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ABBÉ (Page 1:12)
ABBÉ, s. m. Supérieur d'un Monastere de Religieux, érigé en Abbaye ou Prélature. Voyez
Le nom d'Abbé tire son origine du mot hébreu
>, qui signifie pere; d'où les Chaldéens & les Syriens ont formé abba: de là lès Grecs abbas, que les
Latins ont re>enu. D'abbas vient en françois le nom
d'Abbé, &c. S. Marc & S. Paul, dans leur Texte
grec, se servent du Syriaque abba, parce que c'étoit
un mot communément connu dans les Synagogues
& dans les premieres assemblées des Chrétiens. Ils y
ajoûtent en forme d'interprétation, le nom de pere,
abba, O
Le nom d'Abbé par conséquent paroit aussi ancien
que l'Institution des Moines eux - mêmes. Les Directeurs des premiers Monasteres prenoient indifféremment
les titres d'Abbés ou d'Archimandrites. Voyez
Les anciens Abbés étoient des Moines qui avoient établi des Monasteres ou Communautés, qu'ils gouvernoient comme S. Antoine & S. Pacôme; ou qui avoient été préposés par les Instituteurs de la vie mo<cb->
Mais le gouvernement des Abbés a été différent, selon les différentes especes de Religieux. Parmi les anciens Moines d'Egypte, quelque grande que fût l'autorité des Abbés, leur premiere supériorité étoit celle du bon exemple & des vertus: ni eux, ni leurs inférieurs, n'étoient Prêtres, & ils étoient parfaitement soûmis aux Evêques. En Occident, suivant la Regle de Saint Benoît, chaque Monastere étoit gouverné par un Abbé, qui étoit le Directeur de tous ses Moines pour le spirituel & pour la conduite intérieure. Il disposoit aussi de tout le temporel, mais comme un bon pere de famille; les Moines le choisissoient d'entre eux, & l'Evêque diocésain l'ordonnoit Abbé par une Bénédiction solemnelle: cérémonie formée à l'imitation de la Consécration des Evêques. Les Abbés étoient souvent ordonnés Prêtres, mais non pas toûjours. L'Abbé assembloit les Moines pour leur demander leur avis dans toutes les rencontres importantes, mais il étoit le maître de la décision; il pouvoit établir un Prevôt pour le soulager dans le gouvernement; & si la Communauté étoit nombreuse, il mettoit des Doyens pour avoir soin chacun de dix Religieux, comme le marque le mot Decanus. Au reste, l'Abbé vivoit comme un autre Moine, excepté qu'il étoit chargé de tout le soin de la Maison, & qu'il avoit sa Mense, c'est - à - dire, sa table à part pour y recevoir les hôtes; ce devoir ayant été un des principaux motifs de la fondation des Abbayes.
Ils étoient réellement distingués du Clergé, quoique
souvent confondus avec les Ecclésiastiques, à
cause de leur degré au - dessus des Laïques. S. Jerôme
écrivant à Héliodore, dit expressément: alia Monachorum est causa, alia Clericorum. Voyez
Dans ces premiers tems, les Abbés étoient soûmis aux Evêques & aux Pasteurs ordinaires. Leurs Monasteres étant éloignés des Villes, & bâtis dans les solitudes les plus reculées, ils n'avoient aucune part dans les affaires ecclésiastiques. Ils alloient les Dimanches aux Eglises Paroissiales avec le reste du peuple; ou s'ils étoient trop éloignés, on leur envoyoit un Prêtre pour leur administrer les Sacremens: enfin on leur permit d'avoir des Prêtres de leur propre Corps. L'Abbé lui - même ou l'Archimandrite, étoit ordinairement Prêtre: mais ses fonctions ne s'étendoient qu'à l'assistance spirituelle de son Monastere, [p. 13]
Comme il y avoit parmi les Abbés plusieurs Personnes savantes, ils s'opposerent vigoureusement aux hérésies qui s'éleverent de leur tems; ce qui donna occasion aux Evêques de les appeller de leurs déserts, & de les établir d'abord aux environs des Faubourgs des Villes, & ensuite dans les Villes mêmes. C'est de ce tems que l'on doit dater l'époque de leur relâchement. Ainsi les Abbés étant bientôt déchûs de leur premiere simplicité, ils commencerent à être regardés comme une espece de petits Prélats. Ensuite ils affecterent l'indépendance de leurs Evêques, & devinrent si insupportables, que l'on fit contre - eux des lois fort séveres au Concile de Chalcédoine & autres, dont on a parlé.
