ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"700"> Perse, Juvenal, & telle que nous la connoissons aujourd'hui. Et alors la signification du mot satyre ne tomba que sur le mélange des choses, & non sur celui des formes. On les nomma satyres, parce qu'elles sont réellement un amas confus d'invectives contre les hommes, contre leurs desirs, leurs craintes, leurs emportemens, leurs folles joies, leurs intrigues.

Quidquid agunt homines, votum, timor, ira, voluptas Gaudia, discursus, nostri est farrago libelli. Juv. Sat. I.

On peut donc définir la satyre d'après son caractere fixé par les Romains, une espece de poëme dans lequel on attaque directement les vices ou les ridicules des hommes. Je dis une espece de poëme, parce que ce n'est pas un tableau, mais un portrait du vice des hommes, qu'elle nomme sans détour, appellant un chat un chat, & Néron un tyran.

C'est une des différences de la satyre avec la comédie. Celle - ci attaque les vices, mais obliquement & de côté. Elle montre aux hommes des portraits généraux, dont les traits sont empruntés de différens modeles; c'est au spectateur à prendre la leçon lui - même, & à s'instruire s'il le juge à propos. La satyre au contraire va droit à l'homme. Elle dit: C'est vous, c'est Crispin, un monstre, dont les vices ne sont rachetés par aucune vertu.

La satyre en leçons, en nouveautés fertile, Sait seule assaisonner le plaisant & l'utile; Et d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens, Détrompe les esprits des erreurs de leur tems. Elle seule bravant l'orgueil & l'injustice, Va jusques sous le dais faire pâlir le vice: Et souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot, Va venger la raison des attentats d'un sot. Boileau.

Comme il y a deux sortes de vices, les uns plus graves, les autres moins; il y a aussi deux sortes de satyres: l'une qui tient de la tragédie, grande Sophoeloeo carmen bacchatur hiatu; c'est celle de Juvenal. L'autre est celle d'Horace, qui tient de la comédie, admissus circum proecordia ludit.

Il y a des satyres où le fiel est dominant, fel: dans d'autres, c'est l'aigreur, acetum: dans d'autres, il n'y a que le fel qui assaisonne, le sel qui pique, le sel qui cuit.

Le fiel vient de la haine, de la mauvaise humeur, de l'injustice: l'aigreur vient de la haine seulement & de l'humeur. Quelquefois l'humeur & la haine sont enveloppées; & c'est l'aigre - doux.

Le sel qui assaisonne ne domine point, il ôte seulement la fadeur, & plaît à tout le monde; il est d'un esprit délicat. Le sel piquant domine & perce, il marque la malignité. Le cuisant fait une douleur vive, il faut être méchant pour l'employer. Il y a encore le fer qui brûle, qui emporte la piece avec escarre, & c'est fureur, cruauté, inhumanité. On ne manque pas d'exemples de toutes ces especes de traits satyriques.

Il n'est pas difficile, après cette analyse, de dire quel est l'esprit qui anime ordinairement le satyrique. Ce n'est point celui d'un philosophe qui, sans sortir de sa tranquillité, peint les charmes de la vertu & la difformité du vice. Ce n'est point celui d'un orateur qui, échauffé d'un beau zele, veut réformer les hommes, & les ramener au bien. Ce n'est pas celui d'un poëte qui ne songe qu'à se faire admirer en excitant la terreur & la pitié. Ce n'est pas encore celui d'un misantrope noir, qui haït le genre humain, & qui le haït trop pour vouloir le rendre meilleur. Ce n'est ni un Héraclite qui pleure sur nos maux, ni un Démo<cb-> crite qui s'en moque: qu'est - ce donc?

Il semble que, dans le coeur du satyrique, il y ait un certain germe de cruauté enveloppé, qui se couvre de l'intérêt de la vertu pour avoir le plaisir de déchirer au - moins le vice. Il entre dans ce sentiment de la vertu & de la méchanceté, de la haine pour le vice, & au - moins du mépris pour les hommes, du desir pour se venger, & une sorte de dépit de ne pouvoir le faire que par des paroles: & si par hasard les satyres rendoient meilleurs les hommes, il semble que tout ce que pourroit faire alors le satyrique, ce seroit de n'en être pas sâché. Nous ne considérons ici l'idée de la satyre qu'en général, & telle qu'elle paroît résulter des ouvrages qui ont le caractere satyrique de la façon la plus marquée.

C'est même cet esprit qui est une des principales différences qu'il y a entre la satyre & la critique. Celle - ci n'a pour objet que de conserver pures les idées du bon & du vrai dans les ouvrages d'esprit & de goût, sans aucun rapport à l'auteur, sans toucher ni à ses talens, ni à rien de ce qui lui est personnel. La satyre au contraire cherche à piquer l'homme même; & si elle enveloppe le trait dans un tour ingénieux, c'est pour procurer au lecteur le plaisir de paroître n'approuver que l'esprit.

