ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
Previous page
"18">
naire françois - latin, que porter se rend en latin par
ferre, invidere, alloqui, valere? jamais mittere
n'a eu la signification de retenir, d'arrêter, d'écrire,
dans l'imagination d'un homme qui parloit latin.
Quand Térence a dit, (Adelph. III. ij. 37.) lacrymas mitte, & (Hec. V. ij. 14.) missam iram faciet;
mittere avoit toujours dans son esprit la signification
d'envoyer: envoyez loin de vous vos larmes,
votre colere, comme on renvoie tout ce dont on
veut se défaire: que si en ces occasions nous disons
plutôt, retenez vos larmes, retenez votre colere, c'est
que pour exprimer ce sens, nous avons recours à
une métaphore prise de l'action que l'on fait quand
on retient un cheval avec le frein, ou quand
on empêche qu'une chose ne tombe ou ne s'échappe: ainsi il faut toujours distinguer deux
sortes de traductions. (voyez Traduction, Version, syn.) Quand on ne traduit que pour faire
entendre la pensée d'un auteur, on doit rendre, s'il
est possible, figure par figure, sans s'attacher à traduire
littéralement; mais quand il s'agit de donner
l'intelligence d'une langue, ce qui est le but des
dictionnaires, on doit traduire littéralement, afin
de faire entendre le sens figuré qui est en usage dans
cette langue à l'égard d'un certain mot; autrement
c'est tout confondre.
Je voudrois donc que nos dictionnaires donnassent
d'abord à un mot latin la signification propre
que ce mot avoit dans l'imagination des auteurs
latins: qu'ensuite ils ajoutassent les divers
sens figurés que les latins donnoient à ce mot; mais
quand il arrive qu'un mot joint à un autre, forme
une expression figurée, un sens, une pensée que
nous rendons en notre langue par une image différente
de celle qui étoit en usage en latin; alors je
voudrois distinguer: 1°. si l'explication littérale
qu'on a déja donnée du mot latin, suffit pour faire
entendre à la lettre l'expression figurée, ou la pensée
littérale du latin; en ce cas, je me contenterois
de rendre la pensée à notre maniere; par
exemple, mittere, envoyer; mitte iram, retenez
votre colere; mittere epistolam alicui, écrire une
lettre à quelqu'un. 2°. Mais lorsque la façon de
parler latine, est trop éloignée de la françoise,
& que la lettre n'en peut pas être aisément entendue,
les dictionnaires devroient l'expliquer d'abord
littéralement, & ensuite ajouter la phrase
srançoise qui répond à la latine; par exemple, laterem crudum lavare, laver une brique crue, c'est - à - dire, perdre son tems & sa peine, perdre son
latin; qui laveroit une brique avant qu'elle fût
cuite, ne feroit que de la boue, & perdroit la
brique; on ne doit pas conclure de cet exemple,
que jamais lavare ait signifié en latin, perdre; ni
later, tems ou peine».
II. Sens déterminé, sens indéterminé. Quoique chaque
mot ait nécessairement dans le discours une
signification fixe, & une acception déterminée, il
il peut néanmoins avoir un sens indéterminé, en
ce qu'il peut encore laisser dans l'esprit quelque
incertitude sur la détermination précise & individuelle
des sujets dont on parle, des objets que l'on
désigne.
Que l'on dise, par exemple, des hommes ont cru
que les animaux sont de pures machines; un homme
d'une naissance incertaine, jetta les premiers fondemens
de la capitale du monde: le nom homme, qui a
dans ces deux exemples une signification fixe, qui
y est pris sous une acception formelle & déterminative,
y conserve encore un sens indéterminé,
parce que la détermination individuelle des sujets
qu'il y désigne, n'y est pas assez complette; il
peut y avoir encore de l'incertitude sur cette détermination
totale, pour ce ux du moins qui igno<cb->
reroient l'histoire du cartésianisme & celle de Rome; ce qui prouve que la lumiere de ceux qui ne
resteroient point indécis à cet égard, après avoir
entendu ces deux propositions, ne leur viendroit
d'ailleurs que du sens même du mot homme.
