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SOBRIQUET (Page 15:248)
SOBRIQUET, s. m. (Littérature.) sorte de surnom, ou d'épithete burlesque, qu'on donne le plus souvent à quelqu'un pour le tourner en ridicule.
Ceridicule ne naît pas seulement d'un choix affecté d'expressions triviales propres à rendre ces épithetes plus significatives ou plus piquantes; mais de l'application qui s'en fait souvent à des noms de personnes considérables d'ailleurs, & qui produit un contraste singulier d'idées sérieuses & plaisantes; nobles & viles, bisarrement opposées, telles que peuvent l'être dans un même sujet celles d'une haute naissance, avec des inclinations basses; de la majesté royale, avec des difformités de corps, réputés honteuses par le vulgaire; d'une dignité respectable, avec des moeurs corrompues, ou d'un titre fastueux, avec la paresse & la pusillanimité.
Ainsi lorsqu'avec les noms propres d'un souverain pontife, d'un empereur illustre, d'un grand roi, d'un prince magnifique, d'un général fameux, on trouvera joints les surnoms de Groin - de - porc, de Barberousse, de Pié - tortu, d'Eveille - chien, de Pain - en - bouche, cette union excitera presque toujours des idées d'un ridicule plus ou moins grand.
Quant à l'origine de ces surnoms, il est inutile de la rechercher ailleurs que dans la malignité de ceux qui les donnent, & dans les défauts réels ou apparens de ceux à qui on les impose: elle éclate sur - tout, à l'égard des personnes dont la prospérité ou les richesses excitent l'envie, ou dont l'autorité quelque légitime qu'elle soit, paroît insuportable; elle ne respecte ni la tiare ni la pourpre, c'est une ressource qui ne manque jamais à un peuple opprimé; & ces marques de sa vengeance sont d'autant plus à craindre, que non - seulement il est impossible d'en découvrir l'auteur, mais que ni l'autorité, ni la force, ni le laps de tems, ne sont capables de les effacer. On peut se rappeller à l'occasion de ce caractere indélébile, (s'il est permis d'user ici de ce terme), les efforts inutiles que fit un archiduc, appellé Frédéric, [p. 249]
Il arriva quelque chose de semblable à Charles de Sicile, surnommé sans - terre, sobriquet qui ne lui avoit été donné, que parce qu'essectivement il fut longtems sans états; il ne le perdit point, lors même que Robert son pere lui eût cédé la Calabre.
Il est aisé de comprendre par ce qu'on vient d'observer de l'origine & de la nature des sobriquets, quelles sont les sources communes d'où on les tire. Toutes les imperfections du corps, tous les défauts de l'esprit des hommes, leurs moeurs, leurs passions, leurs mauvaises habitudes, leurs vices, leurs actions de quelque nature qu'elles soient, tout y contribue.
A l'égard de la forme, elle ne consiste pas seulement dans l'usage de simples épithetes, on les releve souvent par des expressions figurées, dont quelquesunes ne sont quelquefois que des jeux de mots, comme dans celui de biberius mero, pour Tiberius Nero, à cause de sa passion pour le vin; & dans celui de cacoergete, appliqué à Ptolomée VII. roi d'Egypte, pour le qualifier de mauvais prince, par imiration d'évergete. qui désigne un prince bienfaisant; telest encore celui d'épimane, donné à Antiochus IV. qui au lieu d'épiphane ou roi illustre dont il usurpoit le titre, ne signifie qu'un furieux.
D'autres sobriquets sont ironiques & tournés en contrevérités, comme celui de poëte laureat, que les Anglois donnent aux mauvais poëtes.
Il y en a souvent dont la malignité consiste dans l'emprunt du nom de quelque animal ou de quelques personnes célebres, notées dans l'histoire par leurs figures ou leurs vices, dont on fait une comparaison avec la personne qu'on veut charger; les Syriens tirerent de la ressemblance du nez crochu d'Antiochus VIII. au bec d'un griffon, le sobriquet de grypus qui lui est resté; & l'on connoît assez dans l'histoire ancienne, les princes & les personnes célebres à qui on a donné ceux de bouc, ceux de cochon, d'âne, de veau, de taureau & d'ours, comme on donne aujourd'hui ceux de Silene, d'Esope, de Sardanapale, & de Messaline, aux personnes qui leur ressemblent par la figure, ou par les moeurs.
