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BIEN (Page 2:243)
BIEN, s. m. (en Morale.) est équivoque: il signifie
ou le plaisir qui nous rend heureux, ou la cause du
plaisir. Le premier sens est expliqué à l'article
Dieu seul, à proprement parler, mérite le nom de bien; parce qu'il n'y a que lui seul qui produise dans notre ame des sensations agréables. On peut néanmoins donner ce nom à toutes les choses, qui, dans l'ordre établi par l'auteur de la nature, sont les canaux par lesquels il fait pour ainsi dire couler le plaisir jusqu'à l'ame. Plus les plaisirs qu'elles nous procurent sont vifs, solides, & durables, plus elles participent à la qualité de bien.
Nous avons dans Sextus Empiricus l'extrait d'un
ouvrage de Crantor sur la prééminence des différens
biens. Ce philosophe célebre feignoit qu'à l'exemple
des déesses qui avoient soûmis leur beauté au jugement
de Paris, la richesse, la volupté, la santé, les
vertus, s'étoient présentées à tous les Grecs rassemblés
aux jeux olympiques, afin qu'ils marquassent
leur rang, suivant le degré de leur influence sur le
bonheur des hommes; la richesse étala sa magnificence,
& commençoit à ébloüir les yeux de ses juges,
quand la volupté représenta que l'unique mérite
des richesses étoit de conduire au plaisir. Elle alloit
obtenir le premier rang, la santé le lui contesta; sans
elle la douleur prend bientôt la place de la joie: enfin
la vertu termina la dispute, & fit convenir tous
les Grecs, que dans le sein de la richesse, du plaisir,
& de la santé, l'on seroit bientôt, sans le secours de
la prudence & de la valeur, le joüet de tous ses ennemis.
Le premier rang lui fut done adjugé, le second
à la santé, le troisieme au plaisir, le quatrieme
à la richesse. En effet, tous ces biens n'en méritent le
nom, que lorsqu'ils sont sous la garde de la vertu;
ils deviennent des maux pour qui n'en sait pas user.
Le plaisir de la passion n'est point durable; il est sujet
à des retours de dégoùt & d'amertume: ce qui avoit
amusé, ennuie: ce qui avoit plû, commence à déplaire: ce qui avoit été un objet de délices, devient
souvent un sujet de repentir & même d'horreur. Je
ne prétens pas nier aux adversaires de la vertu & de
la morale, que la passion & le libertinage n'ayent
pour quelques - uns des momens de plaisir: mais de
leur côté ils ne peuvent disconvenir qu'ils éprouvent
souvent les situations les plus tâcheuses par le dégoût
d'eux - mêmes & de leur propre conduite, par les autres
suites naturelles de leurs passions, par les éclats
qui en arrivent, par les reproches qu'ils s'attirent,
par le dérangement de leurs affaires, par leur vie qui
s'abrege ou leur santé qui dépérit, par leur réputation
qui en souffre, & qui les expose souvent à tomber
dans la misere.
Ces trois rapports du tems sont essentiels à notre conduite: elle doit nous inspirer de choisir dans le tems présent pour le tems à venir, les moyens que dans le tems passé nous avons reconnus les plus propres à parvenir au bonheur; ainsi pour y arriver, il ne s'agit pas de regarder précisément en chaque action que l'on fait, ou en chaque parti que l'on embrasse, ce qui s'y trouve de plaisir ou de peine. Dans les partis opposés de la vertu ou du vice, il se trouve de côté & d'autre de l'agrément & du desagrément: il faut en voir le résultat dans la suite générale de la vie, pour en faire une juste compensation. Il faut examiner, par exemple, ce qui arriveroit à deux hommes de même tempérament & de même condition, qui se trouveroient d'abord dans les mêmes occasions d'embrasser le parti de la vertu ou de la volupté: au bout de soixante ans, de quel côté y aurat - il eu moins de peine ou moins de repentir, plus de vraie satisfaction & de tranquillité? S'il se trouve que c'est du côté de la sagesse ou de la vertu, ce sera conduire les hommes à leur véritable bonheur, que d'attirer leur attention sur un traité de morale qui contribue à cette fin. Si la plûpart des hommes, malgré le desir empreint dans leur ame de devenir heureux, manquent néanmoins à le devenir, c'est que volontairement séduits par l'appas trompeur du plaisir présent, ils renoncent, faute de prévoir l'avenir & de profiter du passé, à ce qui contribueroit davantage à leur bonheur dans toute la suite de leur vie. Il s'ensuit de tout ce que nous venons de dire, que la vertu est plus féconde en sentimens délicieux que le vice, & par conséquent qu'elle est un bien plus grand que lui, puisque le bien se mesure au plaisir, qui seul nous rend heureux.
Mais ce qui donne à la vertu une si grande supériorité sur tous les autres biens, c'est qu'elle est de nature à ne devenir jamais mal par un mauvais usage. Le regret du passé, le chagrin du présent, l'inquiétude sur l'avenir, n'ont point d'accès dans un coeur que la vertu domine; parce qu'elle renferme ses desirs dans l'étendue de ce qui est à sa portée, qu'elle les conforme à la raison, & qu'elle les soûmet pleinement à l'ordre immuable qu'a établi une souveraine intelligence. Elle écarte de nous ces douleurs, qui ne sont que les fruits de l'intempérance; les plaisirs de l'esprit marchent à sa suite, & l'accompagnent jusque dans la solitude & dans l'adversité: elle nous affranchit, autant qu'il est possible, du caprice d'autrui & de l'empire de la fortune; parce qu'elle place notre perfection, non dans une possession d'objets toûjours prêts à nous échapper, mais dans la possession de Dieu même, qui veut bien être notre récompense. La mort, ce moment fatal qui desespere les autres hommes, parce qu'il est le terme de leurs plaisirs & le commencement de leurs douleurs, n'est pour l'homme vertueux qu'un passage à une vie plus heureuse. L'homme voluptueux & passionné ne voit la mort que comme un fantôme affreux, qui à chaque instant fait un nouveau pas vers lui, empoisonne ses plaisirs, aigrit ses maux, & se prépare à le livrer à un Dieu vengeur de l'innocence. Ce qu'il envisage en elle de plus heureux, seroit qu'elle le plongeât pour toûjours dans l'abysme du néant. Mais cette honteuse espérance est bien combattue dans le fond de son ame par l'autorité de la révélation, par le sentiment intérieur de son indivi<cb->
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