Mais si l'on dit, les Cartesiens ont cru que les animaux
sont de pures machines; Romulus jetta les premiers
fondemens de la capitale du monde: ces deux propositions
ne laissent plus aucune incertitude sur la détermination
individuelle des hommes dont il y est
question; le sens en est totalement déterminé.
III. Sens actif, sens passif. Un mot est employé
dans un sens actif, quandle sujet auquel il se rapporte,
est envisagé comme le principe de l'action énoncée
par ce mot; il est employé dans le sens passif, quand
le sujet auquel il a rapport, est consideré comme le
terme de l'impression produite par l'action que ce
mot énonce: par exemple les mots aide & secours
sont pris dans un sens actif, quand on dit, mon aide,
ou mon secours vous est inutile; car c'est comme si
l'on disoit, l'aide, ou le secours que je vous donnerois,
vous est inutile: mais ces mêmes mots sont dans un
sens passif, si l'on dit, accourez à mon aide, venez à mon
secours; car ces mots marquent alors l'aide ou le
secours que l'on me donnera, dont je suis le terme &
non pas le principe. (Voyez Vaugelas, Rem. 541.)
Cet enfant se gate, pour dire qu'il tache ses hardes,
est une phrase où les deux mots se gáte, ont le sens
actif, parce que l'enfant auquel ils se rapportent, est
envisagé comme principe de l'action de gâter: cette
robe se gate, est une autre phrase où les deux mêmes
mots ont le sens passif, parce que la robe à laquelle
ils ont rapport, est considerée comme le terme de
l'impression produite par l'action de gâter. Voyez
Passif.
« Simon, dans l'Andrienne, (I. ij. 17.) rappelle à
Sosie les bienfaits dont il l'a comblé: me remettre
ainsi vos bienfaits devant les yeux, lui dit Sosie,
c'est me reprocher que je les ai oubliés; (isthaec commemoratio
quasi exprobratio est immemoris beneficii.
) Les interprètes, d'accord entr'eux pour le
fond de la pensée, ne le sont pas pour le sens d'immemoris: se doit - il prendre dans un sens actif, ou
dans un sens passif? Made. Dacier dit que ce mot
peut être expliqué des deux manieres: exprobratio
mei immemoris, & alors immemoris est actif; ou
bien, exprobratio beneficii immemoris,le reproche
d'un bienfait oublié, & alors immemoris est passif.
Selon cette explication, quand immemor veut dire
celui qui oublie, il est pris dans un sens actif; aulieu
que quand il signifie ce qui est oublié, il est
dans un sens passif, du moins par rapport à notre
maniere de traduire littéralement.»
(Voyez M.
du Marsais, Trop. part. III. art. iij.) Ciceron a dit,
dans le sens actif, adeonè immemor rerum à me gestarum
esse videor; & Tacite a dit bien décidément dans
le sens passif, immemor beneficium. C'est la même chose
du mot opposé memor. Plaute l'emploie dans le sens
actif, quand il dit fac sis promissi memor; (Pseud.)
& memorem mones, (Capt.) au contraire, Horace
l'emploie dans le sens passif, lorsqu'il dit:
Impressit memorem dente labris notam.
I. Od. 13.
M. du Marsais, (Loc. cit.) tire de ce double sens
de ces mots, une conséquence que je ne crois point
juste; c'est qu'en latin ils seroient dans un sens neutre.
Il me semble que cet habile grammairien oublie
ici la signification du mot de neutre, c'est - à - dire, selon
lui - même, ni actif ni passif: or on ne peut pas
dire qu'un mot qui peut se prendre alternativement
dans un sens actif & dans un sens passif, ait un sens
neutre, de même qu'on ne peut pas dire qu'un nom
comme finis, tantôt masculin & tantôt féminin, soit
[p. 19]
du genre neutre. Il faut dire que dans telle phrase, le
mot a un sens actif; dans telle antre, un sens passif,
& qu'en lui - même il est susceptible des deux sens,
(utriusque & non pas neutrius.) C'est peut - être alors
qu'il faut dire que le sens en est par lui - même indéterminé,
& qu'il devient déterminé par l'usage que
l'on en sait.