L'Ordre de Cluny pour établir l'uniformité, ne voulut avoir qu'un seul Abbé. Toutes les Maisons qui en dépendoient, n'eurent que des Prieurs, quelques grandes qu'elles fussent, & cette forme de gouvernement a subsisté jusqu'à présent. Les Fondateurs de Cîteaux crurent que le relâchement de Cluny venoit en partie de l'autorité absolue des Abbés: pour y remédier ils donnerent des Abbés à tous les nouveaux Monasteres qu'ils fonderent, & voulurent qu'ils s'assemblassent tous les ans en Chapitre général, pour voir s'ils étoient uniformes & fideles à observer la Regle. Ils conserverent une grande autorité à Cîteaux sur ses quatre premieres Filles, & à chacune d'elles sur les Monasteres de sa filiation; ensorte que l'Abbé d'une Mere Eglise présidât à l'élection des Abbés des Filles, & qu'il pût avec le conseil de quelques Abbes, les destituer s'ils le méritoient.
Les Chanoines Réguliers suivirent à peu près le gouvernement des Moines, & eurent des Abbés dans leurs principales Maisons, de l'élection desquels ils demeurerent en possession jusqu'au Concordat de l'an 1516, qui transporta au Roi en France le droit des élections pour les Monasteres, aussi - bien que pour les Evêchés. On a pourtant conservé l'élection aux Monasteres qui sont Chefs - d'Ordre, comme Cluny, Cîteaux & ses quatre Filles, Prémontré, Grammont, & quelques autres; ce qui est egardé comme un privilége, quoiqu'en effet ce soit un reste du Droit commun.
Les biens des Monafteres étant devenus considérables, exciterent la cupidité des Séculiers pour les envahir. Dès le V. siecle en Italie & en France, les Rois s'en emparerent, ou en gratifierent leurs Officiers & leurs Courtisans. En vain les Papes & les Evêques s'y opposerent - ils. Cette licence dura jusqu'au Regne de Dagobert, qui fut plus favorable à l'Eglise: mais elle recommença sous Charles Martel, pendant le Regne duquel les Laïques se mirent en possession d'une partie des biens des Monasteres, & prirent même le titre d'Abbés. Pepin & Charlemagne réformerent une partie de ces abus, mais ne les détruisirent pas entierement; puisque les Princes leurs successeurs donnoient eux - mêmes les revenus des Monasteres à leurs Officiers, à titre de récompense pour leurs services, d'où est venu le nom de Bénéfice, & peut - être l'ancien mot, Beneficium propter officium; quoiqu'on l'entende aujourd'hui dans un sens très - différent, & qui est le seul vrai, savoir des services rendus à l'Eglise. Charles le Chauve fit des lois pour modérer cet usage, qui ne laissa pas de subsister sous ses successeurs. Les Rois Philippe I. & Louis VI. & ensuite les Ducs d'Orléans, sont appellés Abbés du Monastere de S. Aignan d'Orléans. Les Ducs d'Aquitaine prirent le titre d'Abbés de S. Hilaire de Poitiers. Les Comtes d'Anjou, celui d'Abbés de S. Aubin; & les Comtes de Vermandois, celui d'Abbés de S. Quentin. Cette coûtume cessa pourtant sous les premiers Rois de la troisieme race; le Clergé s'opposant à ces innovations, & rentrant de tems en tems dans ses droits.
