ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"vij"> priétés de l'Aimant, ce seroit sans doute une recherche bien digne d'un Philosophe, que de réduire, s'il étoit possible, toutes ces propriétés à une seule, en montrant la liaison qu'elles ont entr elles. Mais plus une telle découverte seroit utile aux progrès de la Physique, plus nous avons lieu de craindre qu'elle ne soit refusée à nos efforts. J'en dis autant d'un grand nombre d'autres phénomènes dont l'enchaînement tient peut - être au système général du Monde.

La seule ressource qui nous reste donc dans une recherche si pénible, quoique si nécessaire, & même si agréable, c'est d'amasser le plus de faits qu'il nous est possible, de les disposer dans l'ordre le plus naturel, de les rappeller à un certain nombre de faits principaux dont les autres ne soient que des conséquences. Si nous osons quelquefois nous élever plus haut, que ce soit avec cette sage circonspection qui sied si bien à une vûe aussi foible que la nôtre.

Tel est le plan que nous devons suivre dans cette vaste partie de la Physique, appellée Physique générale & expérimentale. Elle differe des Sciences Physico - Mathématiques, en ce qu'elle n'est proprement qu'un recueil raisonné d'expériences & d'observations; au lieu que celles - ci par l'application des calculs mathématiques à l'expérience, déduisent quelquefois d'une seule & unique observation un grand nombre de conséquences qui tiennent de bien près par leur certitude aux vérités géométriques. Ainsi une seule expérience sur la réflexion de la lumiere donne toute la Catoptrique, ou science des propriétés des Miroirs; une seule sur la réfraction de la lumiere produit l'explication mathématique de l'Arc - enciel, la théorie des couleurs, & toute la Dioptrique, ou science des Verres concaves & convexes; d'une seule observation sur la pression des fluides, on tire toutes les lois de l'équilibre & du mouvement de ces corps; enfin une experience unique sur l'accélération des corps qui tombent, fait découvrir les lois de leur chûte sur des plans inclinés, & celles du mouvement des pendules.

Il faut avoüer pourtant que les Géometres abusent quelquefois de cette application de l'Algebre à la Physique. Au défaut d'expériences propres à servir de base à leur calcul, ils se permettent des hypothèses les plus commodes, à la vérité, qu'il leur est possible, mais souvent très - éloignées de ce qui est réellement dans la Nature. On a voulu réduire en calcul jusqu'à l'art de guérir; & le corps humain, cette machine si compliquée, a été traité par nos Medecins algébristes comme le seroit la machine la plus simple ou la plus facile à décomposer. C'est une chose singuliere de voir ces Auteurs résoudre d'un trait de plume des problèmes d'Hydraulique & de Statique capables d'arrêter toute leur vie les plus grands Géometres. Pour nous, plus sages ou plus timides, contentons - nous d'envisager la plûpart de ces calculs & de ces suppositions vagues comme des jeux d'esprit auxquels la Nature n'est pas obligée de se soûmettre; & concluons, que la seule vraie maniere de philosopher en Physique, consiste, ou dans l'application de l'analvse mathématique aux expériences, ou dans l'observation seule, éclairée par l'esprit de méthode, aidée quelquefois par des conjectures lorsqu'elles peuvent fournir des vûes, mais séverement dégagée de toute hypothèse arbitraire.

Arrêtons - nous un moment ici, & jettons les yeux sur l'espace que nous venons de parcourir. Nous y remarquerons deux limites où se trouvent, pour ainsi dire, concentrées presque toutes les connoissances certaines accordées à nos lumieres naturelles. L'une de ces limites, celle d'où nous sommes partis, est l'idée de nous - mêmes, qui conduit à celle de l'Etre tout - puissant, & de nos principaux devoirs. L'autre est cette partie des Mathématiques qui a pour objet les propriétés générales des corps, de l'étendue & de la grandeur. Entre ces deux termes est un intervalle immense, où l'Intelligence suprème semble avoir voulu se joüer de la curiosité humaine, tant par les nuages qu'elle y a répandus sans nombre, que par quelques traits de lumiere qui semblent s'échapper de distance en distance pour nous attirer. On pourroit comparer l'Univers à certains ouvrages d'une obscurité sublime, dont les Auteurs en s'abaissant quelquefois à la portée de celui qui les lit, cherchent à lui persuader qu'il entend tout à - peu - près. Heureux donc, si nous nous engageons dans ce labyrinthe, de ne point quitter la véritable route; autrement les éclairs destinés à nous y conduire, ne serviroient souvent qu'à nous en écarter davantage.

Il s'en faut bien d'ailleurs que le petit nombre de connoissances certaines sur lesquelles nous pouvons compter, & qui sont, si on peut s'exprimer de la sorte, reléguées aux deux extrémités de l'espace dont nous parlons, soit suffisant pour satisfaire à tous nos besoins. La nature de l'homme, dont l'étude est si nécessaire & si recommandée par Socrate, est un mystere impénétrable à l'homme même, quand il n'est éclairé que par la raison seule; & les plus grands génies à force de réflexions sur une matiere si importante, ne parviennent que trop souvent à en savoir un peu moins que le reste des hommes. On peut en dire autant de notre existence présente & future, de l'essence de l'Etre auquel nous la devons, & du genre de culte qu'il exige de nous. [p. viij]

Rien ne nous est donc plus nécessaire qu'une Religion révélée qui nous instruisè sur tant de divers objets. Destinée à servir de supplément à la connoissance naturelle, elle nous montre une partie de ce qui nous étoit caché; mais elle se borne à ce qu'il nous est absolument nécessaire de connoître; le reste est fermé pour nous, & apparemment le sera toûjours. Quelques vérités à croire, un petit nombre de préceptes à pratiquer, voilà à quoi la Religion révélée fe réduit: néanmoins à la faveur des lumieres qu'elle a communiquées au monde, le Peuple même est plus ferme & plus décidé sur un grand nombre de questions intéressantes, que ne l'ont été toutes les sectes des Philosophes.

