ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"698"> quelle Aristote donne le nom de satyrique & de danse. C'est d'elle que naquit la tragédie, qui n'eut pas seulement la même origine, mais qui en garda assez long - tems un caractere plus burlesque, pour ainsi dire, que sérieux. Quoique tirée du poëme satyrique, dit Aristote, elle ne devint grave que long - tems après. Ce fut quand ce changement lui arriva, que ce divertissement des compositions satyriques, passa de la campagne sur les théatres, & fut attaché à la tragédie même, pour en tempérer la gravité qu'on s'étoit enfin avisé de lui donner.

Comme ces spectacles étoient consacrés à l'honneur de Bacchus, le dieu de la joie, & qu'ils faisoient partie de sa fête, on crut qu'il étoit convenable d'y introduire des Satyres, ses compagnons de débauche, & de leur faire jouer un rôle également comique par leur équipage, par leurs actions & par leurs discours. On voulut par ce moyen égayer le théatre, & donner matiere de rire aux spectateurs, dans l'esprit desquels on venoit de répandre la terreur & la tristesse par des représentations tragiques. La différence qui se trouvoit entre la tragédie & les satyres des Grecs, consistoit uniquement dans le rire que la premiere n'admettoit pas, & qui étoit de l'essence de ces dernieres. C'est pourquoi Horace les appelle d'un côté, agrestes satyros, eu égard à leur origine, & risores satyros, par rapport à leur but principal.

Du tems auquel on jouoit ces pieces satyriques. Ainsi le nom de satyre ou satyri, demeura attaché parmi les Grecs, aux pieces de théatre dont nous venons de parler; & qui d'abord furent entremélées dans les actes des tragédies, non pas tant pour en marquer les intervalles, que comme des intermedes agréables, à quoi les danses & les postures bouffonnes de ces satyres ne contribuerent pas moins que leurs discours de plaisanterie. On joua ensuite séparément ces mêmes pieces, après les représentations des tragédies; ainsi qu'on joua à Rome, & dans le même but, les especes de farces nommées exodes. Voyez Exode.

Ces poëmes satyriques firent donc la derniere partie de ces célebres représentations des pieces dramatiques, à qui on donna le nom de tétralogie parmi les Grecs. Voyez Tétralogie.

Des personnages des satyres. Si dans les commencemens les pieces satyriques n'avoient pour acteurs que des satyres ou des sylènes, les choses changerent ensuite. Le Cyclope d'Euripide, les titres des anciennes pieces satyriques & plusieurs auteurs, nous apprennent que les dieux, ou demi dieux, & des héroïnes, comme Omphale, y trouvoient leurs places, & en faisoient même le sujet principal. Le sérieux se mêla quelquefois parmi le burlesque des acteurs qui faisoient le rôle des Sylènes ou des Satyres. En un mot, la satyrique, car on la nommoit aussi de ce nom, tenoit alors le milieu entre la tragédie & l'ancienne comédie. Elle avoit de commun avec la premiere la dignité des personnages qu'on y faisoit entrer, comme nous venons de voir, & qui d'ordinaire étoient pris des tems héroïques; & elle participoit de l'autre, par des railleries libres & piquantes, des expressions burlesques, & un dénouement de la fable, dénouement le plus souvent gai & heureux. C'est ce que nous apprend le grand commentateur grec d'Homere, Eusthathius. C'est le propre du poëme satyrique, nous dit - il, de tenir le milieu entre le tragique & le comique. Voilà presque le comique larmoyant de nos jours, dont l'origine est toute grecque, sans que nous nous en fussions douté.

