

Mais qui croiroit qu'Héraclius délibérant en quel lieu il feroit passer l'hyver à son armée, se détermina par cette espece de sort? Il fit purifier son armée pendant trois jours; ensuite il ouvrit le livre des évangiles, & trouva que son quartier d'hyver lui étoit marqué dans l'Albanie. Etoit - ce là une assaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l'Ecriture?

L'Eglise est enfin venue à - bout d'exterminer cette superstition; mais il lui a fallu du tems. Du moment que l'erreur est en possession des esprits, c'est une merveille, si elle ne s'y maintient toujours. (D. J.)

Sorts (Page 15:377)

Sorts d'Homere, (Divinat. du paganisme.) sortes Homericoe; espece de divination. Elle consistoit à ouvrir au haiard les écrits d'Homere, & à tirer à la premiere inscription de la page qui se présentoit à la vûe, un augure ou pronostic, de ce qui devoit arriver à soi - même & aux autres, ou des regles de conduite convenables aux circonstances dans lesquelles on se trouvoit. Les Grecs donnoient à ce genre de divination le nom de SIOIXEIWMANTEIA, RA(/YWDOMANTEIA, RA/YWDOMANTIKH/.

L'antiquité payenne semble avoir regardé ceux qui avoient le talent supérieur de la poésie, comme des hommes inspirés; ils se donnoient pour tels; ils assuroient qu'ils parloient le langage des dieux, & les peuples les ont cru sur leur parole. L'Iliade & l'Odyssée sont remplis d'un si grand nombre de traits de religion & de morale; ils contiennent dans leur étendue une si prodigieuse variété d'événemens, de sentences & de maximes appliquables à toutes les circonstances de la vie, qu'il n'est pas étonnant que ceux qui par hasard ou de dessein formé, jettoient les yeux sur ces poëmes, ayent cru y trouver quelquefois des prédictions ou des conseils: il aura suffi que le succès ait justifié de tems en tems la curiosité des personnes, qui dans des situations embarrassantes on eu recours à cet expédient, pour qu'on se soit insensiblement accoutumé à regarder les écrits de ce poëte, comme un oracle toujours prêt à rendre des réponses à quiconque voudroit l'interroger. On ne peut s'imaginer à quel point les hommes portent la crédulité, lorsqu'ils sont agités par la crainte. ou par l'espérance.

Ce n'étoit point - là un de ces préjuges qui ne regnent que sur le vulgaire; de grands personnages de l'antiquité, ceux principalement qui aspiroient à gouverner les autres, n'ont pas été exempts de cette chimere. Mais ce ne fut point par cette idée superstitieuse que Socrate dans sa prison, entendant réciter ces vers qu'Homere met dans la bouche d'Achille; j'arriverai le troisieme jour à la fertile Phthie,

*H(/MATI/ KEN TRITA/TW FQI/HN E)/RIBWLON I=KOI/MHN, se mit à dire qu'il n'avoit donS plus que trois jours à vivre; il badinoit sur l'équivoque du mot FQI/HN, qui signifie le pays de Phthie, & la corruption ou la mort; cependant ce badinage qu'il sit en présence d'Eschine, ne sut point oublié, parce qu'il mourut trois jours après.

Valere - Maxime raconte que Brutus eut le triste présage du sort qui l'attendoit à la bataille de Philippe. Le hasard lui ayant offert cet endroit de l'Iliade, où Patrocle se plaint que « le cruel destin & le sils de Latone lui ont ôté la vie ».

*A)LLA/ ME MOI(R), KAI *AHTO=S2 E=KTANQN U(IO/S2. L'application que cette illustre romain s'en fit à lui - même, fut justifiée par l'événement.

Si l'on en croit Lampride, l'empereur Macrin ourieux d'apprendre dans le même poëte, si son regne seroit long & heureux, romba sur ces vers qu'on peut rendre ainsi. « Vieillard, vous êtes furieusement serré par de jeunes guerriers; votre force est anéantie, & vous êtes menacé d'une triste vieillesse »:

*W)GERON, H= MA/LA DH/ TE IEOI TEI\RDSI MAXHTOI, *SH\ DE\ BI\H LELUTAI, XALEPON DE SE GH=RAS2 O/PZ=EI.