Quoique ces sortes d'ouvrages soient d'un caractere condamnable, on peut cependant les lire avec beaucoup de profit. Ils sont le contrepoison des ouvrages où regne la mollesse. On y trouve des principes excellens pour les moeurs, des peintures frappantes qui réveillent. On y rencontre de ces avis durs, dont nous avons besoin quelquefois, & dont nous ne pouvons guere être redevables qu'à des gens fâchés contre nous: mais en les lisant, il faut être sur ses gardes, & se préserver de l'esprit contagieux du poëte qui nous rendroit méchans, & nous feroit perdre une vertu à laquelle tient notre bonheur, & celui des autres dans la société.

La forme de la satyre est assez indifférente par elle - même. Tantôt elle est épique, tantôt dramatique, le plus souvent elle est didactique; quelquefois elle porte le nom de discours, quelquefois celui d'épître; toutes ces formes ne font rien au fond; c'est toujours satyre, dès que c'est l'esprit d'invectives qui l'a dictée. Lucilius s'est servi quelquefois du vers ïambique: mais Horace ayant toujours employé l'hexametre, on s'est fixé à cette espece de vers. Juvenal & Perse n'en ont point employé d'autres; & nos satyriques françois ne se sont servis que de l'alexandrin.

Caius Lucilius, né à Aurunce, ville d'Italie, d'une famille illustre, tourna son talent poétique du côté de la satyre. Comme sa conduite étoit fort réguliere, & qu'il aimoit par tempérament la décence & l'ordre, il se déclara l'ennemi des vices. Il déchira impitoyablement entr'autres un certain Lupus, & un nommé Mutius, genuinum fregit in illis. Il avoit composé plus de trente livres de satyres, dont il ne nous reste que quelques fragmens. A en juger par ce qu'en dit Horace, c'est une perte que nous ne devons pas fort regretter: son style étoit diffus, lâche, les vers durs; c'étoit une eau bourbeuse qui couloit, ou même qui ne couloit pas, comme dit Jules Scaliger. Il est vrai que Quintilien en a jugé plus favorablement: il lui trouvoit une érudition merveilleuse, de la hardiesse, de l'amertume, & même assez de sel. Mais Horace devoit être d'autant plus attentif à le bien juger, qu'il travailloit dans le même genre, que souvent on le comparoit lui - même avec ce poëte; & qu'il y avoit un certain nombre de savans qui, soit par amour de l'antique, soit pour se distinguer, soit en haine de leurs contemporains, le mettoient au - dessus de tous les autres poëtes. Si Horace eût voulu être injuste, il étoit trop fin & trop prudent [p. 701] pour l'être en pareil cas; & ce qu'il dit de Lucilius est d'autant plus vraissemblable, que ce poëte vivoit dans le tems même où les lettres ne faisoient que de naître en Italie. La facilité prodigieuse qu'il avoit n'étant point reglée, devoit nécessairement le jetter dans le défaut qu'Horace lui reproche. Ce n'étoit que du génie tout pur & un gros feu plein de fumée.

Horace profita de l'avantage qu'il avoit d'être né dans le plus beau siecle des lettres latines. Il montra la satyre avec toutes les graces qu'elle pouvoit recevoir, & ne l'assaisonna qu'autant qu'il le falloit pour plaire aux gens délicats, & rendre méprisables les méchans & les sots.

Sa satyre ne présente guere que les sentimens d'un philosophe poli, qui voit avec peine les travers des hommes, & qui quelquefois s'en divertit: elle n'offre le plus souvent que des portraits généraux de la vie humaine; & si de tems en tems elle donne des détails particuliers, c'est moins pour offenser qui que ce soit, que pour égayer la matiere & mettre la morale en action. Les noms sont presque toujours feints: s'il y en a de vrais, ce ne sont jamais que des noms décriés & de gens qui n'avoient plus de droit à leur réputation. En un mot, le génie qui animoit Horace n'étoit ni méchant, ni misantrope, mais ami délicat du vrai, du bon, prenant les hommes tels qu'ils étoient, & les croyant plus souvent dignes de compassion ou de risée que de haine.

Le titre qu'il avoit donné à ses satyres & à ses épîtres marque assez ce caractere. Il les avoit nommés sermones, discours, entretiens, réflexions faites avec des amis sur la vie & les caracteres des hommes. Il y a même plusieurs savans qui ont rétabli ce titre comme plus conforme à l'esprit du poëte & à la maniere dont il présente les sujets qu'il traite. Son style est simple, léger, vif, toujours modéré & paisible; & s'il corrige un sot, un faquin, un avare, à peine le trait peut - il déplaire à celui même qui en est frappé.

Je suis bien éloigné de mettre la poésie de son style & la versification de ses satyres au niveau de celles de Virgile, mais du - moins on y sent par - tout l'aisance & la délicatesse d'un homme de cour, qui est le maître de sa matiere, & qui la réduit au point qu'il juge à propos, sans lui ôter rien de sa dignité. Il dit les plus belles choses, comme les autres disent les plus communes, & n'a de neligence que ce qu'il en faut pour avoir plus de graces.