Différence entre les pieces satyriques & comiques. Quelque rapport qu'il y eût entre les pieces satyriques & celles de l'ancienne comédie, je ne crois pas qu'elles aient été confondues par des auteurs anciens. Il restoit des différences assez grandes qui les distinguoient, soit à l'égard des sujetsqui dans les pieces satyriques étoient pris d'ordinaire des fables anciennes, & des demi - dieux ou des héros, soit en ce que les satyres y intervinrent avec leurs danses, & dans l'équipage qui leur est propre, soit de ce que leurs plaisanteries avoient plutôt pour but de divertir & de faire rire, que de mordre & de tourner en ridicule leurs concitoyens, leurs villes & leurs pays, comme Horace dit de Lucilius, l'imitateur d'Aristophane & de ses pareils. J'ajoute que la composition n'en étoit pas la même, & que l'ancienne comédie ne se lia point aux vers Iambiques, comme firent les pieces satyriques des Grecs. Concluons que ce fut aux poëmes dramatiques, dans lesquels intervenoient des Satyres avec leurs danses & leurs équipages, que demeura attaché parmi les Grecs le même nom de satyre, celui de satyrique ou de pieces satyriques, SATU/ROI, SATURIKA\ DRA/MATA.

Des satyres romaines. Ce fut parmi les Romains que le mot de satyre, de quelque maniere qu'on l'écrive, satira, satyra, satura, ou quelque origine qu'on lui donne, fut appliqué à des compositions différentes, & d'autre nature que les poëmes satyriques des Grecs, c'est - à - dire qui n'étoient, comme ceux - ci, ni dramatiques, ni accompagnés de Satyres, de leurs équipages & de leurs danses, ni faites d'ailleurs dans le même but. On donna ce nom à Rome, en premier lieu à un poëme réglé & mêlé de plaisanteries, & qui eut cours avant même que les pieces dramatiques y fussent connues, mais qui cessa ou y changea de nom, & fit place à d'autres passetems, comme on l'apprend de Tite - Live.

On communiqua ensuite le nom de satyre à un poëme mêlé de diverses sortes de vers, & attaché à plus d'un sujet, comme firent les satyres d'Ennius, ou comme Cicéron l'appelle, poëma varium & elegans, en parlant de celles de Varron, qui étoient tout ensemble un mélange de vers & de pieces de littérature & de philosophie, dont il nous apprend lui - même dans cet orateur, le but & la variété.

On donna enfin ce nom de satyre au poëme de Lucilius, qui au rapport d'un de ses imitateurs, avoit tout le caractere de l'ancienne comédie; hinc omnis pendet Lucilius, c'est - à - dire par la même licence qu'il s'y donna, d'y reprendre non - seulement les vices en général, mais les vicieux de son tems d'entre ses citoyens, sans y épargner même les noms des magistrats & des grands de Rome.

Ce fut là, si on en croit Horace & bien d'autres, la premiere origine & le premier auteur de ce poëme inconnu aux Grecs, à qui le nom de satyre demeura comme propre & attaché parmi les Romains, & tel qu'il l'est encore aujour d'hui dans l'usage des langues vulgaires. C'est aussi sur ce modele que furent formés ensuite, comme on sait, les satyres du même Horace, de Perse & de Juvenal, sans toucher ici au caractere particulier que chacun d'eux y apporta, suivant son génie, ou celui de son siecle. Et c'est enfin sur ces grands exemples que les auteurs modernes françois, italiens, anglois & autres, ont formé les poëmes qu'ils ont publiés sous ce même nom de satyres.

Je laisse maintenant à juger de la contestation de deux savans critiques du siecle passé, dont l'un Casaubon, prétend que la satyre des Romains n'a rien de commun avec les pieces satyriques des Grecs, ni dans l'origine & la signification du mot, ni dans la chose, c'est - à - dire dans la matiere & dans la forme; & dont l'autre, Daniel Heinsius, au contraire, y croit trouver une même origine, une même matiere, une même forme & un même but. Il est certain qu'il y a des différences trop essentielles entre les unes & les autres pour les confondre; & par conséquent, l'on doit plutôt s'en rapporter au sentiment de Casaubon, qui a le premier débrouillé cette matiere dans le traité qu'il [p. 699] en a mis au jour. Je vais exposer en peu de mots ces différences, parce que le traité de Casaubon est latin, & qu'on n'a rien publié sur cette matiere en françois, même dans les mémoires de l'académie des Inscriptions jusqu'à ce jour, pour la décision de cette dispute.