Comme cet empereur étoit déja avancé en âge, lorsqu'il parvint à la souveraine puissance, qu'il ne régna que quatorze mois, & que Héliogable n'étoit âgé que d'un pareil nombre d'années, lorsqu'il lui ôta la vie avec l'empire; on trouva dans ces paroles une prédiction de la mort tragique de Macrin.

Au reste, Homere ne fut pas le seul dont les vers eussent le privilege d'être regardés comme renfermant des oracles; les Grecs firent quelquefois le même honneur à ceux d'Eurypide; il paroît par un endroit d'Hérodote, qu'on croyoit que les poésies de Musée contenoient aussi des présages. Cet historien raconte qu'Onomacrite qui faisoit profession d'interpréter ou de développer ces sortes de prédictions, fut banni d'Athenes par Hipparque, fils de Pisistrate, pour avoir altéré les écrits de ce poëte & y avoir inséré un vers qui portoit, que les îles adjacentes à celles de Lemnos, seroient submergées.

Enfin, Virgile eut la gloire de succéder aux poëtes grecs, & de partager avec eux l'art de prédire les événemens. Voyez Sorts de Virgile. (D. J.)

Sorts de Préneste (Page 15:377)

Sorts de Préneste, (Divinat. des Rom.) les plus célebres de toute l'Italie; c'est une curiosité raisonnable de chercher à savoir en quoi consistoit cet oracle, & comme il se rendoit.

Ciceron, liv. I I. de la divination, sect. 41. nous [p. 378] apprend que les archives de Préneste portoient, qu'un homme des plus considérables de la ville, nommé Numerius - Suffucius, fut averti par plusieurs songes réitérés & menaçans, d'aller entr'ouvrir un rocher dans un certain lieu; qu'il y alla, brisa ce rocher, & qu'il en sortit plusieurs sorts; c'étoit de petits morceaux de bois de rouvre bien taillés & bien polis, sur lesquels étoient écrits des prédictions en caracteres antiques; on mit cès petits morceaux de bois dans un coffre d'olivier. Pour les consulter, on ouvroit ce coffre, on faisoit mêler ensemble tous ces sorts, par un enfant, il en tiroit un, & c'étoit la réponse que l'oracle donnoit aux consultans. Ce coffre continue Cicéron, est aujourd'hui religieusement gardé, à cause de Jupiter enfant, qui y est représenté avec Junon, tous deux dans le sein de la fortune qui leur donne la mamelle, & toutes les bonnes meres y ont une grande dévotion.

Plutarque prétend qu'on tiroit plusieurs petits morceaux de bois du coffre, & que les caracters gravés sur chacun étant rassemblés composoient la prophétie; mais outre que Ciceron dit le contraire, il paroît clairement par un passage de Tite - Live, que chacun de ces sorts contenoit toute la prophétie; voici les propres termes de l'historien, au commencement du liv. XXII. Faleriis coelum fendi visum velut magno hiatu quaque patuerit ingens lumen effulsisse, sortes sua sponte attenuatas, unamque excidisse ità scriptam, Mars telum suum concutit. « On vit à Faleres le ciel se fendre & s'entrouvrir, & une grande lumiere remplir ce grand vuide. Les sorts diminuerent & s'appetisserent d'eux - mêmes, & il en tomba un où étoient écrites cet paroles, Mars prépare ses abmes».

Les prêtres se servirent habilement de ces sorts pour se procurer du profit & du crédit. Tota res est inventa fallaciis, aut ad quoestum, aut ad superstitionem, dit Ciceron.