Perse (Aulus Persius Flaccus) vint après Horace, il naquit à Volaterre, ville d'Etrurie, d'une maison noble & alliée aux plus grands de Rome. Il étoit d'un caractere assez doux, & d'une tendresse pour ses parens qu'on citoit pour exemple. Il mourut âgé de 30 ans, la 8e année du regne de Néron. Il y a dans les satyres qu'il nous a laissées des sentimens nobles; son style est chaud, mais obscurci par des allégories souvent recherchées, par des ellipses fréquentes, par des métaphores trop hardies.

Perse en ses vers obscurs, mais serrés & pressans, Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.

Quoiqu'il ait tâché d'être l'imitateur d'Horace, cependant il a une seve toute différente. Il est plus fort, plus vif; mais il a moins de graces. Il est même un peu triste: & soit la vigueur de son caractere, soit le zele qu'il a pour la vertu, il semble qu'il entre dans sa philosophie un peu d'aigreur & d'animosité contre ceux qu'il attaque.

Juvénal (Decimus Junius Juvenalis) natif d'Aquino, au royaume de Naples, vivoit à Rome sur la fin du regne de Domitien, & même sous Nerva & sous Trajan. Ce poëte

Elevé dans les cris de l'école, Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole. Ses ouvrages tous pleins d'affreuses vérités Etincellent pourtant de sublimes beautés: Soit que sur un écrit arrivé de Caprée, Il brise de Séjan la statue adorée, Soit qu'il sasse au conseil courir les sénateurs, D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs... Ses écrits pleins de seu par - tout brillent aux yeux.

Perse a peut - être plus de vigueur qu'Horace; mais en comparaison de Juvénal, il est presque froid. Celui - ci est brûlant: l'hyperbole est sa figure favorite. Il avoit une force de génie extraordinaire, & une bile qui seule auroit presque suffi pour le rendre poëte. Il passa la premiere partie de sa vie à écrire des déclamations. Flatté par le succès de quelques vers qu'il avoit faits contre un certain Paris, pantomime, il crut reconnoître qu'il étoit appellé au genre satyrique. Il s'y livra tout entier, & en remplit les fonctions avec tant de zele, qu'il obtint à la fin un emploi militaire, qui, sous apparence de grace, l'exila au fond de l'Egypte. Ce fut - là qu'il eut le tems de s'ennuyer & de déclamer contre les torts de la fortune, & contre l'abus que les grands faisoient de leur puissance. Selon Jules Scaliger, il est le prince des poëtes satyriques: ses vers valent beaucoup mieux que ceux d'Horace; apparemment parce qu'ils sont plus forts: ardet, inflat, jugulat.

Ce qui a déterminé Juvénal à embrasser le genre satyrique, n'est pas seulement le nombre des mauvais poëtes; raison pourtant qui pouvoit suffire. « Il a pris les armes à cause de l'excès où sont portés tous les vices. Le désordre est affreux dans toutes les conditions. On joue tout son bien; on vole, on pille; on se ruine en habits, en bâtimens, en repas; on se tue de débauche; on assassine, on empoisonne. Le crime est la seule chose qui soit récompensée; il triomphe par - tout, & la vertu gémit ».

La quatrieme satyre de ce poëte présente les traits les plus mordans, & l'invective la plus animée. Il en veut à l'empereur Domitien, & pour aller jusqu'à lui comme par degré, il présente d'abord ce favori nommé Crispin, qui d'esclave étoit devenu chevalier romain. Cette satyre a pour date:

Cum jam semianimum laceraret Flavius orbem Ultimus, & calvo serviret Roma Nerone.

« Lorsque le dernier des Flavius achevoit de déchirer l'univers expirant, & que Rome gémissoit sous la tyrannie du chauve Néron »; vous voyez qu'il ne dit pas sous l'empire de Domitien, comme un autre auroit pû dire. Il le surnomme Néron, pour peindre d'un seul mot sa cruauté; il l'appelle chauve, qui étoit un reproche injurieux dans ce tems - là. Enfin on voit dans ce morceau toute la force, tout le fiel, toute l'aigreur de la satyre. Ce ton se soutient par - tout dans l'auteur; ce n'est pas assez pour lui de peindre, il grave à traits profonds, il brûle avec le fer.

Sa satyre X. est encore très - belle, sur - tout l'endroit où il brise la statue de Séjan, après avoir raillé amérement l'ambition de ce ministre, & la sottise du peuple de Rome qui ne jugeoit que sur les apparences:

Turba Remi sequitur fortunam, ut semper & odit Damnator.

C'en est assez sur les anciens satyriques romains; parlons à - présent de ceux de notre nation qui ont marché sur leurs traces.

Caracteres des poëtes satyriques françois.

Regnier (Mathurin), natif de Chartres, & neveu de l'abbé Desportes, fut le premier en France qui donna des satyres. Il y a de la finesse & un tour aisé

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