Différence entre les satyres des Grecs, & les satyres latines. La premiere différence, dont on ne peut disconvenir, c'est que les satyres, ou poëmes satyriques des Grecs, étoient des pieces dramatiques ou de théatre, ce qu'on ne peut pas dire des satyres Romaines prises dans aucun genre. Les Latins eux - mêmes, quand ils font mention de la poésie satyrique des Grecs, lui donnent le nom de fabula, qui signifie le drame des Grecs, & n'attribuent jamais ce mot aux satyres latines.

La seconde différence vient de ce qu'il y a même quelque diversité dans le nom; car les Grecs donnoient à leurs poëmes le nom de satyrus, ou satyri, de satyrique, de pieces satyriques, à cause des satyres, ces hôtes des bois, & ces compagnons de Bacchus qui y jouoient leur rôle, d'où vient qu'Horace appelle ceux qui en étoient les auteurs, du nom de satyrorum inscriptores; au lieu que les Romains ont dit satira ou satura, en parlant des premiers poëmes. Cicéron appelle poema varium, les satyres de Varron, & Juvenal donne le nom de farrago à ces satyres.

La troisieme différence, est que l'introduction des Svlènes & des Satyres qui composoient les choeurs des poëmes satyriques des Grecs en constituent l'essence, tellement qu'Horace s'arrête à montrer de quelle maniere on doit y faire parler les satyres, & ce qu'on leur doit faire éviter ou conserver. On peut y ajouter l'action de ces mêmes Satyres, puisque les danses étoient si fort de l'essence de la piece, que non - seulement Aristote les y joint, mais qu'Athenée parle nommément des trois différentes sortes de danses attachées au théatre, la tragique, la comique & la satyrique.

La quatrieme différence résulte des sujets assez divers des uns & des autres. Les satyres des Grecs prenoient d'ordinaire le leur de sujets fabuleux; des héros, par exemple, ou des demi - dieux des siecles passés. Les satyres romaines s'attachoient à reprendre les vices, ou les erreurs de leur siecle & de leur patrie; à y jouer des particuliers de Rome, un Mutius entr'autres, & un Lupus dans Lucilius; un Milonius, un Nomentanus dans Horace; un Crispinus & un Locutius dans Juvenal. Je ne parle point ici de ce que ce dernier n'y épargne pas Domitien, sous le nom de Néron; & qu'après tout, il n'y avoit rien de feint dans ces personnages, & dans les actions qu'ils en étalent, ou dans les vers qu'ils en rapportent.

La cinquieme différence paroît encore de la maniere dont les uns & les autres traitent leurs sujets, & dans le but principal qu'ils s'y proposent. Celui de la poésie satyrique des Grecs, est de tourner en ridicule des actions sérieuses; de travestir pour ce sujet leurs dieux ou leurs héros; d'en changer le caractere selon le besoin; en un mot, de rire & de plaisanter: de sorte que de tels ouvrages s'appellent en grec des jeux & des jouets, joci, comme dit Horace; & c'est à quoi contribuoient d'ailleurs leurs danses & leurs postures, au lieu que les satyres romaines, témoin celles qui nous restent, & auxquelles ce nom d'ailleurs est demeuré comme propre, avoient moins pour but de plaisanter;, que d'exciter de la haine, de l'indignation, ou du mépris: en un mot elles s'attachent plus à reprendre & à mordre, qu'à faire rire ou à folâtrer. Les auteurs y prennent la qualité de censeurs, plutôt que celle de bouffons.