D'après les notions que j'ai données du sens actif
& du sens passif, si l'on vouloit reconnoître un sens
neutre, il faudroit l'attribuer à un mot essentiellement
actif, dont le sujet ne seroit envisagé ni comme
principe, ni comme terme de l'action énoncée par ce
mot: or cela est absolument impossible, parce que
tout sujet auquel se rapporte une action, en est nécessairement
le principe ou le terme.
Une des causes qui a jetté M. du Marsais dans cette
méprise, c'est qu'il a confondu sens & signification;
ce qui est pourtant fort différent: tout mot pris dans
une acception formelle, a une signification active, ou
passive, ou neutre, selon qu'il exprime une action,
une passion, ou quelque chose qui n'est ni action,
ni passion; mais il a cette signification par lui - même,
& indépendamment des circonstances des phrases:
au lieu que les mots susceptibles du sens actif, ou du
sens passif, ne le sont qu'en vertu des circonstances
de la phrase, hors de - là, ils sont indéterminés à cet
égard.
IV. Sens absolu, sens relatif. J'en ai parlé ailleurs,
& je n'ai rien à en dire de plus. V. Relatif,
art. II.
V. Sens collectif, sens distributif. Ceci ne peut
regarder que les mots pris dans une acception universelle: or il faut distinguer deux sortes d'universalité,
l'une métaphysique, & l'autre morale. L'universalité est métaphysique quand elle est sans exception,
comme tout homme est mortel. L'universalité est morale,
quand elle est susceptible de quelques exceptions,
comme tout vieillard loue le tems passé.
C'est donc à l'égard des mots pris dans une acception
universelle, qu'il y a sens collectif, ou sens distributif.
Ils sont dans un sens collectif, quand ils énoncent
la totalité des individus, simplement comme totalité:
ils sont dans un sens distributif, quand on y envisage
chacun des individus séparément. Parexemple, quand
on dit en France que les éveques jugent infailliblement
en matiere de foi, le nom évêques y est pris seulement
dans le sens collectif, parce que la proposition
n'est vraie que du corps épiscopal, & non pas de
chaque évêque en particulier, ce qui est le sens distributif.
Lorsque l'universalité est morale, il n'y a
de même que le sens collectif qui puisse être regardé
comme vrai; le sens distributif y est nécessairement
faux à cause des exceptions: ainsi dans cette
proposition, tout vieillard loue le tems passé, il
n'y a de vrai que le sens collectif, parce que cela est
assez généralement vrai, ut plurimùm; le sens distributif
en est faux, parce qu'il se trouve des vieillards
équitables qui ne louent que ce qui mérite d'être
loué. Lorsque l'universalité est métaphysique, &
qu'elle n'indique pas individuellement la totalité, il
y a vérité dans le sens collectif & dans le sens distributif,
parce que l'énoncé est vrai de tous & de chacun
des individus; comme tout homme est mortel.
VI. Sens composé, sens divisé. Je vais transcrire
ici ce qu'en a dit M. du Marsais, Trop. part. III.
art. viij.
« Quand l'évangile dit, Mat. xj. 5. les aveugles voyent, les Boiteux marchent, ces termes,
les aveugles, les boiteux, se prennent en cette occasion
dans le sens divisé; c'est - à - dire, que ce mot
aveugles se dit là de ceux qui étoient aveugles &
qui ne le sont plus; ils sont divisés, pour ainsi
dire, de leur aveuglement; car les aveugles, en
tant qu'aveugles (ce qui seroit le sens composé),
ne voyent pas.
