ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"840"> Et comment les modernes pourroient - ils entrer en concurrence? Les honneurs, les distinctions, les encouragemens, les recompenses, tout manque à leur zèle, & à leurs travaux; la nature qu'ils copient est sans sentiment & sans action; ils ne peuvent s'exercer que sur des hommes qui n'ayant fait que des exercices de force, n'ont jamais connu les situations délicates ou nobles qui dans leur état eussent paru ridicules. Inutilement voudroit - on donner à de simples artisans, dans le tems qu'on les dessine, la position d'un héros; on n'en fera jamais que des personnages maussades, & dont l'air sera décontenancé; un pâtre revêtu des habits d'un courtisan, ne peut déguiser l'éducation de son village; mais les Grecs qui copioient la belle nature, habitués à l'émotion & à la noblesse, purent donner à leurs ouvrages une vérité, une force d'expression, que les modernes ne sauroient attraper; ces derniers ont rarement répandu de la physionomie dans toutes les parties de leurs figures, souvent même ils ne paroissent avoir cherché l'expression que dans les traits du visage; alors afin que cette expression fût plus frappante, ils n'ont pas craint quelquefois de passer la nature, & de la rendre horrible; les anciens savoient bien mieux se retenir dans la vérité de l'imitation. Le Laocoon, le Gladiateur, le Rotateur dont nous avons parlé, nous intéressent; mais ils n'ont rien d'outré ni de forcé.

Cependant la sculpture moderne a été poussée fort loin, elle a découvert l'art de jetter en fonte les statues de bronze, elle ne cede en rien à la sculpture antique pour les bas reliefs, & elle l'a surpassé dans l'imitation de quelques animaux, s'il est permis d'appuyer ce jugement sur des exemples particuliers. A considérer les chevaux de Marc - Aurele, ceux de Monte - Cavallo, les préendus chevaux de Lysippe qui se trouvent sur le portail de l'église de S. Marc à Venise, le boeuf de Farnèse, & les autres animaux du même grouppe, il paroîtroit que les anciens n'ont point connu comme nous, les animaux des autres climats, qui étoient d'une plus belle espece que les leurs. Quelqu'un pourroit encore imaginer qu'il semble par les chevaux qui sont à Venise, & par d'anciennes médailles, que les artistes de l'antiquité n'ont pas observé dans les chevaux, le mouvement diamétral des jambes; mais il faut bien se garder de décider sur de si légeres apparences.

Encore moins faut - il se persuader que les Grecs ayent négligé de représenter les plis & les mouvemens de la peau dans les endroits où elle s'étend, & se replie selon le mouvement des membres; il est vrai que le sentiment des plis de la peau, de la mollesse des chairs, & de la fluidité du sang, est supérieurement rendue dans les ouvrages du Puget; mais ces vérités se trouvent - elles moins éminemment exprimées dans le Gladiateur, le Laocoon, la Vénus de Médicis? &c. Je suis aussi touché que personne de l'Andromède, mais combien l'étoit on dans l'antiquité des ouvrages de Polyclete? Ne sait - on pas que sa statue du jeune homme couronné, étoit si belle pour l'expression des chairs, qu'elle fut achetée environ vingt mille louis? ce seroit donc une espece de délire, de contester aux Grecs la préeminence qui leur est encore due à cet égard; il n'y a que la médiocrité qui s'avise de calculer à l'insçu du génie.

L'Europe est trop heureuse que la ruine de l'empire grec y ait fait refluer le peu de connoissances dans les arts, qui restoient encore au monde. La magnificence des Médicis, & le goût de Léon X, les fit renaître.

La richesse des attitudes, la délicatesse des contours, l'élégance des ondulations, avoient été totalement oubliées pendant plusieurs siecles. Les Goths n'avoient sçu donner à leurs figures ni grace ni mou<cb-> vement; ils imaginoient que des lignes droites & des angles aigus, formoient l'art de la sculpture; & c'est ainsi qu'ils rendoient les traits du visage, les corps & les bras; leurs statues portoient des écriteaux qui leur sortoient de la bouche, & où on pouvoit lire les noms & les attributs des représentations qui n'avoient rien de ressemblant. Les modernes reconnurent ces ridicules extravagances, & se rapprocherent sagement de l'antique.

Michel Ange r'ouvrit en Italie les merveilles de la sculpture, & le Goujonimita ses traces; il a été suivi par Sarrasin, le Puget, Girardon, Coysevox, Coustou, le Gros, &c. qui ont élevé cet art dans la France, à une superiorité glorieuse pour la nation; vous trouverez leurs articles au mot Sculpteurs modernes.

Jene veux point prévoir la chute prochaine de cet art parmi nous; mais selon toute apparence, il n'y regnera pas aussi long - tems que chez les Grecs, à la religion desquels il tenoit essentiellement.

Ne voyons - nous pas déja la dégénération bien marquée de notre peinture? Or comme je l'ai dit, la peinture & la sculpture sont deux soeurs à peu près du même âge, extrémement liées ensemble, & qui subsistent des mêmes alimens, honneurs, recompenses, distinctions, dont la mode ne doit pas être l'origine.

