ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Le rat musqué a tant de ressemblance au castor, que les sauvages disent qu'ils sont freres, mais que le castor est l'aîné, & qu'il a plus d'esprit que son cadet. Il est vrai qu'au premier coup d'oeil, on prendroit un vieux rat musqué, & un castor d'un mois, pour deux animaux de même espece. Ces rats sont communs à la Martinique, & dans toutes les contrées du Canada. Le public est redevable à M. Sarrazin, qui étoit médecin du Roi à Québec en 1725, de la connoissance détaillée de leur vie, de leurs bâtimens & ce qui étoit plus difficile à décrire, de leur anatomie complette.

M. de Reaumur a donné dans le recueil de l'académie des Sciences, année 1725, un extrait des divers mémoires que M. Sarrazin lui avoit envoyés sur ces animaux; & à mon tour, pour former cet article, je vais détacher de l'extrait de M. de Reaumur, ce qui me rejettera le moins dans le détail particulier, & ce qui me paroîtra suffisant pour satisfaire la curiosité des lecteurs.

Les rats musqués se nourrissent pendant l'été de toutes sortes d'herbes, & pendant l'hiver de différentes especes de racines, telles que celles des grandes nymphea blanches & jaunes, & sur - tout du calamus aromatique.

Ils vivent en société, du moins pendant l'hiver; ils se bâtissent des cabanes, dont les unes plus petites, ne sont habitées que par une seule famille; & les autres plus grandes, en contiennent plusieurs. Leur génie se montre dans le choix même du lieu où ils s'établissent; ce n'est pas assez qu'ils soient couverts par leurs bâtimens pendant l'hiver, ils y doivent être à portée de l'eau, & à portée d'avoir commodément des racines propres à se nourrir; je connois bien des châteaux bâtis contre ces deux regles de situation, que les rats musqués choisissent toujours.

Pour réunir les avantages dont on vient de parler, ils construisent leurs loges dans des marais, ou sur le bord de lacs & de rivieres, dont le lit est plat, l'eau dormante, & où le terrein produit abondamment des racines convenables à leur nourriture; c'est sur les endroits les plus hauts d'un pareil terrein qu'ils bâtissent leurs loges, afin que les eaux puissent s'élever sans les incommoder.

Le choix du lieu fait, ils préparent la place qui doit occuper l'intérieur de l'édifice qu'ils méditent, & qui leur servira de lit pendant l'hiver. Si la place est trop basse, ils l'élevent & l'abaissent; si elle est trop élevée, ils la disposent par gradins pour pouvoir se retirer d'étage en étage, à mesure que l'eau montera. Leur maison est plus ou moins grande, selon qu'elle doit être occupée par plus ou moins de rats; lorsqu'elle n'est destinée que pour sept à huit, elle a environ deux piés de diametre en tous sens; & elle est plus grande proportionnellement, lorsqu'elle en doit contenir davantage.

La loge qu'ils habitent forme un dôme, & est composée de joncs liés, & enduits d'une glaise qui a été bien détrempée. A l'égard de l'ordre avec lequel leur travail est conduit, de la maniere dont ils appliquent la terre & l'applanissent, on n'en est instruit que par les discours des chasseurs; & les discours de tels gens ne passent nulle part pour des observations de Physiciens, auxquelles on doit ajouter foi. Tout ce qu'on sait de certain, parce qu'on le voit, c'est que les rats musqués ménagent dans leurs domiciles une ouverture, par laquelle ils peuvent entrer & sortir; mais il la bouchent entierement quand l'hiver s'est déclaré.

