ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"504"> plus essentiel de déterminer les cas où on devoit tirer du sang, & jusqu'à quel point.

L'ouvrage de Botal donna l'allarme à ce sujet. Il poussa dans son traité de curatione per sanguinis missionem, imprimé pour la premiere fois en 1582, l'abus de la saignée à un excès qu'on ne peut se persuader. En voulant trop prouver, il ne prouva qu'une chose, c'est que l'esprit & l'éloquence peuvent en imposer à ceux, qui destitués de l'expérience, ne font pas un usage assez grand de leur raison. Il avança que dans la cacochymie, l'hydropisie, les fievres quartes invétérées, les indigestions, les diarrhées, les suppurations intérieures, &c. la saignée étoit le grand remede. Il osa s'étayer des passages d'Hippocrate tronqués, choisis dans ses oeuvres supposées. Il comparoit les veines à un puits, dont l'eau étoit d'autant meilleure, qu'elle étoit plus souvent renouvellée. Bonaventure Grangier, médecin de la faculté de Paris, s'éleva avec un grand succès contre Botal. Cette faculté le condamna authentiquement, lorsque son traité parut; & cependant il l'entraîna après sa mort dans la plus grande partie de ses idées. Elle oublia les lois qu'Hippocrate, que Celse, Galien même, &c. avoient établies, auxquels les Fernel, les Houllier, les Duret s'étoient soumis (Ce dernier disoit familierement qu'il étoit petit seigneur). On la pratiqua avec une fureur qui n'est pas encore éteinte, contre laquelle on a vû successivement s'élever de bons ouvrages, & faire des efforts impuissans. La saignée qu'on n'osoit faire, au rapport de Pasquier, une seule fois qu'avec de grandes circonspections, fut prodiguée. La saine partie a su conserver ce milieu qui est le siége de la vérité; mais plusieurs ont resté entraînés par le préjugé & le mauvais exemple.

La découverte de la circulation du fang, publiée en 1628 par Harvée, sembloit devoir apporter un nouveau jour sur une matiere qui y avoit autant de rapport; mais elle ne servit qu'à aigrir, qu'à augmenter les disputes. Il y eut de grands débats à ce sujet, au milieu du siecle dernier, qui produisirent une foule d'ouvrages, la plupart trop médiocres pour n'être pas tombés dans l'oubli: on donna des deux côtés dans des excès opposés. Il en fut qui soutinrent qu'on pouvoit perdre le sang comme une liqueur inutile, tel fut Valerius Martinius; pendant que d'autres, tels que Vanhelmont, Bontekoë, Gehema & Vulpin, prétendoient qu'il n'étoit aucun cas où on dût saigner: thèse renouvellée de nos jours.

Ces excès n'étoient point faits pour entraîner les vrais observateurs; Sennert, Pison, Riviere, Bonnet, Sydenham, suivirent l'ancienne méthode, & furent modérés; quoiqu'on puisse reprocher au dernier quelques choses à cet égard, & notamment lorsqu'il conseille la saignée dans l'asthme, les fleurs blanches, la passion hystérique, la diarrhée en général, & spécialement celle qui survient après la rougeole, où il paroît la pratiquer plutôt par routine, que par raison ou par expérience.

On voit avec peine Willis, cet homme de génie fait pour prescrire des lois en Médecine, fait pour découvrir, se soumenttre aveuglément aux leçons de Botal, conseiller la saignée contre presque toutes les maladies: fere totam Pathologiam, de phleb. p. 173. Il fut repris vivement peu de tems après sa mort, par Luc - Antoine Portius, qui combattit à Rome, en 1682, ce sentiment des galénistes, trop répandus dans cette ville, par quatre dialogues où il faisoit entrer en lice Erasistrate & Vanhelmon, contre Galien & Willis. Quoique ce genre d'ouvrage soit peu fait pour les savans, par le tas de mots dont on est forcé de noyer les choses, ils méritent d'être lus par ceux en qui la fureur de verser du sang n'a pu être éteinte par l'observation & les malheurs. On y trouve beaucoup de jugement de la part de l'auteur, qui appuie son sentiment par une apologie de Galien, dans laquelle il excuse ingénieusement ce grand homme, en combattant ses sectateurs avec des armes d'autant plus fortes, qu'il démontre que ceux - ci ont outré la doctrine de leur maître, & d'autant plus raisonnables, qu'il prend pour son principe cette vérité appliquable à tous les moyens de guérison, qu'il vaut beaucoup mieux pécher par défaut que par excès, & que ceux qui s'interdisent absolument la saignée, font une faute bien au - dessous de celle que commettent ceux qui la pratiquent contre tous les maux.

