ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"656"> pueri sciunt. Quintill. IX. jv. 5. « Un tems, dit M. l'abbé d'Olivet, pag. 49. est ici ce qu'est le point dans la Géométrie, & l'unité dans les nombres ». c'est - à - dire, que ce tems n'est un, que relativement à un autre qui en est le double, & qui est par conséquent comme deux; que le même tems qui est un dans cette hypothese, pourroit être considéré comme deux dans une autre supposition, où il seroit comparé avec un autre tems qui n'en seroit que la moitié. C'est en effet de cette maniere qu'il faut calculer l'appréciation des tems syllabiques, si l'on veut pouvoir concilier tout ce que l'on en dit.

On distingue généralement les syllabes en longues & breves, & on assigne, dit M. d'Olivet, un tems à la breve, & deux tems à la longue, ibid. « Mais cette premiere division des syllabes ne suffit pas, ajoutet - il un peu plus loin: car il y a des langues plus longues, & des breves plus breves les unes que les autres ». Il indique les preuves de cette assertion, dans le traité de l'arrangement des mots par Denys d'Halicarnasse, ch. xv. & dans l'ouvrage de G. J. Vossius de arte grammaticâ, II. xij. où il a, dit - on, oublié ce passage formel de Quintilien: & longis longiores, & brevibus sunt breviores syllaboe. IX. jv.

Que suit - il de - là? Le moins qu'on puisse donner à la plus breve, c'est un tems, de l'aveu du savant prosodiste françois. J'en conclus qu'il juge donc lui - même ce tems indivisible, puisque sans cela on pourroit donner moins à la plus breve: donc le moins qu'on puisse donner de plus à la moins breve, sera un autre tems; la longue aura donc au moins trois tems, & la plus longue qui aura au - dela de trois tems, en aura au moins quatre. Dans ce cas que devient la maxime de Quintilien, reçue par M. d'Olivet, longam esse duorum cemporum, brevem unius?

Mais notre prosodiste augmente encore la difficulté.

« Je dis sans hésiter, c'est lui qui parle, pag. 51. que nous avons nos breves & nos plus breves; nos longues & nos plus longues. Outre cela nous avons notre syllabe séminine plus breve que la plus breve des masculines: je veux dire celle où entre l'e muet; soit qu'il fasse la syllabe entiere, comme il fait la derniere du mot armée; soit qu'il accompagne une consonne, comme dans les deux premieres du mot revenir. Quoiqu'on l'appelle muet, il ne l'est point; car il se fait entendre. Ainsi à parler exactement, nous aurions cinq tems syllabiques, puisqu'on peut diviser nos syllabes en muettes, breves, moins breves, longues & plus longues ». Par conséquent le moindre tems syllabique étant envisagé comme indivisible par l'auteur, la moindre différence qu'il puisse y avoir d'un de nos tems syllabiques à l'autre, est cet élément indivisible; & ils seront entr'eux dans la progression des nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5.

Notre illustre académicien répondra peut - être, que je lui prête des conséquences qu'il n'a point avouées: qu'il a dit positivement que la plus breve auroit un tems; que la moins breve auroit un peu au - delà d'un tems; mais sans pouvoir emporter deux tems entiers; qu'ainsi la longue auroit justement deux tems. & la plus longue un peu au de - là. Je conviens que tel est le système de la prosodie françoise: mais je réponds, 1°. qu'il est inconséquent, puisque l'auteur commence par poser que le moins qu'on puisse donner à la plus breve, c'est un tems; ce qui est déclarer ce moins un élément indivisible, quoiqu'on le divise ensuite pour fixer la gradation de nos tems syllabiques sans excéder les deux tems élémentaires: 2°. que cette inconséquence même n'est pas encore suffisante pour renfermer le système de la quantité dans l'espace de deux tems élémentaires, puisqu'on est forcé de laisser aller la plus longue de nos syllabes un peu au - delà des deux tems; & que par conséquent il reste toujours à concilier les deux principes de Quintilien, que la breve est d'un tems & la longue de deux, & que cependant il y a des syllabes plus ou moins longues, ainsi que des breves plus ou moins breves: 3°. que dans ce systeme on n'a pas encore compris nos syllabes muettes, plus breves que nos plus breves masculines; ce qui reculeroit encore les bornes des deux tems élémentaires: 4°. enfin que, sans avoir admis explicitement les conséquences du principe de l'indivisibilité du premier tems syllabique, on doit cependant les admettre dans le besoin, puisqu'elles suivent nécessairement du principe; & qu'au reste c'est peut - être le parti le plus sûr pour graduer d'une maniere raisonnable les différences de quantité qui distinguent les syllabes.

Pour ce qui concerne la conciliation de ce calcul avec le principe, connu des enfans mêmes, que l'art métrique, en grec & en latin, ne connoît que des longues & des breves; il ne s'agit que de distinguer la quantité naturelle & la quantité artificielle.

La quantité naturelle est la juste mesure de la durée du son dans chaque syllabe de chaque mot, que nous prononçons, conformément aux lois du méchanisme de la parole & de l'usage national.

