ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"65"> toires, soit en interrogeant, en admirant, en nous fâchant, &c. les syllabes qui précedent nos e muets ne sont - elles pas soûtenues & élevées comme elles le sont dans le discours ordinaire?

Cette différence entre la prononciation des Anciens & la nôtre, me paroît être la véritable raison pour laquelle, quoique nous ayons une quantité comme ils en avoient une; cependant la différence de nos longues & de nos breves n'étant pas également sensible en tous nos mots, nos vers ne sont formés que par l'harmonie qui résulte du nombre des syllabes, au lieu que les vers grecs & les vers latins tirent leur harmonie du nombre des piés assortis par certaines combinaisons de longues & de bres. « Le dactyle, l'ïambe & les autres piés entrent dans le discours ordinaire, dit Ciceron, & l'auditeur les reconnoît facilement », eosfacile agnoscit auditor. (Cic. Orator. n. LVI.) « Si dans nos Théatres, ajoûte - t - il, un Acteur prononce une syllabe breve ou longue autrement qu'elle ne doit être prononcée, selon l'usage, ou d'un ton grave ou aigu, tout le peuple se récrie. Cependant, poursuit - il, le peuple n'a point étudié la regle de notre Prosodie; seulement il sent qu'il est blessé par la prononciation de l'Acteur: mais il ne pourroit pas déméler en quoi ni comment; il n'a sur ce point d'autre regle que le discernement de l'oreille; & avec ce seul secours que la nature & l'habitude lui donnent, il connoît les longues & les breves, & distingue le grave de l'aigu ». Theatra tota exclamant, si fuit una syllaba brevior aut longior. Nec verò multitudo pedes novi, nec ullos numeros tenet: nec illad quod offendit aut cur, aut in quo offendat intelligit, & tamen omnium longitudinum & brevitatum in sonis, sicut acutarum graviumque vocum, judicium ipsa natura in auribus nostris collocavit. (Cic. Orat. n. LI. fin.)

Notre Parterre démêle, avec la même finesse, ce qui est contraire à l'usage de la bonne prononciation; & quoique la multitude ne sache pas que nous avons un e ouvert, un e fermé & un e muet, l'Acteur qui prononceroit l'un au lieu de l'autre seroit siflé.

Le célebre Lully a eu presque toûjours une extrème attention à ajuster son chant à la bonne prononciation; par exemple il ne fait point de tenue sur les syllabes breves, ainsi dans l'opera d'Atis,

Vous vous éveillez si matin, l'a de matin est chanté bref tel qu'il est dans le discours ordinaire; & un Acteur qui le feroit long comme il l'est dans matin, gros chien, seroit également siflé parmi nous, comme il l'auroit été chez les Anciens en pareil cas.

Dans la Giammaire greque, on ne donne le nom d'accent qu'à ces trois signes, l'aigu, le grave & le circonflexe ^, qui servoient à marquer le ton, c'est - à - dire l'élevement & l'abaissement de la voix; les autres signes, qui ont d'autres usages, ont d'autres noms, comme l'esprit rude, l'esprit doux, &c.

C'est une question s'il faut marquer aujourd'hui ces accens & ces esprits sur les mots grecs: le P. Sanadon, dans sa préface sur Horace, dit qu'il écrit le grec sans accens.

En effet, il est certain qu'on ne prononce les mots des langues mortes que selon les inflexions de la langue vivante; nous ne faisons sentir la quantité du grec & du latin que sur la pénultieme syllabe, encore faut - il que le mot ait plus de deux syllabes: mais à l'égard du ton ou accent, nous avons perdu sur ce point l'ancienne prononciation; cependant, pour ne pas tout perdre, & parce qu'il arrive souvent que deux mots ne different entr'eux que par l'accent, je crois avec l'Auteur de la Méthode gre<cb-> que de P. R. que nous devons conserver les accens en écrivant le grec: mais j'ajoûte que nous ne devons les regarder que comme les signes d'une prononciation qui n'est plus; & je suis persuade que les Savans qui veulent aujourd'hui régler leur prononciation sur ces accens, seroient siflés par les Grecs mêmes s'il étoit possible qu'ils en fussent entendus.

A l'égard des Latins, on croit communément que les accens ne furent mis en usage dans l'écriture que pour fixer la prononciation, & la faciliter aux étrangers.

Aujourd'hui, dans la Grammaire latine, on ne donne le nom d'accent qu'aux trois signes dont nous avons parlé, le grave, l'aigu & le circonflexe, & ce dernier n'est jamais marqué qu'ainsi ^, & non ~ comme en grec.

Les anciens Grammairiens latins n'avoient pas restraint le nom d'accent à ces trois signes. Priscien, qui vivoit dans le sixieme siecle, & Isidore, qui vivoit peu de tems après, disent également que les Latins ont dix accens. Ces dix accens, selon ces Auteurs, sont;

1. L'accent aigu.

2. Le grave.

3. Le circonflexe ~.

4. La longue barre, pour marquer une voyelle longue - , longa linea, dit Priscien; longa virgula, dit Isidore.

5. La marque de la brieveté d'une syllabe, brevis virgula .

6. L'hyphen qui servoit à unir deux mots, comme ante - tulit; ils le marquoient ainsi, selon Priscien , & ainsi selon Isidore *W. Nous nous servons du tiret ou trait d'union pour cet usage, portemanteau, ac - en - ciel; ce mot hyphen est purement grec, , sub, & E'N, unum.