Je ne touche pas la différence qu'on pourroit encore alléguer de la composition diverse des unes & des autres, par rapport à la versification. Les satyres romaines, du moins celles qui nous ont été conservées jusqu'à ce jour, ayant été écrites le plus généralement en vers héroïques; & les poëmes satyriques des Grecs, en vers iambiques. Cette réflexion est cependant d'autant plus remarquable, qu'Horace ne trouve point d'autre différence entre l'inventeur des satyres romaines, & les auteurs de l'ancienne comédie, comme Cratinus & Eupolis, sinon que les satyres du premier étoient écrites dans un autre genre de vers.

Enfin il y a lieu, ce me semble, de s'en tenir au jugement d'Horace, de Quintilien, & d'autres auteurs anciens, qui assurent que l'invention de la satyre, à qui ce nom est demeuré particulierement appliqué chez les Romains, & depuis dans les langues vulgaires; que cette invention, dis - je, est dûe toute entiere à Lucilius; que c'est une sorte de poésie purement romaine, comme il y paroît, & totalement inconnue aux Grecs; d'où je conclus hardiment, qu'on ne peut aujourd'hui être là - dessus d'aucune autre opinion.

Ce n'est pas après tout, que les satyres des Grecs, leurs danses & leurs railleries, n'aient été connues des Romains. On sait que dans leurs fêtes & dans leurs processions, il y avoit entr'autres des choeurs de Sylènes & de Satyres, vétus & parés à leur mode, & qui par leurs danses & leurs singeries, égayoient les spectateurs. La même chose se pratiquoit dans la pompe funebre des gens de qualité, & même dans les triomphes; & ces vers licentieux & ces railleries piquantes, que les soldats qui accompagnoient la pompe chantoient contre les triomphateurs, montroient que ces sortes de jeux satyriques, si l'on me permet cette expression, furent bien connus des Romains.

Mais il est tems de venir à l'histoire particuliere de la satyre chez les Romains, & de peindre les différens caracteres de leurs poëtes célebres en ce genre.

Caracteres des poëtes satyriques romains. Ce furent les Toscans qui apporterent la satyre à Rome; & elle n'étoit autre chose alors qu'une sorte de chanson en dialogue, dont tout le mérite consistoit dans la force & la vivacité des reparties. On les nomma satyres, parce que, dit - on, le mot latin satura, signifiant un bassin dans lequel on offroit aux dieux toutes sortes de fruits à la fois, & sans les distinguer; il parut qu'il pourroit convenir, dans le sens figuré, à des ouvrages où tout étoit mêlé, entassé sans ordre, sans régularité, soit pour le fond, soit pour la forme.

Livius Andronicus, qui étoit grec d'origine, ayant donné à Rome des spectacles en regle, la satyre changea de forme & de nom. Elle prit quelque chose du dramatique, & paroissant sur le théatre, soit avant, soit après la grande piece, quelquefois même au milieu, on l'appelloit isode, piece d'entrée, E)ISODION; ou exode, piece de sortie, E)CO/DION; ou piece d'entr'acte, E)MBOLON. Voilà quelles furent les deux premieres formes de la satyre chez les Romains.

Elle reprit son premier nom sous Ennius & Pacuvius, qui parurent quelque tems après Andronicus; mais elle le reprit à cause du mélange des formes, qui fut très - sensible dans Ennius; puisqu'il employoit toutes sortes de vers, sans distinction, & sans s'embarrasser de les faire symmétriser entr'eux, comme on voit qu'ils symmétrisent dans les odes d'Horace.

Térentius Varron fut encore plus hardi qu'Ennius dans la satyre qu'il intitula Ménippée, à cause de sa ressemblance avec celle de Ménippe cynique grec. Il fit un mélange de vers & de prose: & par conséquent il eut droit plus que personne de nommer son ouvrage satyre, en faisant tomber la signification du mot sur la forme.

Enfin arriva Lucilius qui fixa l'état de la satyre, & la présenta telle que nous l'ont donné Horace,

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