La sculpture tombera nécessairement chez tous les peuples qui ne tourneront pas ses productions à la perpétuité de leur gloire, & qui n'associeront ni leurs noms, ni leurs actions, aux travaux des habiles artistes.

Enfin plusieurs raisons, qu'il n'est pas nécessaire de détailler, nous annoncent que la sculpture seroit déja fannée dans ce royaume, sans les soins continuels du prince qui la soutient par de grands ouvrages auxquels il l'occupe continuellement. (Le chevaller de Jaucourt.)

Sculpture en Bronze (Page 14:840)

Sculpture en Bronze, (Hist. des beaux Arts ant q.) Nous ne traiterons ici que l'historique; les opérations de l'art ont été savamment exposées au mot Bronze.

Les ouvrages des Grecs, en bronze, étoient également recommandables par l'élégance de leur travail & la magnificence de leur volume. Il ne faut pas s'en étonner, ce genre de monument avoit pour objet la religion, la récompense du mérite, une gloire noble & bien placée.

La pratique de leurs opérations nous est inconnue. Pline n'en a pas parlé. Il n'a décrit ni les fourneaux des sculpteurs, ni leur maniere de fondre, ni l'alliage des matieres qu'ils fondoient. Nos artistes doivent regarder le silence de cet historien en ce genre, comme une perte dans les Arts, parce qu'on auroit pu tirer un grand profit des différences de leur pratique, & des lumieres qu'ils avoient acquises par une manoeuvre juste, & qu'ils ont si constamment répétée. On doit moins regretter de n'être pas instruit du mélange de leur matiere; ce mélange a toujours été assez arbitraire, c'est - à - dire, dépendant de la volonté & de l'habitude des fondeurs. De plus, ce qui est assez rare dans la nature, on peut faire des expériences de ce mélange en petit, & elles sont toujours certaines & utiles dans le grand.

Le nombre des statues de toute grandeur, que les anciens ont faites en bronze, est presque incroyable. Les temples, les places publiques, les maisons des particuliers en étoient chargées: mais l'on ne peut s'empêcher de se récrier sur les entreprises grandes & hardies qu'ils ont exécutées dans cette opération de l'art. Nous voyons, dit Pline, des masses de statues, auxquelles on donne le nom de colosses, & qui ressemblent à des tours. Tel étoit l'Apollon placé dans le capitole, & que Lucullus avoit apporté [p. 841] d'Apollonie de Thrace. Ce colosse dont la hauteur étoit de trente coudées (45 piés) avoit couté cinq cens talens, (environ deux millions trois cens cinquante mille livres de notre monnoie.) Telle étoit la statue colossale de Jupiter que l'empereur Claude avoit consacrée dans le champ de Mars; & tel le Jupiter que Lysippe fit à Tarente, qui avoit quarante coudées de haut.

Mais un nombre presque infini d'artistes s'illustrerent par la prodigieuse quantité de petites statues de fonte & de bronze qu'ils produisirent, les unes grandes comme nature, & d'autres seulement d'un ou deux piés. On en est convaincu par la quantité de petits bronzes, qui subsistent encore. Il est vrai que les bronzes grecs sont rares, & que nous n'en connoissons guere que de romains; mais nous ne pouvons douter que Rome n'ait toujours été le singe de la Grece. La seule flotte de Mummius transporta de Corinthe à Rome trois mille statues de marbre ou de bronze, dont vraissemblablement la plus grande partie étoit ce que nous appellons des bronzes au - dessus & au - dessous d'un pié.

Les Grecs étoient dans l'usage de couvrir leurs bronzes avec du bitume ou de la poix. Ils ne pouvoient prendre cette précaution que pour les conserver, & leur donner l'éclat & le brillant qu'ils aimoient. Pline est étonné que les Romains ayent préféré la dorure à cet usage; & en cela il parle non - seulement en philosophe ennemi du luxe, mais en homme de goût, & au fait des Arts. La dorure a plusieurs inconvéniens, dont le principal sur - tout quand on dore une statue qui n'a point été faite pour être dorée, est de l'empêcher de s'éclairer selon la pensée & l'intention de l'auteur. Quant à la poix dont les anciens couvroient leurs bronzes, nous n'avons rien à desirer; les fumées & les préparations de nos artistes sont d'autant préférables, qu'elles ont moins d'épaisseur.

Il paroît par Pline, que la premiere statue de bronze que l'on ait fondue à Rome, fut une Cérès consacrée par Spurius Cassius, qui fut tué par son propre pere pour avoir aspiré à la royauté. Les statues de Romulus, que l'on voyoit dans le capitole, & des rois prédécesseurs de Tarquin, avoient été fondues ailleurs, & transportées ensuite à Rome. Cependant, quoique l'usage de la fonte fût très - ancien en Italie, elle continua de former ses dieux de terre ou de bois jusqu'à la conquête de l'Asie. Toutes ces observations sont de M. de Caylus: je les ai puisées dans ses Dissertations sur Pline, dont il a enrichi les mémoires de Littérature. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Sculpture en Marbre (Page 14:841)

Sculpture en Marbre; c'est l'art de tirer & de faire sortir d'un bloc de marbre une statue, un grouppe de figures, un portrait, en coupant, taillant & ôtant le marbre.