Mais que signifient ces mêmes sorts dont parle Tite - Live, qui diminuerent & s'appetisserent d'eux - mêmes, sortes suâ sponte attenuatas? Peut - être que ces sorts étoient doubles, je veux dire, qu'il y en avoit de grands & de petits, tous semblables, & que les prêtres faisoient tirer les uns ou les autres, selon qu'ils vouloient effrayer ou encourager les consultans. Il est certain qu'en matiere de prodiges, on prenoit à bonne augure les choses qui paroissoient plus grandes que de coutume; & au contraire, on tenoit à mauvais présage les choses qui paroissoient plus petites qu'elles ne sont naturellement, comme Saumaise l'a prouvé dans ses commentaires sur Solin. Il suit de - là que les sorts appetissés, sortes extenuatoe, pronostiquoient par eux - mêmes un événement sinistre; mais j'aime à voir ce que les Philosophes pensoient des sorts en général, & ce que devinrent ceux de Préneste en particulier; Ciceron m'en éclaircit lui - même.

Q'est - ce à votre avis, que les sorts, disoit - il à un stoïcien? C'est à - peu - près, comme de jouer au nombre, en haussant & en fermant les doigts, ou de jouer aux osselets & aux dez; en quoi le hasard, & peut - être une mauvaise subtilité, peuvent avoir quelque part, mais où la sagesse & la raison n'en ont aucune. Les sorts sont donc pleins de tromperie, & c'est une invention, ou de la superstition, ou de l'avidité du gain. La divination par les sorts est désormais entierement décriée. La beauté & l'antiquité du temple de Préneste a véritablement conservé le nom des sorts de Preneste, mais parmi le peuple uniquement; car y a - t - il quelque magistrat, quelqu'Homme un peu considérable qui y ait le moindre recours? Par - tout ailleurs on n'en parle plus, & c'est ce qui faisoit dire à Carnéade, qu'il n'avoit jamais vû la fortune plus fortunée qu'à Préneste.

Cependant, il s'en fallut peu qu'ils ne revinssent en crédit du tems de Tibere. Suøtone nous apprend, que cet empereur ayant formé le projet de ruiner tous les oracles voisins de Rome, ceux d'Antium, de Coerès, de Tibur & de Préneste, en fut détourné par la majesté de ces derniers, car s'étant fait remettre le coffre bien formé & bien cacheté, les sorts ne s'y trouverent point, mais ce coffre ne fut pas plutôt reporté dans le temple de Préneste, que les sorts s'y trouverent comme de coutume.

Il n'est pas difficile de recon~oître ici l'adresse des prêtres, qui voulurent relever le crédit de leur ancien oracle; mais son tems étoit passé, personne ne se rendit sur les lieux pour y avoir recours; & ce qu'il y a de bien singulier, les sorts de Virgile n'ayant pour eux aucun apparat de religio>, emporterent la balance, & succéderent à ceux de Préneste. Voyez Sorts de Virgile. (D. J.)

Sorts de Virgile (Page 15:378)

Sorts de Virgile, (Divinat. du Paganis.) sortes Virgilianoe, divination qui consistoit à ouvrir les oeuvres de Virgile, & à en tireb, à l'inspection de la page que le hasard offroit, des présages des événemens futurs.

Le tems ayant insensiblement donné de l'autorité aux poésies de Virgile, les Latins s'accoutumerent de même à les consulter dans les occasions où il leur étoit important de connoître la volonté du ciel. L'histoire des empereurs Romains, sur - tout depuis Trajan, en fournit plusieurs exemples. Le premier dont nous ayons connoissance est celui d'Adrien: inquiet de savoir quels étoient les dispositions de Trajan à son égard, & s'il le désigneroit pour son successeur à l'empire, il prit l'Enéide de Virgile, l'ouvrit au hasard, & y lut ces vers du VI. livre.

Quis procul ille autem ramis insignis olivoe Sacra ferens! nosco crines incanaque menta Regis Romani; primus qui legibus urbem Fundabit, curibus parvis & paupere terra Missus in imperium magnum.....

Comme on ne se rend pas difficile sur les choses qui flattent les desirs, quelques legeres convenances qu'Adrien trouva dans ces vers avec son caractere, ses inclinations, le goût qu'il avoit pour la philosophie & pour les cérémonies religieuses, le rassurerent; & si l'on ajoute foi à Spartien, le fortifierent dans l'espérance qu'il avoit de parvenir à l'empire.