7. La diastole au contraire étoit une marque de séparation; on la marquoit ainsi sous le mot, supposita versui. (Isid. de fig. accentuum).

8. L'apostrophe dont nous nous servons encore; les Anciens la mettoient aussi au haut du mot pour marquer la suppression d'une lettre, l'ame pour la ame.

9. La *DASEI=A; c'étoit le signe de l'aspiration d'une voyelle. RAC. DASU\, hirsutus, hérissé, rude. On le marquoit ainsi sur la lettre, c'est l'esprit rude des Grecs, dont les copistes ont fait l'h pour avoir la facilité d'écrire de suite sans avoir la peine de lever la plume pour marquer l'esprit sur la lettre aspirée.

10. Enfin, le YILH\, qui marquoit que la voyelle ne devoit point être aspirée; c'est l'esprit doux des Grecs, qui étoit écrit en sens contraire de l'esprit rude.

Ils avoient encore, comme nous, l'astérique & plusieurs autres notes dont Isidore fait mention, Orig. liv. I. & qu'il dit être très - anciennes.

Pour ce qui est des Hébreux, vers le cinquieme siecle, les Docteurs de la fameuse Ecole de Tibériade travaillerent à la critique des Livres de l'Ecriture - sainte, c'est - à - dire, à distinguer les livres apocryphes d'avec les canoniques: ensuite ils les diviserent par sections & par versets; ils en fixerent la lecture & la prononciation par des points, & par d'autres signes que les Hébraïsans appellent accens; desorte qu'ils donnent ce nom, non - seulement aux signes qui marquent l'élevation & l'abaissement de la voix, mais encore aux signes de la ponctuation.

Aliorum exemplo excitati vetustiores Massoretoe huic malo obviam ierunt, vocesque à vocibus distinxerunt interjecto vacuo aliquo spatiolo; versus verò ac periodas notulis quibusdam, seu ut vocant accentibus, quos eam ob causam accentus pausantes & distinguentes, dixerunt. Masclef, Gram. Hebrai. 1731. tom. I. pag. 34. [p. 66]

Ces Docteurs furent appellés Massoretes, du mot massore, qui veut dire tradition; parce que ces Docteurs s'attacherent dans leur opération à conserver, autant qu'il leur fut possible, la tradition de leurs Peres dans la maniere de lire & de prononcer.

A notre égard, nous donnons le nom d'accent premierement aux inflexions de voix, & à la maniere de prononcer des pays particuliers; ainsi, comme nous l'avons déjà remarqué, nous disons l'accent Gascon, &c. Cet homme a l'accent étranger, c'est - à - dire, qu'il a des inflexions de voix & une maniere de parler, qui n'est pas celle des personnes nées dans la capitale. En ce sens, accent comprend l'élevation de la voix, la quantité & la prononciation particuliere de chaque mot & de chaque syllabe.

En second lieu, nous avons conservé le nom d'accent à chacun des trois signes du ton qui est ou aigu, ou grave, ou circonflexe: mais ces trois signes ont perdu parmi nous leur ancienne destination; ils ne sont plus, à cet égard, que des accens imprimés: voici l'usage que nous en faisons en Grec, en Latin, & en François.

A l'égard du Grec, nous le prononçons à notre maniere, & nous plaçons les accens selon les regles que les Grammairiens nous en donnent, sans que ces accens nous servent de guide pour élever, ou pour abaisser le ton.

Pour ce qui est du Latin, nous ne faisons sentir aujourd'hui la quantité des mots que par rapport à la penultieme syllabe; encore faut - il que le mot ait plus de deux syllabes; car les mots qui n'ont que deux syllabes sont prononcés également, soit que la premiere soit longue ou qu'elle soit breve: par exemple, en vers, l'a est bref dans pater & long dans mater, cependant nous prononçons l'un & l'autre comme s'ils avoient la même quantité.

Or, dans les Livres qui servent à des lectures publiques, on se sert de l'accent aigu, que l'on place différemment, selon que la pénultieme est breve ou longue: par exemple, dans matutinus, nous ne faisons sentir la quantité que sur la pénultieme ti; & parce que cette pénultieme est longue, nous y mettons l'accent aigu, matutinus.

Au contraire, cette pénultieme ti est breve dans serótinus; alors nous mettons l'accent aigu sur l'antepenultieme ro, soit que dans les vers cette pénultieme soit breve ou qu'elle soit longue. Cet accent aigu sert alors à nous marquer qu'il faut s'arrêter comme sur un point d'appui sur cette antépénultieme accentuée, afin d'avoir plus de facilité pour passer légerement sur la pénultieme, & la prononcer breve.