Comme leur constitution n'est pas semblable à celle de ces animaux qui ne mangent point, & qui n'ont aucuns besoins pendant l'hiver, ceux - ci au contraire, outre le corps de bâtiment, se pratiquent des commodités qui leur sont essentielles. Il font des puits qui communiquent avec l'intérieur de leur loges, où ils peuvent aller boire & se baigner. Ils creusent des galleries sous terre, ou pour parler moins noblement, destrous pareils à ceux des taupes, afin d'aller chercher pour vivre des racines dans la saison des neiges. En un mot, ils n'oublient rien de ce qui concerne leurs besoins & leur propreté, jusqu'à se procurer des especes de lieux à l'angloise.

Le printems, saison de leurs amours, leur est souvent fatal. Les chasseurs, ces injustes meurtriers de la plûpart des animaux, pipent les mâles, & imitent les femelles, qui ont une sorte de gémissement; par cette ruse ils les font approcher, & les tuent à coups de fusil. Ceux de ces animaux qui leur échappent, reviennent à leurs loges, & sur - tout les femelles, qui sont d'un sexe timide. La plûpart pourtant font leurs petits où elles se trouvent, mais dans des endroits cachés. Les mâles continuent de courir la campagne; c'est leur genre de vie de tout l'été. Dès qu'il est passé, le tems de former de nouvelles cabanes revient, car les mêmes ne servent pas plusieurs années; enfin ils recommencent la vie d'hiver. Les rats musqués qui vivent dans les pays plus chauds que l'Amérique, n'ont pas le même besoin de cabanes; aussi sont - ils terriers comme nos lapins.

L'opération de leur dissection n'est pas facile; il est peu de cerveaux capables de soutenir l'action continue d'une aussi forte odeur de musc, que celle que répand cet animal. M. Sarrazin a été deux fois réduit à l'extrémité, par les impressions que cette pénétrante odeur avoit faites sur lui. Nous aurions peu d'anatomistes, & nous n'aurions pas à nous en plaindre, s'il le falloit être à pareil prix. Les sauvages qui sont affectés aussi désagréablement de l'odeur du musc, que nos femmes hystériques, donnent par cette raison le nom d'animal puant à notre rat.

Il a, comme le castor, deux sortes de poils; le plus long l'est de dix ou douze lignes, brun, & donne sa couleur à l'animal. Le plus court est une espece de duvet très - fin, dont on se servoit autrefois en qualité de petit poil pour la fabrique des chapeaux. Il garantit le rat du froid, & le grand poil qui est plus rude, défend le duvet de la fange, dans laquelle il se vautre souvent, sur - tout en bâtissant sa loge.

Son dos est formé de neuf vertèbres jusqu'à la racine de la queue; ses oreilles sont courtes, arrondies par le bout & velues; il a les yeux presque aussi grands que ceux du castor, quoique ce dernier soit au moins une quinzaine de fois plus gros; ses deux machoires sont garnies de dix dents chacune, de huit molaires & de deux incisives, ce qui fait vingt dents en tout.

Le rat musqué est un fort rongeur. M. Sarrazin en a renfermé un, qui dans une seule nuit, perça dans du bois dur, un trou de trois pouces de diametre, & d'un pié de longueur, par lequel il s'échappa. Sa queue est couverte d'écailles qui empiettent un peu les unes sur les autres, & qui sont entourrées de petits poils.

Sa poitrine est fort étroite par en haut; ses côtes sont au nombre de douze, six vraies & six fausses; son foie est composé de sept lobes, dans un desquels est située la vésicule du fief, qui s'ouvre dans le duodenum; ses intestins sont forts étroits, & ont environ six piés de longueur; son estomac ressemble assez à celui du castor par l'extérieur, & en quelque chose à celui du rat domestique; son oesophage est revêtu intérieurement d'une membrane blanche, qui couvre quelquefois son estomac; sa vessie n'a rien de particulier; mais l'issue de l'urethre dans le rat femelle, & dans les espaces de rat connues, savoir, le rat d'eau, le rat domestique, est fort différente de celle des autres animaux.