Lampride rapporte qu'Alexandre Severe qui devoit pour lors être très - jeune, puisqu'il n'avoit que treize ans lorsqu'il fut nommé empereur, s'appliquant avec ardeur à l'étude de la Philosophie & de la Musique; Mammée sa mere lui conseilla de faire plutôt son occupation des Arts & des Sciences nécessaires à ceux qui sont destinés à gouverner les hommes, & qu'Alexandre se conforma d'autant plus volontiers à cet avis, qu'ayant consulté Virgile sur le sort qui lui étoit réservé, il crut y trouver un présage assuré de son élévation à l'empire dans ces fameux vers:

Excudent alii spirantia mollius oera, Credo equidem, &c. Tu regere imperio populos, Romane, memento; Hoe tibi erunt artes. Claude le Gothique voulant savoir quelle seroit la durée de son regne, consulta Virgile à l'ouverture du livre, & lut ce vers.

Tertia dum latio regnantem viderit oestas. alors il tira la conclusion, qu'il n'avoit au plus que trois ans à vivre; l'auteur qui nous a conservé ce fait, assure que Claude ne survécut en effet que deux ans à cette espece de prédiction; & que celles qu'il crut de même avoir trouvées dans Virgile sur ce qui [p. 379] devoit arriver à son frere & à sa postérité, eurent aussi leur accomplissement.

On rencontre dans les auteurs plusieurs exemples de cette espece; Bullengerus en a recueilli une partie dans le traité qu'il a composé sur ce sujet; mais ceux que l'on vient de rapporter suffisent pour montrer jusqu'où peut aller la superstition humaine. (D. J.)

Sorts des saints (Page 15:379)

Sorts des saints, (Divinat. des Chrétiens.) sortes sanctorum, espece de divination qui vers le troisieme siecle s'est introduite chez les Chrétiens à l'imitation de celles qu'on nommoit parmi les payens, sortes homericoe, sortes virgilianoe.

Elle consistoit à ouvrir au hasard les livres sacrés, dans l'espérance d'y trouver quelques lumieres sur le parti qu'ils avoient à suivre dans telles & telles circonstances; d'y apprendre, si le succès des événemens qui les intéressoient, seroit heureux ou malheureux, & ce qu'ils devoient craindre ou espérer du caractere, de la conduite, & du gouvernement des personnes auxquelles ils étoient soumis.

L'usage avoit établi deux manieres de consulter la volonté de Dieu par cette voie: la premiere étoit, comme on vient de le dire, d'ouvrir au hasard quelques livres de l'Ecriture - sainte, après avoir imploré auparavant le secours du ciel par des jeûnes, des prieres, & d'autres pratiques religieuses. Dans la seconde qui étoit beaucoup plus simple, on se contentoit de regarder comme un conseil sur ce qu'on avoit à faire, ou comme un présage du bon ou du mauvais succès de l'entreprise qu'on méditoit, les premieres paroles du livre de l'Ecriture, qu'on chantoit dans le moment où celui qui se proposoit d'interroger le ciel par cette maniere, entroit dans une église.

Saint Augustin dans son épître à Januarius, ne paroît condamner cette pratique qu'au sujet des affaires mondaines; cependant il aime encore mieux qu'on en fasse usage pour les choses de ce siecle, que de consulter les démons.

S. Grégoire évêque de Tours, nous a fait connoître d'une maniere assez particuliere les cérémonies religieuses, avec lesquelles on consultoit les sorts des saints. Les exemples qu'il en donne, & le sien propre, justifient que cette pradique étoit fort commune de son tems, & qu'il ne la desapprouvoit pas.

On en jugera par ce qu'il raconte de lui - même en ces termes: « Leudaste comte de Tours, qui cherchoit à me perdre dans l'esprit de la reine Frédegonde, étant venu à Tours avec de mauvais desseins contre moi; frappé du danger qui me menaçoit, je me retirai fort triste dans mon oratoire; j'y pris les pseaumes de David, pour voir si à leur ouverture, je n'y trouverois rien d'où je pusse tirer quelque consolation, & j'en eus une très - grande de ce verset, aue le hasard me présenta: Il les fit marcher avec espérance & sans crainte, pendant que la mer enveloppoit leurs ennemis. En effet, ajoute - t - il, Leudaste n'osa rien entreprendre contre ma personne; car ce comte étant parti de Tours le même jour, & la barque sur laquelle il étoit monté ayant fait naufrage, il auroit été noyé s'il n'avoit pas su nager ».

