ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"xxxiij"> destiné principalement à l'éloge des grands Hommes. Son mérite, dont il a forcé notre siecle à convenir, ne sera bien connu que quand le tems aura fait taire l'envie; & son nom, cher à la partie de notre nation la plus éclairée, ne peut blesser ici personne. Mais dût - il déplaire à quelques prétendus Mécenes, un Philosophe seroit bien à plaindre, si même en matiere de sciences & de goût, il ne se permettoit pas de dire la vérité.

Voilà les biens que nous possédons. Quelle idée ne se formera - t - on pas de nos trésors littéraires, si l'on joint aux Ouvrages de tant de grands Hommes les travaux de toutes les Compagnies savantes, destinées à maintenir le goût des Sciences & des Lettres, & à qui nous devons tant d'excellens Livres! De pareilles Sociétés ne peuvent manquer de produire dans un Etat de grands avantages; pourvû qu'en les multipliant à l'excès, on n'en facilite point l'entrée à un trop grand nombre de gens médiocres; qu'on en bannisse toute inégalité propre à éloigner ou à reber des hommes faits pour éclairer les autres; qu'on n'y connoisse d'autre supériorité que celle du génie; que la çonsidération y soit le prix du travail; enfin que les récompenses y viennent chercher les talens, & ne leur soient point enlevées par l'intrigue. Car il ne faut pas s'y tromper: on nuit plus aux progrès de l'esprit, en plaçant mal les récompenses qu'en les supprimant. Avoüons même à l'honneur des lettres, que les Savans n'ont pas toujours besoin d'être récompensés pour se multiplier. Témoin l'Angleterre, à qui les Sciences doivent tant, sans que le Gouvernement fasse rien pour elles. Il estvrai que la Nation les considere, qu'elle les respecte même; & cette espece de récompense, supérieure à toutes les autres, est sans doute le moyen le plus sûr de faire fleurir les Sciences & les Arts; parce que c'est le Gouvernement qui donne les places, & le Public qui distribue l'estime. L'amour des Lettres, qui est un mérite chez nos voisins, n'est encore à la vérité qu'une mode parmi nous, & ne sera peut - être jamais autre chose; mais quelque dangereuse que soit cette mode, qui pour un Mécene éclairé produit cent Amateurs ignorans & orgueilleux, peut - être lui sommes - nous redevables de n'être pas encore tombés dans la barbarie où une foule de circonstances tendent à nous précipiter.

On peut regarder comme une des principales, cet amour du fux bel esprit, qui protege l'ignorance, qui s'en fait honneur, & qui la répandra universellement tôt ou tard. Elle sera le fruit & le terme du mauvais goût; j'ajoûte qu'elle en sera le remede. Car tout a des révolutions reglées, & l'obscurité se terminera par un nouveau siecle de lumiere. Nous serons plus frappés du grand jour, après avoir été quelque tems dans les ténebres. Elles seront comme une espece d'anarchie très - funeste par elle - même, mais quelquefois utile par ses suites. Gardons - nous pourtant de souhaiter une révolution redoutable; la barbarie dure des siecles, il semble que ce soit notre élément; la raison & le bon goût ne font que passer.

Ce seroit peut - être ici le lieu de repousser les traits qu'un Ecrivain éloquent & philosophe * a lancé depuis peu contre les Sciences & les Arts, en les accusant de corrompre les moeurs. Il nous siéroit mal d'être de son sentiment à la tête d'un Ouvrage tel que celui - ci; & l'homme de mérite dont nous parlons semble avoir donné son suffrage à notre travail par le zele & le succès avec lequel il y a concouru. Nous ne lui reprocherons point d'avoir confondu la culture de l'esprit avec l'abus qu'on en peut faire; il nous répondroit sans doute que cet abus en est inséparable: mais nous le prierons d'examiner si la plûpart des maux qu'il attribue aux Sciences & aux Arts, ne sont point dûs à des causes toutes différentes, dont l'énumération seroit ici aussi longue que délicate. Les Lettres contribuent certainement à rendre la société plus aimable; il seroit difficile de prouver que les hommes en sont meilleurs, & la vertu plus commune: mais c'est un privilége qu'on peut disputer à la Morale même; & pour dire encore plus, faudra - t - il proscrire les lois, parce que leur nom sert d'abri à quelques crimes, dont les auteurs seroient punis dans une république de Sauvages? Enfin, quand nous ferions ici au desavantage des connoissances humaines un aveu dont nous sommes bien éloignés, nous le sommes encore plus de croire qu'on gagnât à les détruire: les vices nous resteroient, & nous aurions l'ignorance de plus.

Finissons cette histoire des Sciences, en remarquant que les différentes formes de gouvernement qui influent tant sur les esprits & sur la culture des Lettres, déterminent aussi les especes de connoissances qui doivent principalement y fleurir, & dont chacune a son mérite particulier. Il doit y avoir en général dans une République plus d'Orateurs, d'Historiens, & de Philosophes; & dans une Monarchie, plus de Poëtes, de Théologiens, & de Géometres. Cette regle n'est pourtant pas si absolue, qu'elle ne puisse être altérée & modifiée par une infinité de causes.