On peut ranger sous trois classes, les variétés que nous trouvons dans les animaux, pour l'écoulement des urines. Le castor, & tous les oiseaux qui n'ont [p. 819] qu'une ouverture sous la queue, donnent des exemples de la premiere. Tous les animaux terrestres, excepté le castor, dont on vient de parler, donnent des exemples de la seconde espece; l'urethre y conduit les urines par la fente des parties naturelles, où elle a son issue. Nos rats musqués femelles, donnent des exemples de la troisieme variété; elles ont trois issues; savoir, l'anus, la fente des parties naturelles, & l'éminence velue, ou follicules situées sur l'os pubis, par où l'urethre rend les urines.

Les parties de la génération du rat musqué femelle, sont semblables à celle du rat domestique femelle; elles ont six mamelles, savoir trois de chaque côté, & elles font jusqu'à cinq ou six petits.

Les follicules dont nous venons de parler, sont situées au - dessus de l'os pubis. On les trouve également au mâle & à la femelle. Les canadiens les appellent rognons du rat musqué; & les canadiennes, par modestie, les nomment boutons. Les uns & les autres croient que ce sont ses testicules. Les chasseurs arrachent les follicules des rats musqués, mâle & femelle, dans la saison du rut; ils leur coupent en même tems un peu de peau, dont ils les enveloppent pour les vendre; ces follicules ont la figure d'une petite poire renversée. Elles sont un composé de glandes conglomerées, envelopées de membranes garnies de vaisseaux & de conduits excrétoires, qui fournissent vraissemblablement l'humeur qu'elles contiennent.

Cette humeur ressemble au lait, tant par sa consistance, que par sa couleur. On ne peut douter un moment, que l'odeur de musc, qu'exhale le rat musqué, ne lui soit due. M. Sarrazin croyoit qu'elle lui etoit communiquée par le calamus aromatique, dont il se nourrit assez ordinairement. Clusius a aussi attribué à cette plante, l'odeur du musc du rat qu'il a décrit. Ce qui semble prouver qu'elle contribue beaucoup à celle du nôtre, c'est qu'il a plus d'odeur à la fin de l'hiver, où il n'a presque vêcu que de cette plante, que pendant l'été & l'automne, où il se nourrit indifféremment de diverses autres racines. Mais quelle que soit sa nourriture, il se fait vraissemblablement dans cet animal, lorsque la saison de ses amours arrive, une fermentation qui exhale cette odeur.

La verge est attachée par sa racine à la levre inférieure de l'os pubis. Le balanus a trois ou quatre os, qui peuvent remuer en tous sens. Les testicules ont la grosseur d'une noix muscade, & sont situées à côté de l'anus. Les vésicules séminales paroissent parfaitement dans le tems du rut; elles sont si engagées sous l'os pubis, qu'il faut le détruire pour les bien reconnoître; leur longueur est d'environ un pouce; ces vésicules servent probablement de prostates. Mais une chose bien singuliere, & peut - être particuliere au seul rat musqué, c'est qu'à mesure que son amour s'affoiblit, la plûpart de ses organes de la génération s'effacent, les testicules, l'épididime & les vésicules commencent à se flétrir.

Ses piés de devant sont semblables à ceux de tous les animaux qui rongent; ceux de derriere n'ont aucune ressemblance aux piés du rat domestique, non plus qu'à ceux du castor, & du rat musqué, décrit par Clusius. Il dit que ce dernier a les piés de derriere garnis de membranes; le nôtre a les doigts séparés les uns des autres, avec une membrane qui regne le long des côtés de chaque doigt, & qui est garnie de poils rudes; ensorte que les doigts, la membrane, & les poils arrangés d'une certaine maniere, forment un instrument propre à nager, mais qui ne vaut pas cependant le pié du castor; aussi ne nage - t - il pas si vîte. Il marche en canne, mais beaucoup moins que le castor & que les oiseaux de riviere; ce mouvement est aidé par un muscle qui tire la jambe & la cuisse en dehors. Sa force pour nager est augmentée, parce qu'il décrit avec sa patte une ligne courbe, plus longue par conséquent que si elle étoit droite. Cette force dépend encore beaucoup de la maniere dont sa patte est tournée; je veux dire, qu'elle l'est en dehors, & se présente toujours également contre l'eau.