Ce qu'il rapporte de Meroüée fils de Chilpéric, mérite de trouver place ici, parce qu'on y voit quelles étoient les pratiques de religion auxquelles on avoit recours pour se rendre le ciel favorable, avant que de consulter les sorts des saints, & pour mieux s'assurer de la vérité de la réponse qu'on y cherchoit.

« Méroüée, dit Grégoire de Tours, étant disgracié de Chilpéric son pere, se réfugia dans la basilique de saint Martin; & ne se fiant point à une pythonisse, qui lui avoit prédit que le roi mourroit cette même année & qu'il lui succéderoit, il mit séparément sur le tombeau du saint, les livres des pseaumes, des rois, & des évangiles; il veilla toute la nuit auprès du tombeau, & pria saint Martin de lui faire connoître ce qui devoit lui arriver, & s'il régneroit ou non. Ce prince passa les trois jours suivans dans le jeûne, les veilles, & les prieres; puis s'étant approché du tombeau, il ouvrit d'abord le livre des rois; & le premier verset portoit ces mots: Comme vous avez abando~né le Seigneur votre Dieu, pour courir après des dieux étrangers, & que vous n'avez pas fait ce qui étoit agréable à ses yeux, il vous a livré entre les mains de vos ennemis. Les passages qui s'offrirent à lui dans le livre des pseaumes, & dans celui des évangiles (passages qu'il seroit inutile de rapporter), ne lui annonçant de même rien que de funeste, il resta long - tems aux piés du tombeau fondant en larmes, & se retira en Austrasie, où il périt malheureusement, trois ans après par les artifices de la reine Frédegonde, sa belle mere ».

Dans cet exemple, on voit que c'est Méroüée qui sans recourir au ministere des clercs de saint Martin de Tours, pose lui - même les livres saints, & les ouvre. Dans celui que l'on va citer toujours d'après le même auteur, on fait intervenir les clercs de l'église, qui joignent leurs prieres à celles du suppliant; voici comme le même auteur expose ce fait.

« Chramne s'étant révolté contre Clotaire I. & se trouvant à Dijon, les clercs de l'église se mirent en prieres pour d%mander à Dieu, si le jeune prince réussiroit dans ses desseins, & s'il parviendroit un jour à la couronne. Ils consulterent, comme dans le fait précédent, trois différens livres de l'Ecriture - sainte, avec cette différence, qu'à la place du livre des rois & des pseaumes, ils joignirent ceux du prophete Isaïe, & les épîtres de saint Paul, au livre des Evangiles. A l'ouverture d'Isaïe, ils lurent ces mots: J'arracherai la haie de ma vigne, & elle sera exposée au pillage; parce qu'au lieu de porter de bons raisins, elle en a produit de mauvais. Les passages des épîtres de saint Paul, & ceux de l'évangile qui se présentoient ensuite, ne parurent pas moins menaçans, & furent regardés comme une prédiction de la mort tragique de ce prince infortuné ».

Non - seulement on employoit les sorts des saints pour se déterminer dans les occasions ordinaires de la vie, mais même dans les élections des évêques, lorsqu'il y avoit partage. La`vie de saint Aignan fait soi, que c'est de cette maniere qu'il fut nommé évêque d'Orléans. Saint Euverte qui occupoit le siége de cette ville sur la fin du iv. siecle, se trouvant accablé de vieillesse, & voulant le désigner pour son successeur, le clergé & le peuple s'opposerent vivement à ce choix. Saint Euverte prit la parole, & leur dit: « Si vous voulez un évêque agréable à Dieu, sachez que vous devez mettre Aignan à ma place ». Mais pour leur faire connoître clairement que telle étoit la volonté du Seigneur, après que ce prélat eut indiqué, selon la coutumel un jeûne de trois jours, il fit mettre d'un côté sur l'autel des billets (brevia), & de l'autre, les pseaumes, les épîtres de saint Paul, & les évangiles. Ce que l'historien qu'on vient de citer, appelle ici brevia, étoient comme je l'ai traduit, des billets sur chacun desquels on écrivoit le nom d'un des candidats.

