ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"834"> & en toute espece qu'on a vû en France sous le regne de Louis XIV. ils ont même laissé des éleves qui marchent sur leurs traces; tels sont MM. Adam, Bouchardon, Falconet, le Moine, Pigal, Sloots, Vassé, &c. Leurs ouvrages feront leur éloge, & seront peut - être les derniers soupirs de notre sculpture.

Tous les articles des sculpteurs modernes sont de M. le Chevalier de Jaucourt.

SCULPTURE (Page 14:834)

SCULPTURE, s. f. (Beaux - Arts.) On définit la Sculpture un art qui par le moyen du dessein & de la matiere solide, imite avec le ciseau les objets palpables de la nature. Pour traiter ce sujet avec un peu de méthode, nous considérerons séparément la sculpture antique & la sculpture moderne; mais avant que de parler de l'une & de l'autre, nous croyons devoir transcrire ici une partie des réflexions de M. Etienne Falconet sur la Sculpture en général: il les a mises au jour tout récemment; & comme il a déclaré qu'elles étoient destinées pour l'Encyclopédie, nous allons remplir l'intention de cet habile artiste, & le laisser parler lui - même.

La Sculpture, dit - il, ainsi que l'Histoire, est le dépôt le plus durable des vertus des hommes & de leurs foiblesses. Si nous avons dans la statue de Vénus l'objet d'un culte dissolu, nous avons dans celle de Marc - Aurele un monument célebre des hommages rendus à un bienfaiteur de l'humanité.

Cet art, en nous montrant les vices déisiés, rend encore plus frappantes les horreurs que nous transmet l'Histoire; pendant que d'un autre côté les traits précieux qui nous restent de ces hommes rares, qui auroient dû vivre autant que leurs statues, raniment en nous ce sentiment d'une noble émulation, qui porte l'ame aux vertus qui les ont préservés de l'oubli. César voit la statue d'Alexandre, il tombe dans une profonde réverie, laisse échapper des larmes & s'écrie: « Quel fut ton bonheur! A l'âge que j'ai, tu avois déja soumis une partie de sa terre, & moi je n'ai encore rien fait pour ma propre gloire ». Il n'en fit que trop pour l'ensevelir sous les ruines de sa patrie.

Le but le plus digne de la Sculpture, en l'envisageant du côté moral, est donc de perpétuer la mémoire des hommes illustres, & de donner des modeles de vertu d'autant plus efficaces, que ceux qui les pratiquoient ne peuvent plus être les objets de l'envie. Nous avons le portrait de Socrate, & nous le vénérons. Qui sait si nous aurions le courage d'aimer Socrate vivant parmi nous?

La Sculpture a un autre objet, moins utile en apparence; c'est lorsqu'elle traite des sujets de simple décoration ou d'agrément; mais alors elle n'en est pas moins propre à porter l'ame au bien ou au mal. Quelquefois elle n'excitera que des sensations indifférentes. Un sculpteur, ainsi qu'un écrivain, est donc louable ou repréhensible, selon que les sujets qu'il traite sont honnêtes ou licencieux.

En se proposant l'imitation des surfaces du corps humain, la Sculpture ne doit pas s'en tenir à une ressemblance froide; cette sorte de vérité, quoique bien rendue, ne pourroit exciter par son exactitude qu'une louange aussi froide que la ressemblance; & l'ame du spectateur ne seroit point émue. C'est la nature vivante, animée, passionnée, que le sculpteur doit exprimer sur le marbre, le bronze, la pierre, &c.

Tout ce qui est pour le sculpteur un objet d'imitation, doit lui être un sujet continuel d'étude; cette étude éclairée par le génie, conduite par le goût & la raison, exécutée avec précision, encouragée par l'attention bienfaisante des souverains, & par les conseils & les éloges des grands artistes, produira des chef - d'oeuvres semblables à ces monumens précieux qui ont triomphé de la barbarie des siecles. Ainsi les sculpteurs qui ne s'en tiendront pas à un tri<cb-> but de louanges, d'ailleurs si légitimement dû es à ces ouvrages sublimes, mais qui les étudieront profon dément, qui les prendront pour regle de leurs productions, acquerront cette supériorité que nous admirons dans les statues grecques.

Non - seulement les belles statues de l'antiquité seront notre aliment, mais encore toutes les productions du génie, quelles qu'elles soient. La lecture d'Homere, ce peintre sublime, élevera l'ame de l'artiste, & lui fournira des images de grandeur & de majesté.

Ce que le génie du sculpteur peut créer de plus noble & de plus sublime, ne doit être que l'expression des rapports possibles de la nature, de ses essets, de ses jeux, de ses hasards: c'est - à - dire que le beau, même idéal, en Sculpture comme en Peinture, doit être un résumé du beau réel de la nature. Il existe un beau essentiel, mais épars dans les différentes parties de l'univers. Sentir, assembler, rapprocher, choisir, supposer même diverses parties de ce beau, soit dans le caractere d'une figure, comme l'Apollon, soit dans l'ordonnance d'une composition, comme ces hardiesses de Lanfranc, du Correge, & de Rubens; c'est montrer dans l'art ce beau idéal qui a son principe dans la nature.