L'évangile, Mat. xxvj. 6. parle d'un certain
Simon appellé le lépreux, parce qu'il l'avoit été;
c'est le sens divisé.
Ainsi quand S. Paul a'dit, I. Cor. vj. 9. que les
idolatres n'entrerom point dans le royaume des
cieux, il a parlé des idolatres dans le sens composé,
c'est - à - dire, de ceux qui demeureront dans l'idolâtrie.
Les idolâtres, en tant qu'idolâtres, n'entreront
pas dans le royaume des cieux; c'est le sens
composé: mais les idolâtres qui auront quitté l'idolâtrie,
& qui auront fait pénitence, entreront
dans le royaume des cieux; c'est le sens divisé.
Apelle ayant exposé, selon sa coutume, un tableau
à la critique du public, un cordonnier censura
la chaussure d'une figure de ce tableau: Apelle
réforma ce que le cordonnier avoit blâmé. Mais le
lendemain le cordonnier ayant trouvé à redire à
une jambe, Apelle lui dit qu'un cordonnier ne
devoit juger que de la chaussure; d'où est venu le
proverbe, ne sutor ultrà crepidam, suppléez judicet.
La récusation qu'Apelle fit de ce cordonnier, étoit
plus piquante que raisonnable: un cordonnier, en
tant que cordonnier, ne doit juger que de ce qui
est de son mésier; mais si ce cordonnier a d'autres
lumieres, il ne doit point être récusé, par cela seul
qu'il est cordonnier: en tant que cordonnier, (ce
qui est le sens composé), il juge si un soulier est bien
fait & bien peint; & en tant qu'il a des connoissances
supérieures à son métier, il est juge compétent
sur d'autres points; il juge alors dans le sens divisé,
par rapport à son métier de cordonnier.
Ovide parlant du sacrifice d'Iphigénie, Met. xij.
29. dit que l'intérêt public triompha de la tendresse
paternelle, [& que] le roi vainquit le pere: postquam pietatem publica causa, rex que patrem vicit.
Ces dernieres paroles sont dans un sens divisé.
Agamemnon se regardant comme roi, étouffe les
sentimens qu'il ressent comme pere.
Dans le sens composé, un mot conserve sa signification à tous égards, & cette signification entre
dans la composition du sens de toute la phrase: au
lieu que dans le sens divisé, ce n'est qu'en un certain
sens, & avec restriction, qu'un mot conserve
son ancienne signification».
VII. Sens littéral, sens spirituel. C'est encore
M. du Marsais qui va parler. Ibid. art. ix.
« Le sens littéral est celui que les mots excitent
d'abord dans l'esprit de ceux qui entendent une
langue; c'est le sens qui se présente naturellement
à l'esprit. Entendre une expression littéralement,
c'est la prendre au pié de la lettre. Quoe dict a sunt
secundùm litteram accipere, id est, non aliter intelligere
quàm littera sonat; Aug. Gen. ad. litt. lib.
VIII. c. ij. tom. III. C'est le sens que les paroles
signifient immédiatement, is quem verba immediatè
significant.
Le sens spirituel est celui que le sens littéral renferme;
il est enté, pour ainsi dire, sur le sens littéral;
c'est celui que les choses signifiées par le
sens littéral font naître dans l'esprit. Ainsi dans les
paraboles, dans les fables, dans les allégories, il
y a d'abord un sens littéral: on dit, par exemple,
qu'un loup & un agneau vinrent boire à un
même ruisseau; que le loup ayant cherché querelle
à l'agneau, il le dévora. Si vous vous attachez simplement
à la lettre, vous ne verrez dans ces paroles
qu'une simple avanture arrivée à deux animaux: mais cette narration a un autre objet, on a
dessein de vous faire voir que les foibles sont quelquefois
opprimés par ceux qui sont plus puissans:
& voilà le sens spirituel, qui est toujours fondé sur
le sens littéral ».
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the
French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et
Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the
Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division
of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic
Text Services (ETS) of the University of Chicago.
PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.