Saint Euverte fit ensuite amener un enfant qui n'avoit point encore l'usage de la parole, & lui commanda de prendre au hasard un de ces billets; l'enfant ayant obéi, il tira celui qui portoit le nom de saint Aignan, & se mit à lire à haute voix: Aignan est le pontife que Dieu vous a choisi. Mais saint Euverte, continue l'historien, pour satisfaire tout le monde, voulut encore interroger les livres saints; le [p. 380] premier verset qui se présenta dans les pseaumes, fut: Heureux celui que vous avez choisi, il demeurera dans votre temple. On trouva dans saint Paul ces mots: Personne ne peut mettre un autre fondement que celui qui a été posé; & enfin dans l'évangile ces paroles: C'est sur cette pierre que je bâtirai mon église. Ces témoignages parurent si décisifs en faveur de saint Aignan, qu'ils réunirent pour lui tous les suffrages, & qu'il fut placé aux acclamations de tout le peuple sur le siége d'Orléans.

Les Grecs aussi - bien que les Latins, consultoient les sorts des saints dans les conjonctures critiques; Cedrenus rapporte, comme nous l'avons dit en parlant des sorts en général, que l'empereur Héraclius après avoir eu de grands avantages sur Cosroez roi des Perses, se trouvant incertain sur le lieu où il prendroit ses quartiers d'hiver, purifia son armée pendant trois jours; ce sont les termes de l'historien; qu'ensuite il ouvrit les évangiles, & qu'il trouva qu'ils lui ordonnoient d'aller hiverner en Albanie.

Depuis le huitieme siecle, les exemples de cette pratique deviennent un peu plus rares; cependant il est certain que cet usage subsista jusque dans le quatorzieme siecle, avec cette seule différence, qu'on ne se préparoit plus à cette consultation par des jeûnes & despprieres, & qu'on n'y joignoit plus cet appareil religieux, que jusqu'alors on avoit cru nécessaire pour engager le ciel à manifester ainsi ses volontés.

L'église tant grecque que latine, conserva sans cesse quelques traces de cet usage. La coutume étoit encore dans le xv. & xvj. siecle quand un évêque étoit élu, que dans la cérémonie de son sacre, immédiatement après qu'on lui avoit mis sur la tête le livre des évangiles, on l'ouvroit au hasard, & le premier verset qui se présentoit, étoit regardé comme un pronostic de ce qu'on avoit à espérer ou à craindre de son caractere, de ses moeurs, de sa conduite, & du bonheur ou du malheur qui lui étoit réfervé durant le cours de son épiscopat; les exemples en sont fréquens dans l'histoire ecclésiastique.

Si l'on en croit un de ses écrivains qui a fait la vie des évêques de Liége, la mortpfuneste d'Albert évêque de cette ville, lui fut annoncée par ces paroles, que l'archevêque qui le sacroit trouva à l'ouverture du livre des évangiles: Il envoya un de ses gardes avec ordre de lui apporter la tête de Jean; & ce garde étant entré dans la prison, lui coupa la tête. L'historien ajoute, que ce prélat en fut si frappé, qu'il adressa la parole au nouvel évêque, & lui dit en le regardant avec des yeux baignés de larmes: Mon fils, en vous donnant au service de Dieu, conduisez - vous avec crainte & avec justice, & préparez votre ame à la tentation; car vous serez un jour martyr. Il fut en effet assassiné par des émissaires de l'empereur Henri VI. & l'Eglise l'honore comme martyr.

On ajoutoit tant de foi à ces sortes de pronostics; ils formoient un préjugé si favorable ou si desavantageux aux évêques, qu'on les alléguoit dans les occasions les plus importantes, & même dans celles où il étoit question de prononcer sur la canonicité de leur élection.