Mais de toutes les expressions figurées, celle qui forme les plus ingénieux sobriquets, (si l'on veut convenir qu'il y ait quelque sel dans cette sorte de production de l'esprit) c'est l'allusion fondée sur une connnoissance de faits singuliers, dont l'idée prête une sorte d'agrément au ridieule.
Ces différentes formes peuvent se réduire à quatre, qui font autant de genres de surnoms burlesques; ceux dont la note est indifférente, ceux qui n'en impriment qu'une légere, ceux qui sont injurieux, & ceux qui sont honorables.
Pour donner lieu à ceux du premier genre, il n'a fallu qu'un attachement à quelque mode singuliere de coëffure ou d'habillement, quelque coutume particuliere, quelque action peu importante: ainsi les sobriquets de Pogonate ou Barbe longue, donnés à Constantin V. empereur de Constantinople; de crépu, à Boleslas, roi de Pologne; de grisegonelle, à Geoffroi I. comte d'Anjou; de courte - mantel, à Henri II. roi d'Angleterre; de longue - épée, à Guillaume, duc de Normandie; & de hache, à Baudoin VII. comte de Flandres, n'ont jamais pu blesser la réputation de ces princes.
Les Romains appelloient signum, ce gense de surnoms, & l'action de le donner significare.
Ceux du second genre ont pour objet quelque légere imperfection du corps ou de l'esprit, certains evénemens, & certaines actions qui, quolqu'inocentes, ont une espece de ridicule. C'est ce que Cicéron a entendu par turpicula, subturpia, & quasi desormia. Si Socrate, par exemple, se montroit peu sensible au surnom de camard, beaucoup s'en trouveroient offensés: celui de cracheur n'étoit point honorable à Vladislas, roi de Bohème, &c.
Ceux du troisieme genre, sont beaucoup plus piquans, en ce qu'ils ont pour objet les difformités du corps les plus considérables, ou les plus grandes disgraces de la fortune, & dont la honte est souvent plus difficile à supporter, que la douleur qui les accompagne.
Ceux du quatrieme genre, n'ont pour objet que ce qu'il y a de plus rare dans les qualités du corps, de plus noble dans celles de l'esprit & du coeur, de plus admirable dans les moeurs, & de plus grand dans les actions. Le propre de ces surnoms est d'être caractérisés d'une maniere plaisante, & qui, quoiqu'elle tienne de la raillerie, ne laisse jamais qu'une idée honorable.
Ainsi les surnoms de bras - de - fer, & de cotte - de - fer, imposés l'un à Baudouin I. comte de Flandres, & l'autre à Edmond II, roi d'Angleterre, sont de vrais éloges de la force du corps dont ces princes étoient doués; telest aussi celui de temporiseur, presque toujours choquant, fait pour Fabius l'apologie de sa politique milltaire, comme celui de sans - peur marque à l'égard de Richard duc de Normandie, & de Jean duc de Bourgogne, leur intrépidité.
Il y a des caracteres accidentels qui en établissent encore des genres particuliers. Les uns peuvent convenir à plusieurs personnes, comme les surnoms de borgne, de bossu, de boiteux, de mauvais: d'autres ne sont guere appliqués qu'à une seule, comme le surnom de Copronyme imposé à Constantin IV. & celui de Caracalla au quatrieme des Antonins.
Les sobriquets ou surnoms qui se donnent réciproquement les habitans d'une petite ville, d'un bourg ou d'un hameau, ne consistent ordinairement qu'en quelques épithetes si triviales & si grossieres, qu'il n'y auroit point d'honneur à en rapporter des exemples.
Il n'en est pas de même de ceux qui naissent dans l'enceinte des camps; ils sont marqués à un coin de vivacité & de liberté particulieres aux militaires.
Il y en a enfin d'héréditaires, & qui n'ayant été
d'abord attribués qu'à une seule personne, ont ensuite
passé à ses descendans, & lui ont tenu lieu de
nom propre. Tels sont la plupart des surnoms des
Romains illustres, du tems de la république, que
les auteurs de l'histoire romaine qui ont écrit en grec,
ont cru leur être tellement propres, qu'ils ne leur
ont ôté que la terminaison latine, comme Denis
d'Halicarnasse l'a fait de ceux de
Cependant ces surnoms tels qu'ils ont été, sont devenus d'un grand avantage dans la chronologie & [p. 250]
L'usage en est nécessaire, pour donner aux généalogies des familles qui ont possedé les grands empires & les moindres états, cette clarté qui leur est essentielle.