On vit au milieu de ces disputes, s'élever un homme savant, plein de génie, Bellini, qui voulant à l'exemple de Scaliger, appliquer les mathématiques à la Médecine, tomba par des erreurs de calcul, ou des fausses suppositions, dans les paradoxes les plus étranges. Il mit au jour, en 1683, son Traité de la saignée, qui contient onze propositions, avec la réponse & les preuves. Nous ferions tort à l'histoire de la saignée, si nous passions sous silence ces maximes qui ont entraîné le suffrage d'un grand nombre de savans médecins, & donné lieu aux disputes les plus vives.

Le sang, selon Bellini, coule avec plus de rapidité pendant la saignée dans l'artere qui correspond à la veine ouverte, & en s'y portant, ce qu'il appelle dérivation, il quitte les vaisseaux éloignés, ce qu'il nomme révulsion. Après la saignée, la dérivation & la révulsion sont moindres que pendant l'écoulement du sang, & enfin s'évanouissent. On doit saigner dans les inflammations, les rameaux qui ont la communication la plus éloignée avec la partie malade, pour ne point attirer le sang sur celle - ci. La saignée rafraichit & humecte par l'évacuation qu'elle produit; elle échauffe & desseche au contraire, lorsqu'elle rend au sang trop géné un mouvement rapide. Elle doit être mise en usage dans toutes les maladies où le sang est trop abondant, où il faut en augmenter la vélocité, rafraîchir, humecter, résoudre les obstructions, ou changer la nature du sang; la saignée en augmente la vélocité. Il seroit plus avantageux d'ouvrir les arteres, que les veines dans les cas où la saignée est indiquée; la crainte des accidens doit y faire suppléer par tous les autres moyens que la Médecine a en son pouvoir, tels que les scarifications, les sangsues, les ligatures, &c. les évacuans quelconques peuvent tenir lieu de la saignée. Le tems le plus sûr pour tirer du sang est le déclin de la maladie. On voit dans tout cet ouvrage un grand homme, prévenu de certains sentimens, qu'il soutient avec la vraissemblance que le génie sait donner aux maximes les plus fausses. Quelques erronées que paroissent la plupart de ces propositions, elles ont eu, comme nous l'avons dit, d'illustres défenseurs, parmi lesquels on doit compter Pitcarn, ce célebre médecin, dont il seroit à souhaiter que les élémens de médecine fussent physicopratiques, au lieu d'être physico - mathématiques, il étoit trop lié avec Bellini de coeur & de goût, pour ne pas l'être de sentiment.

De Hey de fut un adversaire redoutable de Bellini, il opposa l'expérience aux calculs, il s'attacha ainsi à combattre sa doctrine par les armes les plus fortes. Le recueil de ses expériences parut trois ans après le traité de ce dernier, c'est - à - dire en 1686, & fut sans réplique. M. de Haller a publié 70 ans après des expériences qui confirment celles de de Heyde.