Lorsqu'un sculpteur statuaire veut exécuter une statue, un grouppe de figures, ou autre sujet en marbre, il commence par modeler, soit en terre, soit en cire, une ou plusieurs esquisses, voyez Modele & Esquisses de son sujet, pour tâcher de déterminer, dès ces foibles commencemens ses attitudes, & s'assurer de sa composition. Lorsqu'il est satisfait, & qu'il veut s'arrêter à une de ses esquisses, il en examine toutes les proportions. Mais comme dans ces premiers projets il se trouve beaucoup plus d'esprit & de feu que de correction; il est indispensablement obligé de faire un modele plus grand & plus fini, dont il fait les études. Voyez Etudes d'après le naturel. Ce deuxieme modele achevé, il le fait monter & tirer en plâtre, pour le conduire à faire un troisieme modele, qu'il fait à l'aide de l'échelle de proportion ou pié réduit, de la même grandeur & proportion qu'il veut exécuter son sujet en marbre. C'est alors qu'il redouble ses attentions, qu'il examine & qu'il recherche avec soin toute la correction, la finesse, la pureté & l'élégance des contours. Il fait encore mouler en plâtre ce troisieme modele afin de le conserver dans sa grandeur & dans sa proportion. Car s'il se contentoit de son modele en terre, il ne retrouveroit plus ses mesures, parce que la terre en se séchant se concentre & se retire, ce qui le jetteroit dans un extrême embarras. Pour déterminer la base du bloc de marbre, il fait faire un lit sous la plinte du bloc, voyez Lit sous la plinte , & ce lit lui sert de base générale pour diriger toutes ses mesures & tirer toutes ses lignes. Alors il donne sur le bloc de marbre les premiers coups de crayon, puis il le fait épanneler, Voyez Epanneler. Ensuite il fait élever à même hauteur le modele & le bloc de marbre, chacun sur une selle semblable & proche l'une de l'autre à sa discrétion, voyez Selle. Quand le modele & le bloc de marbre sont placés à propos, l'on pose horisontalement sur la tête de l'un & de l'autre des chassis de menuiserie, quarrés & égaux, & qui reviennent juste en mesure avec ceux qui portent les bases ou les plintes des figures, voyez les Planches & les fig. de la Sculpture. L'on a de grandes regles de bois qui portent avec elles plusieurs morceaux de bois armés d'une pointe de fer qui parcourent à volonté tout le long de la regle, & que l'on fixe néanmoins où l'on veut avec des vis: c'est l'effet du trusquin, voyez Trusquin. Ces regles se posent perpendiculairement contre les chassis qui sont au - dessus & au - dessous du modele pour y prendre des mesures & les rapporter sur le bloc de marbre, en les posant sur les chassis dans la même direction où elles ont été posées sur ceux du modele. C'est avec ces regles qu'on pourroit mieux appeller compas, à cause de leur effet, que l'artiste marque & établit tous les points de direction de son ouvrage, ce qu'il ne pourroit pas faire avec les compas ordinaires, dont on ne sauroit introduire les pointes dans les fonds & cavités dont il faut rapporter les mesures. Il est manifeste que cette opération se réitere sur les quatre faces du bloc de marbre & du modele autant de fois que le besoin le requiert: car la figure étant isolée, demande à être travaillée avec le même soin dans toutes ses faces.

L'artiste ayant trouvé & établi des points de direction, qu'il a posés à son gré sur les parties les plus saillantes de son ouvrage, comme sont les bras, les jambes, les draperies & autres attributs; il retrace de nouveau les masses ou sommes de la figure du sujet, & fait jetter à - bas les superfluités du marbre jusqu'au gros de la superficie, par des ouvriers ou éleves, se reposant sur eux de ce pénible travail, mais ayant toujours les yeux sur l'ouvrage, de crainte que ces foibles ouvriers n'atteignent les véritables nus & points du sujet. Il doit aussi leur faire faire attention à ne travailler que sur le fort du marbre, cela s'entend, en ce que les outils & les coups de masse soient toujours dirigés vers le centre du bloc. Autrement ils courroient risque d'étonner & d'éliter quelques parties du marbre qui n'est presque jamais également sain, étant souvent composé de parties poufes & de parties fieres. Voyez Pouf & Fier.

Les outils dont on se sert pour cette ébauche, sont la masse, les pointes, les doubles pointes, la marteline & la gradive, avec lesquels, en ôtant le superflu petit - à - petit, on voit sortir le sujet. Alors l'artiste suit de près l'approche de la figure, avec le ciseau & tous les autres outils qui lui sont nécessaires; & il ne la quitte plus qu'il ne l'ait terminée au plus haut point de perfection qu'il est capable de lui donner.

De quelque outil qu'il se serve, soit marteline,

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