La Sculpture est sur - tout ennemie de ces attitudes forcées que la nature desavoue, & que quelques artistes ont employées sans nécessité, & seulement pour montrer qu'ils savoient se jouer du dessein. Elle l'est également de ces draperies dont toute la richesse est dans les ornemens superflus d'un bisarre arrangement de plis. Enfin, elle est ennemie des contrastes trop recherchés dans la composition, ainsi que dans la distribution affectée des ombres & des lumieres. En vain prétendroit - on que c'est la machine; au fond ce n'est que du désordre, & une cause certaine de l'embarras du spectateur, & du peu d'action de l'ouvrage sur son ame: plus les efforts que l'on fait pour nous émouvoir sont à découvert, moins nous sommes émus; d'où il faut conclure que moins l'artiste emploie de moyens à produire un effet, plus il a de mérite à le produire, & plus le spectateur se livre volontiers à l'impression qu'on a cherché à faire sur lui. C'est par la simplicité de ces moyens que les chef d'oeuvres de la Grece ont été créés, comme pour servir éternellement de modeles aux artistes.

La Sculpture embrasse moins d'objets que la Peinture; mais ceux qu'elle se propose, & qui sont communs aux deux arts, sont des plus difficiles à représenter: savoir l'expression, la science des contours, l'art pénible de draper & de distinguer les différentes especes des étoffes.

La Sculpture a des difficultés qui lui sont particulieres. 1°. Un sculpteur n'est dispensé d'aucune partie de son étude à la faveur des ombres, des fuyans, des tournans, & des raccourcis. 2°. S'il a bien composé & bien rendu une vûe de son ouvrage, il n'a satisfait qu'à une partie de son opération, puisque cet ouvrage peut avoir autant de points de vûe qu'il y a de points dans l'espace qui l'environne. 3°. Un sculpteur doit avoir l'imagination aussi forte qu'un peintre, je ne dis pas aussi abondante; il lui faut de plus une ténacité dans le génie, qui le mette au - dessus du dégoût causé par le méchanisme, la fatigue, & la lenteur de ses opérations. Le génie ne s'acquiert point, il se développe, s'étend & se fortifie par l'exercice. Un sculpteur exerce le sien moins souvent qu'un peintre; difficulté de plus, puisque dans un ouvrage de sculpture il doit y avoir du génie comme dans un ouvrage de peinture. 4°. Le sculpteur étant privé du charme séduisant de la couleur, quelle intelligence ne doit - il pas y avoir dans ses moyens pour attirer l'attention? Pour la fixer, quelle précision, [p. 835] quelle vérité, quel choix d'expression ne doit - il pas mettre dans ses ouvrages?

On doit donc exiger d'un sculpteur non - seulement l'intérêt qui résulte du tout ensemble, mais encore celui de chacune des parties de cet ensemble; l'ouvrage du sculpteur n'étant le plus souvent composé que d'une seule figure, dans laquelle il ne lui est pas possible de réunir les différentes causes qui produisent l'intérêt dans un tableau. La Peinture, indépendamment de la variété des couleurs, intéresse par les différens grouppes, les attributs, les ornemens, les expressions de plusieurs personnages qui concourent au sujet. Elle intéresse par les fonds, par le lieu de la scene, par l'effet général: en un mot elle impose par la totalité. Mais le sculpteur n'a le plus souvent qu'un mot à dire; il faut que ce mot soit sublime. C'est parlà qu'il fera mouvoir les ressorts de l'ame, à - proportion qu'elle sera sensible, & que le sculpteur aura approché du but.

Ce n'est pas que de très - habiles sculpteurs n'aient emprunté les secours dont la Peinture tire avantage par le coloris: Rome & Paris en fournissent des exemples. Sans doute que des matériaux de diverses couleurs employés avec intelligence, produiroient quelques effets pittoresques; mais distribués sans harmonie, cet assemblage rend la Sculpture désagréable, & même choquante. Le brillant de la dorure, la rencontre brusque des couleurs discordantes de différens marbres, éblouira l'oeil d'une populace toujours subjuguée par le clinquant; & l'homme de goût sera révolté. Le plus certain seroit de n'employer l'or, le bronze, & les différens marbres, qu'à titre de décoration, & ne pas ôter à la sculpture proprement dite son vrai caractere, pour ne lui en donner qu'un faux, ou pour le moins toujours équivoque. Ainsi, en demeurant dans les bornes qui lui sont prescrites, la sculpture ne perdra aucun de ses avantages, ce qui lui arriveroit certainement si elle vouleit employer tous ceux de la peinture. Chacun de ces arts a ses moyens d'imitation; la couleur n'en est point un pour la sculpture.