C'est par le défaut de surnoms, que la généalogie des Pharaons, dont Josephe & Eusebe ont dit que les noms étoient plutôt de dignité que de famille, est si obscure Combien au contraire la précaution de les avoir ajoutés aux surnoms tirés de l'ordre numéral, sauve - t - elle de méprises & d'erreurs dans l'histoire des Alexandres de Macédoine, des Ptolomées d'Egypte, des Antiochus de Syrie, des Mithridates du Pont, des Nicomedes de Bithynie, des Antonins & des Constantins de l'empire, des Louis & des Charles de France, &c. Si les épithetes de riches, de grands, de conservateurs, &c. dont les peuples honorerent autrefois quelques - uns des princes de ces familles, laissent dans la mémoire une impression plus forte que celles qui sont tirées de l'ordre progressir de premier, second, troisieme & des nombre suivans, les surnoms burlesques de nez de griffon, de ventru, de joueur de flute, d'effeminé, de martel, de fainéant, de balafré, n'y en font - ils pas une dont les traces ne sont pas moins profondes? Horace faisant la comparaison du sérieux & du plaisant, ne feint point de donner la préférence à ce dernier.
Discit enim citius, meminitque libentius illud Quod quis deridet, quam quod probat & veneratur.
Combien y a - t - il même de familles illustres dans les anciennes monarchies, & dans celle du moyen âge, dont les branches ne sont distinguées que par les sobriquets des chefs qui y ont fait des souches différentes! On le voit dans les familles romaines, la Domina dont les deux branches ont chacune pour auteur un homme à surnom burlesque, l'un Calvinus, & l'autre Ahenobarbus; & dans la Cornelia, de laquelle étoient les Scipions, où le premier qui a été connu par le surnom de Nasica, a donné son nom à une branche qui ne doit pas être confondue avec celle de l'Africain.
Une autre partie essentielle de l'histoire, est la représentation des caracteres des différens personnages qu'elle introduit sur la scene; c'est ce que font les surnoms par des expressions qui sont comme des portraits en racourci des hommes les plus célebres; mais il faut avouer que par rapport à la ressemblance qui doit faire le mérite de ces portraits, que les surnoms plaisans l'emportent de beaucoup sur ceux du genre sérieux.
Les premiers trompent rarement, parce qu'ils expriment presque toujours les caracteres dans le vrai; ce sont des témoignages irréprochables, des décisions prononcées par la voix du peuple, des traits de crayon libres tirés d'après le naturel, des coups de pinceau hardis qui ne sont pas seulement des portraits de l'extérieur des hommes, mais qui nous représentent encore ce qu'il y a en eux de plus caché.
Ainsi l'obscurité de l'origine de Michel V. empereur de Constantinople, dont les parens calfatoient des vaisseaux, nous est rappellée par son surnom de Calaphates; la basse naissance du pape Benoit XII, fils d'un boulanger françois, par celui de Jacques du
L'événement heureux pour le fils d'Othon, duc de Saxe, qui fut élevé à l'empire, & qui lorsqu'il s'y attendoit le moins, en apprit la nouvelle au milieu d'une partie de chasse, est signalé par le surnom de l'Oiseleur qui le distingue de tous les Henris.
L'empressement de l'empereur Léon pour détruire le culte des images, est bien marqué dans le terme d'lconoclaste.
La mauvaise fortune qu'essuya Frédéric I. duc de Saxe, par la captivité dans laquelle son pere le tint, est devenue mémorable par le surnom de Mordu qui lui est resté.
La mort ignominieuse du dernier des Antonins, dont les soldats jetterent le cadavre dans le Tibre, après l'avoir traîné par les rues de Rome, ne s'oubliera jamais à la vue des épithetes de Traclitius & de Tiberinus, dont Aurelius Victor dit qu'il fut chargé.
Ainsi rien n'est à négliger dans l'étude de l'histoire; les termes les plus bas, les plus grossiers ou les plus injurieux, & qui semblent n'avoir jamais été que le partage d'une vile populace, ne sont pas pour cela indignes de l'attention des savans.
M. Spanheim, dans son ouvrage sur l'usage des
médailles antiques, tome II. s'est un peu étendu
sur l'origine des sobriquets des Romains, en les considérant
par le rapport qu'ont aux médailles consulaires,
ceux des principales familles de la république
romaine. M. de la Roque dans son traité de l'origine
des noms, auroit dû traiter ce sujet par rapport à
l'histoire moderne. M. le Vayer en a dit quelque chose
dans ses ouvrages. Voyez sur tout les mémoires de
l'acad. des Inscrip. & Belles - lettres. (Le chevalier
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