Au reste, cette pratique ne s'observe que dans les Livres d'Eglise destinés à des lectures publiques. Il seroit à souhaiter qu'elle fût également pratiquée à l'égard des Livres Classiques, pour accoûtumer les jeunes gens à prononcer régulierement le Latin.

Nos Imprimeurs ont conservé l'usage de mettre un accent circonflexe sur l'â de l'ablatif de la premiere déclinaison. Les Anciens relevoient la voix sur l'a du nominatif, & le marquoient par un accent aigu, musá, au lieu qu'à l'ablatif ils l'élevoient d'abord, & la rabaissoient ensuite comme s'il y avoit eu musáà; & voilà l'accent circonflexe que nous avons conservé dans l'écriture, quoique nous en ayons perdu la prononciation.

On se sert encore de l'accent circonflexe en Latin quand il y a syncope, comme virûm pour virorum; sestertiûm pour sestertiorum.

On emploie l'accent grave sur la derniere syllabe des adverbes, malè, bènè, diù, &c. Quelques - uns même veulent qu'on s'en serve sur tous les mots indéclinables, mais cette pratique n'est pas exactement suivie.

Nous avons conservé la pratique des Anciens à l'égard de l'accent aigu qu'ils marquoient sur la syllabe qui est suivie d'un enclitique, arma virúmque cano. Dans virúmque on éleve la voix sur l'u de virum, & on la laisse tomber en prononçant que, qui est un enclitique. Ne, ve sont aussi deux autres enclitiques; desorte qu'on éleve le ton sur la syllabe qui précede l'un de ces trois mots, à peu près comme nous élevons en François la syllabe qui précede un e muet: ainsi, quoique dans mener l'e de la premiere syllabe me soit muet, cet e devient ouvert, & doit être soûtenu dans je mene, parce qu'alors il est suivi d'un e muet qui finit le mot; cet e final devient plus aisément muet quand la syllabe qui le précede est soûtenue. C'est le méchanisme de la parole qui produit toutes ces variétés, qui paroissent des bisarreries ou des caprices de l'usage à ceux qui ignorent les véritables causes des choses.

Au reste, ce mot cnclitique est purement Grec, & vient d'E'GHLNW, inclino, parce que ces mots sont comme inclinés & appuyés sur la derniere syllabe du mot qui les précede.

Observez que lorsque ces syllabes, que, ne, ve, font partie essentielle du mot, desorte que si vous les retranchiez, le mot n'auroit plus la valeur qui lui est propre; alors ces syllabes n'ayant point la signification qu'elles ont quand elles sont enclitiques, en met l'accent, comme il convient, selon que la p<-> nultieme du mot est longue ou breve; ainsi dans ubique on met l'accent sur la pénultieme, parce que l'i est long, au lieu qu'on le met sur l'antépénultieme dans dénique, úndique, útique.

On ne marque pas non plus l'accent sur la pénultieme avant le ne interrogatif, lorsqu'on éleve la voix sur ce ne, ego - ne? sicci - ne? parce qu'alors ce ne est aigu.

Il seroit à souhaiter que l'on accoûtumât les jeunes gens à marquer les accens dans leurs compositions. Il faudroit aussi que lorsque le mot écrit peut avoir deux acceptions différentes, chacune de ces acceptions fût distinguée par l'accent; ainsi quand occido vient de cado, l'i est bref & l'accent doit être sur l'antépénultieme, au lieu qu'on doit le marquer sur la pénultieme quand il signifie tuer; car alors l'i est long, occido, & cet occido vient de caedo.

Cette distinction devroit être marquée même dans les mots qui n'ont que deux syllabes, ainsi il faudroit écrire légit, il lit, avec l'accent aigu, & légit, il alû, avec le circonflexe; vénit, il vient, & vênit, il est venu.

A l'égard des autres observations que les Grammairiens ont faites sur la pratique des accens, par exemple quand la Méthode de P. R. dit qu'au mot muliéris, il faut mettre l'accent sur l'e, quoique bref, qu'il faut écrire fiôs avec un circonflexe, spés avec un aigu, &c. Cette pratique n'étant fondée que sur la prononciation des Ancns, il me semble que non seulement elle nous seroit inutile, mais qu'elle pourroit même induire les jeunes gens en erreur en leur faisant prononcer muliéris long pendant qu'il est bref, ainsi des autres que l'on pourra voir dans la Méthode de P. R. pag. 733. 735, &c.

Finissons cet article par exposer l'usage que nous faisons aujourd'hui, en François, des accens que nous avons reçûs des Anciens.

Par un effet de ce concours de circonstances, qui forment insensiblement une langue nouvelle, nos Peres nous ont transmis trois sons différens qu'ils écrivoient par la même lettre e. Ces trois sons, qui n'ont qu'un même signe ou caractere, sont,

1°. L'e ouvert, comme dans fèr, Jupitèr, la mèr, l'enfèr, &c.

2°. L'e fermé, comme dans bonté, charité, &c.

3°. Enfin l'e muet, comme dans les monosyllabes

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