Aprés les réflexions & les vûes générales que nous avons crû devoir placer à la tête

* M. Rousseau de Genêve, Auteur de la Partie de l'Encyclopédie qui concerne la Mulique, & dont nous espérons que le Public sera très satisfait, a composé un Discours fort éloquent, pour prouver que le rétablissement des Sciences & des Arts a corrompu les moeurs. Ce Discours a été couronné en 1750 par l'Académie de Dijon, avec les plus grands éloges; il été imprimé à Paris au commencement de cette année 1751, & a fait beaucoup d'honneur à son Auteur.
[p. xxxjv] de cette Encyclopédie, il est tems enfin d'instruire plus particulierement le public sur l'Ouvrage que nous lui présentons. Le Prospectus qui a déjà été publié dans cette vûe, & dont M. Diderot mon collegue est l'Auteur, ayant été reçu de toute l'Europe avec les plus grands éloges, je vais en son nom le remettre ici de nouveau sous les yeux du Public, avec les changemens & les additions qui nous ont parû convenables à l'un & à l'autre.

On ne peut disconvenir que depuis le renouvellement des Lettres parmi nous, on ne doive en partie aux Dictionnaires les lumieres générales qui se sont répandues dans la société, & ce germe de Science qui dispose insensiblement les esprits à des connoissances plus profondes. L'utilité sensible de ces sortes d'ouvrages les a rendus si communs, que nous sommes plûtôt aujourd'hui dans le cas de les justifier que d'en faire l'éloge. On prétend qu'en multipliant les secours & la facilité de s'instruire, ils contribueront à éteindre le goût du travail & de l'étude. Pour nous, nous croyons être bien fondés à soûtenir que c'est à la manie du bel Esprit & à l'abus de la Philosophie, plûtôt qu'à la multitude des Dictionnaires, qu'il faut attribuer notre paresse & la décadence du bon goût. Ces sortes de collections peuvent tout au plus servir à donner quelques lumieres à ceux qui sans ce secours n'auroient pas eu le courage de s'en procurer: mais elles ne tiendront jamais lieu de Livres à ceux qui chercheront à s'instruire; les Dictionnaires par leur forme même ne sont propres qu'à être consultés, & se refusent à toute lecture suivie. Quand nous apprendrons qu'un homme de Lettres, desirant d'étudier l'Histoire à fond, aura choisi pour cet objet le Dictionnaire de Moreri, nous conviendrons du reproche que l'on veut nous faire. Nous aurions peut - être plus de raison d'attribuer l'abus prétendu dont on se plaint, à la multiplication des méthodes, des élémens, des abregés, & des bibliotheques, si nous n'étions persuadés qu'on ne sauroit trop faciliter les moyens de s'instruire. On abrégeroit encore davantage ces moyens, en réduisant à quelques volumes tout ce que les hommes ont découvert jusqu'à nos jours dans les Sciences & dans les Arts. Ce projet, en y comprenant même les faits historiques réellement utiles, ne seroit peut - être pas impossible dans l'exécution; il seroit du moins à souhaiter qu'on le tentât, nous ne prétendons aujourd'hui que l'ébaucher; & il nous débarrasseroit enfin de tant de Livres, dont les Auteurs n'ont fait que se copier les uns les autres. Ce qui doit nous rassûrer contre la satyre des Dictionnaires, c'est qu'on pourroit faire le même reproche sur un fondement aussi peu solide aux Journalistes les plus estimables. Leur but n'est - il pas essentiellement d'exposer en raccourci ce que notre siecle ajoûte de lumieres à celles des siecles précédens; d'apprendre à se passer des originaux, & d'arracher par conséquent ces épines que nos adversaires voudroient qu'on laissât? Combien de lectures inutiles dont nous serions dispensés par de bons extraits?

Nous avons donc crû qu'il importoit d'avoir un Dictionnaire qu'on pût consulter sur toutes les matieres des Arts & des Sciences, & qui servît autant à guider ceux qui se sentent le courage de travailler à l'instruction des autres, qu'à éclairer ceux qui ne s'instruisent que pour eux - mêmes.

Jusqu'ici personne n'avoit conçû un Ouvrage aussi grand, ou du moins personne ne l'avoit exécuté. Leibnitz, de tous les Savans le plus capable d'en sentir les difficultés, desiroit qu'on les surmontât. Cependant on avoit des Encyclopédies; & Leibnitz ne l'ignoroit pas, lorsqu'il en demandoit une.

La plûpart de ces Ouvrages parurent avant le siecle dernier, & ne furent pas tout - à - fait méprisés. On trouva que s'ils n'annonçoient pas beaucoup de génie, ils marquoient au moins du travail & des connoissances. Mais que seroit - ce pour nous que ces Ency clopédies? Quel progrès n'a - t - on pas fait depuis dans les Sciences & dans les Arts? Combien de vérités découvertes aujourd'hui, qu'on n'entrevoyoit pas alors? La vraie Philosophie étoit au berceau; la Géométrie de l'Infini n'étoit pas encore; la Physique expérimentale se montroit à peine; il n'y avoit point de Dialectique; les lois de la saine Critique étoient entierement ignorées. Les Auteurs célebres en tout genre dontnous avons parlé dans ce Discours, & leurs illustres disciples, ou n'existoient pas, ou n'avoient pas écrit. L'esprit de recherche & d'émulation n'animoit pas les Savans; un autre esprit moins fécond peut - être, mais plus rare, celui de justesse & de méthode, ne s'étoit point soûmis les différentes parties de la Littérature; & les Académies, dont les travaux ont porté si loin les Sciences & les Arts, n'étoient pas instituées.

Si les découvertes des grands hommes & des compagnies savantes, dont nous venons de parler, offrirent dans la suite de puissans secours pour former un Dictionnaire encyclopédique; il faut avoüer aussi que l'augmentation prodigieuse des matieres rendit à d'autres égards un tel Ouvrage beaucoup plus difficile. Mais ce n'est point à nous à juger si les successeurs des premiers Encyclopédistes ont été hardis ou présomptueux; & nous les laisserions tous joüir de leur réputation, sans en excepter Ephraïm Chambers le plus connu

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