Mais quoiqu'on n'abandonnât plus les revenus des Abbayes aux Laïques, il s'introduisit, surtout pendant le schisme d'Occident, une autre coûtume, moins éloignée en général de l'esprit de l'Eglise, mais également contraire au droit des Réguliers. Ce fut de les donner en commende à des Clercs séculiers; & les Papes eux - mêmes furent les premiers à en accorder, toûjours pour de bonnes intentions, mais qui manquerent souvent d'être remplies. Enfin par le Concordat entre Léon X. & François I. la nomination des Abbayes en France fut dévolue au Roi, à l'exception d'un très - petit nombre; ensorte que maintenant presque toutes sont en commende.
Malgré les Reglemens des Conciles dont nous avons parlé, les Abbés, surtout en Occident, prirent le titre de Seigneur, & des marques de l'Episcopat, comme la Mitre. C'est ce qui donna l'origine à plusieurs nouvelles especes d'Abbés; sçavoir aux Abbés mitrés, crossés, & non crossés; aux Abbés oecuméniques, aux Abbés Cardinaux, &c.
Les Abbés mitrés sont ceux qui ont le privilége de
porter la Mitre, & qui ont en même tems une autorité
pleinement épiscopale dans leurs divers territoires.
En Angleterre on les appelloit aussi Abbés souverains & Abbés généraux, & ils étoient Lords du
Parlement. Selon le S'. Edouard Coke, il y en avoit
en Angleterre vingt - sept de cette sorte, sans compter
deux Prieurs mittes. Voyez
Le Pere Hay, Moine Bénédictin, dans son Livre
intitulé Astrun inextinctum, soûtient que les Abbés de
son Ordre ont non - seulement une Jurisdiction [comme] épiscopale, mais même une Jurisdiction [comme] papale. Potestatem quasi episcopalem, imo quasi
papalem: & qu'en cette qualité ils peuvent conférer
les Ordres inférieurs de Diacres & de Soûdiacres.
Voyez
Lorsque les Abbés commencerent à porter la Mitre, les Evêques se plaignirent amerement que leurs
priviléges étoient envahis par des Moines: ils étoient
principalement choqués de ce que dans les Conciles
& dans les Synodes, il n'y avoit aucune distinction
entre - eux. C'est à cette occasion que le Pape Clément
IV. ordonna que les Abbés porteroient seulement la
Mitre brodée en or, & qu'ils laisseroient les pierres
précieuses aux Evêques. Voyez
Les Abbés crossés sont ceux qui portent les Crosses
ou le Bâton pastoral. Voyez
Il y en a quelques - uns qui sont crossés & non mitrés, comme l'Abbé d'une Abbaye de Bénédictins à Bourges; & d'autres qui sont l'un & l'autre.
Parmi les Grecs il y a des Abbés qui prennent même
la qualité d'Abbés acuméniques, ou d'Abbés universels, à l'imitation des Patriarches de Constantinople. Voyez
Les Latins n'ont pas été de beaucoup inférieurs
aux Grecs à cet égard. L'Abbé de Cluny dans un
Concile tenu à Rome, prend le titre d'Abbas Abbatum, Abbé des Abbés: & le Pape Calixte donne au
même Abbé le titre d'Abbé Cardinal. Voyez
Les Abbés - Cardinaux qui sont séculiers, ou qui ne sont point Chefs - d'Ordre, n'ont point de jurisdiction sur les Religieux, ni d'autorité dans l'intérieur des Monasteres.
Les Abbés aujourd'hui se divisent principalement en Abbés Réguliers (ou Titulaires), & en Abbés Commendataires.
Les Abbés Réguliers sont de véritables Moines ou [p. 14]
Tous les Abbés sont présumés être tels, les Canons défendant expressément qu'aucun autre qu'un Moine ait le commandement sur des Moines: mais dans le fait il en est bien autrement.
En France les Abbés Réguliers n'ont la jurisdiction sur leurs Moines que pour la correction Monachale concernant la Regle. S'il est question d'autre excès non concernant la Regle, ce n'est point à l'Abbé, mais à l'Evêque d'en connoître; & quand ce sont des excès privilégiés, comme s'il y a port d'armes, ce n'est ni à l'Abbé, ni à l'Evêque, mais au Juge Royal d'en connoître.