La même chose se pratiquoit à l'installation des abbés, & même à la réception des chanoines; cette coutume subsiste encore aujourd'hui dans la cathédrale de Boulogne, dont le diocèse aussi - bien que ceux d'Ypres & de Saint - Omer, a été formé des débris de cette ancienne église, après que la ville de Térouanne eut été détruite par Charles - Quint. Toute la différence qui s'y trouve présentement, c'est qu'à Boulogne, le nouveau chanoine tire les sorts dans le livre des pseaumes, & non dans celui des évangiles. Feu M. de Langle évêque de Boulogne, peu d'années avant sa mort qui arriva en 1722, rendit une ordonnance qui tendoit à abroger cet usage; il craignoit avec raison qu'il n'eût quelque chose de superstitieux. Il avoit d'ailleurs remarqué, qu'il arrivoit quelquefois que le verset du pseaume que le hasard offroit au nouveau chanoine, contenoit des imprécations, des reproches, ou des traits odieux, qui devenoient pour lui une espece de note de ridicule, ou même d'infamie. Mais le chapitre qui se prétend exempt de la jurisdiction épiscopale, n'eut point égard à cette ordonnance; & comme suivant la coutume, on inséroit dans les lettres de prise de possession de chaque chanoine le verset du pseaume qui lui étoit tombé à sa réception, le chapitre résolut seulement, qu'à l'avenir on ajouteroit à ces lettres, qu'on ne faisoit en cela que suivre l'ancienne coutume de l'église de Térouanne.

Quant à la seconde maniere de consulter les sorts des saints, elle étoit comme on l'a dit, beaucoup plus simple, & également connue dans les deux églises grecque & latine. Cette maniere consistoit à regarder comme un bon ou un mauvais augure, ou comme une déclaration de la volonté du ciel, les premieres paroles de la sainte Ecriture, qu'on chantoit à l'église dans le moment qu'on y entroit à cette intention: les exemples en sont très - nombreux.

Saint Cyprien étoit si persuadé que Dieu manifestoit quelquefois ses volontés par cette voie, qu'il y avoit souvent recours; c'étoit pour ce pere de l'Eglise un heureux présage lorsqu'il trouvoit que les premieres paroles qu'il entendoit en mettant le pié dans l'église, avoient quelque relation avec les choses qui l'occupoient.

Il faut cependant convenir que dans le tems où cet usage de consulter les sorts à venir par l'Ecriture, étoit le plus en vogue, & souvent même accompagné d'un grave appareil d'actes de religion; on trouve différens conciles qui condamnent en particulier les sorts des saints, & en général toute divination faite par l'inspection des livres sacrés. Le concile de Vannes, par exemple, tenu sous Léon I. dans le v. siecle; le concile d'Agde assemblé l'an 506; les conciles d'Orléans & d'Auxerre, l'un de l'an 511, & l'autre de l'an 595, proscrivent les sorts des saints; & l'on trouve un capitulaire de Charlemagne publié en l'an 789, qui contient aussi la même défense. Mais les termes dans lesquels ces défenses sont conçues, donnent lieu de croire, que la superstition avoit mêlé une infinité de pratiques magiques dans les sorts des saints, & qu'il ne faut peut - être pas confondre la maniere de les consulter condamnée par ces canons, avec celle qui étoit souvent employée dans les premiers siecles de l'Eglise par des personnes éminentes en piété.

Ce qu'il y a de sûr, c'est que quelques théologiens conviennent en général qu'on ne peut pas excuser les sorts des saints de superstition; que c'étoit tenter Dieu que de l'interroger ainsi; que les Ecritures ne contiennent rien dont on puisse conclure, que Dieu ait pris là - dessus aucun engagement avec les hommes, & que cette coutume bien loin d'être autorisée par aucune loi ecclésiastique, a été abrogée dans les tems éclairés; cependant ces mêmes théologiens oubliant ensuite la solidité des principes qu'ils venoient d'établir, se sont persuadés que dans certaines occasrons, plusieurs de ceux qui ont consulté les sorts des saints, y ont été portés par une secrete inspiration du ciel. (D. J.)

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