L'histoire du xviij. siecle présente des faits d'autant plus intéressans, qu'ils sont le terme auquel on est parvenu, que de grands hommes, se faisant gloire de secouer tout préjugé, ont cherché la vérité par l'expérience sur des animaux vivans, l'observation sur les malades, le raisonnement & le calcul; ce qui n'a point empéché un grand nombre de tomber dans des écarts entierement semblables à ceux des siecles précédens: la circulation des sentimens est un specta<pb-> [p. 505] cle vraiment philosophique. On voit dans la suite des tems les mêmes opinions tomber & renaître tour - à - tour, se faire place mutuellement, & accuser par cette révolution, le peu d'étendue & de certitude des connoissances humaines. La vérité trop difficile à saisir, ne présente le plus souvent qu'un de ses côtés; elle voile les autres, & ne marche jamais sans l'erreur qui vient au - devant des hommes, pendant que celle là semble les éviter. Toutes les anciennes disputes sur le choix des veines, la quantité de sang qu'on devoit tirer, les cas où on devoit saigner, revinrent & repasserent dans l'espace de 30 ans, par les mains des plus savans médecins françois & étrangers. Celui qui y joua un des principaux rôles, fut M. Hecquet. Une thèse à laquelle il présida en 1704, dans laquelle il soutenoit que la saignée remédie au défaut de la transpiration insensible, fut le principe de la querelle. M. Andry en rendit compte dans le journal des savans, d'une maniere ironique, à laquelle le premier repliqua. Il le fit d'une maniere si aigre & si vive, qu'il ne put obtenir la permission de faire imprimer son ouvrage. Ce fut secrétement qu'il parut, sous le titre d'explication physique & méchanique des effets de la saignée, & de la boisson dans la cure des maladies; avec une réponse aux mauvaises plaisanteries que le journaliste de Paris a faites sur cette explication de la saignée. Il donna en même tems au public une traduction de sa thèse. M. Andry dupliqua en 1710, par des remarques de médecine sur différens sujets; spécialement sur ce qui regarde la saignée, la purgation & la boisson. Par ce dernier ouvrage la querelle resta éteinte.

Il n'avoit été question entre MM. Hecquet & Andry, que des cas où on devoit pratiquer la saignée; le premier excita une nouvelle dispute avec M. Sylva. Ils aimoient trop tous les deux à verser du sang, pour être en différend sur la quantité; ils combattirent sur le choix des veines. M. Hecquet publia en 1724, ses observations sur la saignée du pié, qu'il désapprouvoit au commencement de la petite vérole, des fievres malignes, & des autres grandes maladies. M. Sylva voulant justifier cette pratique, & expliquer la doctrine de la dérivation & de la révalsion, entendues à sa maniere, donna en 1727, son grand traité sur l'usage des saignées, muni des approbations les plus respectables. Le premier volume est dogmatique; l'auteur y développe son système, & combat celui de M. Bianchi, qui huit années auparavant, avoit soutenu dans une lettre adressée à M. Bimi, sur les obstacles que le sang trouve dans son cours: 1°. que la circulation du sang étant empêchée dans une partie, toute la masse s'en ressent: 2°. qu'on doit saigner dans la partie la plus éloignée du mal, à - moins qu'il ne soit avantageux d'y exciter une inflammation plus forte; ce qui excuse & explique le bon effet des saignées locales. L'autorité d'Hippocrate mal entendue, & de Tulpius, une pratique vague, l'expression des propositions précédentes, étoient les preuves dont M. Bianchi se servoit. M. Sylva se montra par - tout un partisan zélé de la saignée du pié, un ennemi déclaré des saignées faites sur la partie malade, qu'il appelle dérivatives. Forcé de convenir des avantages de la saignée de la jugulaire, il fit les plus grands efforts pour la faire quadrer avec ses calculs. Son second volume répond à M. Hecquet, qui vivement attaqué, fit à son tour imprimer trois années après, son Traité de la digestion, dont le discours préliminaire & trois lettres, servent à défendre son sentiment. Il composa dans sa retraite, une apologie de la saignée dans les maladies des yeux, & celles des vieillards, des femmes & des enfans. Il s'éleva de nouveau contre la saignée du pié, dans son Brigandage de la Médecine. Il n'étoit pas homme à revenir de ses idées; il les soutenoit dans sa médecine naturelle, qu'on imprimoit en 1736, lorsqu'il fut lui - même la dupe de son goût, nous dirions volontiers de sa fureur pour la saignée. On ne peut voir sans étonnement, qu'un homme de 76 ans, cassé, affoibli par les travaux du corps & de l'esprit, autant que par une longue & pieuse abstinence, ayant des éblouissemens, dont sa foiblesse nous paroît avoir été la cause, fût saigné quatre fois, & notamment quatre heures avant sa mort, dans une maladie d'un mois.