Le rat des Alpes de M. Rey, est celui de l'Europe, qui a plus de ressemblance pour la conformation exterieure, avec le rat musqué d'Amérique. On nous envoie quelquefois du Canada les rognons secs de cet animal, qu'on nomme rognons de musc; mais nos parfumeurs n'en font presque plus d'usage. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Rat de Norvège (Page 13:819)

Rat de Norvège, (Zoologie.) M. Linnaeus, dont nous allons emprunter les connoissances sur le rat de Norvège, le caracterise par les noms de mus caudâ abruptâ, corpore fulvo, nigro, maculato. Je passe sous silence les noms que Gesner, Ziegler, Johnston & d'autres lui ont donné. Ce rat est un peu plus petit que le rat ordinaire, & est à - peu - près gros comme une taupe, le fonds de sa couleur est un jaune tirant sur le brun, excepté au ventre, où le jaune est plus clair; le devant de sa tête est noir, de même que le dessus des épaules & des cuisses, & ses côtés sont tachetés; sa queue courte & velue est de couleur jaune, entremêlée de noir: il a une barbe comme les autres rats, & cinq doigts à chaque pié; ses oreilles sont fort courtes; il a quatre dents devant, deux en - haut, & deux en - bas, & à chaque côté des mâchoires, trois molaires.

Ces rats demeurent dans les montagnes de la Lapponie, qui sont toutes criblées de trous qu'ils y font pour se loger. Chacun a le sien, ils ne sont pas coenobites; ce n'est pas pourtant qu'ils soient farouches, au contraire, ce sont des rats de société & d'ailleurs très - résolus; ils aboient comme de petits chiens, quand on en approche; & si on leur présente le bout d'un bâton, au lieu de s'enfuir, ils le mordillent & le tiraillent. Ils font ordinairement cinq ou six petits à la fois, mais jamais plus; aussi leurs femelles n'ont - elles que six tettes. Ils se nourrissent avec de l'herbe & de la mousse à rennes.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces animaux, ce sont leurs émigrations; car en certains tems, ordinairement en dix ou vingt ans une fois, ils s'en vont en troupes nombreuses, & marchant par bandes de plusieurs milliers, ils creusent des sentiers de la profondeur de deux doigts, sur un demi - quart ou un quart d'aune de largeur. On voit même plusieurs de ces sentiers à la fois paralleles les uns aux autres, & divisés en droite ligne, mais toujours distanciés de plusieurs aunes. Chemin faisant, ils mangent les herbes & les racines qui sortent de terre, & font des petits en route, dont ils en portent un dans la gueule, un autre sur le dos, & abandonnent le surplus, si surplus il y a. Ils prennent en descendant des montagnes, le chemin du golfe de Bothnie; mais ordinairement ils sont dispersés, & périssent avant d'y arriver.

Une autre singularité dans la maniere dont ils font ce voyage, c'est que rien ne peut les obliger à se détourner de leur route, qu'ils suivent toujours en droite ligne. Qu'ils rencontrent, par exemple, un homme, ils tâchent de lui passer entre les jambes, plutôt que de se déranger de leur chemin, ou bien ils se mettent sur les piés de derriere, & mordent la canne qu'on leur oppose. S'ils rencontrent une meule de foin, ils se font un chemin au travers, à force de manger, & de creuser, plutôt que d'en faire le tour.

Le peuple qui n'a point su la demeure de ces animaux, s'est imaginé qu'ils tomboient des nues. Wormius a fait un ouvrage pour l'expliquer par des raisons probables; mais avant que d'examiner comment il peut tomber des rats du ciel, il eût été bon

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