A l'égard des Sciences mathématiques, qui constituent la seconde des limites dont nous avons parlé, leur nature & leur nombre ne doivent pointnous en imposer. C'est à la simplicité de leur objet qu'elles sont principalement redevables de leur certitude. Il faut même avoüer que comme toutes les parties des Mathématiques n'ont pas un objet également simple, aussi la certitude proprement dite, celle qui est fondée sur des principes nécessairement vrais & évidens par eux - mêmes, n'appartient ni également ni de la même maniere à toutes ces parties. Plusieurs d'entr'elles, appuyées sur des principes physiques, c'est - à - dire, sur des vérités d'expérience ou sur de simples hypothèses, n'ont, pour ainsi dire, qu'une certitude d'expérience ou même de pure supposition. Il n'y a, pour parler exactement, que celles qui traitent du calcul des grandeurs & des propriétés générales de l'étendue, c'est - à - dire, l'Algebre, la Géométrie & la Méchanique, qu'on puisse regarder comme marquées au sceau de l'évidence. Encore y a - t - il dans la lumiere que ces Sciences présentent à notrè esprit, une espece de gradation, & pour ainsi dire de nuance à observer. Plus l'objet qu'elles embrassent est étendu, & considéré d'une maniere générale & abstraite, plus aussi leurs principes sont exempts de nuages; c'est par cette raison que la Géométrie est plus simple que la Méchanique, & l'une & l'autre moins simples que l'Algebre. Ce paradoxe n'en sera point un pour ceux qui ont étudié ces Sciences en Philosophes; les notions les plus abstraites, celles que le commun des hommes regarde comme les plus inaccessibles, sont souvént celles qui portent avec elles une plus grande lumiere: l'obscurité s'empare de nos idées à mesure que nous examinons dans un objet plus de propriétés sensibles. L'impénétrabilité, ajoûtée à l'idée de l'étendue, semble ne nous offrir qu'un mystere de plus, la nature du mouvement est une énigme pour les Philosophes, le principe métaphysique des lois de la percussion ne leur est pas moins caché; en un mot plus ils approfondissent l'idée qu'ils se forment de la matiere & des propriétés qui la représentent, plus cette idée s'obscurcit & paroît vouloir leur échapper.

On ne peut donc s'empêcher de convenir que l'esprit n'est pas satisfait au même degré par toutes les connoissances mathématiques: allons plusloin, & examinons sans prévention à quoi ces connoissances se réduisent. Envisagées d'un premier coup d'oeil, elles sont sans doute en fort grand nombre, & même en quelque sorte inépuisables: mais lorsqu'après les avoir accumulées, on en fait le dénombrement philosophique, on s'appercoit qu'on est en effet beaucoup moins riche qu on ne croyoït l'être. Je ne parle point ici du peu d'application & d'usage qu'on peut faire de plusieurs de ces vérités; ce seroit peut - être un argument assez foible contr'elles: je parle de ces vérités considérées en elles - mêmes. Qu'est - ce que la plûpart des ces axiomes dont la Géométrie est si orgueilleuse, si ce n'est l'expression d'une même idée simple par deux signes ou mots différens? Celui qui dit que deux & deux font quatre, a - t - il une connoissance de plus que celui qui se contenteroit de dire que deux & deux font deux & deux? Les idées de tout, de partie, de plus grand & de plus petit, ne sont - elles pas, à proprement parler, la même idée simple & individuelle, pusqu'on ne sauroit avoir l'une sans que les autres se présentent toutes en même tems? Nous devons, comme l'ont observé quelques Philosophes, bien des erreurs à l'abus des mots; c'est peut - être à ce même abus que nous devons les axiomes. Je ne prétends point cependant en condamner absolument l'usage, je veux seulement faire observer à quoi il se réduit; c'est à nous rendre les idées simples plus familieres par l'habitude, & plus propres aux différens usages auxquels nous pouvons les appliquer. J'en dis à - peu - près autant, quoiqu'avec les restrictions convenables, des théorèmes mathématiques. Considérés sans préjugé, ils se réduisent à un assez petit nombre de vérites primitives. Qu'on examine une suite de propositions de Géométrie déduites les unes des autres, en sorte que deux propositions voisines se touchent immédiatement & sans aucun intervalle, on s'appercevra qu'elles ne sont toutes que la premiere proposition qui se défigure, pour ainsi dire, successivement & peu à peu dans le passage d'une conséquence à la suivante, mais qui pourtant n'a point été réellement multipliée par cet enchaînement, & n'a fait que recevoir différentes formes. C'est à - peu - près comme si on vouloit exprimer cette proposition par le moyen d'une langue qui se seroit insensiblement dénaturée, & qu'on l'exprimât successivement de diverses manieres, qui représentassent les différens états par lesquels la langue a passé.

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