La quantité artificielle est l'appréciation conventionnelle de la durée du son dans chaque syllabe de chaque mot, relativement au méchanisme artificiel de la versification métrique & du rythme oratoire.

Dans la quantité naturelle, on peut remarquer des durées qui soient entre elles comme les nombres 1, 2, 3, 4, 5, ou même dans une autre progression: & ceux qui parlent le mieux une langue, sont ceux qui se conforment le plus exactement à toutes les nuances de cette progression quelconque. Les femmes du grand monde sont ordinairement les plus exactes en ce point, sans y mettre du pédantisme. Ciceron (de Orat. III. 21.) en a fait la remarque sur les dames romaines, dont il attribue le succès à la retraite ou elles vivoient. Mais si l'on peut dire que la retraite conserve plus sûrement les impressions d'une bonne éducation; on peut dire aussi qu'elle fait obstacle aux impressions de l'usage, qui est dans l'art de parler le maître le plus sûr, ou même l'unique qu'il faille suivre: nous voyons en effet que des savans très profonds s'expriment sans exactitude & sans grace, parce que continuellement retenus par leurs études dans le silence de leur cabinet, ils n'ont avec le monde aucun commerce qui puisse rectifier leur langage; & d'ailleurs les succes de nos dames en ce genre ne peuvent plus être attribués à la même cause que ceux des dames romaines, puisque leur maniere de vivre est si différente. La bonne raison est celle qu'ailegue M. l'abbé d'Olivet, pag. 99. c'est qu'elles ont, d'une part, les organes plus délicats que nous, & par conséquent plus sensibles, plus susceptibles des moindres différences; & de l'autre, plus d'habitude & plus d'inclination à discerner & à suivre ce qui plaît. A peine distinguons - nous dans les sons toutes les différences appréciables; nos dames y démêlent toutes les nuances sensibles: nous voulons plaire, mais sans trop de frais; & rien ne coûte aux dames, pourvu qu'elles puissent plaire.

S'il avoit fallu tenir un compte rigoureux de tous les degrés sensibles ou même appréciables de quantité, dans la versification métrique, ou dans les combinaisons harmoniques du rythme oratoire; les difficultés de l'art, excessives ou même insurmontables, l'auroient fait abandonner avec justice, parce qu'elles auroient été sans un juste dédommagement: les chefs - d'oeuvres des Homeres, des Pindares, des Virgiles, des Horaces, des Démosthènes, des Cicérons, ne seroient jamais nés; & les noms illustres, ensevelis dans les ténebres de l'oubli qui est dû aux hommes vulgaires, n'enrichiroient pas aujourd'hui les [p. 657] fastes littéraires. Il a donc fallu que l'art vînt mettre la nature à notre portée, en réduisant à la simple distinction de longues & de breves toutes les syllabes qui composent nos mots. Ainsi la quantité artificielle regarde indistinctement comme longues toutes les syllabes longues, & comme breves toutes les syllabes breves, quoique les unes soient peut - être plus ou moins longues, & les autres plus ou moins breves. Cette maniere d'envisager la durée des sons n'est point contraire à la maniere dont les produit la nature; elle lui est seulement inférieure en précision, parce que plus de précision seroit inutile ou nuisible à l'art.

Les syllabes des mots sont longues ou breves, ou par nature ou par usage.

1°. Une syllabe d'un mot est longue ou breve par nature, quand le son qui la constitue dépend de quelque mouvement organique que le méchanisme doit exécuter avec aisance ou avec célérite, selon les lois physiques qui le dirigent.

C'est par nature que de deux voyelles consécutives dans un même mot, l'une des deux est breve, & sur - tout la premiere; que toute diphtongue est longue, soit qu'elle soit usuelle ou qu'elle soit factice; que si par licence on décompose une diphtongue, l'un des deux sons élémentaires devient bref, & plus communément le premier. Voyez Hiatus.

On peut regarder encore comme naturelle une autre regle de quantité, que Despautere énonce en deux vers:

Dum postponuntur vocali consona bina Aut duplex, longa est positu . . . . . . . . & que l'on trouve rendue par cesdeux vers françois dans la méthode latine de Port - Royal:

La voyelle longue s'ordonne, Lorsqu'après suit double consonne. Ceci doit s'entendre du son représente par la voyelle; & sa position consiste à être suivi de deux articulations prononcées, comme dans la premiere syllabe de carmen, dans la syllabe pst, dans at suivi de pius, ät pius AEneas, &c. C'est que l'on ne tient alors aucun compte de syllabes physiques qui ont pour ame l'e muet qui suit nécessairement toute consonne qui n'est pas avant une autre voyelle; & qu'en conséquence on rejette sur le compte de la voyelle antécédente, le peu de tems qui appartient à l'e muet que la premiere des deux consonnes amene nécessairement, mais sourdement. Ainsi la prononciation usuelle ne fait que deux syllabes de carmen, quoique l'articulation y introduise nécessairement un e muet, & que l'on prononce naturellement ca - re mè - ne: cet e muet est si bref, qu'on le compte absolument pour rien; mais il est si réel que l'on est forcé d'en retenir la quantité pour en augmenter celle de la voyelle précédente.