Pour en revenir à M. Sylva, nous dirons que s'il trouva des partisans dans M. Winslou, plusieurs autres membres célebres de la faculté de Paris, & quelques médecins étrangers, M. Hecquet ne fut pas le seul à s'élever contre lui. M. Chevalier, dans ses Recherches sur la saignée; M. Sénac, dans ses lettres sur le choix des saignées, qu'il donna sous le nom de Julien Morisson; dans les essais physiques, qu'il a ajoutés à l'anatomie d'Heister, & dans son Traité du coeur; M. Quesnay, dans son excellent ouvrage sur les effets & l'usage de la saignée, qu'il publia d'abord en 1730, sous le titre d'observations; M. Buttler, dans l'essai sur la saignée, imprimé en anglois; ainsi que la théorie & pratique de M. Langrish; M. Martin, dans son Traité de la Phlébotomie & de l'Artériotomie; M. Jackson, dans sa Théorie de la Phlébotomie, le combattirent dans tous les points de sa doctrine. M. OEder prouva en 1749, dans une thèse inaugurale, que le sang qui acquiert plus de vitesse dans le vaisseau ouvert, entraîne dans son mouvement celui des vaisseaux voisins, d'autant plus fortement, qu'ils sont plus près de lui; ce qui est directement opposé au sentiment de Bellini & de ses sectateurs. M. Hamberger prétendit que les expériences qu'il avoit faites avec un tube, auquel il avoit donné à - peu - près la forme de l'aorte, démontroient la fausseté de la dérivation & de la révulsion. D'où il concluoit que le choix des veines étoit indifférent, & que l'effet des saignées se bornoit à l'évacuation. Il renouvella par - là les opinions de Nicolas Florentin, Botal, Pétronius, Pechlin & Bohnius. M. Wats se joignit aux adversaires de M. Sylva, dans son Traité de la dérivation & de la révulsion, imprimé en anglois. M. de Haller a publié en 1756, un recueil d'expériences sur les effets de la saignée, qui confirment (comme nous l'avons dit), celles de de Heyde, qui contredisent en plusieurs points celles de M. Hamberger, les calculs de M M. Hecquet, Sylva, &c. Nous appuierons nos idées sur l'effet de la saignée, par ces expériences mêmes, qui portent avec elles toute l'autorité dont elles ont jamais pu être revêtues.

M. Tralles écrivit en 1735, sur la saignée à la jugulaire & à l'artere temporale, dont il rendit les avantages évidens. Il s'appuya par un post - scriptum, du sentiment de M. Sylva, quoiqu'il en désapprouvât les calculs, & plusieurs des conséquences qui excluoient l'Artériotomie.

M. Kloekof examina dans une dissertationþ imprimée en 1747, cette question intéressante: quel doit être le terme de la saignée dans les fievres aiguës. Quoique le plus grand nombre des médecins, dont il rapporte les maximes, l'interdise en général après le trois, quatre ou cinquieme jour; il conclut cependant avec raison, muni de leurs suffrages mêmes, qu'il est des cas (rares à la vérité), où on peut la pratiquer le dixieme jour.

Un anonyme a publié en 1759, un ouvrage sur l'abus de la saignée, auquel on doit des éloges. S'appuyant sur l'autorité des grands maîtres, il réduit l'usage de ce remede dans les bornes où l'ont maintenu le plus grand nombre de ceux dont la gloire a couronné les succès.

Il est tems que nous rendions compte de la doctrine des trois grandes lumieres de ce siecle: Stahl. Hoffman & Boerhaave. Aucun d'eux n'a traité ex

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