Les Abbés Commendataires, ou les Abbés en
Commende, sont des Séculiers qui ont été auparavant
tonsurés. Ils sont obligés par leurs Bulles de
prendre les Ordres quand ils seront en âge. Voyez
Quoique le terme de Commende insinue qu'ils ont seulement pour un tems l'administration de leurs Abbayes, ils ne laissent pas d'en joüir toute leur vie, & d'en percevoir toûjours les fruits, aussi - bien que les Abbés Réguliers.
Les Bulles leur donnent un plein pouvoir, tam in spiritualibus quam in temporalibus: mais dans la réalité les Abbés Commendataires n'exercent aucune fonction spirituelle envers leurs Moines, & n'ont sur eux aucune jurisdiction: ainsi cette expression in spiritualibus, n'est que de style dans la Cour de Rome, & n'emporte avec elle rien de réel.
Quelques Canonistes mettent les Abbayes en
Commende au nombre des Bénéfices, inter titulos Beneficiorum: mais elles ne sont réellement qu'un titre
canonique, ou une provision pour joüir des fruits
d'un Bénéfice; & comme de telles provisions sont
contraires aux anciens Canons, il n'y a que le Pape
qui puisse les accorder en dispensant du Droit ancien.
Voyez
Comme l'Histoire d'Angleterre parle très - peu de
ces Abbés Commendataires, il est probable qu'ils n'y
furent jamais communs: ce qui a donné lieu à quelques
Auteurs de cette Nation de se méprendre, en
prenant tous les Abbés pour des Moines. Nous en
avons un exemple remarquable dans la dispute touchant
l'Inventeur des Lignes, pour transformer les
Figures géométriques, appellées par les Francois les
Lignes Robervalliennes. Le Docteur Gregory dans les
Transactions philosophiques, année 1694, tourne en
ridicule l'Abbé Gallois, Abbé Commendataire de
l'Abbaye de S. Martin de Cores; & le prenant pour
un Moine:
L'Abbé releve cette méprise, & retorque avec avantage la raillerie sur le Docteur dans les Mémoires de l'Académie, année 1703.
La cérémonie par laquelle on établit un Abbé, se
nomme proprement Bénédiction, & quelquefois,
quoiqu'abusivement, Consécration. Voyez
Cette cérémonie consistoit anciennement à revêtir l'Abbé de l'habit appellé Cuculla, Coulle, en lui mettant le Bâton pastoral dans la main, & les souliers, appellés pedales, (sandales) à ses piés. Nous apprenons ces particularités de l'Ordre Romain de Théodore, Archevêque de Cantorbéry.
En France la nomination & la collation des Bénéfices dépendans des Abbayes en Commende, appartiennent à l'Abbé seul, à l'exclusion des Religieux. Les Abbés Commendataires doivent laisser aux Religieux le tiers du revenu de leurs Abbayes franc & exempt de toutes charges. Les biens de ces Abbayes se partagent en trois lots: le premier est pour l'Abbé; le se<cb->
La Profession des Religieux faite contre le consentement de l'Abbé est nulle. L'Abbé ne peut cependant recevoir aucun Religieux sans prendre l'avis de la Communauté.
Les Abbés tiennent le second rang dans le Clergé, & sont immédiatement après les Evêques: les Abbés Commendataires doivent marcher avec les Réguliers, & concurremment avec eux, selon l'ancienneté de leur réception.
Les Abbés Réguliers ont trois sortes de Puissance:
l'OEconomique, celle d'Ordre, & celle de Jurisdicdiction. Le premiere consiste dans l'administration
du temporel du Monastere: la seconde, à ordonner
du Service - Divin, recevoir les Religieux à Profession, leur donner la Tonsure, conférer les Bénéfices
qui sont à la nomination du Monastere: la troisieme,
dans le droit de corriger, d'excommunier, de suspendre.
L'Abbé Commendataire n'a que les deux
premieres sortes de Puissance. La troisieme est exercée
en sa place par le Prieur - claustral, qui est comme
son Lieutenant pour la discipline intérieure du
Monastere. Voyez
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