L'auteur de la méthode latine (traité de la quantité, reg. IV.), observe que pour faire qu'une syllabe soit longue par posrtion, il faut au moins qu'il y ait une des consonnes dans la syllabe même qu'on fait longue. Car, dit - il, si elles sont toutes deux dans la suivante, cela ne la fait pas longue d'ordinaire. Cette remarque est peu philosophique; parce que deux consonnes ne peuvent appartenir à une même syllabe physique; & qu'une consonne ne peut influer en rien sur une voyelle précédente. Voyez H. Ainsi que les deux consonnes appartiennent au mot suivant, ou qu'elles soient toutes deux dans le même mot que la voyelle précédente, ou enfin que l'une soit dans le même mot que la voyelle, & l'autre dans le mot suivant; il doit toujours en résulter le même effet prosodique, puisque c'est toujours la même chose. Le vers qu'on nous cite de Virgile, AEneid. IX. 37. Ferte citi ferrum, date tel, scandite muros, est donc dans la regle générale, ainsi que l'usage ordinaire des Grecs à cet égard, & ce que l'on traite d'affectation dans Catule & dans Martial.

On peut objecter sur cela que la liberté que l'on a en grec & en latin, de faire breve ou longue, une voyelle originairement breve, quand elle se trouve par hasard suivie d'une mute & d'une liquide, semble prouver que la regle d'alonger la voyelle située devant deux consonnes, n'est pas dictée par la nature, puisque rien ne peut dispenser de suivre l'impression de la nature. Mais il faut prendre garde que l'on suppose 1°. qu'originairement la voyelle est breve, & que pour la faire longue, il faut aller contre la regle qui l'avoit rendue breve; car si elle étoit originairement longue, loin de la rendre breve, le concours de la mute & de la liquide seroit une raison de plus pour l'alonger: 2°. il faut que des deux consonnes, la seconde soit liquide, c'est - à - dire qu'elle s'allie si bien avec la précédente, qu'elle paroisse n'en faire plus qu'une avec elle: or dès qu'elle paroît n'en faire qu'une, on ne doit sentir que l'effet d'une, & la breve a droit de demeurer breve; si on veut appuyer sur les deux, la voyelle doit devenir longue.

On objectera encore que l'usage de notre orthographe est diamétralement opposé à cette prétendue loi de la nature, puisque nous redoublons la consonne d'après une voyelle que nous voulons rendre breve. Nos peres, selon M. l'abbé d'Olivet, pag. 22, ont été si fideles à notre orthographe, que souvent ils ont secoué le joug de l'étymologie, comme dans couronne, personne, où ils redoublent la lettre n, de peur qu'on ne fasse la pénultieme longue en françois ainsi qu'en latin. « Quoique le second t soit muet dans tette, dans patte, c'est, dit - il, (p. 23.) une nécessité de continuer à les écrire ainsi, parce que le redoublement de la consonne est institué pour abréger la syllabe, & que nous n'avons point d'accent, point de signe qui puisse y suppléer ».

La réponse à cette objection est fort simple. Nous écrivons deux consonnes à la vérité; mais nous n'en prononçons qu'une. Or la quantité du son est une affaire de prononciation & non d'orthographe; si bien que dès que nous prononcerons les deux consonnes, nous allongerons inévitablement la voyelle précédente. Quant à l'intention qu'ont eue nos peres, en instituant le redoublement de la consonne dans les mots où la voyelle précédence est breve; ce n'a point été de l'abréger, comme le dit l'auteur de la prosodie françoise, mais d'indiquer seulement qu'elle est breve. Le moyen étoit - il bien choisi? Je n'en crois rien, parce que le redoublement de la consonne, dans l'orthographe, devroit indiquer naturellement l'effet que produit dans la prononciation le redoublement de l'articulation, qui est de rendre longue la syllabe qui précéde. Nous n'avons point de signe, dit - on, qui puisse y suppléer. M. Duclos, dans ses remarques manuscrites sur cet endroit - là même, demande s'il ne suffiroit pas de marquer les longues par un circonflexe, & les breves par la privation d'accent. Nous pouvons déja citer quelques exemples autorisés: matin, commencement du jour, a la premiere breve, & il est sans accent; mâtin, espece de chien, a la premiere longue, & il a le circonflexe: c'est la même chose de tache, souillure, & tâche que l'on a à faire; de sur, préposition, & sûr, adjectif; de jeune d'âge, & jeûne, abstinence. Y auroit - il plus d'inconvénient à écrire il tete & la tête, la pâte du pain, & la pate d'un animal; vu surtout que nous sommes déja en possession d'écrire avec le circonflexe ceux de ces mots qui ont la premiere longue?

2°. Une syllabe d'un mot est longue ou breve par usage seulement, lorsque le méchanisme de la prononciation n'exige dans le son, qui en est l'ame, ni longueur, ni briéveté.

Il y a dans toutes les langues un plus grand nom<pb->

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