Mais si ce moyen qui appartient proprement à la peinture, est pour elle un avantage, combien de difficultés n'a - t - elle pas qui sont entierement étrangeres à la sculpture? Cette facilité de produire l'illusion par le coloris, est elle - même une très - grande difficulté; la rareté de ce talent ne le prouve que trop. Autant d'objets que le peintre a de plus que le sculpteur à représenter, autant d'études particulieres. L'imitation vraie des ciels, des eaux, des paysages, des différens instans du jour, des effets variés de la lumiere, & la loi de n'éclairer un tableau que par le seul soleil, exigent des connoissances & des travaux nécessaires au peintre, dont le sculpteur est entierement dispensé. Ce ne seroit pas connoître ces deux arts, si on ôtoit leurs rapports. Ce seroit une erreur, si on donnoit quelque préférence à l'un aux dépens de l'autre, à cause de leurs difficultés particulieres.

La peinture est encore agréable, même lorsqu'elle est dépourvue de l'enthousiasme & du génie qui la caractérise; mais sans l'appui de ces deux bases, les productions de la sculpture sont insipides. Que le génie les inspire également, rien n'empêchera qu'elles ne soient dans la plus intime union, malgré les différences qu'il y a dans quelques - unes de leurs marches; si ces arts ne sont pas semblables en tout, il y a toujours la ressemblance de famille.

Facies non omnibus una, Nec diversa tamen, qualem decet esse sororum. Ovid. Met. l. II.

Appuyons donc là - dessus: c'est l'intérèt des arts. Appuyons - y encore, pour éclairer ceux qui en jugent, sans en connoitre les principes: ce qui arrive assez souvent même à des esprits du premier ordre.

Si par une erreur, dont on voit heureusement peu d'exemples, un sculpteur alloit prendre pour de l'enthousiasme & du génie, cette fougue déraisonnée qui emportoit le Boromini, qu'il soit persuadé que de pareils écarts, bien loin d'embellir les - objets, les éloignent du vrai, & ne servent qu'à représenter les désordres de l'imagination. Quoique cet artiste ne fût pas sculpteur, il peut être cité commeun exemple dangereux, parce que le même esprit qui conduit l'architecte, conduit aussi le peintre & le sculpteur. L'artiste dont les moyens sont simples, est à découvert; il s'expose à être jugé d'autant plus aisément, qu'il n'emploie aucun vain prestige pour échapper à l'examen, & souvent masquer ainsi sa non - valeur. N'appellons donc point beautés dans quelque ouvrage que ce soit, ce qui ne feroit qu'éblouir les yeux, & tendroit à corrompre le goût. Ce gout si vanté avec raison dans les productions de l'esprit humain, n'est que le résultat de ce qu'opere le bon sens sur nos idées: trop vives, il sait les réduire, leur donner un frein: trop languissantes, il sait les animer. C'est à cet heureux tempérament que la sculpture, a nsi que tous les arts inventés pour plaire, doit ses vraies beautés, les seules durables.

Comme la sculpture comporte la plus rigide exactitude, un dessein négligé y seroit moins supportable que dans la peinture. Ce n'est pas à dire que Raphael & le Dominiquain n'aient été de très - corrects & savans dessinateurs, & que tous les grands peintres ne regardent cette partie comme essentielle à l'art; mais à la rigueur, un tableau où elle ne domineroit pas, pourroit intéresser par d'autres beautés. La preuve en est dans quelques femmes peintes par Rubens, qui malgré le caractere flamand & incorrect, séduiront toujours par le charme du coloris. Exécutez - les en sculpture sur le même caractere du dessein, le charme sera considérablement diminué, s'il n'est entierement détruit. L'essai seroit bien pire sur quelques figures de Rimbrand.

Pourquoi est - il encore moins permis au sculpteur qu'au peintre de négliger quelques - unes des parties de son art? Cela tient peut - être à trois considérations: au tems que l'artiste donne à son ouvrage; nous ne pouvons supporter qu'un homme ait employé de longues années à faire une chose commune: au prix de la matiere employée: quelle comparaison d'un morceau de toile à un bloc de marbre! à la durée de l'ouvrage, tout ce qui est autour du marbre s'anéantit; mais le marbre reste. Brisées même, ses pieces portent encore aux siecles à venir de quoi louer ou blâmer.

Après avoir indiqué l'objet & le caractere général de la sculpture, on doit la considérer encore comme soumise à des lois particulieres qui doivent être connues de l'artiste, pour ne pas les enfreindre, ni les étendre au - delà de leurs limites.

Ce seroit trop étendre ces lois, si on disoit que la sculpture ne peut se livrer à l'essor dans ses compositions, par la contrainte où elle est de se soumettre aux dimensions d'un bloc de marbre. Il ne faut que voir le Gladiateur & l'Atalante: ces figures grecques prouvent assez que le marbre obéit, quand le sculpteur sait lui commander.

Mais cette liberté que le scuipteur a, pour ainsi dire, de faire croître le marbre, ne doit pas aller jusqu'à embarrasser les formes extérieures de ses figures par des détails excédens & contraires à l'action & au mouvement représenté. Il faut que l'ouvrage se détachant sur un fond d'air, ou d'arbre, ou d'architecture, s'annonce sans équivoque, du plus loin qu'il pourra se distinguer. Les lumieres & les ombres largement distribuées concourront aussi à déterminer les principales formes & l'effet général. A

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